II.2. Les caractères de l'ek-sistence du Dasein
Le Dasein est manifestement un étant au monde. Ce qui
particularise et spécifie sa présence au monde par rapport aux
autres étants est son ek-sistence : <<
1'être-aumonde, nous dit Heidegger, est la constitution fondamentale
du Dasein >>31, mais il ne l'est pas, comme le
précise l'auteur, comme << 1'eau dans le verre ou comme le
vêtement dans l'armoire >>32. En effet, ce que
Heidegger appelle les étants intramondains sont
caractérisés par leur disponibilité, leur
maniabilité, leur «utilisabilité». L'eau et le
vêtement, par exemple, ne sont là dans le verre et dans l'armoire
que pour être utilisés par l'homme. Le rapport fondamental que
l'homme entretient avec ces étants intramondains est celui de
profitabilité, d'utilisabilité. C'est dans ce sens que Folscheid,
en commentant la pensée de Heidegger, dit que << ce qui
constitue le monde ambiant, c'est la structure référentielle de
"maniabilité" d'un ensemble d'"outils" qui sont, en tant que tels,
inséparables du Dasein auquel ils renvoient. La
maniabilité (Zuhandenheit), et non la simple présence
(Vorhandenheit), est donc le mode originel de découvrement de
l'étant intramondain >>33. Et c'est cette
différence capitale d'êtreau-monde qui existe entre le Dasein et
les autres étants. Car, le Dasein, ontologiquement parlant, se
caractérise par la compréhension de l'être, le projet, la
transcendance et l'ouverture ek-statique à l'être.
Dès lors, il convient d'apporter un éclairage à ces
différents existentiaux.
II.2.1. L'ek-sistence du Dasein comme
compréhension de l'être
Par la compréhension, l'homme projette son être
en visant ses possibilités. Nous pouvons dire qu'il y a ici au fond de
la compréhension une possibilité de développement qui
s'inscrit en droite ligne dans l'ek-sistence. C'est l'être qui
est là pour lui-même, c'est-à-dire l'étant singulier
qui a pour modalité d'être non comme les
31M. Heidegger, Etre et temps, op. cit, p.
53.
32 Ibidem, p. 54.
33 D. Folscheid, La philosophie allemande. De Kant
à Heidegger, PUF, Paris, 1993, p. 304.
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choses, mais la possibilité ou le pouvoir-être.
Il se comprend à partir de sa possibilité d'être ou de ne
pas être. On pourrait dire que ce qui spécifie l'homme par rapport
aux étants intramondains, c'est qu'il est un ensemble de
possibilités. Ek-sister pour l'homme, c'est se remettre sans
cesse en question. L'eks-sistence désigne le caractère
qui porte l'homme ou le Dasein à être toujours en avant de
lui-même, à assumer son être-dans-le-monde. Car
être-au-monde ou être-dans-le-monde pour l'homme signifie se
reconnaître temporel et mortel, et par conséquent rester en
ouverture à l'être duquel il tient l'ek-sistence.
L'homme ek-siste de manière qu'il comprend
l'être. La compréhension de l'être devient ainsi un mode
d'être de l'être-là qui est l'homme : « La
compréhension de l'être, dit Heidegger, est elle-même une
détermination d'être du Dasein. Ce qui distingue
ontiquement le Dasein, c'est qu'il est
ontologique»34. Cela signifie que « c'est [...]
toute l'existence du Dasein qu'il faut interpréter pour lire le sens de
son projet ontologique et dégager ainsi l'horizon de la
révélation de l'être »35. Autrement
dit, l'homme est le seul étant auquel incombe la lourde tâche, la
première responsabilité de dévoiler le sens de
l'être ; il est le seul à être la voie royale d'accès
à l'être, le seul répondant de l'être. Car il est le
seul capable de s'interroger sur le fondement de son existence factice et sur
sa destinée. Interroger les autres étants, c'est donc aux yeux de
Heidegger emprunter des « chemins qui ne mènent nulle part ».
C'est là la primauté ontico-ontologique du Dasein. Le Dasein est
l'étant, pour lequel dans son être il y va de cet
être36. C'est pourquoi F. Couturier dira : «
l'existence heideggérienne n'est pas autre chose que cette
compréhension de son être qu'a le Dasein et qui permet
à celui-ci de se rapporter à son être.
»37 L'homme existe de façon qu'il puisse comprendre
l'être. Cette formule heideggérienne, selon E. Lévinas,
équivaut à une autre qui, d'abord semble en dire beaucoup plus :
« L'homme existe de telle manière qu'il y va toujours pour lui
de sa propre existence »38. Dès lors,
l'étude de l'être - ontologie - devient une étude des modes
d'être du Dasein. Autrement dit, l'ontologie fondamentale se mue en une
« analytique existentiale du Dasein », en une analyse de l'existence
humaine. Ainsi, ek-
34 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
12.
35 A. Chapelle, L'ontologie
phénoménologique de Heidegger. Un commentaire de « Sein
und Zeit », éd. Universitaires, Paris, 1962, p. XXII.
36 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., ,p.
12.
37 F. Couturier, Monde et être chez
Heidegger, Préface de Bernhard Welte, Presses de
l'Université de Montréal, Montréal, 1971, p. 1.
38 E. Lévinas, En découvrant
l'existence avec Husserl et Heidegger, Vrin, Paris, 1982, p.
60.
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sister pour le Dasein, c'est comprendre ou avoir
l'intelligence de l'être. Dans cette
compréhension, l'homme reste fondamentalement
pro-jet.
II.2.2. Ek-sistence du Dasein conçue comme
pro-jet
L'homme, au dire de Heidegger, est un pro-jet
jeté dans le monde. Il n'est pas le fondement de son
être-au-monde. Il se découvre déjà plongé,
enraciné dans le monde. C'est ce qui explique le mieux sa situation dans
le monde. Ek-sister n'est pas synonyme d'être tout court.
L'ek-sistence, au sens ontologique du terme, n'est pas un attribut,
mais la réalité de tous les attributs. Elle devient un
caractère radical du Dasein. En effet, le mot "existence" dans la
conception ontologique heideggérienne doit être entendu dans
l'étymologie latine du terme : ek-sistere, c'est tout entier se
tenir au-dehors, outrepasser la réalité simplement
présente en direction de la possibilité39. Toutefois,
il ne suffit pas de passer d'un état à un autre pour
ek-sister : le pouvoir-être et l'ek-sistence supposent
une ouverture. Ainsi, l'anthropologie ontologique n'est pas une simple
description des faits ou des étants intramondains, mais elle est surtout
une réflexion sur le sens de l'eksistence, une explicitation de
l'ek-sistence, dont l'homme seul détient le
privilège.
Compris dans ce sens, Heidegger peut dire que le mot
ek-sistence est exclusivement réservé à l'homme
:
<< 1'homme seul existe. Le rocher est, mais
n'existe pas. L'arbre est, mais il n'existe pas. Le cheval est, mais il
n'existe pas. L'ange est, mais il n'existe pas. Dieu est, mais il n'existe pas
»40.
L'expression << l'homme seul existe >>, chez
Heidegger, signifie que l'homme est le seul étant à jouir d'une
triple ouverture : ouverture envers lui-même, ouverture envers les autres
étants et finalement ouverture envers l'être puisqu'il en est le
site de dévoilement. Il s'agit aussi de comprendre que «
l'homme seul est [...J engagé dans le destin de l'ek-sistence
>>41. En d'autres termes, il est un projet qui doit se
réaliser, et la réalisation de ce projet suppose une ouverture
à l'être. C'est ici que la présence de
39 J. Beaufret, Introduction aux philosophies de
l'existence. De Kierkegaard à Heidegger, éd.
Denoël/Gonthier, Paris, 1971, p. 21.
40 M. Heidegger, Was ist Metaphysik ? (1949),
<< Qu'est-ce que la métaphysique ? », in
Questions I, Gallimard, Paris, 1968, p. 35.
41 M. Heidegger, << Lettre sur l'humanisme
», in Questions III, op. cit., p. 80.
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l'homme au monde est une présence dynamique, une
tâche ardue à assumer. Il va sans dire que c'est également
dans cette optique que notre philosophe a fait cette déclaration qui a
été l'objet de tant de méprises dans la sphère de
la philosophie. Si pour Sartre, l'existence précède l'essence,
pour Heidegger : << L'essence du Dasein réside dans son
existence >>42. Cette expression aussi bien bouleversante
que révolutionnaire signifie en réalité que l'homme n'est
vraiment homme que dans la mesure où, d'une part il se tient ouvert
à l'ouverture de l'être, et d'autre part son existence se
présente ici comme une °uvre de longue haleine à accomplir.
Evidemment une telle ek-sistence vise donc la déconstruction de
l'idéalisme de Platon ainsi que sa postérité pour qui le
vrai monde de l'homme serait intelligible et que le monde sensible n'est qu'un
pseudo-monde. Du coup, Heidegger balaie d'un revers de la main le dualisme qui
caractérise la philosophie occidentale. Toutefois, il faut
reconnaître que la réalisation de cette existence requiert une
lutte, un dépassement de soi-même, une transcendance.
II.2.3. Ek-sistence du Dasein en tant que
transcendance
Il faut souligner que 1'ek-sistence du Dasein est
au-delà des autres étants. Elle est transcendante. En effet, la
transcendance, selon Heidegger, est l'expression de ce dynamisme de l'homme
à pouvoir se projeter, à devenir un <<
être-des-lointains >>. Ce qui revient à dire que la
manière humaine d'être est un appel à un dépassement
continuel de soi. Le Dasein, en ek-sistant, ne cesse de se remettre en
question, de dépasser la réalité qui l'environne et le
conditionne, sans pourtant se laisser déterminer par lui. Toutefois, il
faut éviter une certaine méprise quant à la
compréhension de cette transcendance qui explique le caractère
existential de l'ek-sistence du Dasein; elle n'est pas à
prendre au sens idéaliste du terme. La transcendance selon la
compréhension heideggérienne est paradoxalement immanente et
<< le processus de transcendance est un acte par lequel le
Dasein se pose lui-même comme être-dans-le-monde
>>43. Cela signifie que la réalité d'être
de l'homme est d'être présent au monde. Et nous pouvons ajouter
que c'est grâce à ce mouvement de transcendance que le Dasein
inteiigibilise son monde, le constitue (l'organise) et lui donne un
sens. Bref, le Dasein se transcende
42 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
42.
43 G. Vattimo, Introduzione a Heidegger (1971),
Introduction à Heidegger, traduction française par J.
Rolland, Cerf, Paris, 1985, p. 88.
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du même coup qu'il transcende les existants bruts. Cet
acte de transcendance ne peut pas être posé : il est la
caractéristique même du Dasein, sinon celui-ci perdrait son statut
d'étant ontologique. Enfin, une ek-sistence transcendante ne
serait-elle pas une ouverture ek-statique à l'être ?
Autrement dit, le Dasein ne serait-il pas vraiment luimême que dans la
mesure oü il est une ouverture ek-statique à l'ouverture
dé-celante et apparaissante à l'être ? A ce questionnement,
Heidegger répond sans tergiverser par l'affirmative. Pour lui, la
véritable essence, comme nous l'avions dit, repose dans son
ek-sistence :
<< se tenir dans l'éclaircie de l'être,
dit-il, c'est ce que j'appelle l'ek-sistence de l'homme. Seul l'homme
a en propre cette manière d'être (essence). L'ek-sistence
ainsi comprise est non seulement le fondement de la possibilité de la
raison, ratio, elle est cela même en quoi l'essence de l'homme
garde la provenance de sa détermination »44.
En définitive, l'homme ne déploie son
ek-sistence que lorsqu'il devient le "là",
c'est-à-dire le lieu du dévoilement de la
vérité de l'être ou de l'éclaircie de l'être.
Cette existence est susceptible de se déployer de deux façons,
soit dans l'inauthenticité, soit dans l'authenticité.
II.3. Les deux modes de l'ek-sistence :
inauthentique et authentique
Nous avons esquissé dans la partie
précédente une analytique de l'ek-sistence du Dasein
telle qu'elle nous est présentée par le philosophe allemand, M.
Heidegger. Il nous faut à présent faire un pas de plus en
profondeur pour apporter un éclairage sur la double modalité de
cette ek-sistence. En effet, l'ek-sistence humaine est une
structure susceptible de deux modalités fondamentales : inauthentique et
authentique. Qu'est-ce qu'une ek-sistence inauthentique et authentique
pour le Dasein ? Comment le Dasein est-il appelé à
ek-sister dans-le-monde et surtout à être-avec-autrui
?
Le Dasein ne rencontre pas seulement dans le monde oü il
est plongé, ou déjà jeté des ustensiles dont il
dispose, mais aussi d'autres Dasein. Son monde est toujours un monde commun,
c'est un monde au sein duquel les autres se sont toujours déjà
annoncés. Même seul, même lorsqu'il n'y a aucun homme dans
son environnement immédiat, le Dasein est toujours avec autrui :
<< le Dasein est essentiellement en lui-
44 M. Heidegger, << Lettre sur l'humanisme
», in Questions III, op. cit., p. 80.
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même un être-avec »45.
Mais que peut bien signifier cette affirmation très suggestive de
Heidegger ? Cet énoncé qui est, au dire de Heidegger,
phénoménologique a un sens existential si bien que la solitude
n'a plus de sens dans l'ek-sistence du Dasein, sinon elle n'a de sens,
à vrai dire, que pour un être qui est fondamentalement en rapport
avec les autres. Ces derniers ne peuvent manquer que dans et pour un
être-avec : « 1'êtreavec, dit Heidegger, est une
détermination du Dasein que j'ai chaque fois en propre ; la coexistence
caractérise le Dasein des autres dans la mesure oil elle s'offre, de par
leur monde, à un être-avec. »46 Dans son
rapport quotidien, dans cette coexistence avec les autres, le Dasein qui
entretient des relations particulières avec autrui, et par manque de
vigilance ou de contrôle sur soi, tombe dans l'inauthenticité ou
mieux dans l'ek-sistence inauthentique.
II.3.1. L'ek-sistence inauthentique
L'ek-sistence inauthentique caractérise le
stade où l'homme dilue sa personnalité dans la masse, vit dans
les apparences. Il est accaparé, pourrions-nous dire, par les autres et
se détermine par rapport à eux. Ce sont les autres qui lui
dictent la conduite à tenir. Dans la perspective heideggérienne,
l'homme ou le Dasein inauthentique pourrait être fondamentalement
défini comme celui qui abdique sa responsabilité et son autonomie
pour se soumettre à la complète hétéronomie. Il
n'est pas celui qui se fait comme dirait l'existentialiste athée, J.-P.
Sartre, mais il est fait ; il n'agit pas selon ses propres convictions, mais
est agi par les événements, les hommes, l'entourage, ou le
milieu. C'est un homme à être superficiel, si nous entendons la
superficialité comme la mesure de notre
hétéro-détermination. Se laisser fasciner par la
majorité, par l'extériorité au point de s'oublier
soi-même, au point de se laisser mécaniser, instrumentaliser par
les structures ou les institutions sociales, voilà ce qui est l'apanage
de l'ek-sistence inauthentique. Dans cette modalité
d'être, l'être humain reste prisonnier de la société,
des traditions, des opinions. Ce n'est pas lui qui agit, mais il est
plutôt agi par le regard des autres, par les influences
extérieures.
Tel pourrait être le vrai visage de l'existence
inauthentique. D'une manière générale, dans son rapport
quotidien avec les autres, le Dasein se tient sous l'emprise
45 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
120. 46Ibidem, p. 121.
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d'autrui et est par là même
dépossédé de son être soi-même. Dans cette
dépossession, « ce n'est pas lui-même
[c'est-à-dire le Dasein] qui est, nous dit Heidegger, les
autres lui ont ôté l'être ».47 Etant
donné que le Dasein n'est plus lui-même, il tombe du coup sous ce
que Heidegger appelle la dictature du on.48
Concrètement, dans l'existence inauthentique, l'homme ne se
détermine plus par lui-même, mais d'après ce qu'on dit, ce
qu'on fait : « Nous nous réjouissons et nous nous amusions
comme on se réjouit ; nous lisons, voyons et jugeons en
matière de littérature et d'art comme on voit et juge ;
mais nous nous retirons aussi de la " grande masse"comme on se retire
; nous trouvons "révoltant" ce que l'on trouve
révoltant. »49. Voilà l'homme de la masse,
de la majorité qui sombre dans l'anonymat de la masse, dans
l'annihilation de toute velléité créationnelle, qui
croupit dans l'ek-sistence monotone et routinière. C'est bien
cela que nous pouvons appeler le conformisme qui caractérise aussi
l'existence inauthentique.
II.3.1.1. L'ek-sistence inauthentique comme
attitude conformiste
Le conformisme, en effet, est l'acte de se conformer, de se
complaire dans ce qui convient aux autres ; ce qui en soi est un processus
naturel, et, en certaines circonstances, positif, il faut même dire
créateur, constructif. Une telle complaisance constructive et
créatrice entre les hommes, à l'intérieur d'une
société, est une confirmation de la solidarité et son
épanouissement. Cependant, malgré cet aspect positif, le terme de
conformisme comme existence inauthentique renvoie à une
réalité négative. Le conformisme, à ce niveau,
« désigne un manque de solidarité intrinsèque, en
même temps que la dérobade par rapport à l'opposition
»50 . S'il dit la complaisance des uns et des autres
à l'intérieur d'une société, ce n'est qu'en un sens
extérieur et superficiel, privé du fondement personnel de la
conviction et du choix. C'est ici que la pertinence de la conception
heideggérienne de l'existence inauthentique trouve un écho
favorable chez K. Wojtyla qui le lui concède.
47 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
126.
48 Idem.
49Ibidem, pp. 126-127.
50 K. Wojtyla, Osaba i czyn (1977),
Personne et Acte, traduction française par G. Jarczyk,
éd. Centurion, Paris, 1983, p. 326.
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En effet, selon le point de vue wojtylien, <<
l'attitude de conformisme implique avant tout une certaine
démission, variante caractéristique de ce pati par
lequel l'homme-personne n'est que le sujet d'un " advenir " , et non
l'auteur responsable d'une attitude et d'un engagement propres dans une
communauté» .51 Dans cette forme de conformisme, le
Dasein ne construit pas le groupe humain ou la société à
laquelle il appartient, mais se laisse plutôt porter par la
collectivité. Se cache derrière cette attitude, sinon la
négation ou la limitation, du moins la faiblesse de la transcendance
personnelle, c'est-à-dire l'émergence personnelle et le
dépassement de soi, bref l'autodétermination et du choix. C'est
en cela que consiste le manque de réalité ontologique de cette
modalité. Il ne s'agit pas là, bien évidemment, du seul
fait de baisser pavillon devant les autres, car cela peut avoir en bien des cas
une signification positive. Il s'agit, tout au contraire, d'un renoncement
ontologique à s'accomplir soi-même, comme l'affirme Heidegger,
dans l' << être-en-compagnie »52 avec les
autres. L'homme s'accorde pour ainsi dire avec le fait que la compagnie prive
le Dasein de lui-même, le dépossède, le décharge du
poids de son être, c'est-à-dire de toute responsabilité et
favorise ainsi la médiocrité, ou selon l'expression de Heidegger
lui-même, << tendance au moindre effort que le Dasein
a foncièrement en lui ».53 L'étant qui, dans
l'existence quotidienne, est au monde n'est pas le Dasein existant
authentiquement en vue de lui-même, mais celui qui est dispersé
dans le on, ce que Heidegger appelle le <<on-même »
(das Man-selbst)54, modalité inauthentique du
soi-même. La dispersion du Dasein dans le on est en outre ce que
Heidegger nomme << déchéance » ou l' <<
échéance » (Verfallen) du Dasein.
II.3.1.2. L'inauthenticité comme chute dans
la déchéance
La déchéance du Dasein n'a pas une signification
négative. Elle fait partie de sa constitution ontologique. Ainsi, en
tant que déchu ou échu, le Dasein esquive son propre
pouvoir-être, et se réfugie dans le bavardage, la
curiosité, l'équivoque ou les << parleries »,
c'est-à-dire des paroles vides de sens ; les commérages (le
«congossa »). Ainsi, nous pouvons dire que vivre dans
l'existence inauthentique, c'est être sous la
51 K. Wojtyla, Personne et acte, op. cit., p.
326.
52 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
127.
53 Ibidem, p. 128.
54 Ibidem, p. 129.
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dictature du on. Il s'agit de comprendre que d'un
côté l'homme se décharge de toute sa responsabilité
pour vivre dans la dispersion, «passe de l'excellence à la
médiocrité » (déchéance). En effet,
« l'homme médiocre, au dire de
Njoh-Mouelle, est l'homme du milieu ou encore l'homme moyen. Il est l'homme
du milieu par les insuffisances (accumulées) et les tares qu'il
manifeste et au premier rang desquelles nous plaçons l'aliénation
sous toutes ses formes : absence de jugement personnel et soumission,
c'està-dire dépendance par rapport à l'opinion et au
jugement anonyme de la majorité, comportements
stéréotypés, recherche de la facilité et de la
sécurité à tout prix, renonciation à l'autonomie et
à la liberté. »55
Bien plus, l'homme de l'ek-sistence inauthentique en
tant qu'homme médiocre est un homme du centre sans être
véritablement central56, car il est manipulé par la
majorité et non maître de ses propres décisions. Nous
pourrions dire davantage que l'homme de l'ek-sistence inauthentique
est celui qui met sa raison et son jugement personnel en congé pour
s'abandonner au ballottement que lui imposent l'opinion et le jugement anonyme
des autres. Il peut être et il est également l'homme qui, dans un
second mouvement d'<< auto-abandonnement », se laisse ballotter par
ses diverses tendances aussi tyranniques les unes que les autres. <<
Entre l'inférieur et le supérieur, le corps et l'esprit, la
bête et l'ange, il balance sans cesse et, en désespoir de cause,
finit par ériger son balancement en raison de vivre
»57.
L'homme inauthentique est, par ailleurs, un homme au carrefour
d'embarras. Il ne sait quelle direction prendre. Et comme il piétine au
carrefour, il en vient à se complaire dans son embarras et à
transformer son inaptitude à créer ou inventer, ou encore
à trouver des issues favorables à ses difficultés en
raison de vivre. L'inauthenticité montre ici un autre de ses aspects :
l'accommodation facile à n'importe quelle situation. Nous avons
déjà souligné qu'elle se manifeste à nous comme
démission de notre responsabilité, abandonnement à
l'hétéro-détermination ; à présent, elle se
révèle, comme nous venons de le dire, en tant que complaisance
dans le balancement et dans l'embarras. A dire vrai, l'ek-sistence
inauthentique est le fait de ne pas chercher à mettre fin au
mouvement de balançoire auquel est assujetti l'homme, ni à
55 E. Njoh-Mouelle, De la médiocrité
à l'excellence. Essai sur la signification du développement
humain, 3è éd. Clé, coll. << Etudes et
documents », Yaoundé, 1998, p. 51.
56Ibidem, p. 53.
57Ibidem, p. 54.
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résoudre son embarras. Un homme qui accepte un tel
état d'ek-sistence est un homme, à notre avis, de
fausses solutions qui transforme le carrefour en point d'arrivée ; ne
réussissant pas à sortir de la croisée des chemins, il
dépose ses bagages et décrète qu'il a atteint sa
destination. C'est finalement, et il faut le dire en toute radicalité,
l'homme qui ne sait où il va ou plutôt l'homme qui oublie sa
destination lorsqu'il rencontre des difficultés sur son
itinéraire. C'est l'homme qui ne cherche à résoudre aucun
problème mais qui transforme toutes ses difficultés en solutions.
Seul le présent l'intéresse et, à la rigueur, le
passé. Il est un homme fermé à la dimension de l'avenir,
incapable de créativité et d'inventivité. Par analogie, on
dirait qu'il est l'homme de l'existence esthétique de Kierkegaard
décrite ci-dessus. En outre et sur le plan éthique, cet homme ira
jusqu'à ériger les pseudo-valeurs ou les anti-valeurs en vraies
valeurs, et par un curieux renversement des valeurs, il arrive qu'on le prenne
pour un modèle social réussi.
A un niveau supérieur et surtout sur le plan politique,
l'existence inauthentique se conçoit ici comme le manque de
détermination politique d'un peuple ; le fait que ce dernier soit
à la « remorque » d'un autre peuple, le fait qu'il ne peut
user de sa souveraineté nationale. Aussi pouvons-nous dire que dans
l'existence inauthentique, un peuple ne dispose pas d'un pouvoir
décisionnel effectif, et ainsi il est ou devient la marionnette de tous
les pays dits puissants, les décideurs politiques et économiques
internationaux, les grandes firmes internationales.
Somme toute, nous pouvons dire que l'existence inauthentique
est non seulement une paupérisation, mais véritablement une
négation anthropologicoontologique, en ce sens que dans cette
modalité, quelque chose de très essentiel se trouve ravi,
arraché de l'homme. Inauthenticité, médiocrité,
conformisme, bref, l'infrahumanité est le trait fondamental d'une telle
ek-sistence que Heidegger appelle « inauthentique ». D'un
côté, l'homme est dépersonnalisé, de l'autre il se
« déresponsabilise », si nous pouvons nous permettre ce
néologisme. Dans ces situations, la seule issue favorable consiste
à acquérir ou reconquérir une identité
précise : l'existence authentique. C'est à ce niveau que se joue
donc le destin de tout Dasein et de tout peuple croupissant dans la
déchéance, le conformisme, la dictature de grandes puissances,
dans la dictature du on. Alors, par opposition à l'existence
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inauthentique, qu'est-ce que l'authenticité ou l'existence
authentique pour le Dasein? Quelles peuvent être ses
caractéristiques ?
II.3.2. L'ek-sistence authentique
Comme nous venons de l'évoquer, l'authenticité
ou l'existence authentique est à l'opposé de l'existence
inauthentique que nous venons de développer. En tant que telle
l'existence authentique doit consister en une modification existentielle du
on en tant que modalité d'être du Dasein : <<
1'être véritablement soi-même ne repose pas sur un
état d'exception oil le sujet et le on seraient
dissociés, au contraire c'est une modification existentielle du
on en tant qu'existential essentiel >>.58 Il
s'agit de comprendre par là que la reconquête de la
véritable essence de soi-même, par le fait qu'on soit tombé
dans la déchéance, n'est pas seulement une décision
ponctuelle, mais requiert une transcendance.
II.3.2.1. L'ek-sistence authentique : appel à
la transcendance
La transcendance du Dasein, en effet, est le
dépassement, qui a toujours déjà eu lieu de quelque
façon, au-delà de tout étant et de chaque étant, un
dépassement au moyen duquel seulement le Dasein peut revenir d'une
manière authentique vers les choses, vers l'être-avec et vers
lui-même. C'est seulement au moyen de ce dépassement que peut
être posée la question d'un rapport possible du Dasein à
l'être. La transcendance, le dépassement par-delà
l'étant dans son ensemble, s'effectue vers le monde et est de ce fait
être-au-monde. Le monde, au sens heideggérien du terme, n'est pas
l'ensemble de l'étant, mais c'est ce tout dans lequel le Dasein se
trouve déjà toujours, dans le comment de sa manifesteté,
de sa révélabilité, compris avec une extension variable
par une compréhension anticipante et englobante.59 Cela
signifie que le monde comme totalité n'est pas de l'étant, mais
ce à partir de quoi l'être-là ou bien le Dasein se signifie
à lui-même avec quel étant il peut avoir rapport et de
quelle façon.
Ainsi, << le monde est lié à cet
en-vue-de-soi qui est la manière d'être dont existe
1'être-là >>.60 Le dépassement,
au-delà de l'étant, qui est constitutif du monde, est la
58 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
130.
59 F. Couturier, Monde et être chez
Heidegger, Presses de l'Université de Montréal,
Montréal, 1971, p. 3.
60 O. Pöggeler, Der denkweg Martin
Heidegger (1963), La pensée de Martin Heidegger. Un cheminement
vers l'être, traduction française par M. Simon,
Aubier-Montaigne, Paris, 1967, p. 127.
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transcendance, comme nous l'avons souligné plus haut,
conçue comme être-dans-lemonde procure seulement à
l'étant l'accès au monde de sorte que l'étant puisse se
révéler tel qu'il est lui-même. Par là, la
transcendance est l'événement originaire, l'histoire originaire.
Elle doit être conçue comme liberté, car celle-ci place en
face de soi un en-vue-de-soi et fait ainsi << perdominer »
(Waltenlassen61) un monde. Ainsi, si ce n'est que dans le
monde et en compagnie avec les autres que le Dasein peut retrouver son statut
authentique, il va sans dire que cette authenticité ne sera effective
que dans l'avènement de la mort. Nous expliciterons plus tard et
davantage la mort comme phénomène du Dasein authentique le moment
indiqué.
Concrètement, opter pour l'ek-sistence
authentique chez Heidegger signifie sortir de sa léthargie, secouer
le joug de son esclavage inconscient, passer au crible, une à une,
toutes les pseudo-valeurs de l'ek-sistence inauthentique. En outre,
choisir l'authenticité ou l'ek-sistence authentique, c'est
s'engager à devenir, comme le surhomme nietzschéen,
créateur des valeurs nouvelles susceptibles de transformer sa propre vie
et la vie de la société. En effet, le créateur des valeurs
nouvelles doit s'émanciper de tous les conformismes inhibants, de tous
les maîtres, voire du devoir, le << tu dois », pour
qu'advienne le règne du << je veux » qui, à notre
avis, est une expression de la responsabilité assumée.
II.3.2.2. L'authenticité en tant que
responsabilité
L'homme authentique ou bien de l'ek-sistence
authentique, en effet, ne se départit en aucun moment de sa
responsabilité sans se renoncer, sans se renier. L'authenticité
selon Heidegger implique pour l'homme le devoir de responsabilité. Mais
s'agit-il d'une responsabilité illimitée et étendue
à tout le genre humain ? Toute responsabilité qui se limiterait
à l'individu enfermerait l'homme dans les cercles étroits de
l'égoïsme, de l'individualisme exclusif et des diverses autres
clôtures que la liberté devrait ébranler. Or, pour
Heidegger, justement, être-au-monde pour l'homme, c'est être-avec ;
<< le Dasein est essentiellement en lui-même
être-avec, et cet énoncé phénoménologique :
le Dasein est essentiellement être-avec, a un sens ontologique
existential. »62 Cette affirmation capitale de notre
auteur n'a pas d'autre intention ou
61 Nous traduisons approximativement Walten
(<< perdominer ») par s'étendre souverainement,
régner.
62 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
120.
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d'autre ambition humaniste que de nous signifier en fait que
toute attitude égoïste, égocentrique et particulariste
contredit l'authenticité de l'homme. La responsabilité bien
assumée et bien exercée dans l'ek-sistence authentique
ne peut donc être qu'une responsabilité étendue à
l'humanité objective. Autrement dit, toute responsabilité humaine
doit désormais mobiliser la dimension de l'altérité et de
l'humanité ; elle doit engager ce que Heidegger lui-même appelle
dans sa terminologie le << souci mutuel
>>63.
De plus, le vouloir de l'homme authentique ne se subordonne
pas à des fins partisanes ; il veut et intègre la volonté
générale. En effet, nous avons parlé plus haut de
création de valeurs nouvelles par l'homme authentique, mais il faut
préciser qu'il faille que ces valeurs nouvelles puissent être
voulues par tout le monde. Car, point n'est besoin ici d'ouvrir la voie
à une anarchie des valeurs sous prétexte de favoriser
l'avènement d'hommes authentiques, à l'exemple du surhomme
nietzschéen. L'homme authentique ne peut être tel que dans la
mesure où les autres le reconnaissent tel, c'est-àdire se
reconnaissent idéalement en lui. Et se reconnaître
idéalement en l'homme créateur des valeurs, c'est accorder une
valeur d'universalité à ce qu'il fait et crée, puisque,
déjà dans son ek-sistence à lui, il
intègre la dimension de la coexistence existentiale ontologique des
autres.64 Ainsi, nous voyons deux exigences capitales venir se
greffer à la définition de l'authenticité : l'exigence de
la responsabilité à l'égard de tous les humains et,
corollairement, l'exigence de connaissance de ce qui est bien pour tous les
hommes. C'est ici que la pensée de Heidegger trouve écho chez E.
NjohMouelle qui parle de l'homme excellent ou de l'excellence. En effet, selon
le philosophe camerounais,
<< 1'homme excellent, en tant qu'il prend des
initiatives novatrices, engage le sort de ses semblables. Il ne saurait lui
être interdit de vouloir son propre bien ; mais alors, il doit agir de
telle sorte que vouloir son propre bien ne contredise pas le bien des autres ;
en d'autres termes vouloir son propre salut et vouloir le salut de ses
semblables doivent être une seule et même chose. Il n'est
responsable que parce qu'il est apte à la liberté ; et si sa
recherche de la liberté devait nuire à la libération des
autres, il fait échec par là-même à sa propre
libération et se dénoncerait comme indigne de la
responsabilité de l'humain. >>65
63 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
121. 64Ibidem, p. 125.
65 E. Njoh-Mouelle, op. cit., p. 160.
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De tout ce qui précède, nous pouvons retenir en
fait que l'authenticité ou l'existence authentique est le fait
d'être soi-même, c'est-à-dire le fait de
s'autodéterminer dans la vie quotidienne et de vouloir s'accomplir en
tant qu'homme qui ne se laisse ni dominer, ni aliéner, ni
déterminer par la dictature du on. Déjà à
ce niveau, il faut relever que ce qui caractérise l'existence
authentique d'un homme, ce sont d'un côté la transcendance
entendue comme émergence et dépassement du on, et de
l'autre l'autodétermination et l'accomplissement de soi dans le monde.
Tout ceci suppose donc la liberté qui place l'homme seul en face de
lui-même. Ce n'est que dans cette condition que le Dasein pourra
réaliser son ek-sistence, et notamment dans son rapport
à l'être.
II.4. Etre et ek-sistence : l'argument
ontologique
Si l'homme comprend le monde à l'intérieur de la
situation, c'est qu'il est luimême situé dans la
compréhension de l'être et par là, il est le Dasein. Car
<< il y va dans son être de l'être même
>>66. Que l'homme soit Dasein cela signifie qu'il n'est
pas semblable aux étants intramondains qui sont, mais qu'il tranche
radicalement sur eux parce que justement il est la clé de la
compréhension de l'être. Cela veut dire que l'eksistence
du Dasein n'est pas une donnée statique, stable, mais elle est dynamique
; elle est une tâche à réaliser. Bien plus, elle est
réplique à la revendication de l'homme par l'être,
écoute silencieuse de sa voix interpellante. L'ek-sistence,
comme le dit A. De Waelhens << ne se manifeste jamais comme un
état, mais comme une sorte de visée limite astreinte à
s'expliciter par l'engagement au monde >>.67 Etre Dasein,
ek-sister, c'est donc être toujours en ek-stase,
se tenir dans l'éclaircie de l'être, et expérimenter
que chaque problème n'a pas de solution en surface, mais qu'il
s'enracine dans une question fondamentale qui constitue l'être humain :
la question de l'être.
Par ailleurs, l'ek-sistence ne peut en aucun cas
être réduite à un moyen ou à un ensemble de moyens ;
elle se présente en réalité comme impliquant et aussi
dépassant tout ce à quoi on prétendrait la réduire.
Mais ce n'est pas tout. Nous l'avons entrevu déjà, plus
l'ek-sistence du Dasein affecte un caractère inclusif, plus
l'intervalle qui le sépare de l'être tend à se
rétrécir, en d'autres termes, plus le Dasein devient
lui-même.
66 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
27.
67 Cf. J.-P Resweber, La pensée de Martin
Heidegger, op. cit., p. 96.
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Ceci revient à dire qu'on ne peut en aucune
façon concevoir l'être coupé de l'eksistence et
l'ek-sistence de l'être. C'est par une sorte de processus
analogue à celui de l'argument ontologique que la pensée pose
l'être : << 1'essence du Dasein réside dans son
ek-sistence >>68. Ici ek-sister n'indique pas un
état, c'est-à-dire le fait d'être, mais la modalité
d'être (existential). L'essence de l'homme est de se
révéler comme une eksistence, ce qui veut dire que
l'homme est le << topos >>, le << là
>> de l'être, c'est-à-dire, comme il l'expliquera plus
précisément, une << clairière
(Lichtung) pour la présence et pour l'absence
>>69 de l'être.
Ainsi, en insistant sur la très étroite et
indéchirable co-appartenance de ce qu'il appelle << l'essence de
l'homme >> et << l'essence de l'être >> ce dont la
Lettre sur 1'humanisme esquissait l'élucidation, Heidegger vise
à nous libérer de l'égo-centrisme, du subjectivisme et de
l'anthropologisme dans lesquels les Modernes et les Postmodernes ont
embrigadé l'homme. Bien plus, le philosophe allemand veut montrer que
cette affinité, ce rapport qui suscite et ouvre le libre espace
où << homme >> et << être >> peuvent en
venir à paraître et correspondre, ce rapport représente une
exigence ontologique fondamentale pour une anthropologie
décentrée, ouverte. Une telle anthropologie ontologique ouverte
se met radicalement aux antipodes de celle des philosophes des Lumières
et philosophes contemporains, tels que Descartes, Stirner, Sartre, pour ne
citer que ceux-là, qui pensent la relation de l'homme à
l'être en termes d'aliénation, de domination et de soumission
aveugle. C'est dans ce contexte de rapport ontologique entre l'ek-sistence
du Dasein et l'être que peut donc se comprendre la relation que
l'homme doit entretenir avec le langage, et surtout le langage
existentential.
68 M. Heidegger, Lettre sur l'humanisme, in
Questions III, op. cit., p. 92.
69 M. Heidegger, Das ende der Philosophie und die
Aufgabe des denkens, 1968, << La fin de la philosophie et la
tâche de la pensée », in Questions IV,
Gallimard, Paris, 1977, p. 295.
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