C. Obéissance.
Abba Daniel dit que si le jeune cherche vraiment la voie de la
perfection, il doit mettre son énergie à se défaire de ses
richesses, de ses passions et se placer seul et dépouillé sous
l'autorité d'un ancien. (Coll. 4)
Il apparaît que la dépendance au maître
spirituel relève du temporaire mais qu'elle est indispensable à
la formation du novice. Nous irons jusqu'à dire même que le
degré de soumission du disciple envers le maître aura son
importance pour le chemin futur du jeune moine. Un bon moine est celui qui sait
obéir en tout à son ancien. L'obéissance doit être
inconditionnelle et basée sur une confiance sans bornes. L'ancien
reçoit les confessions de son disciple, celui-ci lui confie le moindre
de ses sentiments, la plus « mauvaise » pensée qui
l'empêche d'avancer aussi vite qu'il le voudrait. C'est exigeant, mais le
novice ne pourra acquérir une autonomie réelle que s'il se met
sous la direction d'un guide. Le but de la soumission, exigence commune chez
tous les Pères, est de se désapproprier de soi-même et
faire renaître « l'homme intérieur », l'homme nouveau
qui sera prêt à combattre pour et avec le Christ. Cela ne
s'apprend pas tout seul, ni du jour au lendemain.
99 PALLADE in « Histoire lausiaque
» S0 N° 75 Bellefontaine. 1999.
100 N. MOLINIER in « Ascèse, contemplation et
ministère » SO N°64. Bellefontaine. 1995.
Cette obéissance totale est une ascèse. Cette
obéissance apparaît donc comme la trame commune nécessaire
à l'avancée spirituelle d'un bon moine et les Pères la
recommandent à tous ceux qui les questionnent sur la vie du
désert.
« Ceux qui n'ont pas de direction tombent comme des
feuilles (...) Fais tout avec conseil, bois le vin avec conseil » dit
Abba Moïse en citant l'Ecriture. (Ps 103 et Prov II,14)
(Coll.2)
C'est encore lui qui conseille aux deux visiteurs de laisser
aux anciens le jugement de leurs actions et pensées en acquiescant aux
décisions du père spirituel et en ne tenant pour bon que ce qui
sort de sa bouche.
« Cette discipline n'apprendra pas seulement au jeune
moine à marcher droit par le sentier de la vraie discrétion : il
y gagnera encore une réelle immunité à l'endroit de toutes
les ruses et embûches de l'ennemi. Il est impossible de tomber dans
l'illusion si l'on ne fait point de son sens propre, mais des exemples des
anciens, la règle de sa vie. » (Coll. 2)
Cassien emploie des expressions dures envers ceux qui laissent
vagabonder leur esprit, il les traite de négligents dont l'âme
est épaissie par la malpropreté des vices. Il utilise aussi
certaines métaphores afin de mettre le disciple face à ses
responsabilités de moine et comparera l'âme à un meunier.
Les meules ne peuvent cesser leur travail forcées par les eaux, mais
c'est au maître du moulin de faire moudre à son tour le
blé, l'orge ou l'ivraie. Les meules ne moudront que ce qui leur a
été fourni par celui à qui le soin de cet ouvrage a
été commis. Il en est donc de même pour l'âme, c'est
à elle de savoir quelles pensées elle doit admettre et lesquelles
elle doit rejeter. (Coll. 1) L'aptitude à l'obéissance
est la preuve d'un tempérament fort veut expliquer Cassien. Celui qui
obéit fait preuve de plus de force que celui qui se montre
opiniâtre à garder son sentiment. (Coll. 16)
L'obéissance est donc une détermination à aller de
l'avant sur le chemin choisi.
Le jeune doit combattre la négligence, celle-ci n'est
pas la bienvenue dans le dessein du maître envers lui, mais c'est le
novice tout de même qui décidera de la qualité de son
chemin en optant dès le départ pour une manière
d'être conforme à ce que l'on attend de lui. Les excès de
zèle sont également prohibés par l'ancien. A un jeune trop
empressé, l'ancien rappelle la règle à suivre. Celle-ci
consiste à s'accorder, selon ses forces et son âge ce qu'il faut
de nourriture pour sustenter le corps, car l'esprit abattu par le manque de
nourriture ne prie plus qu'avec langueur. Quant aux excès de bouche, ils
oppriment l'esprit et le mettent dans l'impuissance d'épancher vers Dieu
de vives et pures prières. (Coll. 2) C'est une parcimonie
raisonnable et égale qui doit donc châtier le corps, rappellera
Abba Moïse.
A travers les écrits des Pères, on observe
énormément de pondération. La raison est toujours
présente lorsqu'il s'agit de former un disciple. Les anciens mesurent
leurs exigences en sachant pertinemment qu'un jeune frère trop
éprouvé ne tiendra pas au désert. Toutefois, il est de
leur devoir de ne pas les tromper et de leur dévoiler les voies arides
et âpres par lesquelles on va vers Dieu en exigeant une obéissance
de tous les instants. Il est malaisé pour les disciples de toujours
discerner le meilleur à accomplir. Germain pose une question fort
pertinente à ce sujet lorsqu'il demandera si le jeûne doit
être rompu lors de la venue de visiteurs. Abba Moïse
répond que la juste mesure doit encore être observée : ne
pas rompre le jeûne, mais ne pas non plus assister au repas du visiteur
sans soi-même partager ce repas, ce qui serait inconvenant et
inhospitalier. (Coll.2) L'apprentissage du discernement fait
également partie de ce que le maître enseigne et exige de son
disciple. Tout est prévu au désert pour que le corps se restaure
à des heures qui permettent de se sentir l'esprit dégagé
avant la prière, mais sans que le besoin de manger se fasse ressentir.
Les exigences du maître semblent donc raisonnables à la formation
du novice. L'ancien, par une expérience déjà solide, exige
le possible de la part du disciple. Son intention est de le former à la
vie du désert mais certes pas de l'en décourager.
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