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La migration andine, rapport à la terre et conquête de la ville. Entre Huancavelica et la Vizcachera. De la Sierra à Lima.

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par Tiphaine POULAIN
Université Paris VII - Denis Diderot - Maitrise Ethnologie 2005
  

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Meche loin (et liberée 1.?) de la chacra

Depuis moins de deux ans à la Vizcachera

Je ne trouve pas Meche là où elle me dit qu'elle passe sa journée parce qu'elle n'a rien à faire : assise sur une bassine devant chez elle. Je la rejoins donc derrière le comedor, elle y prépare dans une profonde marmite le Vaso de Leche : « il faut mélanger sinon elles vont dire que ça va pas... ». Et de continuer à ouvrir des boites de lait qu'elle agrège: il est rare de boire du lait frais au Pérou...

Meche est arrivée il y a peu à la Vizcachera. Elle vit en location, en « attente » d'un terrain à

« acheter », quand les économies le permettront. Mais Meche, puisqu'elle est locataire, n'est pas "comunera", c'est-à-dire membre de la communauté. Elle n'y appartient guère, c'est peut-être pour cela qu'elle semble distante lorsqu'il s'agit des conflits internes. Distante parce qu'extérieure ?

Rares sont les locataires à la Vizcachera, mais le frère de Genobeba a trouvé le filon : il a construit sur la pampa (comment a-t-il fait pour avoir un terrain sur la pampa alors qu'on lui en avait octroyé un dans la montée non loin de chez sa soeur ? et pour pouvoir construire assez vite et de taille ?) et il loue des chambres dans sa maison. Les loyers y sont très, très attractifs...C'est en cela que Meche explique sa résidence à la Vizcachera. C'est sans doute aussi stratégique. Son « époux » connaissait le quartier car il travaillait dans les batteries et devait en livrer par ici aux temps où la lumière n'était pas électrique. Il a aussi des tantes ici...

Elle vient de Cusco (oui cette cité qui en fait rêver plus d'un, et en fait fuir aussi... !), mais de la province de Anta, district de Huarocondo.... Elle précise son nom de famille : Cuci Supa, et de sa mère, Supa Reyes : ils sont très nombreux là-bas (les « Supa Reyes »). Elle est la deuxième de six enfants, son frère aîné (vint-six ans) habite déjà Lima. Elle n'a que vingt ans. Et un petit garçon.

Cela fait trois ans qu'elle connaît son époux et un an qu'ils cohabitent, depuis l'enfant, en d'autres termes. Avant elle venait en vacances ici : son frère l'emmenait. Il lui envoyait le billet. « C'est comme ça que j'ai connu mon époux ». Il est de la même province mais d'un autre district (Huayacocha). « C'est comme d'ici à Campoy ».

« C'est une tante qui habitait ici (à Canto Grande) qui a emmené mon frère pour travailler à Lima, dans la couture ; pour qu'on lui enseigne à travailler puisqu'il n'y a pas de travail en province ». Il est venu à dix ans (ou elle ?) et elle venait aussi aider sa tante qui lui apprenait : « j'ai appris des choses ».

Lima comme lieu où l'on apprend. « Ya me acostumbre acà » .

« Quand on est à Lima, on a envie de connaître pas mal de lieux et d'apprendre des choses. En arrivant à Lima, je ne savais pas préparer le petit déjeuner. Parce que là-bas, je ne le faisais pas, on cuisine peu ...Plein de choses je ne savais pas en fait... Ici tu dois apprendre,

on te conseille, ma tante m'enseignait...Au début je n'arrivais pas car j'étais plus nerveuse : je venais d'arriver... »

«En venant, je pensais que ça allait être facile en fait non !... Je pensais que c 'était facile comme là-bas, il y avait tout pour manger, pour se vêtir... »

« On ne trouve pas de travail ici parce qu'il demande des papiers. Des références. Et on n'en a pas beaucoup.... »

Elle ne sort pas beaucoup de la Vizcachera. «A peine tout près » dit-elle. Depuis un mois, la dernière fois que je l'ai vue, elle travaille au Wawawasi pour garder les enfants toute la journée.

«Mais ici, il y a beaucoup de poussière, c 'est pesant. »

Son homme a une soeur qui vit ici, et des tantes éloignées. « C'est la parenté, ça n'est plus la famille... »

« Oui, je dirais à mes frères et soeurs de venir. C'est mieux. Pour leur enseigner... là-bas, il n'y a personne pour ça. Comme mon frère, il travaille, il gagne de l'argent. La chacra, c'est juste bon pour se salir. Ici il est [tranquillement] assis à sa machine. Mon époux n'aime pas le travail de là-bas, c'est très fastidieux. Là-bas ça ne donne pas beaucoup, il n'y a pas beaucoup de champs. Et même, avec la papa (pomme de terre), on y perd116. Ici, on s'habitue à l'argent »

Le là-bas... «Ici, c'est différent Parce que là-bas, c'est la chacra, le pacage'17... »

« C'est différent » une fois, deux fois, trois fois... maintes fois le dira-t-elle...

« Avant, j'étais toujours débraillée. J'allais avec le troupeau. Maintenant ce sont mes soeurs qui sont plus jeunes. Avant tour à tour, on allait le faire brouter ou à l'école (elle a été jusqu'en quinto du Secondaire). Mes parents se consacraient à la chacra. Ma mère était à la maison et aux champs, mais ce n'est pas comme ici où travaillent et l'homme et la femme. Là- bas c'est surtout l'homme. Ils cultivaient du maïs, des feves, du blé ... mais il y avait peu de champs, alors ils répartissaient un peu de tout dans chacun. »

Maintenant que son père est mort, sa mère ne peut plus tout assumer : ils ont donc donné quelques terres à leurs oncles. Ils font moitié/moitié (pour la récolte ?).

« Là-bas, c'est les "chismoserias"I18 --commérages, sur ce qu'on a fait... On te critique...Ici on appelle les familles avec leurs noms et prénoms » (et donc là-bas ?)

« Maintenant, ça a changé un peu, il y a davantage de routes, de marchés, de collèges (depuis la maternelle maintenant). Le pueblo: il est petit. C'est maintenant qu'il commence à grandir. C'est maintenant que les familles s'agrandissent. »

« Il y a des familles qui rentrent... d'ici à là-bas pour construire leur maison, ils sont alors la moitié du temps ici, et l'autre là-bas, ou bien ils viennent juste pour récolter. »

116 Le cours de la papa --pomme de terre, est si bas que l'investissement pour la cultiver est tout juste compensé..D'ailleurs il est en chute depuis un certain temps, ce qui a entraîné de nombreuses émeutes dans la Sierra, dans la région d'Apurimac, notanunent.

117 Relatifs aux deux activités principales des paysans andins la chacra : le champ, et pastear : pâturer, l'élevage. « Là-bas, tout tourne autour des champs et des animaux »... ou « il n'y a rien que ça »...

118 Commérages.

«Il n'y a pas de travail ». Et s'il y en a à la ville (de Cusco), c'est de toute façon mal payé. La
province est toujours vue comme un lieu sans travail, mis à part les champs et les

k animaux... Si toutefois l'activité paysanne est considérée comme un « travail », parce que,
bien que décrite comme très pénible, elle ne semble pas entrer dans leur catégorie de travail.

A quelle altitude? Elle ne sait pas, mais "c'est pareil, d y a des cerros comme ici" WH

En arrivant à Lima...

« Certains changent. Ils sont plus basanés et ils deviennent plus blancs...ou le contraire. Ce serait le climat qui est plus contaminant ? Moi, avant, j'étais maigre et maintenant 11 Là-bas tout est naturel, il n'y a pas de graisse... »

La honte. Parfois. Quand on est vu différemment. Ils disent : « Elle se croit liménienne. Elle va et elle vient : d'où elle sort l'argent ? »

La nourriture. Son mari lui demande de faire de la nourriture de là-bas. De la quinua, de la soupe de blé...mais peu de choses d'ici, peu de riz par exemple...Mais du comedor saco », elle prend à manger. C'est de la cuisine de la Sierra aussi. Mais, « ici, on mange de la viande : pas là-bas parce qu'on ne veut pas "dépense "r les animaux ».

Retour. Elle n'y va pas, mais pense retourner cette année avec son conjoint. Quant à lui, il n'y est pas allé depuis huit ans qu'il est là mais s'y est rendu l'an dernier pour l'anniversaire de sa mère.

Elle dit qu'elle prend des nouvelles, mais il n'y a pas de téléphone là-bas, ou plutôt que c'est dur de converser parce qu'il y a la queue --ce qui signifie que le village dispose d'un seul téléphone, public. Il n'y a pas non plus de lumière.

Liens avec les autres -fêtes

«Mon époux est en rapport avec tout le monde, lui, il va toujours au football. Ici en bas, à Campoy se trouve le local [du club de son district]. J'y vais mais je ne me mêle pas, je suis timide. Parfois, on va à Canto Grande [où se trouve le club de son district, et où vit sa tante]. C'est là qu'on s'est rencontré, à une fete où m'a ramené ma tante. »

« Avec le temps, les choses s'améliorent ! »

Elle veut acheter un terrain à la Vizcachera, en économisant peu à peu. Rien d'autre pour le moment...

Meche est de celle qui était « envoyée » à Lima en vacances... Elle allait avec sa tante, ou chez son frère... Elle participait à ses fêtes provinciales avec sa tante et c'est là qu'elle y a rencontré le père de son fils... Elle a pu très vite se faire une image de Lima et se détacher de la Sierra...pour se dire que là-bas, tout est lié à la chacra et aux animaux...et que ce n'est plus de ça dont elle a envie... ses « valeurs » ont été quelque peu urbanisées (être mieux arrangée, faire des activités moins « terreuses »). Elle emploie souvent le terme "apprendre", comme si à Lima elle devait tout apprendre, d'un monde nouveau et si différent... (meilleur ?). Elle compare beaucoup la Sierra à Lima... et les changements qui se font... A peine arrivée, ses premières aspirations sont dirigées vers la "casa propia", le moment où enfin, ils pourront s'acheter un terrain, à eux... Et toujours, sous-jacent, cet espoir inéluctable, cette foi en le

lendemain, des choses qui s'améliorent avec le temps...On démarre de peu, mais on avancera

On peut très bien s'imaginer que ses petits frères et soeurs prendront le même chemin... A moins que... ! Il y en aura toujours quelques uns pour rester près de la chacra à aider ?

Sa vision du travail est très caractéristique : là-bas : il n'y a pas de travail, et s'il y en a, ce n'est pas du travail comme ici, etc.

A chaque histoire son témoignage. Des parcours si différents. Des thèmes si communs....

Il n'est pas aisé de comprendre ce qui semble banal et quotidien ; ou pis, à travers les ressentis, qui sont souvent expliqués très indirectement, avec toujours une façon imagée de parler.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote