Meche loin (et liberée 1.?) de la chacra
Depuis moins de deux ans à la Vizcachera
Je ne trouve pas Meche là où elle me dit
qu'elle passe sa journée parce qu'elle n'a rien à faire : assise
sur une bassine devant chez elle. Je la rejoins donc derrière le
comedor, elle y prépare dans une profonde marmite le Vaso de Leche :
« il faut mélanger sinon elles vont dire que ça va pas...
». Et de continuer à ouvrir des boites de lait qu'elle
agrège: il est rare de boire du lait frais au Pérou...
Meche est arrivée il y a peu à la Vizcachera.
Elle vit en location, en « attente » d'un terrain à
« acheter », quand les économies le
permettront. Mais Meche, puisqu'elle est locataire, n'est pas
"comunera", c'est-à-dire membre de la communauté. Elle
n'y appartient guère, c'est peut-être pour cela qu'elle semble
distante lorsqu'il s'agit des conflits internes. Distante parce
qu'extérieure ?
Rares sont les locataires à la Vizcachera, mais le
frère de Genobeba a trouvé le filon : il a construit sur la pampa
(comment a-t-il fait pour avoir un terrain sur la pampa alors qu'on lui en
avait octroyé un dans la montée non loin de chez sa soeur ? et
pour pouvoir construire assez vite et de taille ?) et il loue des chambres dans
sa maison. Les loyers y sont très, très attractifs...C'est en
cela que Meche explique sa résidence à la Vizcachera. C'est sans
doute aussi stratégique. Son « époux » connaissait le
quartier car il travaillait dans les batteries et devait en livrer par ici aux
temps où la lumière n'était pas électrique. Il a
aussi des tantes ici...
Elle vient de Cusco (oui cette cité qui en fait
rêver plus d'un, et en fait fuir aussi... !), mais de la province de
Anta, district de Huarocondo.... Elle
précise son nom de famille : Cuci Supa, et de sa mère,
Supa Reyes : ils sont très nombreux là-bas (les «
Supa Reyes »). Elle est la deuxième de six enfants, son
frère aîné (vint-six ans) habite déjà Lima.
Elle n'a que vingt ans. Et un petit garçon.
Cela fait trois ans qu'elle connaît son époux et
un an qu'ils cohabitent, depuis l'enfant, en d'autres termes. Avant elle venait
en vacances ici : son frère l'emmenait. Il lui envoyait le billet.
« C'est comme ça que j'ai connu mon époux ».
Il est de la même province mais d'un autre district
(Huayacocha). « C'est comme d'ici à Campoy
».
« C'est une tante qui habitait ici (à Canto
Grande) qui a emmené mon frère pour travailler à Lima,
dans la couture ; pour qu'on lui enseigne à travailler puisqu'il n'y
a pas de travail en province ». Il est venu à dix ans (ou
elle ?) et elle venait aussi aider sa tante qui lui apprenait : « j'ai
appris des choses ».
Lima comme lieu où l'on apprend. «
Ya me acostumbre acà » .
« Quand on est à Lima, on a envie de
connaître pas mal de lieux et d'apprendre des choses. En
arrivant à Lima, je ne savais pas préparer le petit
déjeuner. Parce que là-bas, je ne le faisais pas, on cuisine peu
...Plein de choses je ne savais pas en fait... Ici tu dois apprendre,
on te conseille, ma tante m'enseignait...Au début je
n'arrivais pas car j'étais plus nerveuse : je venais d'arriver...
»
«En venant, je pensais que ça allait être
facile en fait non !... Je pensais que c 'était facile comme
là-bas, il y avait tout pour manger, pour se vêtir...
»
« On ne trouve pas de travail ici parce qu'il demande
des papiers. Des références. Et on n'en a pas beaucoup....
»
Elle ne sort pas beaucoup de la Vizcachera. «A peine
tout près » dit-elle. Depuis un mois, la dernière fois
que je l'ai vue, elle travaille au Wawawasi pour garder les enfants
toute la journée.
«Mais ici, il y a beaucoup de poussière, c 'est
pesant. »
Son homme a une soeur qui vit ici, et des tantes
éloignées. « C'est la parenté, ça n'est
plus la famille... »
« Oui, je dirais à mes frères et
soeurs de venir. C'est mieux. Pour leur enseigner... là-bas, il n'y a
personne pour ça. Comme mon frère, il travaille, il gagne de
l'argent. La chacra, c'est juste bon pour se salir. Ici il est [tranquillement]
assis à sa machine. Mon époux n'aime pas le travail de
là-bas, c'est très fastidieux. Là-bas ça ne donne
pas beaucoup, il n'y a pas beaucoup de champs. Et même, avec la papa
(pomme de terre), on y perd116. Ici, on s'habitue à
l'argent »
Le là-bas... «Ici, c'est
différent Parce que là-bas, c'est la chacra, le
pacage'17... »
« C'est différent »
une fois, deux fois, trois fois... maintes fois le
dira-t-elle...
« Avant, j'étais
toujours débraillée. J'allais avec le troupeau.
Maintenant ce sont mes soeurs qui sont plus jeunes. Avant tour à tour,
on allait le faire brouter ou à l'école (elle a été
jusqu'en quinto du Secondaire). Mes parents se consacraient à la chacra.
Ma mère était à la maison et aux champs, mais ce n'est pas
comme ici où travaillent et l'homme et la femme. Là- bas c'est
surtout l'homme. Ils cultivaient du maïs, des feves, du blé ...
mais il y avait peu de champs, alors ils répartissaient
un peu de tout dans chacun. »
Maintenant que son père est mort, sa mère ne peut
plus tout assumer : ils ont donc donné quelques terres à leurs
oncles. Ils font moitié/moitié (pour la récolte ?).
« Là-bas, c'est les "chismoserias"I18
--commérages, sur ce qu'on a fait... On te critique...Ici on appelle les
familles avec leurs noms et prénoms » (et donc là-bas
?)
« Maintenant, ça a changé
un peu, il y a davantage de routes, de marchés, de
collèges (depuis la maternelle maintenant). Le pueblo: il est petit.
C'est maintenant qu'il commence à grandir. C'est maintenant que les
familles s'agrandissent. »
« Il y a des familles qui rentrent... d'ici
à là-bas pour construire leur maison, ils sont alors la
moitié du temps ici, et l'autre là-bas, ou bien ils
viennent juste pour récolter. »
116 Le cours de la papa --pomme de terre, est
si bas que l'investissement pour la cultiver est tout juste
compensé..D'ailleurs il est en chute depuis un certain temps, ce qui a
entraîné de nombreuses émeutes dans la Sierra, dans la
région d'Apurimac, notanunent.
117 Relatifs aux deux activités principales des
paysans andins la chacra : le champ, et pastear : pâturer,
l'élevage. « Là-bas, tout tourne autour des champs et des
animaux »... ou « il n'y a rien que ça »...
118 Commérages.
«Il n'y a pas de travail
». Et s'il y en a à la ville (de Cusco), c'est de toute
façon mal payé. La province est toujours vue comme un lieu
sans travail, mis à part les champs et les
k animaux... Si toutefois l'activité paysanne est
considérée comme un « travail », parce que, bien que
décrite comme très pénible, elle ne semble pas entrer dans
leur catégorie de travail.
A quelle altitude? Elle ne sait pas, mais "c'est pareil, d y
a des cerros comme ici" WH
En arrivant à Lima...
« Certains changent. Ils sont plus basanés et
ils deviennent plus blancs...ou le contraire. Ce serait le climat qui est plus
contaminant ? Moi, avant, j'étais maigre et maintenant 11 Là-bas
tout est naturel, il n'y a pas de graisse... »
La honte. Parfois. Quand on est vu
différemment. Ils disent : « Elle se croit
liménienne. Elle va et elle vient : d'où elle sort l'argent ?
»
La nourriture. Son mari lui demande de faire
de la nourriture de là-bas. De la quinua, de la soupe de
blé...mais peu de choses d'ici, peu de riz par exemple...Mais du
comedor saco », elle prend à manger. C'est de la cuisine
de la Sierra aussi. Mais, « ici, on mange de la viande : pas
là-bas parce qu'on ne veut pas "dépense "r les animaux
».
Retour. Elle n'y va pas, mais pense retourner
cette année avec son conjoint. Quant à lui, il n'y est pas
allé depuis huit ans qu'il est là mais s'y est rendu l'an dernier
pour l'anniversaire de sa mère.
Elle dit qu'elle prend des nouvelles, mais il n'y a pas de
téléphone là-bas, ou plutôt que c'est dur de
converser parce qu'il y a la queue --ce qui signifie que le village dispose
d'un seul téléphone, public. Il n'y a pas non plus de
lumière.
Liens avec les autres -fêtes
«Mon époux est en rapport avec tout le monde,
lui, il va toujours au football. Ici en bas, à Campoy se trouve
le local [du club de son district]. J'y vais mais je ne me mêle pas, je
suis timide. Parfois, on va à Canto Grande [où se trouve le club
de son district, et où vit sa tante]. C'est là qu'on s'est
rencontré, à une fete où m'a ramené ma tante.
»
« Avec le temps, les choses s'améliorent
! »
Elle veut acheter un terrain à la Vizcachera, en
économisant peu à peu. Rien d'autre pour le moment...
Meche est de celle qui était « envoyée
» à Lima en vacances... Elle allait avec sa tante, ou chez son
frère... Elle participait à ses fêtes provinciales avec sa
tante et c'est là qu'elle y a rencontré le père de son
fils... Elle a pu très vite se faire une image de Lima et se
détacher de la Sierra...pour se dire que là-bas, tout est
lié à la chacra et aux animaux...et que ce n'est plus de
ça dont elle a envie... ses « valeurs » ont été
quelque peu urbanisées (être mieux arrangée, faire des
activités moins « terreuses »). Elle emploie souvent le terme
"apprendre", comme si à Lima elle devait tout apprendre, d'un monde
nouveau et si différent... (meilleur ?). Elle compare beaucoup la Sierra
à Lima... et les changements qui se font... A peine arrivée, ses
premières aspirations sont dirigées vers la "casa
propia", le moment où enfin, ils pourront s'acheter un
terrain, à eux... Et toujours, sous-jacent, cet espoir
inéluctable, cette foi en le
lendemain, des choses qui s'améliorent avec le temps...On
démarre de peu, mais on avancera
On peut très bien s'imaginer que ses petits frères
et soeurs prendront le même chemin... A moins que... ! Il y en aura
toujours quelques uns pour rester près de la chacra à
aider ?
Sa vision du travail est très caractéristique :
là-bas : il n'y a pas de travail, et s'il y en a, ce n'est pas du
travail comme ici, etc.
A chaque histoire son témoignage. Des parcours si
différents. Des thèmes si communs....
Il n'est pas aisé de comprendre ce qui semble banal et
quotidien ; ou pis, à travers les ressentis, qui sont souvent
expliqués très indirectement, avec toujours une façon
imagée de parler.
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