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Les mémoire de la Vizcachera du récit
d'arrivée aux souvenirs épisodiques
Les souvenirs de la Vizcachera
Souvenirs d'antan... ou les temps mythiques
Converser avec certains des premiers temps de la Vizcachera,
des temps anciens, laisse imaginer une époque presque mythique,
qui ne semble pas appartenir à leur vécu. (ni crédible
étant donnée la sécheresse du lieu...
mais qui sait ce que les profondes mémoires
ont pu transmettre ?!)
Les temps premiers...
« Avant, tout était vert. Il y avait des
moutons, des animaux... et des pâtures pour qu'ils mangent... etc. Puis,
tout est devenu sec, de la roche partout... et ce _frirent ces animaux : les
viscaches45 ...puis ils créèrent la porcherie entre
comuneros...»
Teresa, une vieille dame là depuis les débuts
de la communauté, s'est aussi égarée dans ces
récits d'animaux, de verdure et de
pacage.....lorsque je l'ai interrogée sur ses débuts dans ce
lieu.
Cette idée de verte prairie en des temps lointains...
ce mythe d'un passé verdoyant... d'où viennent-ils ? Est-elle
transmise dans une mémoire commune sur la Vizcachera ? Telle une
félicité que l'on espérerait recouvrer ? Un
passé idéal à retrouver ? Est-ce cet espoir de revoir
le quartier comme un lieu verdoyant, où coule l'eau et
où les hommes à leur tour pourront s'abreuver ? Ou bien n'est-ce
qu'une réalité, certes disparue, embellissant ces terres ingrates
? Ou une façon de les valoriser... ?
L'âge d'or de la Vizcachera
Il plane sur la Vizcachera un souvenir
d'union. _ Parfois, il voyage dans le présent, comme si cette vertu
était toujours de rigueur, dans les bons discours sur la
communauté...Mais souvent, on en reparle avec nostalgie, en souvenir
d'un époque fertile mais révolue...Une époque
mise à mal par ces venues intempestives, mise en péril par ces
conflits entre statuts et appartenances dans les histoires de terre de la
Vizcachera.
Et toujours cette impression qu'avant c'était mieux.
Qu'il y a eu un moment (malaisément repérable dans le temps)
pendant lequel une belle communauté vivait des jours
heureux... Autrement dit, une époque où, étant moins
nombreux, ils purent et durent s'unir pour doter
le quartier du minimum dont il avait besoin....collège,
route, accès pour l'eau, etc...
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En cela, bien sûr, la fierté d'avoir construit
soi-même ce qui fait que l'on peut vivre bien aujourd'hui, et qui fait
cohésion entre les comuneros... Avant on construisait ensemble
: « c'est nous les antiguos, qui avons fait ci et ça et
ça... »
« Tout le travail a été fait par la
communauté (avec aides étrangères), rien par
l'état... »
45 Traduction de vizcacha, en espat.,mol, qui traduit
lui-même le quechua wiskacha...(cf.début chapitre) d'où le
nom de la communauté : « la Vizcachera », lieu où il y
a des viscaches...
Selon Christophe Martin, la grande part de l'époque de
fondation dans le souvenir collectif, est due aux efforts consentis pour la
conquête et la construction d'un espace de vie. On doit nuancer ce propos
en se rappelant que la conquête de la Vizcachera n'est pas une
conquête au sens propre.... Le terme « conquête » peut
être synonyme d' « invasion », forme collective et relativement
synchronique d'occuper des lieux vierges, en vue d'en faire son lieu de
vie...La Vizcachera a été peu à peu conquise, ou
simplement peuplée périodes après périodes, mais
elle n'a pas été envahie à proprement parler...C'est
d'ailleurs cc qui donne une certaine fierté au lieu : ici, pas
d'invasion, on lutte contre celle-ci! On assiste cependant à une force
de cohésion dans cet effort pour la construction d'un espace de vie et
à sa défense collective.
« On a fait le collège, les routes, avant, il n'y
avait rien....
Cela montre le poids dans la mémoire de l'inscription
physique et sociale d'un groupe d'homme qui communautairement, a
effectué un travail reposant sur l'unique enjeu de leur
présence en ces lieux se construire un endroit pour vivre. Les autres,
les nouveaux, eux, sont arrivés dans un quartier déjà
« construit », même si son développement est loin
d'être achevé...Mais les tensions qui animent aujourd'hui les
discours des gens obligent à accepter ces versions de souvenirs
reconstruits autour d'un passé idyllique et prospère.
Dia de la Madre n'est rien d'autre que la fête des
mères, à laquelle on donne beaucoup d'importance (comme toutes
les fêtes!)...
«Et non, ce n'est plus ce que c'était...Avcmt
tout la communauté se réunissait, il y avait à manger pour
tout le monde...mais maintenant avec ce problème [de terres, de
conflits, de divisions] ...Et puis, on est plus nombreux, avant on était
peu...!
Souvenirs de l'arrivée à la
Vizcachera...
L. aménauemem du territoire est
d'abord un amen4ement humain. h n:. ban- donc
'lamais de rien. il n'y a pas de table rase humaine prealable. on ne
déménage pas un territoire, on l';.tménage, que les hommes
y arrivent ou y soient deià R.Jauhn
L'historique subjectif, selon le moment de
l'arrivée de chacun...
En écoutant leurs récits d'arrivée
à la Vizcachera, les gens nous livrent une vision de ce qu'était
le quartier quand eux-mêmes y ont posé le pied. L'évocation
de leurs souvenirs peut être une façon de reconstituer
certaines étapes...
On ne construit pas nécessairement le même
passé commun selon le moment où l'on est venu...C'est
peut-être ce qui fait ces divergences entre les habitants et leurs
identifications... Même si l'on voit une certaine réappropriation
de ce passé, qui fonde cette appartenance commune, on note aussi une
différenciation qui fonde parfois les groupes... La proximité
spatiale peut intervenir dans la constitution d'une interconnaissance plus
rapprochée, toute comme le contenu d'un passé commun peut
rapprocher les uns et séparer les autres. Néanmoins, il existe
d'autres lieux de connaissance et de communion, et les habitants ont toujours
eu l'habitude d'intégrer les nouveaux venus pour ne faire qu'une
communauté, soudée, telle qu'il la voudrait...
« Era un empan, un arena4 lien° de piedra
» --Lila
« C'était un immense plateau, un lieu
sableux, rempli de pierres »
Toute installation commence par la lutte contre
l'environnement, hostile. "Hay que romper cerro47". II
s'agit d'aménager ex-nihilo un endroit pour le rendre habitable. Mais il
est vrai que les serranos sont habitués à transfigurer
un environnement difficile pour le rendre humainement viable48. Un
regard étranger... ou tout simplement citadin ne verrait aucunement la
possibilité de s'installer dans un environnement si peu humain, et s'en
irait aussi vite qu'il est arrivé...ici, que des pierres et de la terre
à perte de vue : pas d'eau, pas d'air, pas de lumière
(électrique), et encore moins des égouts ou des routes... Il faut
être vaillant mais surtout confiant en ce que l'on sera collectivement
capable de transformer, et surtout, être patient... C'est cette foi en un
lendemain meilleur qui doit rendre supportable la difficulté et
l'incertitude du quotidien.
"Quand on est arrivé, il n'y avait ni route ni
lumière. On n'avait pas d'argent, qu'importe! On y est allé
avec nos esterase *. Mais au début, je retournais chez ma
mère, à Campoy (d'où
46 Robert TAULLN. Exercices d'ethnologie. «
L'invention culturelle »
r Si l'on traduit par "casser la colline", c'est dur
de se l'imaginer....les cerros sont durs, pierreux et nécessairement
pentus. aussi faut-il creuser dedans pour établir une petite partie
plate. en cassant la pierre... c'est pour cela que l'on parle de "romper
cerro-
49 Esteras: nattes de paille, de forme
carrée, qui au nombre de 4 ou 5 (pour le toit) sont les murs du premier
stade d'habitat dans l'installation à Lima..
nous venions) tous les jours. La nuit, il n'y avait
aucune lumière... et on entendait tout à travers les esteras...on
avait l'impression d'être à l'air libre... On avait l'impression
qu'elles allaient tomber... Dehors ce n'était que des pierres. Mais ils
obligeaient à être là, sinon, ils nous retiraient les
esteras, et reprenaient le terrain50 ...On est passé de
logement construit à des esteras. On était la dernière
maison de la rue, maintenant, on est à la moitié de la rue,
ça faisait peur d'être tout au bout...C'était obscur...Et
quand la batterie était morte, la télé se terminait.. Mais
au bout de 8 mois, je suis vraiment venue m'installer, il le fallait."
Vilma, qui est née à La Victoria, Lima. Ses
parents viennent de Cerro de Pasco. Après La Victoria, ils sont venus
s'installer à Campoy_ Elle est arrivée avec son mari et sa fille
il y a 10 ans.
*Typique de l'installation, les 4 ou 5 esteras pour
occuper un lieu par cette habitation indigente mais habitable, et dès
lors habitée...
Ils sont arrivés, aux abords de la chancheria
dans un désert, sans eau, sans installation. Juste quelques maisons
ci et là, des premiers habitants, liés à l'élevage
porcin.
« No habia nada, ni colegio (de estera), solamente
la posta » --dame rencontrée dans une épicerie (celle
que tiennent trois soeurs venant d'une province de Huancayo,
l'aînée étant arrivée la première et Yulinda,
la dernière).
Pas d'installations, pas d'électricité, pas de
route...pas de combis au début...!
La lumière, ils ne l'ont que depuis dix ans... Or
beaucoup sont venus de zone de Lima qui en était nantie, où ils
ont parfois vécu pendant des années ! Il est vrai que l'on
pourrait se dire qu'ils ont déjà vécu ça, quand ils
vivaient dans la Sierra (même si un bon nombre de villages sont
maintenant équipés). Mais ne sont-ils pas venus chercher ces
services qui leur manquaient tant ? Leur quête va bien au-delà.
Cela nous montre ce qu'ils sont prêts à
50 Si on n'occupe pas son terrain, on court le risque (où
que ce soit) de se le faire usurper. Cela peut supposer
qu'on dispose d'un autre habitat, ce qui ne légitime pas
le droit sur la parcelle octroyé par la communauté. Un
terrain doit être occupé à bon escient par
des gens qui en ont besoin
affronter, à recommencer pour reconstruire, pour
bâtir leur monde, en espérant qu'on les entendra.
Les gens arrivé il y a 7/8 ans...
« Devant chez moi [Elle habite au pied d'un cerro,
dans la partie centrale], c'était une pampa... mais que des pierres...
il n'y avait pas la route... » Agusta. Et pourtant, c'était en
98...il n'y a pas si longtemps, dans la partie centrale...
« On était la dernière maison, tout au
bout... et là, devant la maison, c'était le vide, c'était
le trou, il n'était pas encore relleno. Ça faisait peur... !
» Rosa
« Quand on est arrivé, on nous a donné
ce lot... tout en haut de la rue f qui n'en était pas une I], il n'y
avait aucune maison... On était les seuls, et il faisait noir...
Ça faisait peur ! » Genobeba
« Il n'y avait pas de combis qui montaient à la
Vizcachera... On devait monter à pieds depuis le bas des collines
jusqu'ici ! »
« Il n'y avait pas de route qui venait devant les
maisons, ici dans la montée... on devait descendre avec nos bassines
pour aller chercher l'eau jusqu'où « aguatero » pouvait
aller.. »
« Avant, il fallait aller chercher l'eau en bas
à Carnpoy, à Zarate, elle ne venait pas jusqu'ici ... »
Isabel
Pourquoi la Vizcachera ?
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Saim-Eupaz
En discutant avec les gens, j'essayais de remonter quelque
part dans leur passé ; un lieu, un moment, une étape, ou peut
être des personnes, des liens permettraient-ils de comprendre leur
trajectoire migratoire, s'il en est une. M'amènerait-elle à
comprendre ce qu'il s'était passé depuis leurs origines, presque
mystérieuses, jusqu'à leur arrivée à Lima, et enfin
à la Vizcachera?
Lors de nos premiers échanges, les questions
inhérentes à leurs histoires de vie et de famille, si
récurrentes et presque systématiques, finissaient par me lasser.
Leur discours redondants rendait souvent leur monde inaccessible, tel un filtre
sur le passé. Mais peu à peu, la relation s'installait et
quelques moments forts ressurgissaient. Ces fragments d'histoires, ô
combien précieux et décousus, permettaient, au mépris de
maintes contradictions, de remonter dans leurs mémoires. Sortaient-elles
d'un vieux grimoire qui n'aurait pas été ouvert depuis le
départ de cette maison qui en était le gardien...?
Proie aux idéalisations dans les premières
évocations, la mémoire du lointain se dessinait
épisodiquement pour revenir à un présent plus clair et
concret, lié aux combats d'hier et d'aujourd'hui, depuis
l'arrivée dans les dédales de Lima. Pour évoquer leur
installation à la Vizcachera et répondre aux attentes de
l'interlocuteur, ils n'hésitaient pas à enjoliver leurs discours
Cela semblait plus aisé de conter les étapes du parcours dans la
ville qui amenaient aux souvenirs de l'installation à la Vizcachera.
Aussi, la mise en scène de la mémoire se déployait dans
des discours qui tentaient de dépeindre la réalité comme
bon leur semblait, à l'aune des attentes de l'interlocuteur, telles
qu'ils les pressentaient... Discours qui étaient autant de
représentations d'une image que l'on donne de soi selon la personne avec
qui on est en rapport, expressifs d'une identité à plusieurs
visages...
Ces porteurs de mémoires qu'étaient les "migrants"
--c'est ainsi que je les nommais... se reconnaissaient-ils dans cette
catégorie? Ils partageaient un lieu de vie, mais un passé
distinct, inscrit dans des zones géographiques diverses. Peut-être
se retrouvaient-ils malgré la diversité de leurs origines
multiples dans cette même quête, et dans la construction d'un
vécu commun, qui peu à peu fondait une histoire commune...
Néanmoins, la constitution du quartier de la
Vizcachera ne s'était pas faite, à l'instar d'autres
"communautés" urbaines (appelées Pueblo Joven, Asentamiento
Humano51 par une invasion de tout un groupe à un moment
donné, mais s'était réalisée au fil des
arrivées dans la "communauté campesina" à travers
différentes étapes significatives. Les anciens auraient
organisé l'arrivée des suivants jusqu'à ce que le nombre
d'arrivants" augmente et soit régulé autrement (par la Junta
Directiva52).
1
voir annexe
52 assemblée directive
C'est peut être pour cela qu'il existe des groupes qui
s'opposent et s'affrontent de façon virulente. Les intérêts
des "fondateurs", dotés de plus grands territoires, ne sont
pas, vraisemblablement, ceux des derniers arrivés,
protégés par un système communautaire.
Commençons par ce qui semble le plus clair dans l'esprit
(ou le discours?) des gens, ces anecdotes et récits qui rappellent leurs
"débuts" à la Vizcachera et qui les y a fait
arriver.
Ces débuts-là, c'est l'installation dans le
point d'arrivée. Il y a donc plusieurs débuts et plusieurs points
d'arrivées dans le phénomène de migration. Le début
de la migration n'est pas que le départ. Ni l'arrivée un point
final...
Buscaba un lote, un terreno (Je cherchais un
lot, un terrain)
"Une voisine m'a dit: "il y a des terrains". Pourquoi
vous n'allez pas voir? Elle était au courant parce qu'elle avait des
amis qui avait des cochons. Elle Mis l'a tant redit que la troisième
fois, on s'est décidé à aller voir" Vilma
« Pourquoi être venu ici, sans eau, sans
électricité ...c'est le besoin !! ("la necesidad"), on en peut
pas rester dans un lieu en location, le travail n'est pas sûr ...Et,
c'est plus sain ici ! » Feliciano
« On HOUS a dit qu'il y avait des terrains. Ça
se sait toujours quand il y a des terrains ! » Lila
« por los chanchos » « es mas tranquilo
»
Ils viennent de la Sierra, certes. Mais rares sont ceux qui
n'ont pas suivi diverses pérégrinations à travers la ville
avant d'entendre parler de venir s'installer "définitivement" à
la Vizcachera. La plupart sont arrivés d'une autre partie de Lima.
Le peuplement ne se fait pas par hasard, on n'arrive pas
entièrement néophyte en "terres inconnues"... D'ailleurs, on
parle souvent de ceux qui "se font avoir" et exploiter, tels des innocents
à leur arrivée. Ce sont les moins informés, les moins
liés à Lima... C'est pour ça, entre autre, que les gens
vont là où il y a « gente conocida53 ».
Si l'arrivée ne conclut pas l'installation et entraîne un
retour en leurs terres, c'est aussi dû au manque de réseau
d'entraide à Lima.
Parcours liméniens
En général, comme si il y avait des axes
géographiques de déplacement des gens et de diffusion de
l'information, ils sont nombreux à venir d'autres districts: La
Victoria et El Agustino. Le premier, ancien, a été reconquis
par de nombreux migrants (parce que délaissés par ses habitants
du fait de son insalubrité), et surtout envahi sur ses cerros
inoccupés (cf. Cerro El Pino); le second est un des
premiers districts nés de la migration. Aussi beaucoup sont venus
s'installer dans un premier temps "d'attente", chez des membres de leur famille
déjà là, puis en location, non loin... Mais ils sont
surtout nombreux à venir du district de San Juan de Lurigancho qui
s'ouvre de l'autre coté des eaux du Rimac54, après le
Puente Nuevo
53 « Des gens connus », soit, des
connaissances, des proches
54 Le fleuve qui traverse Lima en son centre...
(El Agustino), et précisément dans la petite
partie Est qui est séparée du reste du district par des collines.
Les quartiers qui composent ces axes sont, du plus éloigné au
dernier, mitoyens: Caja de Agita (entre la partie Est et l'autre
grande partie), Zàrate (quartier le plus urbanisé, qui a
même une réputation de pituco55!), Campoy...!
Certains racontent que lorsqu'ils sont arrivés aux débuts de
Zàrate ou plus tard à Campoy, "era chacra",
c'était des terres agricoles... Aujourd'hui, Urate est une des
zones les plus urbanisées du district, avec un commerce très
actif. Campoy l'est en grande partie, mais reste plus «
résidentielle » et a conservé un certain nombres de ses
fabriques .
Aussi, beaucoup de gens de la Vizcachera viennent de ces
quartiers, tous sur un même axe, de plus en plus au fond, jusqu'à
s'arrêter à la Vizcachera, celui qui propose encore des
terrains...
Serait-ce parce que les gens "au courant" des terrains
disponibles de la Vizcachera sont ceux qui, reliés à
l'élevage des porcs, résident non loin, donc dans ces quartiers
tout proches ?
C'est peut-être aussi que les réseaux sont de
proximité...Les habitants de la Vizcachera ont pour beaucoup,
habité dans ces quartiers avant, donc de fil en aiguille, la voisine
sait que le voisin a trouvé terres à bâtir et donc "passe
l'info"... Enfin, la voisine a bon dos... Elle est de "ce quelqu'un qui m'a dit
que"...
Les réseaux fonctionnent bien. Ils sont d'autant plus
prégnants que le nombre de rapport de parenté ou d'origines
communes parmi les habitants, est important...
Pituco. Selon Arguedas : « bourgeois, dans le
langage oral de le côte. Ça se réfère plus à
un style de vie qu'à une position sociale précise... » (in
Arguedas, José_ el zorro de arriba y el zorro de abajo)
Peut-être plutôt dans un comportement d'ostentation
et d'un relative opulence, dans des pratiques de la ville (fréquenter
tel endroit...)
Chaque district a presque ses npitucos"? Dans le
cône nord : les pitucos de « los Olivos » ; à
San Juan de L., c'est Zarate, etc. ; pour Lima moderne/centrale, c'est
Miraflorés, Surco... A l'Ultérieur d'une entité (groupe d
lonune/territoire), il y a des référence et façon de
dénommer, désigner péjorativement. 11 est évident
que pour quelqu'un de Lima Moderne
-centre. il n'y pas de pinicas
dans les cônes, puisque cela correspond à une classe plus
« snob » dans son propre contexte...
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Les espaces qui apparaissent inoccupés sont les
plus hauts cerros, pas encore habités... (Le plan n'indique pas tous les
cerros, moins haut, qui sont habités...) qui sont de véritables
frontières entre les quartiers
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J 40
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Des parcours hasardeux... ?
Agusta vient de Pacaritambo (prov. Paruro, département
Cusco). Sa famille était pauvre, ils étaient 9 enfants, il
fallait travailler. Dès 8 ans, son sort n'en fût pas autrement :
dans la ville de Cusco, elle se rendit pour y accomplir les tâches
d'empleada56. Elle est arrivée jeune, pour
travailler. En d'autres termes, elle a été "envoyée" pour
être empleada, à Pueblo Libre (à l'époque
c'était des haciendas (avec leurs terres alentours), maintenant c'est un
quartier relativement central --c'est là où j'habitais D.
Après avoir cheminé de Zarate à Campoy (en location), elle
s'est rendue à Santa Rosas 1, un quartier fermé
(physiquement par des barrière et entrée contrôlée
!!!), en quête d'un terrain enfin à elle. Comme il n'y a avait pas
d'électricité, ça lui a déplu, elle est donc
allée dans le quartier voisin...En plus, c'était un endroit
fermé, coincé entre les collines alors que la Vizcachera, tout
est ouvert. C'est à ce moment ( !) qu'une amie qui vivait à la
Vizcachera, par hasard l'a informée. C'est ainsi qu'elle est
allée voir le dirigeant, et ainsi de suite...ce ffit en 1997.
Relativement nouvelle habitante, mais pas nouvellement immigrée.
Lila, qui a aussi une longue histoire de
pérégrinations liméniennes, semble s'être
retrouvée ici alors qu'elle en avait décidé autrement. De
Vicso- Orcutuna (prov. Conception, dep. Huancayo), Lila et sa famille sont
venus en 83. Mais c'est seulement dans les années 90 (pas réussi
à retrouver la date !) qu'ils sont venus à La Vizcachera...
Arrivée à Salamanca (dans le district de Ate, cône Est
aussi) avec son mari ainsi que son frère et son épouse,
probablement chez des membres de leur famille, ils sont ensuite partis vivre
à Zarate, pour être plus près de son travail. A chaque
fois, ils louaient, et pensaient: « nous ne pourrons pas nous
développer (améliorer) en étant toujours dans cette
situation ». Ils décidèrent d'acheter un lot dans le nord
(le cono aorte), et procédèrent dans le cadre d'une
association de vivienda58, donc à l'intérieur
d'un groupe qui achète un ensemble de parcelles et le divise entre
eux... mais que se passa-t-il ? Une invasion sur leurs terres... ! Ils ne
purent rien faire : ce fut une occupation ! Depuis lors, le procès
traînant est en cours entre eux, les banques et les envahisseurs !...
C'est là qu'intervient le vecino (voisin), (qui tombe toujours
à pic !), qui avait des chanchos là-bas et les y a emmenés
(son frère, toujours dans la trajectoire, s'est installé en face
de chez elle...), et tant pis, il n'y a pas d'eau ni
d'électricité, mais on va essayer!
Les parents d'Isabel, qui font parti des anciens membres de la
communauté, se sont eux aussi déplacés entre San Miguel
(hacienda dans laquelle ils travaillaient), le cerro el Pino, San Luis,
où ils construisirent leur maison... Après la perte d'un de ses
enfants, la mère s'en fut vivre à Campoy, qui a l'époque,
était chacra (peut-être que dans la campagne, elle allait
se remettre mieux de cette tragédie)... elle y acheta donc un terrain de
2000m2... Aussi une partie de la famille vivait chez le père,
l'autre, chez la mère... puis, ils rejoignirent la mère... et
établirent la première boutique de Campoy...Un frère
jusqu'à ce jour est resté dans la
5£' La figure de empleada est
très caractéristique. La plupart du temps« ce sont des
filles venant de la Sierra ou Selva qui sont empleadas à Lima,
ou de petits villages pour les villes de provinces. Souvent, la futur
enzpleada quitte sa famille et vient vivre sous le toit de son
"patron". elle travaillera un nombre asservissant d'heures... Si elle tombe
bien, elle ira peut être à l'école en même temps. Ou
elle aura un salaire correct mais peu élevé, et pourra peu
économiser pour un ,jour prendre le large et trouver son terrain, par
exemple... C'est souvent l'ambition des empleadas adultes : avoir leur
« casita » (leur petite maison).
5- Santa Rosa. qui ne se trouve plus à Lima,
est un quartier à double statut ou plutôt
bipartite. il y a une
communauté (campesina ?) et une « asocacion de vivienda »,
soit un groupe de gens qui a acheté un ensemble de terres.
58 "Association de logement". C'est l'achat en
association d'un terrain que l'on divise à l'intérieur du poupe
d'acquéreur. On en reparlera davantage dans la partie sur les
conflits.
Y.
j-] n
première maison pour y vivre...C'est là
qu'intervient l' "ami", qui avait des chanchos à la Vizcachera et, de
fil en aiguille, ils finissent achetèrent eux aussi un terrain pour y
mettre leurs chanchos... C'est ainsi qu'ils connurent la communauté et
demandèrent un permis sur les terres...Ils ouvrirent la première
boutique de La Vizcachera... ! C'est donc un des frères qui est
resté dans la maison de Campoy. Le reste de la famille, est venu
s'installer dans le quartier des cochons... ! A cette époque, ils
bénéficièrent de grandes parcelles et d'autres pour les
enfants.. Une longue trajectoire... !
Ces gens sont arrivés presque par hasard. Mais jamais
tout à fait par hasard. Des rencontres, des liens, les y ont
amenés. Un besoin, un toit. Mais pourquoi choisir de s'installer
à la Vizcachera ne cesserait-t-on de se demander ?
Pourquoi la Vizcachera ?
Il cherchait un lot, et c'est là qu'ils l'ont
trouvé !
Ils n'avaient pas les moyens, et on leur demandait peu.
Ils n'avaient pas le coeur à l'invasion et ils n'avaient
pas besoin d'envahir !
Quel recul en arrière, serait-on tenté de
penser, pour des gens qui ont vécu dans des zones plus urbanisées
de Lima et pour certains, avaient déjà acquis, dans leurs
anciennes demeures, l'électricité (pas tous, certes) et autres
services. Ils sont soi-disant venus (en partie) pour trouver plus de
possibilités, infrastructures incluses et doivent revenir à la
base, à l'avant base, par laquelle ils n'étaient peut-être
jamais passés ; bref; à un degré très bas
d'installation humaine (du moins pour les premiers arrivés). Et l'eau ne
coule toujours pas à la Vizcachera...
Le choix de tout quitter, pour venir s'installer en ville,
c'est déjà beaucoup. Mais celui de renoncer à tout «
confort » est difficilement compréhensible, d'autant plus pour ceux
qui viennent de Lima... Quoique ! Si tout ce que représente « lo
suyo » en vaut la peine.
Là, réside la raison de l'installation en ces
confins ingrats... D'aucun dira que c'est pour avoir son terrain à soi,
sa propre maison. Parce qu'avoir une maison en location, ou plutôt une
chambre, c'est onéreux, et ce n'est pas gratifiant... Au moins, avec la
casa propia, on n'a plus à se préoccuper du loyer, ce
qu'il manque c'est « juste pour manger »... Economique, certes. Mais
l'acquisition d'un "chez soi" va bien au delà du simple critère
pécuniaire.
Désir d'avoir son terrain, à soi. Volonté
d'y faire sa maison, soi-même. Mais cette quête de quelque chose
à soi, ici, à la Vizcachera...? Au regard des conditions de
possessions, c'est étrange. Les terres sur lesquelles la
communauté donne un permis individuel "s'achètent" mais ne
s'acquièrent pas (cf coût pour les droits). L'usufruit est obtenu,
mais la propriété reste communale... Or, si tant est que les
pobladores recherchent quelque chose « à eux », dans
un mode d'acquisition et une organisation communale, ils souhaitent aussi une
reconnaissance à titre individuel (qui va souvent avec l'obtention
collective de titres de propriété...), pourquoi aller chercher
à la Vizcachera Io suyo qui n'est pas de rigueur 7
Peut-être reconnaissent-ils là un statut tel
qu'ils l'avaient (pour certains) dans les Andes : un techo propio'',
dans un usufruit communal (bien que les gens ont aussi leur(s) propres
terres dont ils sont fiers)
59 Un toit à SOL "Techo propio" est
aussi le nom d'un organisme qui aide les gens à l'obtenir.
Force est de constater que, dans la capitale, tous (les
immigrants, de toutes générations...) visent cet apanage: la
propriété! C'est un droit et une fin en vertu desquels les
peuples luttent ! Certes, elle permet un développement plus rapide du
quartier. Rappelons que la propriété est la condition sine qua
non pour obtenir toute aide pour les droits élémentaires
(électricité, eau...) Elle est aussi le garant d'une situation
d'hypothèque, etc. bref !...
Propriété rimerait avec
prospérité... Elle semble être une valeur désirable,
un statut sûr, une position sociale, une étape du parcours. Ou
encore, un réel attachement au sol, quelque chose de paysan tout en
étant adapté à la modernité, qui se manifeste ou se
transpose par cette quête de terrain et cette lutte pour l'obtenir, le
cas échéant, sa défense...
A la Vizcachera, on peut croire qu'on est
propriétaire. Parce qu'on ne paie pas de loyer, parce qu'on
jouit d'une certaine possession', parce qu'on se permet presque de
spéculer... Mais dans les faits, tout appartient à. la
communauté. Encore que! Tout est plutôt à la matrice...
Quoique ! La matrice --maudite matrice enrôlée dans la corruption,
a tout vendu à l'entreprise --écrasante entreprise, qui
prétend être propriétaire de toutes les terres ! Et
aujourd'hui, un jugement de la firme trafiquante avec la communauté
campesina qui n'en finit pas...Un litige où les intérêts
des uns et des autres sont mis en évidence... Sous-jacent, l'appui de
l'association qui prône la privatisation des terres par le rachat
à titre individuel ! A la fin, peut-être, la même chose, la
propriété.... Mais à quel prix ? La communauté
cherchera à obtenir ses titres. Mais elle veut rester, de droit,
mère de ses terres, et garder la cohésion communale... Ne pas
subir cette usurpation... Entre temps, les problèmes, les tensions, (les
traîtres !) les dissidences, la stagnation
Bref, quel regard non averti y comprendra quelque chose ?
Au bout d'un moment, partir à la Vizcachera à la
rencontre des gens, revenait à aller m'enquérir des
dernières infos pour saisir ce qu'il s'y passe, les conflits entre les
gens, et d'en mesurer l'importance ! O combien ce conflit m'apparut fondamental
dans la quête des habitants et dans ce qui fonde leur rapport ! Un lien,
la terre.
Que viennent-ils chercher à travers la casa
propia?
"Tener algo propio, algo suyo"
"Tener casa propia no es coma estar en casa ajena" "es feo
estar en casa ajena"
« Être dans une maison à soi, ce n'est
pas comme être dans la maison d'autrui, comme dans une maison
étrangère... » « C'est nase d'être dans une
maison étrangère... »
Est-ce une fin en soi dans ce parcours de migrant, en vertu
de laquelle on cesserait de l'être?, Un statut? Un accomplissement?
Un futur prometteur qui émane d'un désir commun et qu'il va
falloir construire de ses mains? Peut-être tout cela et bien d'autres
choses...
60 Au sens péruvien du terme, qui
n'équivaut pas à propriété, mais au statut de
possession sans être propriétaire... possession de fait,
informelle, ou usufruit...
Que viennent-ils chercher à la Vizcachera? Un
îlot de tranquillité loin du brouhaha urbain et pourtant si
près de Lima? Un système communautaire qui protège la
terre...? Ou la même évolution qu'ailleurs, à Lima...Un
statut progressif vers la propriété, des terres où se
rendre "indépendants", ou plutôt acteurs, car il n'est pas
aisé de parler d'indépendance, en tant que «pueblo" ,
représentatif de ce "nous" qu'on construit ensemble... Et
réclamer son lot de droits... Sont-ce les mêmes quartiers
périphériques qui se développent dans tous les
prolongements possibles de Lima?
Que viennent-ils chercher à Lima, si c'est pour
aller se refondre dans un système communautaire et se confiner dans un
"entre-soi" ? Ou ne serait-ce pas justement le moyen ? Cet ailleurs qu'est Lima
n'est-il pas celui où l'on décide d'être maître de
son destin, de s'affirmer, de moduler sa personnalité en fonction de ce
que l'on veut montrer, mettre en évidence ou cacher ? Autrement dit,
laisser la place à l'affirmation d'un soi avec de nouveaux visages, ou
plutôt, une pluralité d'identités, que l'on peut faire
valoir, ou dévaloir ? Et danser dans une autre ronde, celle d'un
"nous" qui valorise une identité? Loin de moi l'idée
d'effacement, ou de perte de l'identité "d'avant", dans le contexte
culturel dans lequel on vivait. Il semblerait simplement que les gens en joue
pour s'adapter, pour inventer...
Mais peut-être ne viennent-ils pas chercher quelque
chose de précis ; à travers ces processus, ils cherchent à
être, simplement. Et à ne pas être ce rejeton du monde
criollo61, ou de vivre aux dépens des autres...
I:e symbolique de casa propia (Lo suyo I La
ajeno)
L'acquisition d'un lot, c'est-à-dire d'un terrain
à soi, semblerait mettre un terme à l'errance du migrant, et
symboliquement à ce statut (de migrant). Mais où commence-t-il et
où s' achèvent- il ? On cesse d'être étranger... On
cherche à exister par son « indépendance », à
être par "bo suyo", montrant une expression de soi,
matériellement et symboliquement.
Lorsque l'on vit dans "bo ajeno", ce qui est le cas
dans la migration, on ne peut se réaliser pleinement. La casa propia
joue peut être ce rôle d'accomplissement personnel
tout comme elle permet la construction collective d'une
identité, recréée mais entremêlée...Un
nous qui se dessine à travers l'affirmation de la
suyo (qui va de pair avec la propriété). Avec ses
transpositions : lo suyo n'est pas forcément fait de ce qui
donnait sens à la vie d'avant. Cet avant du grand départ... Un
nous que l'on construit ensemble, parce qu'on y participe... ?
"Lo suyo", c'est tout ce qui fait l'affirmation du
soi, l'identité, après avoir été brimée dans
1' urbe°2 , d'où l'importance du chez soi qui
reste à établir quand on n'est pas d'ici. On n'est pas sur ses
terres, sur son territoire, on doit le conquérir.
Conquête d'une place à la ville, d'un chez soi, de sa
propre terre...
Et surtout, un statut, un certain prestige
qui permettent la reconnaissance sociale. Voilà déjà un
premier signe de réussite... Franchir un pas dans cette fameuse
réussite, dans le possible aussi, pour assouvir cette
soif d'ascension économique et sociale, qui se découvre à
travers les dynamiques pour s'en sortir, mais va bien au-delà
("superarse" : se surpasser). Et à travers cela, un
autre regard sur eux-mêmes. « J'ai ma maison à
moi »
61 Les criollos sont les descendants
d'espagnols, nés à Lima. Par extension, ce sont les gens de la
côte.
62
ilrbe la ville
Il semble que l'installation (avec des velléités
de pérennité) soit une véritable quête dans le
parcours du migrant, une étape clé, peut-être un passage...
Certes, elle permet d'améliorer une situation économique souvent
précaire, en réduisant les dépenses
ménagères... mais elle va bien au-delà. Acquérir un
« techo propio », « algo suyo
» revêt un caractère fondamental chez les
migrants. Mais qui sont ces migrants ? Que signifie cette vaste
catégorie ?!
Tous sont venus à la recherche d'un terrain, en vue d'y
construire leur propre maison, semble-t-il, parce que la Vizcachera
était un des rares endroits où il y en avait --et à ce
prix ! Et, surtout, parce qu'ils connaissaient quelqu'un qui leur facilita
l'accès, parce qu'il y habitait, de près ou de loin... Ils sont
aussi venus construire du "commun", donner un sens à leur vie dans un
ensemble, en s'inscrivant dans un nous. Ils sont venus habiter une
communauté, un pueblo, au lieu de se perdre dans la jungle
urbaine, sans liens de proximité...
La Vizcachera reste néanmoins un metting
pot, fait de populations d'origines différentes, mais
où chacun n'en est pas moins conscient de son visage...Malgré
tout, ils créent une histoire comme, au gré des étapes de
peuplement par différentes générations d'émigration
(lère, 2ème génération
--enfants de migrés, bien que la majorité ait été
"primo-arrivant").
Cette situation diffère de celles des autres quartiers
périurbains qui se constituent au rythme de l'immigration63,
en un mouvement!
De la même manière qu'ils mythifiaient et
idéalisaient leur passé dans leur premier discours, ils
dépeignaient très souvent leur quartier de façon
très idyllique (cf l'âge d'or..) et le présent avec son lot
de problèmes et le reniement d'avant semble contredire leurs
déclarations.
63 En effet, l'établissement en un lieu, devenu
quartier. se fait
généralement par un premier groupe de base, par des gens en
attente de conquérir des terres pour s'y établir...Peu
après s'ajouteront des familiers, et des connaissances de connaissances
...De là ils évolueront à peu près au même
rythme...Généralement_ ce n'est que sur les flans des collines
qui bordent la zone (où les collines les phis hostiles) que viendront se
joindre_ fait accompli. d'autres groupes. aux abords. Mais une installation
aussi étalée clans le temps : ça n'est si courant
L'importante taille de la Vizcachera en est sûrement une explication,
elle peut croître encore et encore, il semble toujours y avoir des lots,
des parcelles disponibles. bien qu'ils soient de moins en moins confortables...
Les quartiers. que je viens d-évoquer, sont de plus en plus
entourés (de nouvelles habitations). mais ce sont d'autres «
pueblas.» qui s'établissent autour... Les « puehlos
» ainsi constitués (par invasions, achats..) gardent une
-taille quelque peu communautaire...
Histoires de vie ?
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(1(.)111 cr,r cf v`A.ii Li les
1.,1
e'.;1
vivre Fc"I(MI"
Ces recueils sont des bribes d'histoires. Mais les discussions
qui interrogeaient sur le passé revenaient toujours sur le
présent, et sans cesse, dans la comparaison. Les récits devraient
être enrichis d'histoires de famille. On remarquera très vite que
la famille exprime mieux la vie des uns et des autres, depuis bien avant la
migration et bien après. Bien sûr, cela n'était pas
possible...ou j'aurais dû avoir pour objectif, voire pour sujet,
l'histoire de famille! Cependant, j'ai rencontré des personnes, surtout
des femmes, qui m'ont peu à peu emmenée dans des moments du
passé, en livrant leur analyse de la réalité...
Les lieux de la mémoire
Entre pratiques, discours et
représentations...quels espaces pour la mémoire ?
Où a-t-on le droit de parler du passé, où
partage-t-on ce que l'on a en commun, qui n'appartient pas au lieu de vie...
?!
Les écrits
La littérature semble n'aborder que trop peu le
thème de la mémoire... Oh, des histoires de vie, on en trouvera
quelques unes, plutôt vues comme « portrait de nouveaux
liméniens64 », dans un ouvrage où l'on cherche
à trouver les caractéristiques des nouveaux habitants de Lima,
ces cholos qui ont transformé le tissu social de la ville en scrutant
leurs formes d'adaptation et leurs nouveaux codes de conduite, bref toute la
nouvelle culture qui en découle et les changements qu'elle
implique dans toute la ville. Gôlte65, quant à lui,
tracera des parcours, douze études de cas, de communautés
entières venant de différentes régions du Pérou,
pour comprendre quelles sont les conditions préalables (« le
passé rural ») qui orienteront le processus d'insertion dans la
société urbaine. Son travail est surtout intéressant parce
qu'enfin c'est l'histoire des réussites et du concert des pobladores qui
construisent leur habitations et leur vie... Ce qui surgit de la
diversité d'origines des communautés : c'est « cette
capacité d'imprimer en une migration individuelle une cohérence
de groupe ». Cette migration est-elle vraiment individuelle ?
D'après mes observations elle s'inscrit davantage dans une logique
familiale et communautaire, préalable, même si le migrant quitte
les siens et s'ensuit parfois une certaine coupure... ll existe des
écrits sur l'identité, sur les liens avec le lieu d'origine, et
d'une certaine mythification de ceux-ci. On recherchera les valeurs andines,
64 Cuidad de los Reyes, de los Chaves, de los Quispe,
Rolando ARELLANO C., David BURGOS A. 2004
65 Jurgen GOLTE. Norma ADAMS. Los caballlos de Troya
de los invasores. Estrategias campesinas en la conquista de la Gran Lima.
qui, rationalisées pour la vie urbaine, permettent tel
ou tel essor, cet esprit capitaliste des gens de la Sierra qui en fait de
véritables entrepreneurs... Ces caractéristiques andines qui se
déploient à la ville (la solidarité --réalisation
des obligations sociales, l'éthique de travail, la cohésion
familiale, et l'esprit d'économie, etc.66) et qui ont changé le
Pérou d'aujourd'hui, internalisant l'informalité, le pragmatisme,
le travail, le propre effort...67 On parlera des conditions préalables
à la migration qui vont avoir telles ou telles conséquences sur
l'adaptation en ville... Du folklore, de la Sierra à Lima, les
anthropologues en disent long des associations de provinciaux68, aux
fêtes et événements familiaux célébrés
ci et là, ainsi que les rapports avec la Sierra... Mais peu diront qu'il
s'agit, au-delà de cette impression de reproduction, de la
création de quelque chose de nouveau, nouveaux rites, nouvelles
coutumes, avec une racine andine, évidemment !...69. Pour Altamirano, si
l'espace géographique se divise en deux chez les migrants, là
où ils sont maintenant et là d'où ils viennent, la
mémoire, elle, se décline en trois univers, à savoir :
l'une plus lointaine, celle des ancêtres et des croyances qui leur sont
liées (telle colline sacrée...) ; l'autre, la moyenne : le pueblo
d'origine ; et enfin, la plus proche : celle de maintenant et d'hier... Il
souligne l'importance des trois dans la façon de s'identifier. Il me
semble que les deux dernières sont celles qui ont encore toute leur
place... Au lieu de dire qu'ils vivent dans deux lieux géographiques, je
préciserai qu'il existe un ici et un là-bas, avec lesquels la
mémoire s'accorde.
Les discours
A Lima, beaucoup diront qu'ils renient leurs origines (honte),
qu'ils se laissent « contaminer » par la ville, comme si ils
étaient trop influençables, faibles ou trop soumis.... Ou au
contraire, qu'ils ne se regroupent que pour reproduire « leurs fêtes
»... Cela ne traduit pas exactement leurs sentiments. Cependant, on
perçoit bien la représentation qu'ont les liméniens des
autres (les citadins) ou de leurs congénères, ces migrants dont
ils descendent parfois ou qu'ils ont été.
Les études sociologiques ou autres font rarement
mention de la mémoire. Que dit-on de la place de la mémoire et de
ce qu'elle représente dans la vie et l'imaginaire des migrants ? Le
passé --surtout lié au vécu- ne se reflète-t-il pas
dans les pratiques des migrants en dehors des fêtes liées au
village ? La. question est complexe mais mérite d'être
étayée.
Une délicate et profonde étude de la
reconstruction de la mémoire a été
réalisée ces dernières années par la
Comision de la verdad y de la reconciliacion, afin de témoigner
des maux et meurtrissure de vingt ans de terrorisme et de guerre. Ce travail de
mémoire est allé rechercher très loin. Des
témoignages abondants, (tant de gens avaient à témoigner
des horreurs vécues) ont été recueillis pour exorciser les
blessures et rendre hommage à tant de victimes... Force est de constater
combien le poids du passé est toujours présent. La mémoire
en est elle-même un témoignage.
Valorise-t-on ou non l'origine, la culture de « l'avant
» (y a-t-il vraiment un « avant » et un « après
» la migration ?)_afin d'en tirer meilleur profit ? C'est un jeu qui
mérite d'en sonder les règles... La rencontre culturelle qui a eu
lieu à. Lima, a joué un rôle essentiel pour définir
les choix à faire par les migrants : le dire, le faire ou le montrer.
Aussi est-il intéressant de
66 Maria MENDEZ GASTELUMENDI. Migracioa, ideritidad y
desarrollo. Hacia ana vision die pais. 19997 Ibid.
Teofdio ALTAMIRA_NO RUA
69 Jurgen GOLTE. Cultura.. racionalidad inig.,racion
andina. LEP. 2001.
repérer les discours traduisant une même
façon de se raconter, d'agrémenter certains faits, et de les
dénigrer, autant de raisons pour les choix et le changement. Que cachent
ces non-dits et ces manières ostentatoires ? La difficulté de
vivre, de s'adapter ? Une façon d'échapper aux jugements
méprisants des autres ?
Dans leurs récits, chacun se raconte à sa
manière, en ne livrant qu'une fraction de l'histoire et l'associant
à sa vie d'aujourd'hui. Leurs vécus ne sont d'aucune façon
des schémas de trajectoire migratoire. En conséquence, leurs
discours apparaîtront, au premier abord, assez
stéréotypés (réciprocités du dialogue,
intentions : ce qu'ils savent des "interviewers", anthropologues et autres et
de leurs attentes, selon l'image qu'ils veulent laisser d'eux)
Il m'a semblé légitime d'accorder une place
importante aux récits dits de vie, de laisser part au témoignage,
à l'expression de la mémoire, à la façon de se
dire... Il faudra déceler sous les mots ce qui s'y cachent
réellement...
Il manque une infinité de renseignements, sur leurs
familles, sur eux-mêmes. Il faudrait pouvoir passer des heures e des
heures sur une période assez longue, pour non seulement
créer une plus grande confiance, mais aussi déverrouiller
certaines portes de la mémoire... Tautologique, peut-être. La
rencontre est toujours celle d'un instant partagé, qui construit une
relation lorsque les occasions se multiplient... Elle est une confiance qui
s'acquiert sur la durée. Mais les gens des Andes sont
particulièrement doués pour s'exprimer de façon
imagée, ou en périphrase... Sans jamais nous contredire,
les gens s'expriment parfois par des acquiescements intempestifs -- ou
incohérents (pour nous, extérieurs, exaspérés par
l'éternel paradoxe des choses 1) Ils semblent garder en eux
tout un univers, livrant à l'étranger ce qui pourrait le
satisfaire, ou lui faire plaisir. Naturellement, les gens choisissent de
montrer le visage qu'ils veulent se donner ! Tant de dimensions que les
mots seuls ne permettent pas de comprendre, tant de gestes qui paraissent
insignifiants, et pourtant. Comprendre à travers les non-dits,
les expressions imagées, les allégories et les gestes excessifs
le message qu'ils veulent nous transmettre est un challenge. Mais aussi
le contraire, décrypter dans la banalité.
Après plusieurs conversations, le vernis posé
sur le lieu d'origine commence à se s'estomper et révèle
d'autres difficultés. Ils se livrent plus sincèrement en montrant
les difficultés de « là- bas » et leur mieux-être
d'aujourd'hui. Le présent ne doit-il pas triompher ?
Témoignages...
« Chaque maison, c'est tout une histoire... »
Isabel
Trois générations, ou quatre. Quatre femmes.
Quatre moments d'arrivée bien distincts...Cirila, la plus
âgée, arrivée aux débuts de la
communauté campesina, Genobeba dans
les années 90, Milagro en 97 et Meche, toute jeunette, à peine
arrivée, et directement installée à la Vizcachera... !
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Chez Cirila et Marcelino--des « antiguos »
ou des andahuaylinos...
Depuis 90 et 83...à la Vizcachera
Chaque fois je m'y rendais, je cherchais des yeux du haut de
la cour de la présence de Cirila. Sinon, les chiens -le leur ou les
pensionnaires diurnes de leurs enfants, se jetaient sur cette
étrangère qui mettait le pied dans le territoire à
garder...
La cour était souvent encombrée d'une ou deux
"combis", lorsqu'elles étaient revenues de leur folle
épopée à travers la ville, ou qu'elles étaient en
panne... Etre propriétaire d'une cote/ n'est pas très
lucratif ; ce sont de vétustes camionnettes à réparer
constamment. Et surtout parce que les gains se répartissent à.
l'informel entre le chofer et le cobrador...Et, de
cette course effrénée, aux passagers que reste-t-il ? Avec cette
conduite qui a consommé son trop plein d'essence et a usé le
moteur jusqu'à ce que panne s'en suive...
Les premières fois, il y avait des lapins, des cochons
d'inde, des poulets...déjà dévorés ? Vendus ? Le
deuxième cas est le plus courant. C'est un peu comme dans la Sierra ou
le bétail représente un certain capital, et n'est mangé
qu'en de rares occasions...
Quand elle me voyait arriver, elle installait presque
mécaniquement une chaise sur le devant de la maison et nous nous
asseyions côte à côte scrutant évasivement la cour et
le cerro d'en face... Refaisant la vie et ses histoires. Et Cirila de
continuer ses activités : tricoter, ou bercer le bébé dans
la manta7°...
Marcelino travaillait dans la construction, il sait à peu
près tout faire. Mais sa santé ne lui permet plus de travailler
autant.
« J'ai appris moi-même la construction. Avant
je travaillais à la chacra, mais c 'était trop mal payé,
ça servait tout juste à manger. Alors je me suis mis à
aller ci et là pour faire autre chose ...et peu à peu, j'ai su
tout faire, les gars me gardaient avec eux
(.)
Parfois, il se joignait à nous, parfois il continuait
ses activités... Inopinément, il s'embarquait dans des
récits liés à la Sierra...I1 parlait avec un accent
très "serrano" et en quechua avec sa femme.
"Pendant la semaine sainte dans la Sierra [on est peu de
temps avant la semaine sainte], il y a cette danse où on fouette la
jambe, et ils le font vraiment ! Une fois, deux
7° Tissu, en général très
coloré dans lequel les femmes dans les Andes mettent des affaires ou
portent leur bébé ou les deux sur le dos. Les hommes aussi l'y
utilisent pour porter des affaires... A la Vizeachera, nombreuses sont celles
qui l'utilisent encore pour porter leur enfant.
H
fois et plus fort la troisième fois...C'est la
tradition qu'on avait...maintenant, ça a changé [ici ou
là-bas ?]...
j "Une fois quand je suis allée, les gens se
demandaient ce que je faisais là... alors ils
interrogent : "tu es le fils de qui ?" et tu lui dit "tal
fulano" (un tel...) et c'est bon tu es reconnu, on sait qui tu es..."
"Quand on y retourne pour un negocio, les gens invitent
à manger chez eux. Si tu
aimes c'est bien et sinon, on dit : "alti nomàs" et
ils ne te resservent pas. Si ce n'est 1111 pas bon, tu demandes à
mettre ce qui reste dans un sachet pour manger plus tard et tu
le donnes au chien..." Et de continuer sur les plats de
là-bas : la menestra, etc.etc.
Parfois Moises, leur fils, passait par là et profitait
de la présence d'une étrangère ("spécialiste en
migration") pour parler de ses rêves d'émigration dans le Vieux
Monde : "et de là-bas, je
r.1 vous enverrai [de l'argent] ", en s'adressant
à ses parents...Il a appris à tout faire (tout ce qui tourne
autour de la construction) c'est son "art" dira-t-il. Chez lui, il a
installé son atelier.
Cirila était de celles (nombreuses, semble-t-il) qui ne
sortent jamais du quartier, ou presque... A partir de 15h, Cirila était
"en los chanchos" "dans les cochons" ( . Les nourrir chaque jour
n'était pas mince labeur. Il fallait déjà que Marceline
ait réussi à, récupérer (moyennant un Sol)
des restes sur le marché (feuilles de maïs...) ou dans un
restaurant. Et elle s'en allait dans la porcherie, enfant sur le dos, poussant
le chariot de nourriture. Quand l'argent venait à manquer, elle tuait
quelques cochons...
Parfois en passant le soir, ils m'invitaient à partager
un caldo de galline ou un café ; "c'est la pauvreté",
s'excusant toujours du peu qu'ils ont à offrir. Un jour, arrivant
pendant le déjeuner, j'ai été invitée à
goûter le plat tel qu'elle le préparait, bien que j'avais
déjà le ventre plein : c'était du poulet au
cacahuètes (adaptation du même plat préparé avec du
cochon d'inde dans la Sierra). "Juste pour goûter la sauce !"
Mais comment ne pas le servir avec ses pommes de terres et sa
plâtrée de riz ?! En acceptant, je l'honorais certainement, et je
mangeais fort probablement sa part de viande...
L Mis à part le petit dernier de ses six enfants, les
autres avaient quitté le foyer parental. Installés dans la
"maisonnette" de la cour (qui était la leur avant qu'ils ne construisent
de l'autre côté de la petite cour), partis dans l'autre partie du
terrain72, ou encore de l'autre côté
L de la rue sur la pente et sur le cerro opposé,
à au moins trois minutes à pied ! Aucun n'a quitté la
Vizcachera.
Et elle me parlait des aléas du quotidien, comme la
rareté et le manque d'argent pour nourrir tout le monde chaque jour
--son dernier enfant, le premier fils de sa fille (du même âge) qui
vit avec elle car elle l'a toujours élevé, sa nièce que
son frère qui vit dans la Selva lui a envoyé (elle m'a
beaucoup parlé de lui et de sa difficile situation là-bas), le
petit dernier de sa fille, dont elle avait la garde toute la journée
alors que sa fille s'en allait laver du linge à l'autre bout de la ville
pour pouvoir acheter le lait quotidien... Ou quand vint cette rude
période
LIqu'est la reprise du collège et l'achat du
matériel scolaire... Ou des chanchos qu'il va falloir
nourrir... Et des uns et des autres...Et du padre (qui les faisait
souvent travailler), et de la hernzanita...
71 Bouillon de poule (avec des morceaux de poules, des
pâtes, pommes de terre) dans laquelle on ajoute oignons, piments et oeuf
dur.
72 En tant qu'anciens habitants, ils jouissent de plus
grands terrains, et de plusieurs lots, pour leurs enfants
Mais toujours et encore, de ce problème de terres,
redondant et intriqué mais captivant, en ce qu'il liait des gens et les
obligeait à prendre parti. De cet achat incongru des terres de
la Vizcachera, à propos duquel je n'ai rien saisi la
première fois qu'elle l'a évoqué, dès le premier
jour...C'était quelque chose qui était venu briser une
unité, une cohésion qui aurait existé, dans un avant,
avant cet événement... De ces gens qui leur font pression, de
cette lutte de la communauté. De ces nous et ces autres, ceux qui sont
"contre nous", les traîtres...
--> Cirila n'a jamais cessé de me parler de ses
préoccupations et de m'en tenir avisée. Il m'était
pourtant difficile de comprendre ses soucis, lorsqu'au début elle me
parlait de "ceux qui ont acheté", "eux", "l'association", "nous",
etc.
"Avant c'était mieux"
« Quand je travaillais à la
parada73 , avec les pommes de terre, je laissais les enfants seuls
ici, avec k repas prêt... Ils payaient pas cher, mais je repartais avec
un sac entier de fèves pour quelques soles ...J'avais une amie qui
vendait là-bas...Maintenant, il n'y pas d'argent »...
Et du là-bas... quelques
évocations parfois vernies ; et par bribes, des passages,
décousus, puis relus et revus... Tout un parcours qui oscille dans les
moments du passé, sans ligne chronologique et ce, jusqu'à
réveiller l'enfance...
J'en ferai une chronologie, mais telle qu'elle se donne
à voir, de haut en bas, d'avant en arrière... Ah ! Occidentaux
qui voulons un parcours, un fil, qui cherchons toujours ce qui a
précédé et ce qui suit ! Tellement d'étapes,
d'espaces transitoires, de moments à cheval dans leurs vies que rien ne
se peut redire comme un temps linéaire avec son début, puis les
causes qui font passer d'une étape à l'autre.
Ils viennent de Andahuaylas, dans le
département d'Apurimac, de deux villages que l'on gagne par des routes
différentes. Certainement deux provinces voisines. Cirila évoque
avec effroi les routes dangereuses qu'il faut emprunter... "Es leeeejos"
(c'est loin !). Sa maman est toujours là-bas : "elle y a ses
terres". Mais ils n'y vont pas, parce qu'elle a peur. S'ils y sont
allés récemment, en janvier, c'est parce que son frère
lui avait laissé croire que sa maman était
malade -"et elle allait bien !" dit-elle avec ressentiment... Cela
faisait 35 ans qu'ils n'y étaient pas retournés.
Ce qu'elle en conte, ce sont les difficultés : la dépense (dont
ils subissent encore les conséquences -ils ont dû faire un
emprunt), la peur, les maux, de cette pluie qu'ils ont dû affronter
pour arriver au village, à pied...Puis il y a eu les
"terrucos"74, alors ils ont cherché le premier bus
pour retourner vers Andahuaylas et fuir ! Malades et encore plus
terrorisés, ils sont vite revenus de ce lointain périple.
Début janvier 2005, une abominable tuerie a eu lieu près
d'Andahuaylas, perpétrée par les
ethnocacéristes75. Comment revivre un tel drame (qui n'a
d'aucune manière été perpétré par le
même mouvement qu'autrefois), alors même que le souvenir est empli
de ces années de terreur qu'avait semé le Sentier Lumineux
73 La parada est le marché des marchés,
nous l'avons déjà explicité
74 Nom donné aux terroristes à
l'époque du sentier Lumineux
75 Mouvement des ethnocacéristes dirigé
par le commandant Humala... En janvier ils ont pris d'assaut un commissariat
à Andahuaylas. C'est un mouvement armé qui veut la
démission du président, que le quechua devienne la langue
officielle, ultranationaliste... (Ethnocacéristes : de Avelino Caceres,
il a été un héros de la guerre du Pacifique contre le
Chili, dans les Andes centrales, il parlait quechua mais sa famille
était des descendants d'Espagnols...)
Arrivant à la Vizcachera en 1983,
c'était le désert, plein de cactus, il n'y avait
personne ou presque...Quelques-uns qui vivaient non loin des chanchos
desquels ils s'occupaient. C'est pour cette raison que Marceline est venu.
"Et on a organisé les gens qui ont continué à arriver
Bien que s:v rendant tous les jours, Cirila est restée vivre dans
leur maison de la Victoria. Ce qu'elle évoque de ce lieu, c'est le
souvenir de la délinquance (c'est un des quartiers les plus mal
réputés, à raison...). Elle ne laissait pas les enfants
sortir dans la rue ; se souvenant d'une parente : "elle traîne dans
la rue, tourne mal et il lui sort un gros ventre ..." Oui, la Vizcachera,
"es mas tranquilo" . En 1990, ils ont vendu leur maison del Pino
(le cerro de la Victoria). "Au début, c'était une
"chosa" (cabane), et peu à peu, on l'a
améliorée". C'est à cette époque qu'elle a appris
à vendre des patates, en travaillant à La Parada. Puis
elle vendait des chicharrones : "tout le monde me connaissait...et
venait...puis j'ai arrêté car ça m 'écoeurait ...j
'étais enceinte ..." En comparant Lima et la Selva (où, s'il
n'y a pas de café, il n'y a rien !) elle constate qu'ici, on peut
toujours trouver quelque chose à faire, quelque chose à vendre :
"vendre des Salchipapas" . Avant, quand son mari n'avait pas de
travail, elle envoyait ses enfants. Quand ils étaient petits, elle
partait très tôt et allait se proposer à La Parada.
Et de laisser ses petits, à côté d'elle dans la
planta. C'est qu'à Lima, "s'il n'y a pas d'argent : il n'y a
rien f "
La famille... Cirila a deux frères
dans la Selva et un à Trujillo (au nord de Lima). Elle parle beaucoup de
la situation de son frère dont elle accueille la fille : "parfois,
il n'a rien à manger, parce qu'il ne cultive que le café et les
années où ça ne donne pas, il n'y a rien d'autre (pas
d'autres alternatives)"
Marceline a beaucoup de famille ici aussi, mais dans des
quartiers éloignés, avec qui il ne semble plus tellement
entretenir de rapport. Il m'explique un jour qu'il n'aime pas boire... et eux,
c'est ce qu'ils font !
Cirila est arrivée à Lima de la Selva.
Elle était partie y travailler avec son frère. C'est
là-bas qu'elle a rencontré Marceline (qui, soit dit en passant,
est de "son coin". C'est que beaucoup de gens de là-bas devaient s'y
rendre en se "passant l'info"). Elle explique qu'ils sont venus
à la recherche de meilleurs services de santé, étant sur
le point d'accoucher. Ils sont ensuite repartis deux ans dans la Selva et, de
nouveau, Lima.
"Tous les deux on travaillait à la récolte.
Le travail était dur ...J'ai ensuite fait la cuisine pour les
travailleurs. A 4h du matin, il fallait préparait leur petit
déjeuner, puis le déjeuner ...En plus, on mange autrement. Il
fallait faire du manioc, des bananes plantains ...etc. "
"Chez nous, il y avait le danger des terroristes, ils
tuaient...C'était plus sûr de partir. On disait qu'il y avait du
travail dans la Selva. Et maintenant qu'on est retourné là-bas
[dans la Sierra], on est vite reparti ...on est tous revenus malades, on
n'avait pas assez de vêtements. Le chemin, c'est une quebrada (pas loin
du précipice...). C'est pour ça que je ne retournais pas,
ça me faisait peur ..."
Et derechef, elle raconte l'épisode douloureux de leur
seul retour...
"Je n'ai pas été beaucoup à
l'école : juste un an... Parce que mon père est mort quand
j'avais 8 ans. J'ai dû partir travailler à Huancayo. Je
travaillais dur. Elle [la maîtresse de la maison dans laquelle elle
travaillait] me faisait tout faire, laver, cuisiner, sans cesse ... Puis, je
suis allée chez une autre...je devais garder les enfants.. finalement
elle me faisait tout faire ...Alors je suis repartie au pueblo, mais je ne me
suis plus habituée ...et la pluie ...Et je suis repartie [ _]"
C'est seulement après bien des rencontres
qu'elle se mit à remonter dans l'enfance, ses départs pour
travailler, la fuite du terrorisme... Je lui ai posé une question
peut-être sur son parcours vers la Selva (dont on avait
déjà parlé) et c'est là qu'elle s'est
embarquée dans des récits lointains et ininterrompus,
enchaînant les moments de cette époque de sa vie...Une vie dure,
à travailler comme une forcenée et exploitée dès le
plus jeune âge, et des années de vie dans la peur et la terreur de
la présence de Sentier Lumineux et des atrocités commises sous
leurs yeux...
Et toujours, les projets. Autant de
projections qui paraissent saugrenues et qui pourtant parfois voient le
jour...Ils veulent finir la construction de la maison. Et prolonger devant, sur
la rue, pour "poney un negocio" (ouvrir un commerce). "Puisque
nous avons un camion, on pourrait rapporter des légumes et les vendre 1"
Qui sait quels projets font partie de leur esprit de projection et
lesquels seront menés demain ! Et elle conclut : "mais on n'a pas
d'argent pour construire .. "
La réelle raison de leur venue à Lima demeure non
exprimée. Le travail, diraient-ils. Leurs liens quelque peu rompus,
cachés derrière un passé accidenté et des
vécus faisant leur route. La nouvelle génération n'est pas
sortie de la communauté (tous leurs enfants se sont
installés à la Vizcachera)... mais déjà plane une
envie d'aller chercher ailleurs ce qui ici ne se trouve pas. Ce en quoi ici on
ne croit plus... Le partir... I' ailleurs qui se fait européen...
Lors de notre première rencontre, ils ont beaucoup
parlé de la communauté, un peu comme des «
vétérans » avec leur ton de fierté, de ce qu'ils ont
ici construits, de la défense qu'ils ont toujours menée contre
les envahisseurs... Elle semble déconcertée devant les conflits
qui existent ici, et dont déjà ils me font part, malgré
l'allusion à une unité, une solidarité. Double discours ?
Et, encore, cette comparaison entre "ici" et "là-bas", entre maintenant
et avant...La nourriture et son abondance dans la Sierra sont des thèmes
récurrents chez tous, qui s'expriment en de longues tirades
alimentaires... Et de parler de ces traditions, ces fêtes, ces coutumes,
même si « ça a changé, ça n'est plus comme
avant ». Idéalisation ? Du reste, Cirila laisse plus ou moins
transparaître qu'ils ont l'habitude d'y retourner. La réelle
coupure ne se dévoile pas encore... Et pourtant, on comprend finalement
que, bien qu'ils y soient allés dernièrement, cela faisait plus
de trente ans qu'ils ne s'y étaient pas rendu...Trente
années...
La pauvreté...et le constant manque
d'argent aussi...Mais cette certitude qu'à Lima, on peut toujours
trouver quelque chose, qu'il y a du travail...et cet engrenage
: « s'il n'y a pas d'argent, il n'y a rien...
»
Que faisaient-il là-bas ? Apparemment sa mère
avait des terres... et son mari ? Est-ce que toute la famille serait partie de
près ou de loin en raison du terrorisme, ou parce que la situation
générale de la famille était critique (père
décédé, peu de terres...) ou est-ce le hasard qui les a
amené jusqu'à Lima ? Je ne pense pas, même si elle
prétend être venue pour la maternité. Mais pourquoi ce
choix de venir accoucher à Lima ? Peut-être le fait d'être
venue une fois...
Li
Genobeba...seule dans la montée...
La Vizcachera en 1993
Zigzag. Le fil de son histoire changera au fil des rencontres,
peut-être justement parce qu'elle ne laisse pas transparaître de
fil... Au lieu de retracer l'histoire dans un ordre plausible, j'exposerai ses
propres récits au fil de ce qu'elle m'a peu à peu
révélé, pour mieux voir l'évolution de ses
propos.
1/
Elle est plus timide que les autres, devance moins le
dialogue, paraît plus distante et discrète...plus pudique
peut-être. La première fois que je la rencontre, chez elle, son
mari est présent, et sa vision permet de réaliser le rôle
de la situation familiale (sur le phénomène de migration). Bien
sûr le ton du discours en est conditionné par cette conversation
à plusieurs... Si le mari est présent, c'est qu'il n'a pas de
travail, ou que comme beaucoup, il n'a que des «
cachuelos76 », c'est-à-dire du travail occasionnel,
mal payé. Ils habitent dans « la montée » de la
Vizcachera, longue rue qui démarre de la pampa et s'enfonce
entre les cerros... Sa maison est encore faite d'
esteras77 , matériau de la première étape
de construction d'une maison. Quelques cartons et plastiques viennent
consolider les parois ci et là. Néanmoins, la taille, en
plusieurs pièces, montre déjà un certain avancement de
leur maison et l'aplanissement du terrain, un fastidieux et rude travail. Dans
la cour, où nous nous asseyons (j'ai le droit à une manta
pour couvrir le banc...et m'asseoir !) : un tas de briques, que les gens,
lorsqu'ils arrivent à juntar plata (réunir de l'argent)
commencent à stocker, peu à peu, en vue d'obtenir la
quantité pour levantar ("lever") au moins quelques murs, en
« matériel noble ». C'est ce qui montre une certaine
pérennisation de l'habitat... Pourtant, ils expriment, lors de la
première discussion, leur désir d'éventuel retour, presque
convaincant...
Genobeba travaille à la cuisine du
Wawawasi78 tous les matins. Lui est maçon quand il y
a du travail, et qu'on lui « passe l'info », mais c'est
difficile parce que : «parfois il n'y a rien ». Ils ont
arrêté les études au cours du primaire. Tous les deux
âgés de quarante ans, ils ont trois enfants ; l'aîné
s'est installé en face avec sa conjointe (il a
arrêté le secondaire en « primario »
parce qu'il ne voulait plus étudier) et les deux filles sont encore
« en son pouvoir », elles n'ont que treize et quatre ans.
Ils viennent du département d'Apurimac,
province d'Andahuaylas ; Genobeba du district de San Jerônimo,
son mari de Talavera.
« Je suis venue à Lima parce que ma
mère venait, je ne pouvais pas me séparer d'elle. Je suis venue
avec mon frère. Tous mes frères et soeurs sont ici. Je suis
d'abord allée chez ma soeur à «El Agustino » fun des
premiers districts formés par les invasions, maintenant
consolidé], mais on avait juste une petite chambre pour nous
quatre. »
« On vient d'une autre province, ça nous manque,
c'était mieux là-bas... on pense y retourner (elle parle
même de la possibilité d'y ouvrir un magasin...1 [le mari
insiste.. j. Ici,
Argot péruvien pour le travail occasionnel.
précaire. De là. le verbe cachuelear » : vaquer de
travail en
travail (souvent dans la construction), lorsque l'on entend
parler de quelque chose...
7s Natte tressée en paille. chaque plaque
permettant l'élaboration d'une paroi.
Terme venant du quechua wawa enfant, WaSi : maison.
Organisation gouvernementale présente dans tous les quartiers pour
assurer une garde (et l'éducation) d'enfants chez des mères
cuidacloras. la nourriture
est préparé dans un comedor spécial et distribuée
dans les maisons.
maintenant, c'est définitif oui...Mais on voudrait
retourner dans la Sierra. Oui, on voyage là- bas, on est allé
avec les enfants en février... ».
Le mari : « Toute ma famille est encore
là-bas, mes frères, mes oncles, mes parents.. »
A notre première rencontre, ils laissent
transparaître un semblant d'idéalisation de leur terre
d'origine... A la rencontre suivante, Genobeba oscille entre deux discours,
celui où elle déclare s'être « acostumbrado »
("habituée", ce qui exprime une certaine distance par rapport au
lieu d'origine, et une accoutumance dans l'être ici), et l'autre, du
vivre dans la nostalgie et le désir de retour. Elle semble contente de
me voir revenir. Nous commençons par parler du présent et
remontons au fur et à mesure dans le passé, proche, puis, plus
lointain, celui des origines, souvent un peu flou...
IIl
Nous nous connaissons tous ici à la Vizcachera.
« Parce que nous faisons des réunions avec la
communauté. Et aussi grâce au comedor j'allais y chercher la
nourriture et peu à peu on se connaît. Et aussi au Faso de
Leche7 9. Et puis, nous travaillons ensemble quand il y a des
faenas80 (travail collectip de la communauté. Par exemple,
quand on a fait le nettoyage du quartier des rues, ou les travaux pour le tank
d'eau...
« Ça ne fait que dix ans qu'on a la
lumière. Avant non, on s'éclairait avec des bougies pour tout. Il
n'y avait personne dans la rue le soir, parce que tout était
obscur...
« On a acheté à la Vizcachera,
ça fait douze ans, depuis 1993. On est venu s'installer
quand on était marié. Quand j'étais encore
célibataire, je venais tout le temps ici, en visite, environ une fois
par mois.
C'est mon frère qui m'a dit de venir pour
travailler. « Alors on est venu, et on s'est mis à laver et peler
de l'ail. D'ailleurs on a continué ici aussi. On habitait à El
Agnelli° pendant un an et demi chez mon frère.
C'est un vecino81 qui nous a
ramené ici à la Vizcachera, en nous disant
qu'il vendait des terrains. Parce que « no es como casa propice
» (ce n'est pas comme d'avoir une maison à soi -qu'on ne
loue ou « squatte » pas). A l'époque, le terrain coûtait
dix sacs de ciments. On a dû tout aplatir, c'était du cerro, il y
avait des cactus...Il n'y avait pas de chemin pour que l'aguatero82
puisse passer : on devait aller en bas chercher de l'eau. Mais comme il y a eu
de plus en plus de monde ils ouvrir un passage ("abrir camino"). Il n)' avait
pas de lumière (elle en avait dans son village des Andes!). Alors on a
dû collecter pour avoir leur propre lumière ("la luz propice) avec
un conteur, par une convention de trois ans. Ça a vraiment changé
[l'environnement, la vie]. Je ne connaissais personne, je
restais seule. Je ne sortais pas de chez moi. Mais peu à peu par
exemple, un véhicule apportait du lait, et' quand il en
7q
« Verre de lait ». Autre organisation de base,
financée par l'Etat où les femmes travaillent par roulement, et
bénéficient en échange de lait pour leurs enfants,
qu'elles viennent chercher en fin d'après-midi.
8() La faena : travail conununautaire que l'on fait
pour quelque chose qui profitera à la collectivité, on n'est pas
rayé pour le faire.
`1 Trecino (voisin) fait partie des
personnes "types qui "donne l'indic."(pasa la vol). entre una amigua. un
fi7milrar, .. etc.
S'_ est la personne qui, avec son camion, vient distribuer l'eau
de maison en maison, dans les
nombreux quartiers où elle est inexistante. Cette eau
est plus contaminée et revient près de 10 fois plus chère
que l'eau courante des quartiers qui en sont pourvus. De surcroît. ses
venues sont irrégulières, il peut passer plusieurs fois dans une
même journée connue omettre de passer. Les gens doivent donc avoir
une gestion méticuleuse de leur eau. D'autant plus que c'est un
réel coût et que le
linge. si souvent lavé fait vite
baisser les barils
restait, il l'offrait. Et puis, on m'a invitée
à manger un menu à 1.50 S/ au comedor. Peu à peu, j'ai
connu les gens...
« Au comedor, c'est moins cher. Mais à la
maison, c'est à ton goût, mais on dépense plus...
Aujourd'hui, j'ai fait de la cuisine de la
Sierra. «Je ne sais pas comment ça s'appelle,
mais on y met ci... et ça... et c'est de couleur rouge, parfois jaune.
Sinon, je fais des lentilles, ou de la "patita con marri" (patte --d'animal,
avec des cacahuètes)... »
Le thème de la nourriture, de la cuisine
est toujours un grand sujet de conversation...
Je lui demande à nouveau d'où vient chacun d'eux.
Elle me reconstitue leur arrivée, dont la version diffère quelque
peu de la première et sera affinée à nouveau à la
rencontre suivante...
« J'étais chez mon frère, et mon
mari travaillait avec/chez lui : c'est là-bas qu'on s'est
rencontré... »
Je comprends donc qu'elle n'est pas arrivée ici avec
son époux, mais qu'elle l'a rencontrée parce qu'il travaillait
chez son frère, et elle aussi. Celui-ci vient de la même
région qu'eux, ce n'est pas le plus grand des hasards qui a dû le
faire arriver en ces lieux de paisanos83
Là-bas...
Nous abordons ainsi le thème de la Sierra. Ils
(avec ses deux derniers enfants, mais pas son fils : « Il n'aime pas la
boue " ») y sont retournés cette année, en février,
après sept ans...
Ça a beaucoup changé. «
Tout est modifié. Avant on allait à pied Maintenant,
il y a de grands véhicules pour aller au pueblo qui est loin. Avant,
c'était des camionnettes, maintenant, on peut aller en taxi, en combi,
avant il n'y en avait pas... Et il y a des parce ...pour le commerce, c'est
mieux, maintenant, il y a beaucoup de gens. »
« De mi, tengo una sobrina. De mi esposo, son
bastantes? » « Ils vivent là-bas.
Ils cultivent du maïs, papa, habas, frigo, cebada87 ... Et ils
ont des animaux : obejas, vacas, caballo, conejo, patos bastantes88
....et ils élèvent des chcmchos... On a vendu les chacras
(champs).
On les appelle par
téléphone...
«Mon époux dit que ça lui manque, qu'il
va y aller ...mais en fait, il n'y va pas. »
« Là-bas, au moins, l'air est pur, ici on est
toujours malade ... mais le problème là-bas, c'est que s'il y a
du travail, ils payent vraiment pas cher... "Là-bas c'est mieux". Dans
les cultures et les récoltes, il y a de tout. Il faut juste travailler
pour [acheter] le lait89, le sucre, le riz90
,
les vêtements...
" Se dit de quelqu'un qui vient de la même région
que soi. Que ce soit un village, un département ou un pays... Sil la
saison des
pluies. la terre devient boue et cause
certains inconvénients (routes peu/pas praticables_ marche plus
difficile...). A Lima. on Weil voit guère...
85 Se réfère-t-elle aux "places
d'armes- aussi appelées parque? On peut effectivement voir
une mode d'urbanisation et de "bétonisatioir des places de village,
marque d'un certain développement de la part des alcaldes
(maires) ?
· « De moi [de mon côté], j'ai [il y
al une nièce...De mon époux [du côté de mon
époux], ils sont nombreux... » s' Maïs, pomme de
terre, fèves, blé, orge...
gs Des moutons, des vaches, des chevaux, du lapin,
des canards beaucoup...
89 Le lait est bien plus souvent en boite,
concentré, que fraîchement sorti du pis de la vache I
»' Le sucre et le riz sont les deux produits fortement
consonunés qui ne proviennent pas de l'autoproduction. Lorsqu'ils
viennent à manquer, c'est signe d'une certaine carence...
Si j'y retourne (-ais) ?
« Je vais à Andalmaylas91 , la
ville. là-bas mon époux trouve du travail rapidement. Moi je
pourrais vendre à manger... des anticucho, des salchipapa92
... Je pourrais faire du négoce (commerce). »
« Il a pas mal de terrains, on pourrait les vendre pour
acheter un lot à la ville. »
« Avec l'héritage aussi ...Mes parents, leurs
terres, ils les ont répartis à leurs enfants : il vont semer
jusqu'au jour où ils mourront... la culture, c'est pour manger ! Moi,
chez moi, j'ai juste un petit potager..., je n'ai jamais semé, je ne
sais pas. »
Avant...
« J'avais un commerce de fromage et d'oeue . Et
à la lagune, j'achetais du perrejey (poisson) et je le revendais.
J'aimais bien. Puis, ma mère et mon frère ont vendu la maison
(lui, il était aide en construction, c'était dur de trouver du
travail...) et comme j'étais séparée de ma mère, je
suis venue moi aussi. »
Nous sommes dix frères et soeurs...
De ses dix frères, trois sont morts, un vit à Ica
et les autres sont tous à Lima (l'un est à Canto Grande,
trois autres sont à El Agustino).
Non, je ne vais pas les voir ...la dernière fois
que j'y suis allée, il a fallu attendre que tout le monde arrive pour
servir... (pour Noël...). » Eux se
réunissent pour leurs anniversaires...Celui qui habite ici (qui
est parti en bas parce qu'il n'aimait pas être sur le cerro, a
déjà une maison construite dont il loue des chambres...) n'y va
pas non plus.
Mon mari a quelques oncles vers La Molina-94.
Mais lui n'y va pas, parce qu'ils s'y croient, ils le traitent avec
dédain... »
A propos des coutumes...« Les
paisanos95 ...ils ne fêtent plus... Et ici à la
Vizcachera non plus ...Si, ça nous manque ...aux fêtes
organisées, on ne va plus parce que ça coûte, ça
fait dépenser. Et il y a pas mal de gens, c'est difficile avec les
enfants. Mais on a été avec une de nos petites filles... Ceux de
Andahuaylas se réunissent comme ça »
« On ne peut compter que sur soi-même .1 Il y a
ma voisine, qui est de Lima, de Campoy, sa maman est de Cerro de Pasco, et une
autre, de Cusco, elles me donnent des conseils...»
Dans le quartier ?
« Certains s'y croient, parce qu'ils ont plus d'argent.
Plus ceux du nord ....ils sont entre « nortenos » (gens du
nord)
Et toi, tu es du centre, du sud ? « Ç'a je ne
sais pas... »
Je ne parle pas quechua avec mes enfants.
« Ils nous demandent ce qu'on dit parce qu'ils ne comprennent
pas ».
Entre eux, ça arrive qu'ils parlent quechua, mais peu
apparemment...
Genobeba affirme qu'elle ne pense pas retourner dans
la Sierra mais exprime ce qu'elle y ferait si elle y retournait...D'ailleurs,
si je la réinterroge à ce sujet, c'est en raison de cette
ambivalence du désir de retour. Elle répond cette fois-ci par le
dénie en disant :
Andahuaylas est le nom d'une province du département
d'Apurimac. et aussi de la ville principale.
92 Coeurs en brochette et pointues frites...
93 Ce qui peut tout à fait vouloir dire
qu'elle les vendait à un coin de nie dans un petit panier... '' Un des
districts de Lima les plus résidentiels et exclusifs...
95.gens de son « pays »
r « Je ne crois pas que mes enfants s'y habitueraient
; le climat, les rayons... etc. Mcifille me dit
que c'est joli, l'eau, les arbres, les champs, qu'elle aime
les animaux, les chevaux, les vaches ; que la viande est meilleure... Mais ce
ne serait plus pour y vivre... »
Comme beaucoup, Genobeba a suivi les autres membres
de sa famille à Lima et c'est par eux qu'elle y a été
intégrée, même si les liens aujourd'hui paraissent assez
rompus parce qu'elle n'a pas grandi avec eux, étant donné qu'ils
avaient déjà migré à Lima. Comme elle n'a plus
personne là-bas, elle a beaucoup moins de raisons de vouloir y retourner
que son mari qui y a laissé tous ses proches. Pourtant, même s'il
exprime un manque, il semble avoir pris une distance qui
déjà, marque la séparation et la faible
probabilité du retour.
111/
La troisième fois, Genobeba m'accueille encore chez
elle, dans sa petite cour, sur le banc le long du mur, couvert d'une manta
à cet endroit où elle m'invite à m'asseoir. Ce n'est
pas du linge mais des plastiques qui sont pendus au fil. Qui ne participe pas
du recyclage... La petite dernière est toujours là, à se
rouler partout et touche à tout ce qu'elle peut... ! La dernière
fois que je suis venue, c'est avec sa fille Leila, que j'ai discuté;
comme elle m'a raconté tout ses activités avec l'église
"chrétienne" [évangélique] et que j'ai même pu aller
l'y voir répéter le spectacle de danse pour la
fête des mères, j'en profite pour le lui commenter...C'est ainsi
que s'ouvre le thème religieux....
- Avant j'étais bien catholique.
«Mon fils a été baptisé là-bas.
Ici j'allais à la capilla quand elle était en esteras, que
c'était une grande pampa. Quand il y avait des faenas aussi j'allais.
Mais si, encore maintenant je collabore quand il y a une
anticuchada96. Ils nous regardent de travers, parce que
nous n'adorons pas les images97. Quand on fait une
fête, ils viennent tous. On donne à manger à tout
le monde de n'importe quelle religion. Mais au contraire les
évangéliques ne vont pas aux catholiques. Parce qu'ils disent
qu'ils viennent juste pour manger. »
Les différences... « On
n'adore pas les images, ni Santa Rosa98. Pendant la semaine sainte,
on ne fait que le vendredi saint. On fête Noël et le Nouvel An mais
pas avec le Nii1o99. On n'utilise pas la croix comme arme pour
Jésus. »
« On boit de la gaseosa, et même de la chicha
de jorraice il Mais ils [en parlant de (y nous
» les évangéliques] ne veulent pas boire (d'alcool). Pas du
tout d'alcool. Nous, avant, on buvait beaucoup. Surtout dans la construction :
mon mari, quand il allait techarle , il revenait ivre Il
dépensait tout l'argent...Maintenant il ne boit plus. Ils l'appellent
« hermano ». H y a des
96 On y vend des anticuchos (coeurs en
brochette grillés). dans le cadre d'une « activité ».
On fait une activité lorsque l'on organise une vente de nourriture
cuisinée agrémentée d'une ambiance festive voire
dansante.,. Ce peut être aussi une pollada : vente de poulet. ou
une chicharrouada : vente de chicharrones, morceaux de porcs
frits dans leur propre graisse. Cette dernière est souvent
organisée à la Vizcachera compte tenu du nombre de porcs qui y
sont élevés.... ou encore picaronada (picaro)? : beignet
sucré) etc....
L'adoration des images est une pratique très importante
chez les catholiques, d'autant plus chez les gens de la Sierra pour
qui l'image de leur pueblo a même un certain pouvoir
98 Sainte patronne de Lima
99 Le enfant Jésus, est une figure
adorée par les chrétiens.
100 La chicha de jarra est une boisson
andine préparée à base de maïs fermenté.
lu' Techar : faire le toit. est un moment
fondamental (symboliquement aussi) dans la construction d'une maison, La
rechcula peut se faire quand une somme d'argent suffisante --pour
acheter le matériel et surtout la boisson pour la fête, est
réunie. Elle nécessite beaucoup de main d'oeuvre, aussi nombre de
connaissances sont appelées à y participer et y festoyer...
évangéliques qui ne peuvent pas dominer leur
corps. Quand il y a des faenas ou des repas, etc., ils se cachent pour boire
mais reviennent bourrés...
« Mon fils, il a peur d'y
aller (il a plus de péchés (1) ...Sa femme est de Ilueinuco. Il
est d'abord parti dans une chambre, en location, ici. Puis chez sa
belle-mère puis sa belle- soeur... » (il habite maintenant en
face...)
- De Lima à la Vizcachera
« Moi j'ai été six ans à El
Agustino, d'abord chez mon frère, mais on ne s'entendait plus, alors on
a loué une chambre. Quand j'étais célibataire, je venais
deux ou trois mois chez mes soeurs. L'aîné a ramené mon
frère puis il est resté chez sa belle-mère. Il est revenu
deux ans après. Moi j'étais déjà mariée,
avec deux enfants. J'ai donc loué une chambre chez la belle- mère
de mon frère. »
« Le fils de la voisine a un terrain à la
Vizcachera, c'est lui qui nous a dit...Mon mari et mon frère sont
allés voir le "dirigeant" [de la Vizcachera]. Il y avait du terrain ici
et aussi plus bas. Il leur a dit de revenir le lendemain parce qu'il y a
beaucoup de gens qui cherchent. Alors je suis revenue avec toutes mes affaires
et quatre esteras sur le terrain qu'il nous laissait pour 1500 S/... Le
dirigeant vivait à Caja de Agua [à l'entrée du district de
San Juan de Luriganchoj. »
« Es fea vivir en casa aiena »
« C'est dur de vivre dans une maison qui
n'est pas la sienne. Je ne pouvais pas faire marcher le bébé, je
ne pouvais pas étendre mon linge, je ne pouvais pas.... Ça y est,
j'en avais marre de vivre comme ça. J'ai dit : ou que ce soit
je vais m'habituer. Quand je suis arrivée ici, je me suis sentie
heureuse. J'ai respiré... »
Au début, « ma petite pleurait
parce que c'était obscure...La nuit, on ne pouvait pas marcher
...
« Mon frère, trois ans après, est venu
s'installer vraiment, il a vendu le terrain du haut et a acheté en bas
et construit. II fait du negocio, il loue quatre chambres (2000 S/..il y a
beaucoup de gens qui demandent), il élève des cochons (loue le
terrain). Il a des connaissances à El Agustino qui lui mettent de
côté des restes de nourriture... Lui est catholique...
»
Ici, on est indépendant. «
C'est plus tranquille ....Oui, je me vois bien vivre ici... Mes
soeurs vivent toutes en maison construite (en dur) _elles me disent : 'pourquoi
nt vis comme une traînée ? Misérablement ? " Elles ne
viennent pas ici. Et moi non phis je n'y vais pas... »
- Des voyages de retour aux souvenirs
lointains
Quand on retourne au pueblo, « on
va chez ma belle-mère ou belle-soeur. Nos villages sont voisins comme
ici Campoy et la Vizcachera... C'est ici qu'on s'est connu avec mon mari, parce
qu'il travaillait avec mon .frère... A onze ans, j'ai
travaillé chez un professeur de son village... Son mari avait connu son
frère là-bas et il voulait connaître Lima. »
« Nous on s'est marié à
l'église catholique. Après un an à Andahuaylas, on est
venu ici. Il ne m'a pas dit qu'il était
évangélique. Moi je n'y allais pas...puis j'ai été
attirée ...Avec Vilma [sa voisine, collègue de travail et amie],
j'allais à la chapelle ici. Maintenant, elle me critique ...
»
De mon village, la majorité s'en vont travailler
à la Selva, pour la récolte du café
(ville de La Merced).
Elle était avec sa mère. « Uji an
après, elle a vendu sa maison [là-bas!. Mes fières
retournent et louent des chambres quand ils y vont. Mon deuxième
frère a dit allait y acheter un terrain pour y vivre, parce que
là-bas c'est plus tranquille, il en a marre d'être ici. Il
est quand même retourné un an, en louant et il vendait des
légumes au marché. »
« Quand j'avais huit ans,
je suis partie pour travailler chez des gens (employée
de maison, en général...). Ma mère ne nous a jamais
éduqués. Elle n'a même pas franchi le seuil d'un
collège. Il y avait des gens qui eux éduquaient leurs enfants.
Nous, on nous a plutôt envoyé travailler chez des gens. Ma soeur,
elle, vendait des marcianos (bâtons glacés aux fruits, faits
maison). A huit ans elle est venue à Lima travailler avec une
dame1°2 de La Victoria, c'est un quartier de voleurs...
Ça a été un enfer, elle voulait partir. Elle était
venue en avion. »
Mon père est mort quand j'avais un an. «
On avait un champ, petit. Il vendait sur le marché. Quand
il venait à Lima, il n'aimait pas, il voulait revenir... »
u
« Par contre mon mari a ses
parents là-bas... ses frères se demandent comment on vit, parce
qu'ils savent que « allà, todo es plata » (là-bas
--Lima tout vaut du fric)... ils ont pas mal de champs...de ça ils
mangent __parfois ils travaillentue. Il a des cousins qui sont dans
la Selva. »
« Lui a plus envie d'y retourner que moi. Il y a des
meilleurs collèges qu'icile Il y a phis de disciplines. Mais
les enfants sont mal élevés : ils disent des gros mots, ils
viennent « todo locas » (leur cheveux tout fous)
« Mon neveu, quand il vient, raconte l'anniversaire
du collège là-bas, ils se déguisent tous,
de tous les endroits : Puna, Juliaca, Cusco... Ici, maintenant
c'est le perreo1°5 , « 11/lesa que mas aplauda (un des
tubes du moment) et toutes ces choses là... »
« Mon fils est retourné voir son père
deux jours il y a deux ans... il a dit que c'était moche, plein de boue
...I1 est revenu avec de la yuca, papa, pa1ta, limôn, guinda,
nispero...todo del pueblol »
- Retour à la Vizcachera...
Les Rondas vecinales...pour se protéger
?...
L
«... de Coincol°7 on dit. Aqjourd'hui
il y a un affrontement avec Coinco, ils se prennent des lotes vides
(désoccupés). Une nuit ils sont venus envahir avec leur esteras,
avec des bâtons...La sonnerie a sonné, tous ont été,
ils ont brûlé...C'était vers le collège...les petits
pleuraient ...Ils ont appris Coïnco ...Une autre fois, ça a
été avec des bombes... »
102 Serait-elle venue directement sur place chercher
une petite « serrana» pour travailler chez elle à
Lima '? C'est une pratique....
lin Rapport à la notion de travail : bien
que le travail apicole soit qualifié de très difficile et
fatiguant, il est souvent mis hors de la catégorie "travail"... On dit
souvent aussi que dans la Sierra, il n'y a pas de travail, qu'on ne travaille
pas...
104 En général les collèges sont
réputés pour être meilleurs à Lima que dans la
Sierra, c'est d'ailleurs une des raisons véhiculées de la
migration... Alors .?!
105 Style musical en plein boom au Pérou (sur
la Côte), venant de Porto Rico
106 Manioc, pomme de terre, avocat, citron, des
petites baies telles des cerises, et nispero (« nispero du Japon» :
petit, orange, assez acide, avec des petits pépins gélatineux
à l'intérieur), tout du village.
107 Entreprise qui a acheté l'ensemble des
terres de La Vizcachera pour la modique somme de 10 000 soles...
«Il veut nous faire payer en
dollars1°8 ...S 'ils ne paient pas, ils « délogent
»... C'est ce qu'il se passe à Campoy, en el Chivo (un des cerros
du quartier, le plus « réputé »), ils font du
délogernent... ils se battent pendant deux, trois jours. Ça
appartient à Huarochiri (la province), mais les gens de Campoy se
l'approprient. Les trafiquants de terrains font envahir et la police vient
aussi...
**
Je comprend finalement qu'elle doit avoir eu un autre mari,
c'est pour cette raison qu'elle dit qu'elle l'a rencontré ici chez son
frère et qu'elle est venue avec lui de là-bas... ! Et si son fils
va voir son père là-bas, alors que l'époux de Genobeba est
ici...c'est que c'est un autre ! Mais ça elle ne l'explicitera pas I Et
parle toujours d'un « espaso »... lequel ?! Elle dit
ça comme si c'était très cohérent...
Toute sa famille semble s'être rendue à Lima et
c'est elle qui a permis l'arrivée des uns et des autres...
Néanmoins, les signes de réussite semblent être
distincts... Genobeba serait dénigrée par ses soeurs en raisons
de son humble situation (ou a-t-elle honte ?). Mais elle sait quand même
pas mal de choses sur les uns et les autres, alors, elle doit probablement
être encore liée à eux... De la même manière,
son mari n'est plus en lien avec ses frères de La Molina, parce
qu'il se sent sûrement dédaigné, précisons que la
Molina est un des grands quartiers résidentiels de la ville... Il semble
même plus proche de sa famille qui est toujours dans la Sierra. Ils sont
nombreux et c'est en cela que le manque peut être plus fort : la
séparation d'avec les membres de sa famille ; il exprimera davantage ce
lien profond. L'endroit où se trouvent les gens proches de la famille
est très important pour tout un chacun. Ses liens à Lima ne
semblent pas très bons, ou pas de « son niveau »... Si la
famille semble primordiale dans la possibilité de venir, la position
occupée dans la société semble jouer un rôle dans
les rapports entre les membres de la famille... Famille et position
sociale sont les éléments clés dans un "confort"
migratoire...
Le fait d' « habiter sur le cerro » est souvent
perçu comme quelque chose de peu flatteur
Comme beaucoup, elle raconte son arrivée à La
Vizcachera, et exprime l'importance pour elle d'avoir une casa propia
et son besoin d'indépendance au regard des autres, et de sa
famille. A son tour, elle peut se réaliser.
Mais ce qui est pertinent dans mes rencontres avec Genobeba,
c'est surtout l'évolution du discours. On a
commencé avec cette incontournable idéalisation du lieu
d'origine, en montrant le manque qu'ils pouvaient éprouver... Certes, le
mari insistait plus..., il semblait plus lié, on sentait la
présence de sa famille "là-bas" (ils ont d'ailleurs plus de
terres...). Puis, nous nous sommes amusées (puisque cela s'est
révélé être des projections de choses que l'on
rêve sans vraiment désirer)...à évoquer ce que
serait le retour. Genobeba racontait ce qui serait possible, avec ce qu'elle
aimerait bien faire (vendre des terres, aller et acheter à ville, vendre
à manger...). Mais elle terminera par souligner le non-retour : de toute
façon, les enfants ne s'habitueraient pas... Elle parle de la
possibilité du retour, et même de son désir d'y retourner,
la première fois, puis vient à dire le contraire... Paradoxal ?
Peut-être pas. Peut- être qu'il est des lieux de la mémoire
où l'on s'autorise ce genre de rêveries...peut-être
a-t-
1°8 Dès que l'on parle de dollars,
ça veut dire que c'est une grande somme, dont on ne dispose
pas.
Li
elle été influencée au début par cc
drôle d'interlocuteur qu'elle avait en face d'elle, qui l'interrogeait
sur ses origines...
Entre temps, elle est venue glisser que « ça y
est », elle « s'était habitué »...
Ces mots riment souvent avec adaptation, ou bien avec
résignation...
Au bout d'un moment on arrive à remonter dans les
souvenirs plus lointains, ceux de l'enfance, et des conditions de vie
difficiles : un passé douloureux.
A propos du « là-bas »...
Certains diraient : « en mi tierra ». D'autre
: « alla » là-bas... Des « chez moi », pour
parler du lieu d'origine, on n'en entend guère...
Toujours cette vision, des gens de « là-bas
», tout comme celle de ces « venants de là-bas », de
cette Lima où « todo es plata » ... serait-ce parce
que dans la Sierra, l'argent n'intervient que peu dans le quotidien (juste pour
acheter quelques produits (non produits !) comme le sucre)? Ou parce que la
réussite en ville ne peut pas passer par autre chose ?!
Les fêtes elle dit que ce sont des choses qui ne se
fêtent plus... qu'elle n'y va pas, ça cofite...Y a-t-il vraiment
cette rupture d'avec cette partie de « idiosyncrasie » de la
communauté d'origine (c'est ainsi qu'ils le disent, pour se
référer aux codes de conduites et tempéraments culturels
de leur lieu d'origine... H), en raison d'une position
économique s'agit-il d'une (auto?) marginalisation
d'eux même, ou d'un réel coût (n'oublions pas la
réciprocité : il faut collaborer !).
En plus de leurs raisons plus ou moins clairement
énoncées, on pourrait penser qu'il s'agit d'une volonté de
coupure avec ses origines...Ou plutôt que la conversion
au pentecôtisme influence le détachement aux fêtes, qui sont
intrinsèquement liées aux plaisirs de l'alcool L'interdiction de
consommer ce type de breuvage est l'un des préceptes les plus stricts
des règles de conduite chez les protestants...
Dans le même ordre d'idée, on peut noter que les
gens qui se convertissent au protestantisme sont des "gente humildes"
ou "de pocos recursos" (gens humbles, gens avec peu de
ressources). Ainsi, ils deviennent "hermanos" (frère) et c'est
peut-être pour cela qu'ils cherchent aussi d'autres gens qui les
méprisent moins et cherchent davantage à les aider
Etrange, mais le terrain qui lui a été
donné se situait dans renfoncement des collines, loin des
premières maisons qui commencèrent à s'y
installer...aussi, ils étaient seuls, tout au fond !? Stratégie
de la Directiva de l'époque ? Aujourd'hui la partie vide qui la
reliait aux premières habitations est complètement habitée
et même les flancs qui la bordent. C'est la partie « latérale
», ou la « montée ». Un des espaces
désignés de la Vizcachera.
m a semble important de laisser ces commentaires sur le
quartier, sur le présent et le passe Cu confrontant les problèmes
d'intjourd'bui a cet du passé.. toujours enfle Viei" et
là-bas"
Milagro et la maison disparue !
Ayacucho, Hunacayo, Huancavelica, Lima, Huanuco...
Puis, la Vizcachera...1997
Les apparitions de nouvelles maisons à la Vizcachera sont
fulgurantes, on voit des trous dans la roche, et un jour, une maison
éclot... Mais, on assiste aussi à des disparitions...
Milagro habitait dans sa petite masure. Lorsqu'elle m'a
accueillie chez elle, nous sommes allées dans sa petite cour, à
gauche de la pièce d'habitation... «Et maintenant, où on
va converser ? », dit-elle en regardant le désordre de la
courette... Des morceaux un peu partout : du bois, des plastiques, des
ustensiles... Ici, c'est parfait.
Lorsque j'y retournai, à la recherche de sa cousine
Rosa, qui filait toujours et visitait souvent sa cousine, si je trouvais la
porte sans cadenas (pas de serrure, juste un cadenas pour l'accrocher à
la paroi), tin de ses deux fils m'ouvrait la porte. Ils faisaient là
leurs devoirs, trouvant un espace entre le lit superposé familial, et
toutes les affaires entassées dans cette petite demeure, qui ne laisse
pas entrer la lumière du jour... Peu d'espaces pour une famille ! La
cuisine ne se fait pas dans la maison, mais dans la cour, sur un petit feu de
bois... Cette manière de cuisiner, andine, est très habituelle
tant à la Vizcachera que dans les quartiers récents de Lima, peu
urbanisés. C'est d'ailleurs très pratique compte tenu de la
taille de leurs demeures et de leur organisation... Au comedor de la
Vizcachera : il en est ainsi ; des feux sont allumés tous les jours dans
la grande cour pour faire chauffer les grandes marmites...
Mais un jour, le séisme. La maison de Milagro
n'était plus qu'un tas de bois et de débris...et un gros rocher
qui pointait le nez, il devait être caché par la façade et
entrer complètement dans la maison...Milagro vivait presque à
même le rocher, laissant très peu d'espace pour l'habitat. Non,
elle n'était pas repartiel", ou simplement partie. Elle
était toujours là, mais demeurait chez sa voisine, qui
déjà avait construit une grande maison avec un deuxième
étagera. Milagro allait construire, elle aussi, sa maison...
Mais quand ? D'abord il fallait revendre le bois. Ensuite il faudrait trouver
le matériel... Etait-ce pour qu'enfin son « mari », gardien
dans un autre quartier, vienne s'installer avec elle ?...
Milagro ne travaille pas. Enfin si, elle va, quand vient son
tour, "travailler" au comedor, Sinon, elle s'occupe de ses enfants.
Mon parcours ? Une longue histoire.
Son époux n'est jamais là. Il est vigile d'un
stade de football. Il vit dans le kiosque, sur un matelas qu'il doit
retirer lorsque les gens du club sont là. C'est donc elle qui va lui
rendre visite. Et parfois, travailler, quand il faut vendre quelques produits
lors des matchs.
De mi tierra ?
Jurcamarca- Ayacucho «Je suis
partie de chez moi quand j'avais quatorze ans. Je n'ai pas terminé
d'étudier parce que j'avais peur du terrorisme. Ils avaient
emmené ma soeur [ils l'enlevèrent]. Je suis partie seule...
»
109 Cela arrive parfois : une masurette est
abandonnée... les gens sont repartis d'où ils venaient...
110 Le premier étage étant le
RDC
r-
« D'abord à Jaufal I ,
j'ai travaillé avec une prof qui était la femme
de mon oncle, pendant trois ans. Mais je suis revenue car je n'aimais
plus.._Mais il y avait toujours les terroristes. Alors je suis venue ici,
à Lima, pour travailler dans une maison [comme "empleadag pendant une
demi année. Puis je suis retournée pour visiter ma famille...
Dans la région de Huancavelica (voisine), j'avais des oncles, à
Lircai112 (ils travaillent dans la mine). C'est
là- bas que j'ai connu son père, de Jarbis [le papa de Jarbis,
son fils] Je ne suis pas restée là- bas parce que c'était
la chacra, je ne me suis pas habituée (« no me acostumbre »).
Mes parents aussi avaient de l'argent. Pour en avoir, ils en avaient des terres
! « Tiene terreno como canchal 13 ». Alors, on est parti
à Huancayo, chez un de mes frères, pendant trois-quatre ans.
Là-bas, tu es obligé de te dédier à la chacra, il
n'y a rien à faire. Alors on vendait sur le marché des
chupetesi14. Puis j'ai eu des problèmes avec son papa... je
suis restée toute seule. »
« Lima, j'y étais
la première fois à dix-huit ans, à Chosica [alentours de
Lima], chez des ondes. Puis le papa est venu. On est allée au Rimac
[quartier dont une partie est ancienne -- coloniale, et l'autre, des
premières invasions, sur le cerro], où on est resté sept
ans; dans une chambre, louée. Mais quand mon fils avait sept ans, j'ai
eu des problèmes avec le père, alors je me suis retirée,
je suis repartie à Huancayo, seule, pendant huit mois, chez l'un de mes
frères. »
Petit intermède dans le parcours, nous parlons des
souvenirs de « là-bas », parce qu'elle me dit qu'elle est
retournée l'année dernière, en
août, avec ses enfants, après treize ans.
« C'était pour voir mes frères.
Ça a bien changé. Il y a maintenant des véhicules qui
passent tous les jours. Avant : on allait à pied, comme ici ! Et le
bétail a été amélioré. Les vaches sont
meilleures, ils en font du fromage, des yaourts, qu'ils vendent à
Lima... »
«Mes frères ne veulent pas venir ici, ils
sont habitués à la chacra racostumbrados a la chacra'). Et c'est
sûr, ici, "todo es plata" (tout est argent), là-bas, tu as ta
nourriture. La seule chose : c'est les vêtements. Et l'huile, le sucre et
le riz... il manque ça aussi... »
Le retour. Parfois; l'idée me vient d'aller
là-bas...mais je pense à mes fils..., ils ne s 'habitueront pas
... »
La nourriture. «
Là-bas, on fait beaucoup la soupe de "nzoron", tous les jours, il
n'y a pas beaucoup de plat de résistance ... Cancha, mote ... tu dois
manger... (maïs) ! Ici, tu as des plats variés...Mon fils;
là-bas, il s'est pris d'affection pour les vaches...II voulait ramener
des chevaux, des canards... »
fis
u
Il ne va pas là-bas ? « Je vais l'envoyez
désormais; en vacances, à Ayacucho ... »
«Mes frères sont tous revenus là-bas,
ils étaient partis à Huancayo, mais maintenant sont revenus...
Ils me disent : "regresate aca I" (Rentre toi ici !! Reviens
I) ...Mais parfois, ce n'est pas bota d'être dans la famille ...ils te
retirent des terrains... »
« Ici, du travail, pour en avoir, il y en a...mais avec
les enfants, je ne peux pas... Préparer à manger, faire les
devoirs... »
111 Pour info : Jauja a été la
première capitale du Pérou. Elle se trouve dans le
département de Junin /Huancayo, à 6h de Lima.
112 Capitale d'une des provinces, qui a subi une croissance
remarquable, en raison notamment des déplacés du terrorisme
113 Expression Liménienne : « avoir quelque
chose comme du maïs éclaté »...pour montrer
l'abondance... en même temps, la cancha c'est bien serrano, du
mot quechua "kancha", c'est l'aliment principal des voyageurs
andins..
114
tétines
De Lima à la Vizcachera...
Son époux actuel est de Huancavelica. « Lui, il
est tranquille ici. Sa soeur aussi est là. C'est lui (qui a
travaillé dans la mine où travaillait l'époux de sa soeur)
qui l'a ramenée... »
« C'est au Rime que j'ai connu le père de
José Luis [son deuxième fils]. Puis, on est allé à
Huanuco pour chercher du travail. A Ticlacayan, on est
descendu...là-bas, on a rencontré un petit vieux qui avait un
terrain ici. Il nous a dit : « vamos a mi fiera »,
on y a été trois-quatre jours, puis on est reparti
à Lima. Le vieux avait une maison à Zarate. Il avait aussi un
terrain à la Vizcachera. On l'aidait à peler les poulets. Il
vendait de la viande. Puis, de là, je me suis acheté le terrain
Mais je n'ai pas tout payé, et ils ne me font même pas payer ce
qu'il manque »
« Parfois quand je vais là-bas (à
Huancayo), je n'ai plus envie de revenir par ici "todo
es plata" ... »
Comparaisons...
« Je me suis attachée à mes voisines,
aux gens ici... Ça fait huit ans que je suis ici, à la
Vizcachera... C'est mieux que Lima. C'est plus tranquille. Il n'y a pas
beaucoup de voitures. C'est comme d'être dans la Sierra... mais il manque
des arbres ! »
« Avant, je portais des jupes avec des
pantalonslls ...plus maintenant ! Je devais pacager ...et
j'étudiais aussi (école), le week-end »
Elle commence à me montrer toutes ses "marques" sur le
corps ; autant de cicatrices, autant de souvenirs de l'enfance... amusants.
Mais, l'une, est une marque de quand elle est tombée...en
s'échappant de la main des terroristes...
C'est là que nous réintroduisons le thème,
douloureux, mais dont elle arrive à parler. Souvenirs douloureux...
« Mes parents sont morts en 1990 et1991. Ils ont
été tués. »
«Ma soeur est /a « disparue », [elle a
été enlevée] en même temps que le président
du pueblo, qui lui est revenu après neuf mois... »
«A cause des chevaux, mon cousin avait parié, ils
ont dit qu'il n'avait pas payé ...alors ils l'ont emmené ...
»
«Ma maman était partie à Huancayo.
Mais, "elle ne s'est pas habituée", elle avait de la peine pour le
bétail, pour le maison, les chiens, alors elle est tombée malade
...puis elle est repartie ...Puis elle est morte ...Ma mère nous disait
"il ne faut pas perdre le bétail, les vaches, il ne faut pas qu'elles
meurent ...qu'est-ce que vont dire les gens...Il faut que vous ayez toujours...
!" c'est pour ça que mon frère est retourné ...Maintenant,
la situation s'est un peu améliorée. Mon frère a
acheté une voiture, mais il faut avoir du capital, juste la chacra et la
production, c'est peu...Ils cultivent de tout.... »
« J'ai aussi des cousins partis aux Etats-Unis.
»
« Rosa, ma cousine est arrivée par moi. Elle est
de Lircai. Elle s'est échappée car elle était enceinte...
»
Milagro raconte son parcours de manière chronologique
! Elle se souvient bien de toutes les étapes qui l'on amenée d'un
endroit à l'autre. Le terrorisme a été le
déclencheur, mais les choix des lieux où elle s'est rendue ont
toujours été en fonction de là où il y
avait sa famille. Des oncles, un peu partout. Grande famille ?
Peut-être ! Mais c'est aussi qu'au Pérou, les
115 La tenue « traditionnelle » des
femmes andines est une jupe très ample appelée
poilera, et en dessous, un pantalon --caleçon
long... Bon moyen contre le froid...
rapports de parenté sont élargis : les cousins
de ses parents sont aussi des oncles et ainsi de suite... Elle dit
elle-même que son histoire est compliquée, mais elle sait en
rendre compte... Toujours ce ballottement, entre un bien être ici, et un
désir (réel ?) de retour là-bas. Disons qu'elle y pense.
Sa famille la lie...mais elle est plutôt en train de trouver une nouvelle
cohésion ici, de former un nouveau point d'attache. Et de
pérenniser son habitat. Mais tout cela ne veut rien dire. On ne sait
jamais où s'arrêtent les routes de la migration.
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