Pour être accepté en tant que comuneros
dans la communauté, il faut présenter une requête pour
prétendre obtenir l'usufruit d'un terrain, moyennant un « achat
» de la parcelle, même s'il ne s'agit pas d'un achat à
proprement parler... Plutôt qu'un achat, il s'agit d'un montant à
verser à la communauté pour les frais administratifs....Alors
qu'il était assez insignifiant dans les premiers temps,
il augmente notablement depuis quelques années.
C'est d'ailleurs souvent, aux dires des habitants, une des
raisons de leur venue ici le fait qu'il y avait des terrains disponibles
certes, mais surtout accessibles, en terme de coût I! (Même si
certains sont encore en dette vis-à-vis de la
communauté...) Cette somme semble « modique » au
regard du prix en vigueur des terrains à Lima. Même si,
très souvent, les terrains de Lima sont l'objet d'un « trafic de
terrain » en raison de leur acquisition informelle (invasion, par exemple)
faite à dessein, suivie d'une revente (bien qu'il n'y ait jamais
eu d'achat !), alors qu'il n'y a ni titres ni même
propriété... Même en ces cas, le coût peut être
relativement important, sans aucune sécurité une fois la
passation., .
Tandis qu'à la Vizcachera, les terres font
l'objet d'une certaine protection : la communauté campesina est le seul
« propriétaire » (ou plutôt sa matrice !!) ; ses terres
sont, de droit, inaliénables...Cela protège outre mesure
l'usufruit qu'en ont les habitants, bien que la première
expectative ne semble pas être la lutte pour la reconnaissance de la
propriété, et l'acquisition de titres qui l'accompagne, comme on
peut le voir partout !
De même, il ne devrait pas y avoir, à
l'instar de nombre de quartiers de Lima, de discorde quant à la
propriété ou de propriétaires multiples qui
réclament leur bien, preuve d'achat- vente des plus informelles
à l'appui33...
--> Mais c'est là que nous touchons
à tout le dilemme du quartier... Cette même quête de terrain
que l'on retrouve chez les migrants, mais ici, une propriété
communautaire accessible et, a priori, sure...Cet acharnement pour la
défendre, mais en ce cas contre les acheteurs sournois et les
envahisseurs à l'affût, par le biais de cette appartenance
commune...Mais, à moyen terme, ne cachent-ils pas les mêmes
aspirations vers la propriété privée, allant
de soi dans la réussite à la ville, permettant
un essor économique plus fondé...Et d'entrer dans les
jeux de revente et de possessions multiples ? Les désirs semblent
variés et tacites entre des discours sur le communautaire et des
aspirations personnelles...
33 Très souvent, sur un même territoire,
de multiples « propriétaires » potentiel se disputent la
véracité de celle
possession par des preuves d'achat en général
assez informelle...
« Hernos luchado para esta tierra » (nous
avons lutté pour cette terre)
Force est de constater que la Vizcachera n'a pas
été protégée des trafics de terres en vigueur ci et
là... et que la conquête du terrain, comme ailleurs, est
l'objectif numéro un ; de la même manière que le
défendre personnellement et communautairement va de soi. Au-delà,
le rapport à la terre semble être le vecteur des appartenances et
des rapports sociaux. Cela n'est pas exclusif à la Vizcachera, mais se
manifeste dans d'autres quartiers de Lima, en fonction du mode d'acquisition du
sol d'un groupe et du statut dont il jouit par rapport à celui-ci...Je
développerai cela par la suite, un chapitre mérite d'y être
consacré...
Pour en revenir à nos cochons, toute personne
désirant résider à la Vizcachera est tenue de se
présenter au dirigeant (après l'avoir longuement
cherché...diraient certains!), une enquête sera faite pour
s'assurer de la bonne foi de la personne: elle ne doit pas posséder de
terrain ailleurs. On n'octroie pas un terrain à quelqu'un qui n'en a pas
« besoin » dans le sens d'y vivre vraiment, avec sa famille --et pas
d'en faire un négoce, ou une résidence secondaire, a priori... (
il y a quand même des habitations dont le "propriétaire" est peu
présent... Des cas un peu farfelu, comme le montre cette maison
nommée "el rancho" par son possesseur, habitants Campoy : "il vient
le week-end" !)
L'investigation concerne aussi ses antécédents
pénaux, à savoir s'il s'agit d'une personne « de mal
vivir » (de mauvaise vie), parce qu'il faut que se soit «
gente sana » (des gens sains). C'est d'ailleurs de cela que se
vanteront certains habitants à propos de la population de leur quartier
: « au moins ce sont des gens sains » à la
différence de tant d'autres quartiers malfamés, alors... (on
parle souvent de la délinquance à Lima...) Si tout est OK, et que
la personne accepte ses devoirs au sein de la communauté, elle sera donc
reconnue comme membre et recevra sa petite parcelle, ses 90 ou 100
m2, et libre à elle de construire sa maison comme elle
l'entend, et comme elle le peut, sur les versants...
« C'était les parents... et les gens
recommandés »
Autant dire que la recommandation joue un
rôle charnière pour l'intégration de nouveaux comuneros
dans la communauté. Chez les gens des Andes, la recommandation et
le système en réseau montre l'importance de la parole et de la
confiance qu'on lui attribue. L'un des codes culturels les plus facilement
repérables est celui qui concerne l'organisation et la structure
familiales. Recommander fonctionne à double sens... on peut recommander
quelqu'un ou lui «passer Pie)» (pasar la voz)...
Dans une société où les codes sont
informels, les règles adaptables, et où la
précarité règne, ce sont les réseaux qui
fonctionnent, les rapports, les relations...C'est la parole
qui compte, la recommandation de quelqu'un à
quelqu'un
Les réseaux
Différents réseaux s'enchevêtrent pour
jouer ces rôles de « passage d'info » et de
recommandation...D'abord le familial proche, puis éloigné,
ensuite le réseau «origine culturelle», parfois professionnel,
puis de voisinage. Mais celui de la famille semble être le plus
important. De nouveaux peuvent se former peu à peu. C'est souvent, pour
ne pas dire toujours, de cette manière que la Vizcachera s'est
peuplée...
«Un schéma34 explicatif: un migrant
s'installe à Lima, prépare l'arrivée d'un ou deux
frères, puis d'une cousine, puis d'un voisin, puis d'un compadre
quelconque venu étudier.»
Ces réseaux semblent montrer combien la
solidarité est de rigueur entre les gens, dans des
espaces d'appartenances (réseaux) et de vie commune. Elle est une
condition indispensable de l'existence des habitants dans un nouvel
environnement. Et elle fonctionne, même s'il existent des tensions, ces
dernières renforcent la solidarité entre le gens du même
«camp».
Comment savoir s'il s'agit de gens «sains» s'ils ne
sont pas recommandés par d'autres? D'ailleurs, cela commence par la
manière dont on est informé des possibilités en un lieu:
c'est toujours par quelqu'un de connu qui a «passé la vo>...
Autant de réseaux qui fonctionnent et se donnent à voir, a
posteriori, à travers les liens entre les habitants. A commencer
par le lien familial: d'aucun dira qu'il a un frère, un
cousin.. ou quelqu'un de sa famille qui habite aussi là! Si ce n'est pas
la sienne, alors c'est celle du conjoint...
Des liens familiaux...Une famille tout entière
vient de la Choya (ville minière du département de Huancayo), les
grands parents, quelques uns de leurs enfants (3/4) et la fille de l'une d'elle
avec son mari et ses enfants. Chacun ayant bien sûr sa propre maison,
même si elles ont toutes attenantes!
Maisons d' n'il', famine aargie de la
ratoya.'
_free
01.1 !a maison
, éfl +,:.0111inisikm, on. UTiiivera
nra,.-...;,..11 de mariée à un
frère de I.,enaïda. etc.
34 Christophe MARTIN. Ibid.
·
Le père de Zenaïda (veuf) venu de
la Sierra après ses enfants, devant chez lui, non loin de
là. (on peut noter que sa maison est encore faite
d'esteras")
Consuelo est la dernière de sa famille à
être arrivée à la Vizcachera, il y a environ 8 ans... Sept
de ses frères et soeurs vivent ici, ainsi que sa maman. Ils viennent de
El Agustino et se sont tous transférés par ici («il y avait
beaucoup de pandilleros35, des gens de mauvais vie »).
Et même: sa mère avait une casa propia al Agustino mais
l'a vendue pour aller dans un endroit plus tranquille...Elle vient de la
Sierra, de Huancavelica* --alors que Consuelo, sa fille (ainsi que tous ses
enfants) est née à Lima; elle a donc vécu dans
des endroits différents, mais comme pour beaucoup de migration assez
ancienne, elle a eu sa casa à El Agustino.
(*Consuelo dira d'abord Huancayo... sans trop oser parler
du réel département de sa maman... sentiment de
honte par le simple fait de prononcer le mot de la région la plus
connotée péjorativement ?)
Des liens géographiques, ou plutôt la
cohésion d'un même lieu d'origine, sont patents. Certes, nombreux
sont ceux qui viennent de la zone centrale/ centre-sud du Pérou, mais
toute une "horde" venant du même district du département de
Huancayo, c'est éloquent! En effet, il existe tout un groupe, venu au
fur et à mesure mais à peu près au même moment, de
gens venant d'un même district de la Sierra... (voir plus loin)
Il s'agit maintenant de retracer le peuplement de la Vizcachera
et comment il s'est fait.
35 Les pandillas sont des bandes de jeunes
et les pandilleros, ses membres, délinquants, qui
défendent également leur territoire à l'intérieur
d'un quartier. Cela peut entraîner de véritable
affrontement entre pane/lila ...
Histoire du peuplement de la Vizeachera
D'une communauté d'éleveurs de cochons
à une « invasion » régulée et
contrôlée Dar la communauté...
"Vizcacha": du quechua wiskacha,
rongeurs des punas...
ou lièvre des pampas...
Comment comprendre l'histoire de la Vizcachera si ce n'est
par les discours des uns et des autres... Comment comprendre les accrochages
entre les groupes si ce n'est en écoutant les changements qui ont
marqué la vie à la Vizcachera... Comment remonter le
passé, si ce n'est en évoquant les souvenirs contés par
leurs protagonistes.
Je ne dispose pas de données formelles ni d'archives
sur le quartier. Ce que je peux relater, provient de ce que les gens m'ont
conté. A travers leurs récits, on peut détacher quelques
phases ou étapes de l'évolution du quartier, depuis le
moment, presque sublimé, de la fondation.
La fondation et ses fondateurs, des
éleveurs...
Le territoire de la Vizeachera, comme l'a
décrit le dirigeant actuel, ou d'anciens habitants, a
commencé à être habité depuis les années 80,
voir fin 70, par le biais de la présence porcine. Les cochons sont
arrivés là parce que les gens de Campoy se sont mis à
faire de l'élevage de cochons; un espace tout proche leur a
été donné pour pouvoir les garder (et ne pas les
élever chez eux). La fondation de la communauté campesina
remonte à l'année 82 ou 83. Je ne saurais dire
pourquoi une communauté en est née, si ce n'est en raison de la
présence des éleveurs qui, bon gré mal gré, durent
s'installer auprès des animaux... ? En outre, des gens vinrent y habiter
en tant que « gardien » des cochons36.
C'est le cas de Marcelino, venu s'installer ici en 83, parce
qu'il avait obtenu ce travail "dans les chanchos", tandis que sa femme
Cirila restait dans leur casa du cerro "El Pino"
--district de La Victoria. Elle le visitait régulièrement
jusqu'à ce qu'elle revende sa maison37 et vienne le
rejoindre, en 90. Leur parcelle se trouve donc au milieu du quartier, non loin
de l'entrée de la chancheria (celle qui donne sur les
habitations --
l' autre entrée se trouvant sur le chemin menant au
quartier), sur la partie relativement
pampa. Leurs enfants ont grandi
auprès de leurs parents et aucun d'eux n'est parti
36 A Lima le métier de gardien est très
répandu. Faut-il toujours mettre quelqu'un pour protéger un lieu.
un territoire. des biens ? On en trouve pour les maisons. pour les stades, pour
les terrains, pour des magasins --dans ces cas. ils disposent d'une petite
pièce dans laquelle ils vont vivre...
37 On utilise le terme "maison.' pour
traduire le terme -casa-, qui dénote plutôt
un "chez soi". un lieu ou l'on habite que ce soit une maison. un appartement,
ou une cabane. etc.
s'installer en dehors du quartier, mais, ayant pu
récupérer un terrain attribué subséquemment par les
parents, ils s'y sont établis avec leur conjoint(e) (peut-être
aussi de la Vizcachera)
Dominga : «Je suis arrivée il y a 18 ans
(17ans ! corrigera sa fille de 11 ans...!) On vivait à 7 [foyer], au
début... ». Elle a habité trois endroits
différents de la Vizcachera, après un séjour de quelques
années dans sa famille, dans le quartier de Caja de Agua. «
J'ai eu un premier terrain : mais il était en bas, et la
communauté m'a délogée...puis un autre mais c'était
"muy cerro" (très pentu), alors ça n'allait pas pour construire
....j'ai donc acheté un autre terrain sur la pampa, plus grand ».
Mais elle a dû le payer plus cher, avec ses quelques
économies, fruit de son travail...
La vie a donc commencé avec les chanchos.
Tous ceux qui en élevaient ont bénéficié de
terrains, comme nous l'avons déjà dit, répartis entre eux,
pour eux-mêmes, et pour le futur, pour leurs enfants et petits enfants
(et des proches parents)... Il me semble même que certains fondateurs ont
reçu des lots mais n'y résidaient pas. Ou bien, ils sont partis
s'installer ailleurs au bout d'un certain temps, et parfois, leurs enfants sont
revenus pour profiter des parcelles parentales38. On dit que
beaucoup de fundadores sont désormais partis, qu'ils ont
quitté les lieux, aujourd'hui. (C'est ce qui se redira lors de la
fête de la Croix dans la chancheria : ceux qui viennent n'habitent plus
ici... I)
Rien ne devait donc perturber l'ordre préétabli
par les fondateurs ? Avaient-ils présagé la venue d'une telle
« foule » au fil des années ?
Pourquoi avoir choisi ces terres arides et
éloignées pour y mettre les cochons ? Simplement parce qu'elles
étaient proches des habitants de Campoy, et pour ne pas faire
l'élevage dans leurs habitations. A l'époque Campoy comptait
encore des champs, grâce à une bonne irrigation et quelques
petites usines s'y étaient installées... La Vizcachera
était proche du quartier, mais bien éloignée du reste.
Peut-être la juridiction des terres hors de la ville, en tant que terres
paysannes, facilitait l'installation ?
Qui sont les premiers à être venus s'y installer
? Des gens vivant aux alentours ? Des migrés ? Les exemples dont je
dispose, proviennent d'une part de personnes assez vieilles, y habitant depuis
longtemps et d'autre part de quelques familles venues des Andes, et dont
l'histoire m'a été contée par les enfants aujourd'hui
revenus vivre dans les terres acquises par leurs parents- fondateurs. Un couple
dont les parents sont originaires du département de Huancavelica
(Churcampa pour les uns, Ancash (dans le nord) et Tayacaja pour les
autres...) m'a expliqué son parcours et celui de ses parents, fondateurs
de la communauté. Une autre jeune dame, Carine est dans le même
cas. Ses parents viennent du département de Huanuco et ne vivaient
guère plus à la Vizcachera, parce qu'ils étaient partis
s'installer (plus dignement ?) dans la zone de Zarate avec toute la famille
--hormis la soeur aînée qui est restée. Ils maintenaient un
« contact » avec les lieux par les porcs en venant les nourrir
quotidiennement. Carine, cherchant à s'installer avec sa famille hors du
toit parental et pour éviter la location, est revenue, malgré
elle, s'installer dans un de leurs lots, et y construire sa demeure... Ces
personnes livraient une partie de l'histoire de leurs parents ; la
mémoire à travers les enfants
38 Une pratique courante consiste à
récupérer les terrains inoccupés... Or. les terres des
fondateurs semblent inspirer le respect de tous. Personne ne les a reconquises.
Encore que...1 Certains sont ventis dernièrement poser des murs
d'enceinte alun de protéger leur lot d'éventuels gourmands.
Est-ce une autoprotection par crainte de l'autre ou est-ce justifié par
une réelle usurpation des terres inoccupées ?
Le peuplement de la Vizcachera a dû se faire
progressivement, par la suite, avec quelques phases que l'on peut relever. Les
années 90 semblent avoir attiré plus de monde...Nombreuses sont
les personnes que j'ai rencontrées qui sont là depuis une
huitaine d'années, ce qui correspondrait aux années 97/98... Mais
souvent, la durée depuis laquelle ils sont là et l'année
d'arrivée ne se corrèlent pas exactement...
Phase Huancayo dans les années 90 (Vieso,
Orcotuna --Akko)
"Dans la manzana39, ce sont surtout des
Huancaynose ...ils se connaissent tous... ils sont arrivés il
y a ... 7 ans". En 98 seulement?! --Vilma, qui habitent dans leur
coin...
"Le dirigeant était de Huancayo...c'est pour
ça qu'il y a beaucoup de monde de là- bas! "-Lila, de
Huancayo!
"Trajd a su gente" : il a ramené les gens de
chez lui, ses connaissances, ses proches...
On parle en effet beaucoup des gens qui viennent d'un
même district du département de Huancayo, en raison de leur
proéminence à côté des autres habitants. C'est un
peu comme si le dirigeant de l'époque (dans les années 90) avait
fait venir sa horde à la Vizeachera...même si, ethnologiquement
parlant, le terme est évidemment inexact. U correspond pourtant bien
à ce que tout le monde dit de ce groupe de
paisanos41 venant tous de Akko. Ils semblent être
plus nombreux dans une zone du quartier...une rue qui monte (et ne cesse de se
prolonger) à travers les cerros (une « manzana
»). On dit qu'ils se connaissent tous ; ils semblent former un groupe
très lié...
Comment ce peuplement de toute une communauté
--celle des gens de cette province s'est-il effectué ? Les gens
sont-ils venus directement de leur province, ou étaient-ils à
Lima ? Peut- être les deux ; d'abord ceux qui étaient
déjà à Lima et peu à peu, les migrants potentiels
dans la Sierra, à qui l'on a "passé l'info" ? Parfois, on a
l'impression que quelques personnes de la communauté migrent et ainsi
tâtent le terrain, et le préparent, pour que les suivants qui
Mauzana, c'est un secteur dans tm quartier, un îlot.
4e) Habitants de la région de Huancayo.
Sierra. Centrai
41 Le terme « paisanos » correspond aux
rapport entre des gens venant d'un même endroit. 11 peut s'agir de
compatriote lorsque Fou parle d'une origine nationale commune. En l'occurrence,
il s'agit de personnes venant de la même région ou sous
région...
hésitaient à partir, puissent les suivre...
Parfois, ils suivent le chemin de leurs compatriotes, se rendant compte des
possibilités à travers ces derniers.
Il serait intéressant de voir qui part... Sont-ce des
familles entières, ou quelques uns des enfants de la famille ; les
célibataires, ou les couples... ? En ce cas, ils ramènent parfois
leurs vieux parents à la ville... pour ne pas les laisser seuls,
même si ces derniers n'ont pas réellement "choisi" cette
migration.
Faute de les avoir vraiment rencontré, j'ai plutôt
entendu parler d'eux, par leur voisin de la montée... ( qui habitent
l'îlot), ou par d'autre Huancainos de la Vizcachera.
Cette petite vieille, de Huancayo nous dit- elle, habite tout
en haut de la montée. Elle s'adresse à nous par quelques petites
tirades en quechua... Elle vit fort probablement chez ses enfants...
Peut-être de passage, en visite à.
ses enfants... mais
sûrement résidente
maintenant...
En effet, il arrive souvent que les parents, un peu
âgés, viennent habiter avec leurs enfants, tout en
retournant régulièrement là-bas, dans
leur village d'origine. Ainsi, les enfants peuvent s'en
occuper. Parfois aussi, ils viennent pour se faire soigner à Lima. Mais
très souvent, ils n'aiment guère être à Lima.
Certains racontent que leurs parents sont tombés malades parce qu'ils ne
s'habituaient pas à Lima. Le lien entre la maladie et
la non adaptation est assez fort chez les plus
anciens... Signe d'un mal être... Ce sont eux aussi, qui le plus souvent
expriment leur désir à être enterrés dans
leurs terres... C'est ce qu'a fait la famille de Zenaida :
réaliser la volonté de sa maman défunte, venue les
rejoindre à Lima depuis quelques temps, en l'enterrant dans sa
terre...
« El ano pasado se lleno » - L'explosion de
ces dernières années. Les nouveaux arrivés...
« C'est l'année dernière que ça
s'est rempli ...en 2004-2003. Avant, on était peu nombreux, phis ou
moins 1000, maintenant on est à 2000. Ils [la communauté] ont
vendus beaucoup [de terres]. Tous les cerros grandissent, tous cherchent
[à avoir! leurs terrains_ »
« Le nouveau président a vendu pas mal de lots.
Aux nouveaux. Comme ça c'est eux qui participent... »
Ils ne sont pas les seuls à constater cette «
invasion » (on expliquera par la suite comment se
manifeste ce moyen informel d'occuper la terre), bien que ce n'en soit pas une
au sens qu'a cette pratique courante à Lima. L'invasion est informelle,
c'est une occupation de fait sur un terrain, par un groupe. C'est souvent comme
cela que naissent des quartiers. Ici, il ne s'agit point de cela, d'autant plus
que la Vizcachera se protège de ce genre d'incursion.
Il s'agit plutôt du grand nombre de gens qui viennent
peser dans le quartier, parce que nombreux. Simplement, la communauté se
sent sûrement moins unie, moins reliée : elle n'est plus ce
qu'elle était...
Durant la relativement courte durée pendant laquelle je
m'y suis rendue, j'ai pu voir de nouvelles maisons apparaître...Et des
gens, hommes, femmes et enfants en train de rompre les cerros, de plus
en plus pentus, de plus en plus haut, afin d'incruster une maison dans les
collines abruptes... Peut être qu'il s'agit des enfants qui sortent de
chez leur parents, non loin de là., et qui s'y installent ? Pas
sûr, étant donné le nombre de "nouveaux" dont on entend
parler.
On les voit nombreux pour la construction --ou plutôt
l'aplanissement préalable--, aidés par des proches qui sont aussi
à Lima (photo ci-dessous)
« Les nouveaux, dans les latéraux...
»
Ils semblent même y avoir une
représentation spatiale des habitants. En effet, tout comme les
Huancaïnos sont dans la montée (la rue montante qui s'enfile dans
les cerros), les nouveaux, sont « éparpillés » dans les
parties latérales (flancs des cerros, ou à l'intérieur de
ceux-ci). La partie centrale est historiquement habitée par les plus
anciens. Ces espaces sont aussi des espaces d'appartenances
intermédiaires...
Pourquoi tant d'arrivées ces dernières
années? Serait-ce parce que Lima arrive à saturation? Les
migrants en quête d'installation seraient-ils toujours plus nombreux? La
Vizcachera ne serait-elle plus un endroit "mal vu"...ou serait-elle en train
d'acquérir une certaine réputation, offrant un accès
facile pour acquérir des terrains ?...C'est peut-être aussi la
Julie Directiva actuelle qui cherche à "vendre" plus
de lots, et renforcer son nombre de comuneros, pour
avoir plus de poids?
De la formation d'un quartier à l'explosion :
les changements d'aujourd'hui pour demain. Les mouvements : nouvelles
arrivées et relogement
Voir des collines en cours d'aplanissement ou des
maisons en cours de fabrication ne veut pas seulement dire que de nouveaux
habitants s'installent... Un déplacement à l'intérieur de
la communauté est généré par des comuneros, en
raison de changement à venir des espaces... Ce sont de
nouveaux emplacements octroyés aux habitants en vue de les
reloger.
La route du futur
Sur une partie de la pampa et d'un coté des cerros, on
parle d'un projet dont il est question depuis des années. Il semblerait
que la construction de la route qui doit contourner la grande Lima
d'aujourd'hui verra sa réalisation une fois menés à terme
les travaux de la terrible et chaotique avenida Grau, dans le centre
de la ville. On en parle depuis des années et aujourd'hui cela semble
imminent. COFOPRI42 serait même venu dans les demeures en
cause pour y faire un état de lieux...Avec pour consigne: plus de
travaux, ils ne seront plus pris en compte dans le dédommagement...
Cette route traverserait TOUT le quartier, depuis la chancheria
jusqu'au hueco, empruntant de manière transversale, le
long des cerros, toute une étendue d'habitations...
Cette route est un poids pour tout ceux qui ont construit, au
prix de longs sacrifices, les parois, parfois le toit, d'une maison qui se
dessine au gré des années. Elle est un bulldozer sur ces
années d'installation à la Vizcachera, qui anéantit
l'âme de ces lieux, tout comme l'importance du toit établi, avec
ses voisins, dans la réalisation personnelle, etc. mais...
r
fl
Cette route est aussi le terrain de projection quant à
l'avenir de ce quartier, même si l'on se vante de sa tranquillité,
loin du bruit et de la délinquance urbaine, toutes ces calamités
urbaines que tous semblent soulagés d'avoir quittées...Il s'agit
des fruits que portera cette route qui va changer tout le cours de la vie
à la Vizcachera... Autant d'espoirs et de possibilités d'essor
d'un quartier qui ne se suffit peut être pas à lui même .Et
d'imaginer quel négoce (negocio) on pourra y faire quand le
commerce battra son plein, grâce au brassage des gens de passage,
à la circulation... Une dame parle de ses terrains à la
porcherie, en se disant qu'ils acquerront de la valeur, puisqu'à terme,
la chancheria disparaîtra au regard du développement
futur et les terres seront le lieu de spéculations, étant
donné la rareté...
Certains, comme la famille de Lila, viennent de construire la
toiture (on ne manquera pas de redire l'importance de cet acte) et voit
déjà leur maison tomber en ruines...D'autres avaient
déjà arrêté la construction en cours devant cet
anéantissement à venir...
riLa communauté campesina a prévu un
espace pour reloger tous les habitants avertis. Un tirage au sort a
été réalisé pour leur attribuer des lots.
Tardivement, j'ai découvert que la situation était
vraisemblablement gérée, les gens montraient leur
inquiétude, sans pourtant être si alarmés,
étrangement. Comme il ne semble pas y avoir de terrains pour tous, seuls
ceux qui se sont manifestés dès à présent seront
"sauvés", dans un premier temps.... Lila m'avait emmenée visiter
son "autre terrain" qui était en cours d'aplanissement et sur lequel
elle prévoyait un bel avenir pour ses enfants43. Mais elle ne
m'avait pas encore informée de l'existence de ces lots nouvellement
attribués et de la construction en cours, alors que nous discutions
souvent du moment où ils devraient partir et ce qu'ils deviendraient...
Néanmoins, elle me parlait d'un arbre qu'elle faisait pousser « en
face ». Je pensais qu'il s'agissait de l'"autre" terrain (celui où
elle m'avait toujours emmenée). Peut-être était-ce l'arbre,
le symbole de cette future maison. Lorsque finalement Lila m'y emmena, par
hasard, je vis les constructions en cours des uns et des autres. Son
frère, qui aujourd'hui habite presque en face de chez elle serait
désormais son voisin. Sa voisine allait être Rosa qui vivait de
l'autre coté, en bordure du Hueco, au milieu de sa « horde
» de La Oroya...
42 COFOPRI, commission de formalisation de la
propriété informelle.
43 « On fait un étage pour les enfants, puis
c'est eux qui construiront les autres pour leur, famille »... Une autre
fois, elle me dira : « on pense faire au l" [RIX7 une salle de billard
fils ont effectivement des billards dans la cour J, et eux s'installeront au
second La maison pourra faire 4 étages... »). Que de
projections
Cette partie ne dispose pas encore
d'électricité.. Mais, les futurs "habitants" de cet îlot
préparent déjà les "activités"44 qui
permettront de réunir les fonds pour l'installation de la
lumière... C'est toujours ensemble, entre voisins, entre comuneros,
que l'on organise les choses et qu'on se soutient. C'est aussi, parfois,
ce qui établit des sous appartenances...
Ensevelis dans le hueco...Quand le relleno
avance...
Le Hueco, cette ancienne carrière de sable,
ici appelée "mine", a été peuplé sur ses pourtours,
toujours sur les versants de collines... Certains ont même eu l'audace de
l'installer dedans : à l'intérieur du trou ! Sur le
côté certes, mais dans la partie susceptible d'être
prochainement ensevelie par les décombres de bâtiments. C'est pour
cette raison qu'on les voit « remonter la pente »,
c'est-à-dire transposer leur habitat dans les hauteurs du trou... Toute
une ligne transversale rend compte, par ses constructions en cours, de ce
repositionnement des gens vivant dans le hueco. Les concernés
semblent ne pas encore vouloir y emménager, mais s'y
préparent...
En voyant l'endroit où ils vont se déplacer, on
peut se demander si la route ne va pas passer par là, où se
redessinent des maisons ? Peut être ne fera-t-elle que longer les
habitations...
Le paysage de la Vizcachera change très vite. Le
relleno avance, les habitations se déplacent. De nouvelles se
forment. Sans cesse. Le trou un jour ne sera plus, une route passera. Je serais
sûrement très surprise par l'évolution du quartier lorsque
j'y retournerai... !!
Le fait de se réapproprier un passé commun, de
lui donner du sens, permet sûrement de souder l'appartenance commune, si
nécessaire dans cette conquête du nouveau ; et de créer, ce
qui est si nécessaire à la vie, une cohésion entre les
membres, une réalité avec laquelle on interagit, dans laquelle on
est co-acteur. Une sécurité sur laquelle s'asseoir, loin d'un
passé aux semblants de reniement.