De la lessive au comedor...De l'intendance familiale
à la gestion communautaire
Les femmes, quant à elles, sont nombreuses à
être affairées à la lessive à tout moment de la
journée, devant chez elles: la lutte contre le polvo (la
poussière du sol, si sec) s'y déploie ! Un quelconque tour de la
Vizcachera permettra d'aller à la rencontre des femmes qui lavent le
linge, encore que c'est souvent un moment de grande occupation, voir
d'indisponibilité pour certaines...
Autant de bassines pour autant d'utilisation et stockage de
Peau. La lessive est abondante dans ces procédés...
Le laver du linge est une activité socialement
marquée dans la Sierra.
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Souvent, ces sont souvent les personnes les plus
démunies qui lavent le linge des autres. Laver son linge semble
être un avilissement : mieux vaut le faire laver. Avoir cette
activité comme gagne pain n'a rien de valorisant, au contraire, c'est
signe que l'on est au plus bas de l'échelle sociale24. A la
Vizcachera, pratiquement toutes les femmes lavent elles-mêmes leur linge.
Et si souvent ! Il n'y a une dame que je trouvais toujours devant chez elle en
train d'assister méticuleusement sa voisine d'en face qui accomplissait
cette tâche pour elle. Celle-ci semblait avoir un certain niveau
socio-économique, conservé depuis la Sierra, et l'on voyait bien
que la dame qu'elle engageait n'était pas du même rang. Il
ne m'est pas agréable de parler en ces termes, mais les
rapports sociaux sont prégnants et la classe sociale au Pérou est
très ancrée, à travers les rapports de domination et les
activités... La fille de Cirila, qui peine à nourrir ses enfants,
s'en va toute la journée laver du linge chez les gens, loin de
là...Rosa semble être la plus connue pour sa difficile situation
de jeune maman seule avec trois très jeunes enfants, sans ressources. Un
des labeurs qu'elle réalise occasionnellement est aussi le lavage de
vêtements, entre l'abattage de porcs et la préparation du
maïs en mote25 pour accompagner les
chicharron
Sans aucun doute, le comedor est le lieu des
femmes par excellence : nombreuses sont celles qui « en sortent » le
repas familial quotidiennement ou très régulièrement. Le
fonctionnement, de manière tournante, en fait travailler un certain
nombre d'entre elles... C'est tôt le matin que commence
l'épluchage des patates de chaque jour ! Cela peut se prolonger aussi
l'après- midi : j'ai déjà eu le loisir d'accompagner
à l'épluchage de seau entier de fèves chez une dame avec
sa belle soeur venue en renfort I D'autres doivent gérer l'intendance,
les courses, la direction... Restent les membres sans participation
particulière si ce n'est d'y acheter la nourriture cuisinée et de
participer aux décisions, lors du vote pour la présidence par
exemple...Bien au-delà, le comedor est un lieu de cohésion allant
vers d'autres prérogatives : à travers un réseau de femmes
qui s'organisent, s'esquisse une interconnaissance intégrante et une
relative solidarité, ainsi que la mise en place d'autres
événements au sein de la communauté...
Un marché a vu le jour lors de mes
pérégrinations à la Vizcachera. Des stands s'installent
chaque matin le long d'un mur donnant sur le collège. On y vend des
fruits et légumes, de l'épicerie, des plats cuisinés,
parfois du poisson, etc. Ce n'est pas le premier qui s'y établit et son
fonctionnement semble toujours menacé par des habitudes et rapports
particuliers entre les gens. En effet, beaucoup ont l'habitude d'acheter dans
telle épicerie, selon la localisation de leur habitat, et en cela
qu'elles sont plus « garnies », diraient certains. En outre, comment
choisir à qui l'on va acheter, que dira la voisine qui vendait la
même chose ?!
Activité interne, elle dépend du fournisseur
qui n'est autre que La Parada26 où il faut
se rendre tous les jours, aux aurores.. Mais certaines femmes vont y faire
leurs courses hebdomadaires (ce qui ne va pas dans le sens d'un essor du
marché...). Nombre d'hommes ont un travail à la Parada. On dit
même qu'un bus part tous les matins, à 4 heures, de
là-haut, faisant le ramassage de tous les travailleurs (une dame qui
habite en bas de sa route l'entend chaque jour).
24 Elles deviennent souvent les «
borrachitas », petites alcooliques, parce que les mains dans
l'eau glaciale tout le temps nécessite un petit réchauffant...
25 Graine de maïs qui accompagne de nombreux
plats dans la Sierra...
26 La parada, le Rungis de Lima. Y arrivent quotidiennement tous
les fruits et légumes du pays, c'est le
terminal pesquero, bref, un grossiste en tout. Les prix y sont
très très bas. Une activité quotidienne démente s'y
déploie ; et une odeur sympathique, de ses déchets... C'est
d'ailleurs le lieu du désordre absolu tel que le classifie les
liméniens.
|
Fraîchement arrivés du terminal pesquero
(la parada, aussi)...
C'est l'un des kiosques du marché, les autres
s'étendent sur sa droite...
Nous sommes sur la partie pampa de la Vizcachera.
Derrière, un mur de brique encercle le bleu
collège....
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Moins visibles, les ateliers de menuiserie en casa
--chez soi, fonctionnent ci et là, certains peinant à
obtenir un marché.... ou autres artisans : bois (pour construction de
maison), peinture sur verre, etc....
Gamarra, concentration d'ateliers de vêtements et vente
en gros est aussi un lieu de travail pour quelques couturiers de la Vizcachera.
Il existe aussi quelques ateliers plus ou moins familiaux, dans Campoy par
exemple, c'est le cas d'un cordonnier qui fabrique des chaussures pour un
parent. . mais le salaire reste très bas...
Enfin, combien ne diront pas qu'ils sont albaiiil
(maçon) ou qu'ils travaillent dans la construction... ils attendent
alors qu'une connaissance leur passe le mot pour un chantier quelque part, un
toit à faire... Dans tous ces lieux, beaucoup de cachuelos
(petits boulots) finalement...qui n'ira pas un jour de temps en temps
travailler à la Parada, ou venir en renfort quelques temps à un
ami... etc. Comme nous le savons, le marché du travail est relativement
fictif, il est à la mesure de leurs relations et
inventivité....
Et la chancheria ?
Fi
i
Les chanchos rythment la journée de certains
habitants. Aller chercher leurs aliments, et -w= surtout les leur porter,
parfois même
hmb
leur cuisiner quelque chose...
Augusta en possède trois, mais l'enclos
?
r
se trouve tout au fond de la porcherie, il lui faut 45 minutes
de marche pour s'y rendre...elle doit caler ce labeur 1' après- midi,
une fois le marché clôturé, et la famille nourrie...Elle
les vend au fur et à mesure et en tue parfois pour faire une
ehicharronada (activité où l'on vend de le porc
cuisiné). En revenant, elle aura peut-être encore « un peu
» de lessive à faire, ou devra aller gérer l'intendance du
comedor (faute de préparer des aliments, elle s'occupe de
préparer les menus, etc...) ou se rendra à une réunion
à l'association du collège... Et, 41 r avant l'aube,
elle s'en ira faire ses ·
emplettes à la Parada pour garnir son
,
petit stand de fruits et légumes. En dépit de
toutes ses activités, et du travail de son mari comme aide cordonnier
dans un atelier à Campoy (si toutefois la demande exige travail :
parfois, il n'y a rien I) de dire, en montrant sa maison, qu'elle ne voudrait
pas vivre dans ça mais, pour « levantar » son logis
avec du matériel noble, ce n'est pas suffisant. Ils ont dû faire
un sacrifice pour obtenir le terrain, quoiqu'ils soient en dette envers la
communauté : ils n'ont pas encore pu payer la totalité des «
frais » dus pour en avoir l'usufruit : « C'est juste pour pouvoir
manger... ».
C'est aussi un va-et-vient de gens venant de l'extérieur,
qui s'arrêtent à l'entrée de la chancheria avec de grands
seaux...
LI
u
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De l'élevage...
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A la Vizcachera, comme dans la majeure partie des nouveaux
quartiers de Lima, l'élevage est partout de rigueur...
Derrière les maisons, sur les flancs de collines, des petits enclos
abritent des canards, des lapins, ou dans la cour de la maison courent.
poules
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et poulets...Parfois même, dans les demeures, de petits
élevages de cochons d'Inde, animal très prisé dans les
Andes. On peut parfois voir d'autres bêtes se promener... Comme ici, ce
mouton devant une maison...
Même à la ville, il est bon de pouvoir
élever ses petits animaux...
Une vie endogène semble se développer à
la Vizcachera, notamment par l'organisation des femmes, par le comedor et par
les activités qui se développent en interne. Certains sortent
manifestement très peu du quartier.
Néanmoins, beaucoup de choses ne sont pas encore
prêtes à y fonctionner ; diverses expériences ont
été tentées mais ont échoué...Une femme me
commentait tous les non avancements de la Vizcachera....
« Ici, le commerce est 171011... regarde, il y a eu une
polleria [restaurant où l'on mange chi poule] et elle a *fermer...
Rosa
Le quartier, le pueblo --à vrai dire comment
devrions-nous le qualifier ? Les jeunes qui traînent toujours à un
coin de rue l'appellent barriada, terme assez réducteur... En fait que
dire d'autre que la Vizcachera... ?! La Vizcachera est très liée
avec Campoy, son voisin, et Zarate, la zone urbanisée, avec ses
commerces, son marché. Certains vont y chercher les restes de restaurant
ou de marché pour nourrir les chanchos. Enfin, la parada semble
être le point le plus éloigné où les gens se rendent
très régulièrement.
Organisation de la communauté
D'après le président actuel de la
comunidad campesina, Feliciano, d'Ayacucho...
Nous nous retrouvons au local communal, dont il a
oublié les clés. Nous allons donc en face, dans une quelconque
guinguette où l'on nous laisse nous installer
volontiers sur de grandes tables de cantine, avec quelques mouches pour
compagnie. Alors que je m'apprête à partir, il m'invite à y
boire l'incontournable Inca Kola27, pour discuter un moment
de plus. Mon intérêt pour son quartier l'a peut être
interpellé... D'ailleurs, mes questions quant à
l'organisation, au fonctionnement du quartier et aux lois qui s'y rapportent
lui font penser que je suis étudiante en droit... Ce sont pourtant des
éléments dont on entend beaucoup parler par les gens, sans jamais
précisément comprendre.
Origine et fonctionnement de la communauté
La communauté a été créée
en 82, ou 83, bien qu'il y eut une présence due aux porcs depuis 75. Les
premiers habitants (fundadore.$) avait prévu
d'utiliser cet espace pour leurs enfants et petits-enfants. Or, des gens sont
venus de l'extérieur, comme lui même, C'est pour cela que l'on
parle de comuneros integrados ("nosotros! "),
à la différence des comuneros
natos28 (comuneros de plein droit) et de
leurs enfants (132 comuneros seulement). Sur les
terres de la Vizcachera, les gens en ont l'usufruit --possession des terres
attribuées par la communauté, pour un temps indéfini
(c'est pour cette raison qu'il y a une forme d'héritage, par la
transmission des terres de génération en
génération).
La boisson nationale! Gazeuse, .jaune
flua. au gofit chimique... mais on finit
par l'apprécier...
Ils possèdent des terrains plus grands (400m2). et
d'autres. de 200m2 destinés aux enfants. Tandis que les habitants,
aujourd'hui ne jouissent que de II0m2
"Nous, nous sommes l'annexe de la province". Or la
loi qui incombe à ces annexes leur reconnaît l'autonomie mais ne
leur permet pas de s'inscrire dans les registres publiques (je ne comprends pas
très bien, mais il me semble que c'est pour faire reconnaître la
propriété et en user pour se défendre). En effet, le
problème, c'est qu'ils n'ont pas, et ne peuvent avoir, de "personne
juridique", la matrice en ayant l'exclusivité...Cela pose
problème pour les titres de propriété (Ils semblent donc
vouloir la propriété en se rendant plus autonome et maître
de celle-ci). "Nous voulons une loi pour que les annexes aient leur
registre". Et de voir ça
ry directement avec les congressistes.
Les noeuds juridiques au sein de la communauté
Il me parle naturellement des
problèmes inhérents à la communauté, dus au
"litige" qui y a eu lieu. C'est là se trouve le terrain
des revendications. Les dirigeants (d'ici ou de la matrice? Ou d'un compromis
des deux...) ont vendu toutes les terres de la communauté, pour une
somme dérisoire29, à l'époque où une
nouvelle loi, concernant les terres communales de la Costa30,
a été adoptée (en 97, semble-t-il...). Celle-ci
autorisait à vendre les terres agricoles et d'élevage à
condition qu'elle garde cette même finalité. Or, les terres de la
Vizcachera ne sont aucunement cultivées (ni cultivables!) et seulement
une partie est destinée à l'élevage. C'est pour cette
raison qu'il y a litige: ils n'étaient pas en leur droit et ont
abusé de cette loi : "cela ne convient pas ! ". Et d'ajouter
que la proximité à Lima fait entrer dans les problèmes de
trafics de terres, si précieuses...Il y a eu 84 achats-ventes
et "pas le moindre sous pour la communauté!"
L'entreprise qui a acheté les terres, ne
représenterait que 5 personnes. Mais, alléchées par les
promesses émancipatoires, certaines personnes "se sont
identifiées31" (une trentaine), cette aubaine promettant le
titre de propriété à des gens qui n'en ont que la
possession.
A cela s'ajoute le problème, primordial, de
l'eau. Ils sont en "pelea" (combat/ dispute) avec la
firme distributrice, Cedapal, "pour un problème de juridiction".
Et les problèmes de l'eau: "a cuantas cosas nos exponen"
(à combien de problèmes ils nous exposent...). Selon lui,
les problèmes avec l'entreprise acheteuse sont surpassés pour ce
qui est de l'installation de l'eau32. Les habitants, quant à
eux, insistent encore sur la responsabilité de "l'association" -- nom du
collectif qui a opté pour la propriété, aux cotés
de l'entreprise-- qui empêche le développement du quartier.
Il en sait long sur les procédés juridiques et
les façons d'administrer. Heureusement! Serions- nous tenté de
dire, à en voir toutes les démarches qu'il doit mener pour
régulariser la situation, l'actualiser, la faire avancer et
régler les problèmes judiciaires auxquels il doit faire face pour
le procès qui oppose la communauté et
l'association...
En tant que dirigeant, il se sent politiquement
très impliqué et espère pouvoir avancer dans ce monde dans
lequel on ne peut rien faire si l'on arrive pas à un niveau
donné.
29 10 000 soles, ce qui équivaut à
moins de 20 000 francs.
30 Il faut savoir que les lois relatives à la
propriété et aux droits sur la terre sont différentes sur
la Costa et dans la Sierra.
31 Ce qui veut dire qu'elles se sont
appropriées l'idée et en ont fait une cohésion, en se
ralliant au groupe.
32 Le tank a été monté par
les habitants (lors de faenas, ou travaux communaux). Reste l'accord de
Cedapal pour distribuer l'eau et le financement, mais celui-ci aurait
déjà été déposé par la princesse de
Suède. Comme dirait le dirigeant, pour se justifier : "l'aide social est
plus facile de l'extérieur quand on est une communauté
paysanne"
"La loi ne s'applique pas !"
« On dirait qu'elle est faite pour la corruption et
que tout le capital part dans les formalités et la bureaucratie. Ici, la
loi ne correspond pas aux faits ; en Suède au moins, ils partent des
faits pour élaborer une loi. Le président du pays n'a pas
réussi ce qu'il a promis, même s'il est cholo comme moi!"
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