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La migration andine, rapport à la terre et conquête de la ville. Entre Huancavelica et la Vizcachera. De la Sierra à Lima.

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par Tiphaine POULAIN
Université Paris VII - Denis Diderot - Maitrise Ethnologie 2005
  

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Le droit à la terre...

« Les conflits de terres constituent une réalité qui affecte beaucoup de communautés paysannes. Le manque de formalisation de la propriété communale limite la capacité des communautés d'exercer leurs droits pleinement et la possibilité d'accéder à des crédits agraires ; ils génèrent des conflits à l'intérieur de la communauté, entre communautés et avec des entreprises ou des particuliers. Cette situation de conflit a été aggravée à partir de l'entrée en vigueur de la « ley de tierras » (loi des terres), en 95, parce qu'elle octroie les cadres nécessaires pour la libéralisation du marché des terres en faveur des institutions privées'4 »

Propriété privée vs. Propriété communale La communauté et les terres.

Le(s) système(s) est (sont) assez compliqué(s). Je ne pense pas en avoir saisi tous les rouages. C'est en en discutant avec des gens plus "spécialistes" que j'ai pu comprendre quelques éléments. Et surtout leur importance...

.1- CEPES est une ONG péruvienne qui travaille avec les communautés paysannes. Son action a été importante pour résoudre les problèmes de droit à la terre et soutenir les conflits liés aux terres communales, à Huancavelica (province). Souvent il ne s'agit pas de propriété privée, mais de passation par héritage ou de ventes avec des papiers sans aucune valeur officielle.

Il explique les dilemmes des formes d'accès à la terre... (Je reprends ses propos)

En fonction des patrons culturels, de la taille des predios (peu de rentabilité des terres communales) et comme il n'y a pas plus d'un hectare par comunero, il y a davantage de limites à créer la propriété privée. La dispersion entraîne plus de conflits. En effet, lorsque l'on divise, les terres sont plus dispersées et souffrent d'une moins bonne organisation : il vaut mieux les partager.

· Pour les terres individuelles, on pratique la monoculture, ce qui est plus facile. Alors que pour les collectives, il faut décider ensemble de ce que l'on va cultiver, et il faut se mettre d'accord, ce qui n'est pas toujours évident...

· En dépit de la réforme agraire, il y a eu un manque de redistribution des terres. Cela a mal été fait : les gens n'ont pas été "capacités" (formés) pour entreprendre la gestion et l'organisation de cultures

Ils ont travaillé avec des problèmes de conflits de propriétés "intercomuneros" (entre membres de différentes communautés), en raison des limites peu nettes entre les terres communales. Parfois, cela vient de l'époque coloniale et n'a pas été redéfini après. Parfois même, des conflits "intracomuneros" (entre membre d'une communauté), lorsqu'il y a des invasions de parcelles ou des comuneros qui reviennent, et leurs terres sont travaillées par d'autres...

14 W. Abusabal. Conflicto por tierras ne las comunidades del departamento de Huancavelica. CEPES.

Cela peut être, par exemple, à cause d'un tiers. Prenons le cas d'une mine : elle prend possession d'un ensemble de terres pour les exploiter, alors qu'elles appartiennent à d'autres. Parfois, ce sont des entreprises... Ou bien une terre est en jachère et certains en profitent... Il fallait donc essayer de régler le conflit entre les différents protagonistes...

Souvent, les conflits sont latents depuis longtemps, et ne permettent pas d'occuper au mieux les terres. Ils vont même parfois jusqu'à lancer des pierres et autres choses pour se défendre C'est beaucoup plus compliqué ici dans la Sierra que sur la Costa (ce sont d'autres règlements.

L'invasion de parcelle est une pratique constante entre les comuneros. La pression sur le territoire, produit de l'augmentation de la population et du minifundium (comme conséquence de la répartition des terres entre héritiers elles se divisent !), augmente la rareté des terrains cultivables et de pâtures et amène les paysans à envahir des parcelles voisines

C'est aussi une question de distribution des terres, déterminées par le président de la communauté, en fonction de la quantité de bétail que possède chaque famille. Ce sont donc les moins pourvus qui sont les plus affectés par les droits de possession entre famille et communauté15.

Ce n'est que dans les provinces de Churcampa et Acostamba qu'il y a vraiment la propriété privée. Il y a encore la propriété communale, mais elle est en subdivision : on octroie la possession temporelle, elle devient "tenencia" (détention) par habitude, par coutume ; ils se la transmettent et ça devient comme quelque chose de permanent.

En effet, dans le cas de la province de Churcampa : ils se sont répartis les terres qui étaient d'anciennes haciendas. (Elles n'ont pas été communales dans le passé), c'est pour cela que l'on ne trouve plus de propriétés "privées".

Mais on constate toujours une nostalgie ("ahoranza") des formes anciennes, collectives... On voyait la rentabilité de ce qui se fait en association ; ils rationalisaient et cultivaient de manière rotative.

Depuis les années 50, on constaterait un manque de rentabilité de la terre. En outre, le coût de la production augmente et l'accès au marché est difficile. Aussi, comme la majorité des paysans ont de toutes petites propriétés, ils ne peuvent pas s'en sortir. Seuls les moyens et grands propriétaires ont un appui « technologique » et un accès au marché.

« C 'est aussi pour cette raison que les paysans n'espèrent plus rien de la 'te/tuera" » Abandon de la condition paysanne, devenue trop limitée dans l'esprit des gens ?

D'importants changements peuvent être engendrés par la fermeture d'une mine, la zone n'est plus agricole, les gens vont donc à la ville. La construction d'une route, par son ouverture matérielle sur le monde, entraîne un bouleversement culturel.

Travail actuel du CEPES. Ce sont les leaders des communautés qu'ils cherchent à fortifier. Les maires ont montré leur intérêt pour s'associer.

Mais les gens ne s'approprient pas ce nouveau système décentralisé, la corruption du système ayant toujours nui à la démocratie et à la participation politique.

15 Ibid.

1- Explications de « Jala Uma », l'avocat de Churcampa

Je ne connais que son surnom, qui lui a été donné en raison de son crâne un peu chauve...

Il tente d'expliquer les problèmes liés à la propriété aujourd'hui, qu'il doit régulièrement tenter de régler... Comme précédemment, ce sont ses propos que je reprends, avec quelques commentaires en allant...

« C'est comme le droit romain, [c'est copié du droit romain], les règles et les normes changent, mais les institutions sont semblables. Seulement pour le communal, les héritages de la famille restent, l'appartenance communale intervient auparavant.

Sur les terres privées, certains peuvent demander prescription pour être propriétaire d'une terre, parce qu'ils l'occupent :

Soit depuis 5 ans, s'il est de bonne foi (a déjà payé un pourcentage de terrain, pas le

reste, mais s'est installé)

-

r

Soit depuis 10 ans, s'il est de mauvaise foi (il s'est installé alors qu'il n'a rien payé,

mais ses dix années d'occupation sans réclamation du possesseur d'avant lui donnent droit à cette prescription !)

Dans ces cas là, l'autre (le proprio d'avant) ne peut rien dire et perd ses droits sur la terre. Cela donne lieu à certains conflits...

Assez subjectif comme critère ! La bonne foi, la mauvaise foi... Confiance ?

Sur les terres communales, la distribution se fait de manière égale. Souvent on y appartient parce que cela se fait déjà depuis plusieurs générations, de manière familiale ; ou lorsque l'on a peu de ressources : la communauté octroie une parcelle. Mais si l'on manque à ses obligations, on est « jeté » et on redistribue la terre

« C'est le système qui vient des Incas »

« Le droit andin, il n'y en a presque plus : ils peuvent acheter des terres privées ! Mais celui qui dirige (les terres communales), ne peut pas vendre quelques parcelles : elles sont inaliénables ! »

Pendant le terrorisme, certains ont vendu leurs terres pour pouvoir s'en aller, et cela a changé beaucoup les choses, parce que de ce fait, elles n'étaient plus transmises. « Hacian remotes para que se vendan pe I ». (« Ils les bradaient pour qu'elles se vendent quoi ! »)

Quand les gens meurent, les terres sont transmises aux enfants, mais, quand il n'y a pas de bénéficiaire, pas d'héritier, c'est la beneficiancia : elles appartiennent à l'institut de l'Etat. Celui-ci va soit l'exploiter, soit la redonner à des gens qui en ont besoin.

Notons qu'il parle du cas de Churcampa, qui est un peu différent dans le reste du département, chaque province ayant une histoire particulière pour ses terres. Elles ont fait leur propre choix en fonction...

« Quand il y a deux "papiers" pour une possession, c'est le plus ancien qui vaut bien sûr ! »

« A Churcampa, le problème, c'est que, en 1926, des terres privées ont été mises sous terres communales ; elles ont continué à l'être dans la pratique, mais pas sur le papier.

Ça, ils ont dû le résoudre pour COFOPRI

« Ils viennent pour la titularisation de la terre... Pour que les gens puissent demander des crédits ...Ils demandent des papiers, des documents pour faire les registres. Et quand il n'y en a pas : ce sont les témoignages des voisins, de la inunicipalite qui peuvent dire qui la délient; où qui est en train de ».

COFOPRI"', dont nous avons déjà parlé, est venu dans quelques villes de provinces pour régulariser, et, en parallèle avec le programme PETTI7, plus propre aux terres rurales.]

« Et à Lima, c'est très différent : ce ,furent des invasions depuis longtemps sur terres de l'état ou celles des cultivateurs alentours. Ils ont dû créer des lois pour faire jurisprudence (« formaliser »), parce que c 'était une situation qui n'existait pas. C'est différent, parce que c'est une situation violente, de violence ».

Voilà la vision de ce qui se fait à Lima, par un avocat des Andes

L'évolution

--> Un processus d'accès à la propriété privée et de formalisation de la possession est en place... Il faut enregistrer (« registrar ») les terres communales et privées. Des tensions existent entre les avantages qu'apporte la propriété privée, et la protection (et l'organisation) que permet la propriété communale... Dans ce cas, les terres sont transmises et si une famille a beaucoup d'enfants, la communauté peut leur en concéder davantage, en fonction... C'est aussi un programme de la banque mondiale pour que les terres puissent être "marchandables", être sur la Marché... C'est d'ailleurs celle-ci qui a financé COFOPRI dans ses premières années. Est-ce une véritable résolution au problème de la terre au Pérou 'il

Pour les émigrés, la propriété privée peut être d'une certaine façon bénéfique, puisqu'ils peuvent désormais "vendre" à proprement parler leurs terres qu'ils ne désirent plus cultiver... Beaucoup affirment avoir déjà vendu leurs parcelles, mais dans quel mesure, puisque celle-ci n'avaient pas été formalisée ? Quelle régularisation ? Souvent, des certificats de vente, plutôt officieux. Souvent, c'est ainsi que les actes fonctionnaient, la valeur de l'écrit (la fonnalitél8 n'avaient que peu d'importance, puisque tel n'était pas le fonctionnement). Néanmoins, les gens peuvent ressortir de vieux actes de leurs greniers...

Communauté campesina et terres

D'après le groupe allpa'9, la communauté, en ayant une reconnaissance juridique, assure la défense de son territoire ainsi que toute son organisation interne, l'accès aux ressources naturelles et son propre développement en investissant pour l'accès aux services (ces fameux services que les gens semblent chercher en allant ailleurs)

Pendant longtemps, la fausse image d'une communauté comme un organisme collectiviste a
été diffusée, alors que la dynamique culturelle avantage l'individuel et le collectif. Et c'est de

16 Commission de formalisation de la propriété informelle voir COFOPRI LIMA

17 Proyecto Especial Titulacién de Tierras y Catastro Rural (PETT), du ministère de l'agriculture. "

18 Je parle de "formalité" par opposition à "informalité". C'est le terme employé en espagnol

19

Le groupe allpa aide les communauté à lutter pour la reconnaissance de leurs terres, à Hnancavelica et ailleurs, et pour former les dirigeants communaux et les membres en terme de législation sur les terres et les communautés,. Elle est aussi un centre de réflexion avec la population sur la propriété et l'autonomie des communautés paysannes, si importantes au Pérou.

cette interrelation que surgit une structure qui vise à renforcer la capacité productive de chaque famille, en recueillant l'apport de chacune, tout en respectant les décisions de chaque unité productive. C'est en rompant cet équilibre que l'organisation communale deviendrait invivable... Aussi elle défend la communauté qui est une nécessité pour la population paysanne, qui individuellement aurait des difficultés pour affronter les limitations du monde andin et la marginalisation de la société globale. Il faut qu'elle avance et se projette dans l'espace local, tout en consolidant les compromis et responsabilités avec les institutions autres.

Aussi, l'accès individuel à la terre s'imbrique dans le collectif

C'est un appui qui semble contrecarrer les limites de la condition paysanne d'aujourd'hui, conditions que les habitants délaissent de plus en plus !

Des liens. Lima / Sierra

Les conflits dans et entre les communautés sont aussi très importants, ainsi qu'avec d'autres organisations (entreprise minière par exemple)...

On constate également que les invasions sont des pratiques qui existent dans la Sierra et que les comuneros s'en défendent amplement, ce qui naturellement crée davantage de conflits. L'invasion provient aussi d'un problème de délimitation des frontières.

Peut-on mettre en parallèles ce phénomène d'invasion de parcelles avec l'invasion de terrain à Lima par les migrants en vue d'y habiter, réponse à la pénurie d'habitations dans la ville (ou à l'inhibition de la ville devant tous ces migrants)? Il me semble qu'on peut également lier cela à un désir de fondation.

Force est de constater que des changements importants sont en cours, vers la "formalisation" et la "privatisation". Néanmoins, les terres communales semblent chercher à s'équilibrer dans ce mouvement, tout en restant ce qu'elles sont. Une loi peut être lourde de conséquences, c'est le cas de celle de 95 dont on a vu les conséquences dans la Sierra comme à Lima (-dans les terres rurales de Lima), à travers le litige de la Vizcachera.

Peut-on faire un parallèle avec les conflits inhérents à la Vizcachera ? Ou avec le rapport à la terre des habitants ?

III

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote