Le droit à la terre...
« Les conflits de terres constituent une
réalité qui affecte beaucoup de communautés paysannes. Le
manque de formalisation de la propriété communale limite la
capacité des communautés d'exercer leurs droits pleinement et la
possibilité d'accéder à des crédits agraires ; ils
génèrent des conflits à l'intérieur de la
communauté, entre communautés et avec des entreprises ou des
particuliers. Cette situation de conflit a été aggravée
à partir de l'entrée en vigueur de la « ley de tierras
» (loi des terres), en 95, parce qu'elle octroie les cadres
nécessaires pour la libéralisation du marché des terres en
faveur des institutions privées'4 »
Propriété privée vs.
Propriété communale La communauté et les
terres.
Le(s) système(s) est (sont) assez compliqué(s).
Je ne pense pas en avoir saisi tous les rouages. C'est en en discutant avec des
gens plus "spécialistes" que j'ai pu comprendre quelques
éléments. Et surtout leur importance...
.1- CEPES est une ONG péruvienne qui travaille avec les
communautés paysannes. Son action a été importante pour
résoudre les problèmes de droit à la terre et soutenir les
conflits liés aux terres communales, à Huancavelica (province).
Souvent il ne s'agit pas de propriété privée, mais de
passation par héritage ou de ventes avec des papiers sans aucune valeur
officielle.
Il explique les dilemmes des formes d'accès à la
terre... (Je reprends ses propos)
En fonction des patrons culturels, de la taille des
predios (peu de rentabilité des terres communales) et comme il
n'y a pas plus d'un hectare par comunero, il y a davantage de limites
à créer la propriété privée. La dispersion
entraîne plus de conflits. En effet, lorsque l'on divise, les terres sont
plus dispersées et souffrent d'une moins bonne
organisation : il vaut mieux les partager.
· Pour les terres individuelles, on
pratique la monoculture, ce qui est plus facile. Alors que pour les
collectives, il faut décider ensemble de ce que l'on va
cultiver, et il faut se mettre d'accord, ce qui n'est pas toujours
évident...
· En dépit de la réforme agraire, il y a
eu un manque de redistribution des terres. Cela a mal
été fait : les gens n'ont pas été
"capacités" (formés) pour entreprendre la gestion et
l'organisation de cultures
Ils ont travaillé avec des problèmes de
conflits de propriétés
"intercomuneros" (entre membres de différentes communautés),
en raison des limites peu nettes entre les terres communales. Parfois, cela
vient de l'époque coloniale et n'a pas été redéfini
après. Parfois même, des conflits "intracomuneros" (entre
membre d'une communauté), lorsqu'il y a des invasions de parcelles ou
des comuneros qui reviennent, et leurs terres sont travaillées par
d'autres...
14 W. Abusabal. Conflicto por tierras ne las
comunidades del departamento de Huancavelica. CEPES.
Cela peut être, par exemple, à cause d'un tiers.
Prenons le cas d'une mine : elle prend possession d'un ensemble de terres pour
les exploiter, alors qu'elles appartiennent à d'autres. Parfois, ce sont
des entreprises... Ou bien une terre est en jachère et certains en
profitent... Il fallait donc essayer de régler le conflit entre les
différents protagonistes...
Souvent, les conflits sont latents depuis longtemps, et ne
permettent pas d'occuper au mieux les terres. Ils vont même parfois
jusqu'à lancer des pierres et autres choses pour se
défendre C'est beaucoup plus compliqué ici dans la Sierra que sur
la Costa (ce sont d'autres règlements.
L'invasion de parcelle est une pratique
constante entre les comuneros. La pression sur le territoire, produit de
l'augmentation de la population et du minifundium (comme conséquence de
la répartition des terres entre héritiers elles se divisent !),
augmente la rareté des terrains cultivables et de pâtures et
amène les paysans à envahir des parcelles voisines
C'est aussi une question de distribution des terres,
déterminées par le président de la communauté, en
fonction de la quantité de bétail que possède chaque
famille. Ce sont donc les moins pourvus qui sont les plus affectés par
les droits de possession entre famille et communauté15.
Ce n'est que dans les provinces de Churcampa et Acostamba
qu'il y a vraiment la propriété privée. Il
y a encore la propriété communale, mais elle est en
subdivision : on octroie la possession temporelle, elle devient
"tenencia" (détention) par habitude,
par coutume ; ils se la transmettent et ça devient
comme quelque chose de permanent.
En effet, dans le cas de la province de Churcampa : ils se
sont répartis les terres qui étaient d'anciennes haciendas.
(Elles n'ont pas été communales dans le passé), c'est
pour cela que l'on ne trouve plus de propriétés
"privées".
Mais on constate toujours une nostalgie ("ahoranza")
des formes anciennes, collectives... On voyait la
rentabilité de ce qui se fait en association ; ils rationalisaient et
cultivaient de manière rotative.
Depuis les années 50, on constaterait un manque
de rentabilité de la terre. En outre, le coût de la
production augmente et l'accès au marché est difficile. Aussi,
comme la majorité des paysans ont de toutes petites
propriétés, ils ne peuvent pas s'en sortir. Seuls les moyens et
grands propriétaires ont un appui « technologique » et un
accès au marché.
« C 'est aussi pour cette raison que les paysans
n'espèrent plus rien de la 'te/tuera" » Abandon de la
condition paysanne, devenue trop limitée dans l'esprit
des gens ?
D'importants changements peuvent être engendrés
par la fermeture d'une mine, la zone n'est plus agricole, les gens vont donc
à la ville. La construction d'une route, par son ouverture
matérielle sur le monde, entraîne un bouleversement culturel.
Travail actuel du CEPES. Ce sont les leaders des
communautés qu'ils cherchent à fortifier. Les maires ont
montré leur intérêt pour s'associer.
Mais les gens ne s'approprient pas ce nouveau système
décentralisé, la corruption du système ayant toujours nui
à la démocratie et à la participation politique.
15 Ibid.
1- Explications de « Jala Uma », l'avocat de
Churcampa
Je ne connais que son surnom, qui lui a été
donné en raison de son crâne un peu chauve...
Il tente d'expliquer les problèmes liés à
la propriété aujourd'hui, qu'il doit régulièrement
tenter de régler... Comme précédemment, ce sont ses propos
que je reprends, avec quelques commentaires en allant...
« C'est comme le droit romain, [c'est copié
du droit romain], les règles et les normes changent, mais les
institutions sont semblables. Seulement pour le communal, les
héritages de la famille restent, l'appartenance communale intervient
auparavant.
Sur les terres privées, certains peuvent demander
prescription pour être propriétaire d'une terre, parce qu'ils
l'occupent :
Soit depuis 5 ans, s'il est de bonne foi (a déjà
payé un pourcentage de terrain, pas le
reste, mais s'est installé)
-
r
Soit depuis 10 ans, s'il est de mauvaise foi (il s'est
installé alors qu'il n'a rien payé,
mais ses dix années d'occupation sans réclamation
du possesseur d'avant lui donnent droit à cette prescription !)
Dans ces cas là, l'autre (le proprio d'avant) ne peut rien
dire et perd ses droits sur la terre. Cela donne lieu à certains
conflits...
Assez subjectif comme critère ! La bonne foi, la mauvaise
foi... Confiance ?
Sur les terres communales, la distribution se fait de
manière égale. Souvent on y appartient parce que cela se fait
déjà depuis plusieurs générations, de
manière familiale ; ou lorsque l'on a peu de ressources : la
communauté octroie une parcelle. Mais si l'on manque à ses
obligations, on est « jeté » et on redistribue la terre
« C'est le système qui vient des Incas
»
« Le droit andin, il n'y en a presque plus :
ils peuvent acheter des terres privées ! Mais celui
qui dirige (les terres communales), ne peut pas vendre quelques parcelles :
elles sont inaliénables ! »
Pendant le terrorisme, certains ont vendu leurs terres
pour pouvoir s'en aller, et cela a changé beaucoup les choses, parce que
de ce fait, elles n'étaient plus transmises. « Hacian remotes
para que se vendan pe I ». (« Ils les bradaient pour qu'elles se
vendent quoi ! »)
Quand les gens meurent, les terres sont transmises aux
enfants, mais, quand il n'y a pas de bénéficiaire, pas
d'héritier, c'est la beneficiancia : elles appartiennent
à l'institut de l'Etat. Celui-ci va soit l'exploiter, soit la redonner
à des gens qui en ont besoin.
Notons qu'il parle du cas de Churcampa, qui est un peu
différent dans le reste du département, chaque province ayant une
histoire particulière pour ses terres. Elles ont fait leur propre choix
en fonction...
« Quand il y a deux "papiers" pour une
possession, c'est le plus ancien qui vaut bien sûr !
»
« A Churcampa, le problème, c'est que, en 1926,
des terres privées ont été mises sous terres communales ;
elles ont continué à l'être dans la pratique, mais pas sur
le papier.
Ça, ils ont dû le résoudre pour
COFOPRI
« Ils viennent pour la titularisation de la terre...
Pour que les gens puissent demander des crédits ...Ils demandent des
papiers, des documents pour faire les registres. Et quand il n'y en a pas : ce
sont les témoignages des voisins, de la inunicipalite qui peuvent dire
qui la délient; où qui est en train de ».
COFOPRI"', dont nous avons déjà parlé, est
venu dans quelques villes de provinces pour régulariser, et, en
parallèle avec le programme PETTI7, plus propre aux terres
rurales.]
« Et à Lima, c'est très
différent : ce ,furent des invasions depuis longtemps sur terres de
l'état ou celles des cultivateurs alentours. Ils ont dû
créer des lois pour faire jurisprudence (« formaliser »),
parce que c 'était une situation qui n'existait pas. C'est
différent, parce que c'est une situation violente, de violence
».
Voilà la vision de ce qui se fait à Lima, par un
avocat des Andes
L'évolution
--> Un processus d'accès à la
propriété privée et de formalisation de la
possession est en place... Il faut enregistrer (« registrar
») les terres communales et privées. Des tensions existent
entre les avantages qu'apporte la propriété privée, et la
protection (et l'organisation) que permet la propriété
communale... Dans ce cas, les terres sont transmises et si une famille a
beaucoup d'enfants, la communauté peut leur en concéder
davantage, en fonction... C'est aussi un programme de la banque mondiale pour
que les terres puissent être "marchandables", être sur la
Marché... C'est d'ailleurs celle-ci qui a financé COFOPRI dans
ses premières années. Est-ce une véritable
résolution au problème de la terre au Pérou 'il
Pour les émigrés, la
propriété privée peut être d'une certaine
façon bénéfique, puisqu'ils peuvent désormais
"vendre" à proprement parler leurs terres qu'ils ne désirent plus
cultiver... Beaucoup affirment avoir déjà vendu leurs parcelles,
mais dans quel mesure, puisque celle-ci n'avaient pas été
formalisée ? Quelle régularisation ? Souvent, des certificats de
vente, plutôt officieux. Souvent, c'est ainsi que les actes
fonctionnaient, la valeur de l'écrit (la fonnalitél8
n'avaient que peu d'importance, puisque tel n'était pas le
fonctionnement). Néanmoins, les gens peuvent ressortir de vieux actes de
leurs greniers...
Communauté campesina et terres
D'après le groupe allpa'9, la
communauté, en ayant une reconnaissance juridique, assure la
défense de son territoire ainsi que toute son organisation interne,
l'accès aux ressources naturelles et son propre
développement en investissant pour l'accès aux services
(ces fameux services que les gens semblent chercher en allant
ailleurs)
Pendant longtemps, la fausse image d'une communauté
comme un organisme collectiviste a été diffusée, alors
que la dynamique culturelle avantage l'individuel et le collectif. Et c'est
de
16 Commission de formalisation de la
propriété informelle voir COFOPRI LIMA
17 Proyecto Especial Titulacién de Tierras y
Catastro Rural (PETT), du ministère de l'agriculture. "
18 Je parle de "formalité" par opposition
à "informalité". C'est le terme employé en espagnol
19
Le groupe allpa aide les communauté à
lutter pour la reconnaissance de leurs terres, à Hnancavelica et
ailleurs, et pour former les dirigeants communaux et les membres en terme de
législation sur les terres et les communautés,. Elle est aussi un
centre de réflexion avec la population sur la propriété et
l'autonomie des communautés paysannes, si importantes au
Pérou.
cette interrelation que surgit une structure qui vise à
renforcer la capacité productive de chaque famille, en recueillant
l'apport de chacune, tout en respectant les décisions de chaque
unité productive. C'est en rompant cet équilibre que
l'organisation communale deviendrait invivable... Aussi elle défend la
communauté qui est une nécessité pour la population
paysanne, qui individuellement aurait des difficultés pour affronter les
limitations du monde andin et la marginalisation de la société
globale. Il faut qu'elle avance et se projette dans l'espace local, tout en
consolidant les compromis et responsabilités avec les institutions
autres.
Aussi, l'accès individuel à la terre s'imbrique
dans le collectif
C'est un appui qui semble contrecarrer les limites de la
condition paysanne d'aujourd'hui, conditions que les habitants
délaissent de plus en plus !
Des liens. Lima / Sierra
Les conflits dans et entre les
communautés sont aussi très importants, ainsi qu'avec d'autres
organisations (entreprise minière par exemple)...
On constate également que les invasions
sont des pratiques qui existent dans la Sierra et que les
comuneros s'en défendent amplement, ce qui naturellement
crée davantage de conflits. L'invasion provient aussi d'un
problème de délimitation des frontières.
Peut-on mettre en parallèles ce phénomène
d'invasion de parcelles avec l'invasion de terrain à Lima par les
migrants en vue d'y habiter, réponse à la pénurie
d'habitations dans la ville (ou à l'inhibition de la ville devant tous
ces migrants)? Il me semble qu'on peut également lier cela à un
désir de fondation.
Force est de constater que des changements importants sont en
cours, vers la "formalisation" et la "privatisation". Néanmoins, les
terres communales semblent chercher à s'équilibrer dans ce
mouvement, tout en restant ce qu'elles sont. Une loi peut être lourde de
conséquences, c'est le cas de celle de 95 dont on a vu les
conséquences dans la Sierra comme à Lima (-dans les terres
rurales de Lima), à travers le litige de la Vizcachera.
Peut-on faire un parallèle avec les conflits
inhérents à la Vizcachera ? Ou avec le rapport à la terre
des habitants ?
III
|