Churcampa et la fête. Liens avec Lima
La fête patronale - exemple des carnavals de
Churcampa, dans la province et à lima
L
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Le 15 août à Churcampa c'est la
fête de la Sainte Patronne : la Virgen Asunta44
(aussi appelée "mamacha45 Asunta"). Quand on est
élu mayordomo de la Virgen Asunta en août 2004,
on s'engage pour deux fêtes : comadres (la fête de toutes
les Saintes du village), qui a lieu en février 2005, pendant carnaval,
toujours un jeudi, et le 15 août 2005.
Il y a aussi des mayordomos de San
Juan et de San Pedro à Churcampa : ils s'engagent de la même
manière vers le 18-19 août et sont chargés
de
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la fête de compadres (la fête de tous les
Saints du village), qui a lieu en février, une semaine
avant comadres, toujours un jeudi, et puis le 16 (San
Pedro) et 17 août (San Juan).
En fait, s'engager avec un Saint, c'est s'engager pour les deux
fêtes : comadres ou compadres ainsi que le mois de la
fête du Saint (fête patronale).
Dans d'autres villages on honore aussi comadres et
compadres mais ensuite, la fête la plus importante n'a pas
forcément lieu en août, elle dépend du saint patron (par
exemple : la Virgen del Carmen est en juillet).
L
Avant chaque fête : on fait "llantakuy" : les gens
qui veulent aider, vont couper du bois (llanta en quechua = bois sec)
- on le stocke pour cuisiner le jour de la fête, environ 3/4 mois avant.
Puis, une semaine auparavant : on prépare la chicha46 ,
le trago47 ... et quelques jours avant : les petits
"bizcochuellos" , "bobs" et autres "sara roscas48"
que l'on distribuera aux gens pour les "comprometer49"
dans la fête, c'est-à-dire les engager à participer,
les inciter à collaborer (avec quelque chose)...
44 La vierge de l'assomption
45 « petite mère »
46 A base de maïs fermenté
47 Souvent à base de Cana, alcool de canne
à sucre, ou une imitation, appelé « quemadito
».
48 NOMS des petits pains et douceurs
préparées en l'occasion.
49 Compromettre. Engager
Février est l'époque des carnavals. Oui, comme
chez nous ! On ne se demandera pas pourquoi... Aussi de nombreuses "traditions"
lui sont liées. Chacune des "activités" engage des gens pour
l'année suivante, qui devront la réorganiser et d'autres,
collaborer. Epreuve de grand prestige, le mayordomn devra
fournir l'essentiel (nourriture et boissons et banda5°
etc...) pour que la fête soit réussie. Tout dépend de
lui et des gens qui collaborent.
A côté de cela, plus liées au "carnaval" en
tant que tel, se déroulent les festivités comme le
churanacuy, cortamonte51, etc.
Aussi, lors des fêtes, on voit revenir de nombreux
émigrés. Nombreux, n'exagérons pas. Il en revient un
certain nombre, souvent parti depuis déjà très longtemps,
certains tous les ans, d'autres occasionnellement selon leurs
possibilités (coût trop élevé) et les liens qu'ils
ont gardés ou pas.. La mayordoma que j'ai vue cette
année, habite à Lima. Elle est de ces « gens d'ici qui
vivent à Lima ». De la même manière, on entendra
dire « Lui est churcampino52 mais il vient de Lima ».
La mayordoma organise toute la fête, et surtout celle, plus
importante, du 15 août, pour laquelle plus d'émigrés (de
l'étranger, de Lima, de Huancayo...) reviennent. Il s'agit d'une
dépense très importante.
Il y a une différence fondamentale entre les "gens
du lieu" et les gens de l'extérieur, qui sont venus s'installer. Les
migrés, même partis depuis longtemps, sont bien plus du lieu que
les gens venus s'établir depuis un certain temps : ce sont toujours des
étrangers...
« Churanacuy »
5° La bande est le groupe musical fait de
cuivres. Parfois, c'est quelqu'un d'autre qui se charge de payer la bande,
c'est sa façon de collaborer, mais aussi de se lier dans un rapport de
réciprocité avec autrui : en effet celui qui reçoit la
bande devra en retour collaborer quand son tout viendra...
51 On danse par couple autour d'un arbre. Celui qui
coupe l'arbre sera le mayordomo de cette activité de
l'année à venir, il devra donc l'organiser et la financer.
52 Habitant de Churcampa
Pendant ce temps (ou presque !), à. Lima, dans le local
de l'association des gens de Churcampa, la même fête est
organisée. La même fête, aux saveurs liméniennes. La
fête comme là-bas, faite par les émigrés,
c'est-à-dire la fête des émigrés finalement,
autrement dit, une autre fête, réinventée par les migrants,
d'inspiration de "là-bas". Si l'on refait le caria monte, le
churanacuy, le plat typique, etc., le tout est groupé en une
journée ou deux. L'organisation n'est pas la même, les enjeux de
participation qui lient les gens non plus, les rapports entre la
communauté et la fête encore moins... Bref, c'est une autre
fête, celle des migrants, où l'on se souvient, de la coutume,
où l'on se lie entre personnes du même endroit, ou l'on se
rencontre. On peut y inviter des émigrés que l'on connaît
d'autres provinces aussi. Si des émigrés de la communauté
à Lima se rendent aux fêtes de "là-bas", les gens de
"là-bas" ne viennent pas aux fêtes d'ici. Les migrants
créent donc leur propre fête, ce n'est plus tant la culture du
lieu comme une simple copie, mais on peut parler d'un culture de migrants.
Qui n'y retrouvai-je pas ? La mayordoma,
liménienne, de la "vrai" fête de Churcampa. C'est bien
sûr une autre mayordoma pour la fête de Lima !
Alors on participe aux deux, ou alors on ne participe plus
qu'à celle des migrants... le lieu des origines se transpose...
On entend beaucoup dire que les migrants « reproduisent
leurs coutumes » ; certes, mais ils les "réadaptent" et y
intègrent quelque chose de nouveau. Associées à d'autres
fêtes53, elles jouent un tout autre rôle pour la
communauté.
Il est surprenant --quoique, de voir des gens arrivés
il y a longtemps à Lima, très jeunes, s'impliquer dans
les "traditions" liées à leurs origines. A travers ce lien, on
décèle une transmission assez forte à travers ces
générations (aujourd'hui, cette transmission semble moins forte).
Il y a même des gens (pas tout jeunes) nés à Lima, de
parents provinciaux, qui y participent toujours : « nos coutumes sont
belles, elles sont importantes. Mes terres me viennent de ma mère, de
ses grands parents et de ses ancêtres ! ». On voit aussi les
derniers arrivés à la capitale... Viennent-ils retrouver une
certaine cohésion, un réseau fiable ? Faut-il de nouveau
s'intégrer dans le groupe de gens très anciens de Churcampa, qui
n'ont plus grand-chose à voir avec là-bas ? Un réseau
à reconstruire... Mais peut-être l'un des plus sûrs,
après la famille.
« Ily a beaucoup de gens d'avant qui ne viennent
plus, parce que ça a changé de local, ils se sont
divisés... Avant c'était mieux, c'était un petit groupe
d'une migration plus ancienne, tout le monde se connaissait. Et c'est vrai que
maintenant, il y a beaucoup de churcampinos à Lima 1 »
Peut-être qu'à travers ces fêtes
liméniennes d'origine provinciale, les rapports se nouent d'une autre
façon.
Aussi, les migrants qui se rendent "là-bas"
appartiennent encore au réseau de là-bas, ou celui des
"retournants", en même temps qu'ils appartiennent à celui des gens
de là-bas à Lima. Ce ne sont pas les mêmes. On peut aussi
appartenir aux réseaux du lieu de provenance de différentes
villes... Une dame de Churcampa a ses filles à Lima et à
Huancayo. Elle
53 D'autres fêtes d'autres provinces, mais
aussi, les fêtes que l'on crée pour le nouveau quartier
fondé. C'est le cas avec la fête de la croix dans la porcherie de
la Vizcachera, ou sur un des cerros de Carnpoy où la croix
était également en fête au mois de mai,
agrémenté d'un mélange de traditions d'ici et de
là... Lors de cette fête, un homme me disait : « cela
fait 15 ans que les gens habitent ici, ils sont vraiment liméniens
maintenant, enfin... leurs enfants surtout. »
appartient donc à Churcampa, son village, au réseau
des churcampinos de Huancayo et des churcampinos de Lima !
Certains retournent sur leurs terres juste pour les
fêtes, certains y vont très régulièrement pour semer
(ce sont souvent les plus anciens, pour qui le lien à la terre semble
plus fort, ou sont-ce d'abord ceux qui disposaient de plus de terres qui ont
migré ?), d'autres, par exemple, parce que le corps de la mère y
repose. Le cas échéant, ils ne reviennent que très
rarement.
Une dame lors d'un carnaval de Jauja :
Venue avec sa fille, une dame au style très citadin,
disait : « quand j'étais plus jeune et que j 'habitais ici, je
n'allais pas au carnaval. C 'est seulement depuis que je suis à Lima que
j'y participe. Mes parents ne voulaient pas : ils disaient que j'allais
M'enrhumer » La fille semble venir pour la
première fois.
Un jeune étudiant de Huancayo proposait son
interprétation, ou sa vision des gens qui migrent :
« Quand enfin, ils gagnent bien, qu'ils ont une bonne
situation, ils envoient là-bas, des cadeaux, des aides...
« S'ils n'ont pas une bonne situation, ces sont leurs
familiers de là-bas qui les aident...
« Quand ça y est, ils sont bien, depuis un
moment, ils reviennent pour les carnavals comme des visiteurs, ils sont bien
considérés.
Sayad parle de la façon dont les émigrés
(« en vacances ») participent aux actes de ferveurs religieuses ou de
sociabilité traditionnels par pure ostentation avec une sorte d"hyper
correction". Le cas est différent, mais c'est peut-être un peu ce
qu'il se passe, parfois, à travers le retour de certains
émigrés pour les fêtes...
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