Salcabamba -- district de la province de Tavacaja Qu'y
pense-t-on de la migration?
Avec Samuel, el tio de Lourdes ...
J'ai rencontré Don Samuel à Pampas. Il y vient
régulièrement, puisque Pampas est la "capitale" de la province de
Tayacaja et qu'il habite dans le petit village de Salcabamba -- capitale du
district éponyme.
Nous dînions, avec Lourdes, sa nièce, dans la
polleria35 de Pampas. Son oncle m'invita à venir
connaître son village, sa terre... Lourdes est originaire du coin, mais
elle a toujours vécu à Lima. Ayant été
nommée responsable de la zone des Wawawasi35 , elle
est retournée y vivre : « je viens d'ici, mais je ne
connais personne ici ! »
Un homme de la municipalité disait :
« Quand je prend le bus, je regarde combien de personnes
je connais : je n'en connais plus que 5/61 La population a changé
»
« De ma famille, tous sont parfis. Je suis le seul
à être revenu (pour le travail) Parce que les gens partent et de
nouveaux arrivent des petits districts alentours... »
Depuis sa retraite, il est retourné vivre dans son
village natal de Salcabamba. A huit ans déjà, il partait
étudier à Huancayo. C'est la grande ville la plus proche qui
attire beaucoup de gens des alentours. Il me raconte son enfance, difficile.
Souffrances. Sans père, lui et ses 7 frères ont dû s'en
sortir seuls pour étudier, par eux-mêmes, dit-il. Il a
habité à la Victoria (« mais à Lima, il y a
beaucoup de délinquance »), puis dans un quartier plus en
retrait, plus rural, Chaclacayo... Avant d'aller travailler à Lima
(instituteur), il a travaillé dans les provinces par ici. Ses autres
frères et soeurs sont encore à Lima aujourd'hui, sauf un dont il
m'a montré, chemin faisant, son village, au loin....Du versant de
montagne que nous dévalions avec sa voiture, on pouvait voir la partie
"selva" (prémices de la Selva, végétations, climat plus
chaud, moins d'altitude), là. où il habitait et fabriquait de la
« cafta », alcool de canne à sucre que j'ai eu loisir
de goûter chez Don Samuel, dans sa petite épicerie. Avoir ce petit
lieu de vente, chez lui, est une diversion, dira-t-il... (« Je n'ai
pas de responsabilité, pas d'enfants à charge ...je n'ai pas
besoin de faire du commerce en fait... »).
« En revenant ici, ma maison était
abandonnée. Et je vis ici maintenant, avec ma chacra, mes animaux...et
c'est comme ça que je suis heureux I Je vais souvent dans mon champ...
M'en occuper m'est agréable ... Si je ne sors pas, c'est dur, je
m'ennuie ....alors qu'aux champs, non !
« A Lima, il y a un stade de Salcabamba, c'est le
seul de tous les districts qui en a ! Et là, on fait les fêtes...
Et ils boivent et dansent et chantent et mangent ne travaillent pas pendant ce
temps.
« Ici, avant c'était mieux socialement et
culturellement. Mais la plupart sont partis [la plupart des gens d'un certain
niveau ?I, à cause du terrorisme. Il ne reste que les petits
vieux...
Sa nièce ajouta : «Mes grands parents
se préoccupèrent du fait que les enfants aient une profession,
c'est pour cela qu'ils ont migré à la ville. Ils vécurent
à la ville, mais les parents
35 On y mange du poulet â la braise, avec des
frites et de la salade. Les pollerias sont plutôt des restos de
la côte...
36
Wawawasi : maison (wasa) de l'enfant (wawa).
Programme de garderie chez des femmes, "aide maternelle" en quelque
sorte...
avaient toujours "la chacra" parce que
leurs revenus pour maintenir la famille, provenaient de la production des
semences et de l'élevage de bétail. De là-bas.
(la chacra), ils leur envoyèrent la pension pour qu'ils puissent
étudier, ils allaient par saison vivre un peu à la
ville...
Ceux de ma famille qui vivent à Lima et même
à l'étranger37 vont toujours en visite sur la terre de
mes grands parents. Pendant les fêtes, beaucoup de familles qui
résident à la ville, se rerencontrent là-bas.
»
Il m'a emmené en disant à sa nièce que ce
n'était pas pour que je fasse mon "enquête" sur la migration, mais
pour connaître son village (pour le plaisir ?!), pour se promener...
Je ne l'ai pas questionné à dessein sur son
histoire de vie. Il racontait et racontait. Assis dans son épicerie. Un
peu plus de "Caria" ? Tant de choses. Enfouies quelque part dans ma
mémoire... Au village tout le monde le connaissait et le respectait, Don
Samuel... Notoriété de sa famille ? Ou parce qu'il venait de la
ville, qu'il était professionnel ?
« Don » Samuel
Ce dont je me souviens est que ses parents étaient
d'assez grands propriétaires terriens. Avec la réforme
agraire, Don Samuel me dira que ses parents ont tout perdu ou du moins
une grande partie... Lui et ses frères étaient déjà
des "professionnels"... la chacra ne leur était vraiment pas
destinée...
Avec le maire de Salcabamba....
« Ceux sont surtout les jeunes qui partent pour
étudier ou travailler (mais surtout travailler, c'est dur de pouvoir
faire les deux.) Ils ne reviennent pas : ils sont à la ville ...
Pour les fêtes d'octobre, beaucoup reviennent,
d'Italie, des Etats-Unis...Alors il y a des "gringos", parce que certains se
sont mariés là-bas ...et ont des enfants "gringos"...
« Ici, il n'y a pas de travail... (Qui dira le
contraire ?)
Une dame dans le local où se trouve le seul
téléphone du village : « comment tu trouves Salcabamba,
c'est triste non ? »
Efrain, de retour auprès de sa mère
après un long périple...
« Ici, la seule chose qui manque c'est
l'éducation. A part ça, on a tout à
portée de main »
a re.,k`eic., J.101e3. (:,01flinUï.;.aUté
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37 Beaucoup de familles ont quelques membres
à l'étranger
Comme ils sont revenus, ou plutôt comme ils
..,àne du heu (même après 15 ans d'absence I)
mais ont habité à rextérieur, ils sont assez
"respectés" et l arrive que les gens viennent leur renipi Ull
peq)ier, baller des pogsibi-,iités... Ff..érk;i,':
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veulent partir, e,ual;? ),301'etii`S' ne In pas,
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Ç,'otemunaieê et V07123oir le 1-."eixe
voit c..,,ns! >",ileir aiijleurz".
En effet, selon lui les gens partent pour "salir
cidelante" (aller de l'avant, s'améliorer), pour
sobresalir (se surpasser), travailler, étudier
: « Ici, la seule chose qui manque c'est
l'éducation. A part ça, on a tout à portée
de main »
On voyait les gens qui revenaient de Lima ou
d'autres coins et avaient réussi. 1h nous montraient les
possibilités. Mes parents ne voulaient pas que l'on vive la même
situation qu'eux, qui se limitait à la chacra38 et à
l'élevage Ils donnaient une autre vision des choses,
de ce qu'on n'avait pas... »
« On voudrait améliorer pour qu'au moins
les enfants puissent avoir un uniforme bien,
etc...Mais d'autres ne cherchent pas à sortir de cette
situation.
« Ici on a besoin d'aide ...mais pas le
poisson sans apprendre à pêcher. D 'autres
programmes sont venus comme ça, donner des choses et à la fin :
il n'y a rien ! Il faudrait plus de cuves, plus de bétail etc...
Nous aider à nous développer... »
Beaucoup d'habitants de Salcabamba à
l'étranger. C'est étrange parce que on se demande
comment d'un tout petit village, ils peuvent partir presque directement
à l'étranger, alors même que la distance culturelle est
encore plus grande ! Et pourtant !! Il paraît
qu'aux Etats- Unis, il y a la colonie de Salcabamba, dans une
même ville ils y fêtent le Santiago39, etc. D'ailleurs,
on parle de ces gringos qui reviennent pour les
fêtes ici, accompagnants des anciens habitants de Salcabamba. Mais ces
absents semblent appartenir à la communauté : ce sont les
habitants de Salcabamba qui habitent ailleurs... Le lieu porte une
mémoire qui est inscrite dans les générations qui
s'expatrient et qui restent ?
Il est aussi important de noter qu'au Pérou les envois
d'argent depuis l'étranger sont très importants (comme dans tous
les pays du monde d'ailleurs'"), ils sont même le moteur
économique le plus fort... On dit souvent que beaucoup sont
là-bas juste pour avoir de l'argent. Travailler, gagner de l'argent,
envoyer. "Mais leur pays reste le Pérou". Travailler, amasser et
retourner. Rentrent-ils ? À l'occasion des fêtes, certes oui...
(Il arrive même souvent qu'ils l'organisent !). Mais reviennent-ils vivre
au Pérou ?!
38 La chacra, c'est-à-dire l'agriculture... la
vie dans les champs, le travail des champs, mais aussi les insignifiants gains
de la chacra...
9
Santiago - dans la région centrale du Pérou c'est
la péri(xle qui correspond au marquage du bétail (le
changement des boucles d'oreille de laine) que l'on appelle
"sellai" ou "herranza". On chante alors et on danse des
"Sanfiaguilos", qui parlent des choses de la nature (plantes,
animaux...) et bien sûr d'amour Les gens se promènent la nuit de
maison en maison en chantant et en jouant de la "tinya" (un petit tambour).
Santiago c'est vraiment la grosse fête à Huancayo et aux
alentours...
40 Il est assez interpellant de noter que l'argent
qu'envoient les émigrés à leur famille "au pays"
représente beaucoup plus que l'aide au développement dans le
monde,
Les témoignages de ces deux hommes, de niveaux
assez différents, montrent un exemple de parcours de gens qui ont
vécu ailleurs, à la ville, en étant devenu
"professionnels". Ils semblent assez "respectés" dans la
communauté. Est-ce parce qu'ils reviennent de la ville ? Parce qu'ils
sont des "professionnels" ? Peut-être d'une certaine façon, ils
sont perçus ainsi. Mais peut-être aussi une distance. Du
reste, pour beaucoup. l'ailleurs n'est ni envisagé, ni
désirable...d'où la question du départ, et de ce qui le
provoque, de ce qui le permet...
Le chauffeur de "taxi" de
Salcabamba...
...fait tous les jours des allers-retours entre Pampas et
Salcabamba. Quel sport ! Il habite entre les deux, à
Ayabamba. Mais il dort dans sa voiture, lors du dernier trajet qui le fait
rester à Salcabamba, pour repartir avant le lever du jour avec les
premiers voyageurs.
Cela ne fait pas si longtemps qu'il y a une route ;
avant, il fallait y aller en cheval, ou à pied, cela limitait
les départs, mais la construction de la route les a fait
s'intensifier.
Comment a-t-il acheté cette voiture ? Un prêt ?
"Point du tout, "nous avons des chacras dans la selva
.1", ceux sont ses frères qui sont
là-bas et cultivent le café. « Les fruits ça ne
rapporte pas. La coca, c'est plus bas (en altitude)
« Ils sont depuis janvier à la récolte, et vont
bientôt revenir se reposer et puis repartir ».
Il a un frère qui est à
Lima, mais lui « il est à part », il
ne revient que tous les 2/3 ans. Un exemple d'économie familiale : les
départs stratégiques et les interactions des uns et des autres
permettent à ce système de fonctionner. On ne peut pas avoir de
prêt, d'ailleurs le système n'existe pas en tant que tel ! Alors
on s'organise en famille. L'activité des uns aide celle des
autres, l'investissement des uns, l'obtention d'un emploi pour
l'autre, et faire le bon choix : le café est une bonne
opportunité (hormis celle du coca)
On comprendrait presque comment les gens, grâce
à leur réseau familial entre autres, arrivent à se
débrouiller dans le néant urbain... C'est aussi multiplier de
façon stratégique les activités et saisir les
opportunités qui se présentent (départ à Lima,
départ à la selva...). Si chacun fonctionnait seul, il n'aurait
pas pu acheter de terres dans la selva et donc pas de voiture pour celui qui
est resté au village. Ils restent encore liés à leur
village et à la famille, et reviennent saisonnièrement (beaucoup
de gens entrent dans les processus de migrations temporaires, ou
saisonnières, souvent dans les cultures). (Hormis l'activité
rotative des mines).
« N'ont-ils pas été, peu ou
prou influencés, mod4fiés,
déménagées en leur for intérieur... ?
» R. Jaulin
Des raisons de la migration aux modèles de
l'ailleurs...
Il manque de perspectives pour le futur. Alors on envoie les
enfants étudier pour qu'ils aient des possibilités. Ici : il n'y
en a pas. Ici : pas de travail, pas de possibilités, rien. Juste la
chacra, le ganado41 , lorsque l'on en a... et
encore.
Ces expressions --que l'on entend tant à Lima que dans
la Sierra, comme "salir adelante", "sobresalir", "superarse" .
dénotent toutes l'idée d'amélioration et de «
sortie » ; aller de l'avant, c'est partir, pour s'améliorer, avoir
des objectifs plus ambitieux.
Le maître mot, l'éducation,
devient le modèle qui participe de ce mouvement, pour tous. Si
des familles ont pu, il y a un certain temps (cf. Efrain, Don Samuel) permettre
à leurs enfants de partir pour devenir "professionnels", il semblerait
qu'aujourd'hui, ce soit au moins une aspiration partagée par beaucoup,
en essayant de mettre ses enfants dans une "meilleure" école.
Que ce soit ici ou à Lima, cette raison est essentielle
dans les discours des gens. On est venu chercher un travail, mais on doit
rester pour l'éducation des enfants. Il est préférable de
partir, parce que les enfants doivent s'ouvrir sur le monde en étudiant.
Besoin inculqué, désir d'éduquer : il faut que les enfants
aient de meilleurs possibilités qu'eux n'ont eu, il faut qu'ils
étudient à tout prix, peut-être vont-ils devenir «
profesionales42 »... Les jeunes
semblent en effet être les plus absents. Pourquoi rester s'il
n'y a plus rien à espérer ? Bien souvent, on n'a pas les moyens
de leur payer des études supérieures, mais l'idée
était là. Egalement, lorsqu'ils partent, les jeunes combinent
études et boulot, jusqu'à ce que le boulot ne permette plus
l' étude...
« Le bonheur ce n'est pas l'argent, c'est la
tranquillité --disait une vieille dame dans un village. Il s'en
vont travailler et vont laisser leurs enfants. C'est mal, leurs enfants vont
rester seuls, orphelins... »
Si les adultes sont venus pour trouver du travail (dans la
petite ville, dans la capitale), ils y restent pour les enfants. La vision
n'est pas la même pour tous et évolue avec les
générations. Beaucoup racontent que leurs parents sont venus
à Lima et ne se sont pas habitués... "Ils sont tombés
malades, parce qu'ils n'ont pas supporté" .. . Beaucoup ne peuvent
pas partir loin de ce qui les lie avec leurs terres, leurs animaux. Pour rien
au monde ils ne choisiraient le chaos de la ville et la dictature de l'argent
contre leur vie tranquille riche de sens, et d'appartenances..
Un modèle qui semblerait s'imposer, mais pas
directement, on n'oblige pas à éduquer, de l'extérieur (au
contraire) : comme une idée qui se "contagionne", qui fait
désirer autre chose, qui fait prendre conscience de sa
réalité et de ce que peut être l'ailleurs, une idée
qu'on s'approprie, un jour. Et l'on se décide.
Cela se fait d'une certaine manière, comme nous l'avons
dit, pas le biais de ceux qui sont partis, et reviennent. Mais aussi par
d'autres voies (encomiendas, échanges, communication,
41 Les champs, et le bétail
42 Devenir professionnel, en tant que statut social
meilleur, et situation économique.
etc.) C'est dans cette mesure que l'on peut s'interroger, de
la même manière que l'a fait Jaulin43 en Afrique, en
parlant de "l'homme du lieu". Puisque l'identité de ceux qui sont partis
prend nécessairement d'autres visages, qu'en est-il de ceux qui sont
restés ?
Pour ceux qui sont partis, "ceux qui sont restés"
appartiennent au monde d'avant inscrit dans la durée à un
horizon qui précéda leur départ, inscrit dans un temps
long. Mais on ne peut enfermer dans cet horizon ceux qui ne sont pas partis
; et d'ailleurs peut-on dire qu'ils ne sont partis en aucune façon?
« N'ont-ils pas été, peu ou prou influencés,
modifiés, déménagés en leur for
intérieur » par les répercutions du monde global et surtout
par les horizons "découverts" et véhiculés par ceux qui
sont partis ?
« Les gens qui ne sont pas physiquement partis, ont
cependant également été emmenés ; ils l'ont
été en demeurant en retrait, mais ils l'ont été!
Aussi les départs ne doivent être qu'en dernier ressort
référés à l'identité ».
On peut suivre la démarche de Robert Jaulin et se poser la
question de cette "part du non lieu".
Conquête d'un ailleurs : quête d'un futur ?
Ces modèles de l'autre, de l'ailleurs, du possible
semblent en grande partie véhiculés par "les gens du retour", qui
reviennent plus nantis, voir « émancipés », qui
montrent --et parfois de manière ostentatoire, l'image de la
réussite ? Preuve que c'est possible ? Désir que l'on transmet ?
Etudier, c'est s'ouvrir des voies, celles du futur ? C'est
pouvoir percer à la ville... ? Pour cela, il faut la
conquérir...
Jaulin parle de l'identité culturelle dont les hommes
sont porteurs (dont nous sommes tous porteurs 0, et éventuellement d'une
identité "totalitaire" de laquelle sont porteurs les hommes, en cela
qu'elle s'est imposée à eux. Les hommes du retour n'en
seraient-ils pas d'éventuels porteurs de cet univers qui se situe entre
départ et retour?
Le départ peut être lié à
l'ouverture culturelle, là où la présence au monde est la
plus forte, mais aussi être fonction de la déchirure d'une
expulsion identitaire, présence d'un non lieu, d'un univers de
l'entre-deux. Cette constatation, ou plutôt cette interrogation, nous
pourrions plutôt la transposer pour les émigrés à
Lima.
Néanmoins, on peut considérer qu'en
deçà de cet entre-deux culturel et identitaire qui entraîne
déchirure (« de l'expulsion identitaire »), coupure et
désintégration de la personnalité, se met en oeuvre une
volonté de vivre activement : aller de l'avant, déceler les
opportunités, ne pas être redevables, et faire fi de
l'indifférence d'un pays ingrat. En d'autres termes, une culture qui ne
se sclérose pas. Peut-être, comme le laissait transparaître
le poème de Lida Aguirre, la communauté choisit
stratégiquement le départ pour se redonner vie. Et ce, en sachant
que des membres resteront sur leurs terres. Faut-il que certains partent pour
que les autres continuent ? N'est-il pas moins douloureux de partir lorsque
l'on y laisse quelque chose de soi. Les liens symbolisent peut-être
l'existence de ces absents.
Pour considérer la rupture que peut engendrer ces
départs, la vision idéale n'est pas suffisante. Il serait
erroné de penser que le lien avec la communauté d'origine est
indestructible, quand pour certains, il s'agit d'une véritable rupture,
parfois choisie pour mieux supporter l'éloignement, ou parfois subie
malgré soi.
43 Robert JAULIN, Exercices d'ethnologie.
Ces quelques témoignages nous donnent peut être
des idées de la vision de certaines personnes sur la migration, sur les
migrants et laissent transparaître les aspirations des villageois
aujourd'hui. Pour beaucoup, certes, mais pour tous ? Je ne crois pas. Pour qui
? Là est la question, je n'ai pas de réponses. Si tant est
qu'à une époque les métisses des villes et les
propriétaires terriens ont décidé d'aller chercher une
meilleure vie à la ville (Lima D, en gardant leurs lopins et
bénéficiant de gains, ou bien en permettant à. leurs
enfants d'être professionnels, les choses semblent avoir changé
aujourd'hui. Les gens de petits villages descendent vers la vallée puis
se dirigent vers la ville. Les gens des hauteurs viennent-ils plus bas ?
Rappelons que le terrorisme a fait bougé beaucoup de population contre
son gré
Voici maintenant l'exemple des fêtes, patronales ou de
carnaval. Comme on en fait dans toutes les provinces, tous les districts,
à chacun sa tradition. Elle est souvent le moment de retour des
émigrés. On verra peut-être à partir de cet exemple
comment sont considérés ceux qui sont partis. Sont-ils des «
lâches » ou au contraire, font-ils encore partie intégrante
de la communauté ? Sont ils des exemples ?... sont-ils encore «
présents » malgré leur absence... ? Qu'expriment ces retours
: un réel attachement aux terres ? Qui revient ?
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