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La migration andine, rapport à la terre et conquête de la ville. Entre Huancavelica et la Vizcachera. De la Sierra à Lima.

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par Tiphaine POULAIN
Université Paris VII - Denis Diderot - Maitrise Ethnologie 2005
  

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Regards sur les migrations et les familles.

A Pampas et Akrakia

Pampas est la "capitale" de la province de Tayacaja ; actif centre d'échange commercial entre les villages de la vallée et des hautes zones, elle se consacre à l'élevage et à la culture de céréales et de pomme de terre. Beaucoup de ses districts produisent de la pâte de sucre et de l'eau de vie de canne à sucre ("Cana").

Elle se trouve sur la route entre Huancayo et Ayacucho (via Churcampa). Cette province est découpée en plusieurs districts, certains sont déjà en zone selva et d'autres sont très difficilement accessibles. Si toutes les routes du département sont en terre, certains districts n'ont pas de route d'accès.

Les personnes que j'y ai rencontrées --des femmes, en l'occurrence, viennent souvent d'autres petits districts et sont venues s'installer à Pampas.

Dans le petit district de Salcabamba, j'ai fait la connaissance d'hommes qui sont revenus y vivre après des années d'absence. Ils content leurs parcours, en montrant leur vision de la migration. Ils nous livrent aussi leur propre vision de la migration.

Pampas, ou le club de madres24du quartier de Cbalampapa...

C'est chez Irma que les dames préparent les repas du comedor popular25 dont elles font partie. Les femmes, membres du comedor, se sont réunies sous la forme d'un club de mères pour pouvoir appartenir au comedor ; elles viennent régulièrement pour se rencontrer, en dehors des jours où elles viennent, tour à tour, par petits groupes, préparer la cuisine.

Irma les a convoquées, un jour... Je ne m'y attendais guère Elles sont toutes là, assises sur l'herbe, devant chez elle, affairées au tricot, en train de deviser, et de m'attendre

Comme je lui avais parlé de mon sujet d'étude, elle m'avait répondu que les mamans du groupe "viennent toutes de partout"...

Et par petits groupes, nous commençons à échanger....Chacune raconte un peu son parcours, les autres participent, ou prêtent une oreille attentive... Elles semblent se reconnaître dans les dires des autres... La situation est assez étrange... la rencontre assez systématisée...mais pourquoi pas En fait, on sent que ces femmes sont toujours là, au cas où elles pourraient profiter de quelques opportunités... Elles semblent curieuses, aussi.

Cette situation m'a d'abord paru peut-être surréaliste. Puis elle m'a semblé intéressante : pourquoi ne s'exprimeraient-elles pas directement sur le sujet, de manière « communautaire », comme elles ont l'habitude de fonctionner, notamment par le biais de leur groupe de mamans.

24 Mères de famille

25 La cantine populaire est aidée par une institution de l'Etat : le PRONAA, qui leur donne des aliments qu'elles vont préparer (leur donne ?)

« Todas somos vecinas » (nous sommes toutes voisines)

A travers leurs petites histoires (parce qu'elles n'en racontent qu'un petit morceau 1), on se rend compte que souvent, elles sont les seules de leur famille à. être restées ici. Leur situation, assez difficile, exprime un quotidien incertain et une distance d'avec la chacra. Ont-elles choisie de "s'émanciper" (entendons par là, obtenir ce qu'elles n'ont pas ou peu chez elles comme l'école, les services) ou des conditions trop rudes, sans issue, les ont-elles obligées à partir, à conquérir ailleurs?...Maintenant, ce ne sont que de petits boulots incertains qui font le quotidien, du travail « quand il y en a », « ce qu'il y a »... Les gens qui « galèrent » le plus semblent bien être ceux qui n'ont pas de terres, ou trop peu...Elles permettent seulement -et à peine, l'autosubsistance (« juste pour manger ! »). Alors de la famille, ne reste qu'un enfant ou deux pour aider les parents... Et toujours, mise en avant, comme essentielle: l'éducation des enfants. Les enfants. Est-ce une raison qui en dissimule une autre ? « Salir adelante ». Aller de l'avant. Ne pas s'engluer là où l'on est, sans possibilités, sans perspectives...Sens ?

Ni a ria est la seule de ses frer(:.'s et surs a être testée ici. Les autres sont a Arequipa, Lima.. Huancayo, ou dan:-., la Selva...elle ne sait pas hien. Son mari a occasionnellement du travail. iii travail occasionnel

Jeralda vient de la province de Chut-campa. A 17 ans, elle partait étudier à Huancayo, puis travailler à Izcuchaca ("exploitée par des suisses !"), puis elle est venue habiter avec son mari à Pampas. Ses frères et soeurs sont dans la Selva ou à Huancayo. Deux sont restés au pueblo. Elle veut envoyer son fils à. Lima, parce qu'ici : il n'y a pas de travail. Et la paye est très basse... Mais le problème, c'est qu' "il n'a pas où arriver, on n' pas de famille là-bas..." Comme beaucoup d'autres, elle vient d'un autre district et s'est rapprochée de la capitale de province. Beaucoup ont leurs frères et soeurs dispersés entre Huancayo, Lima, la Selva et parfois certains sont restés au pueblo.

Et toujours le même leitmotiv, significative : « ici, il n'y a pas de travail ».

Rodolfa Nient clé Salcaliainha Elle me niconte des histoires sur ses fre.res, ses nièces.. ce qui leur est arrivé, on ils vont_. ils sont à Lima. à Huancayo, les tins voulant aller .t.}1.1 sont les autres

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ir Oit part tous. ll n'y a pas de futur

Constantina - Femme "déplacée26" d'Ayacucho

« On est pauvre, on n'a qu'un petit terrain, là-bas... »

Ils sont venus ici parce que son mari, de Huanta (près de Churcampa) avait de la famille ici, qui est maintenant repartie au pueblo. Avant, ils s'étaient même rendu dans la Selva de Pucalpa (ce qui n'est vraiment pas tout près) pour travailler (yuca, platano.,.). Son mari travaille dans la chacra mais celle des autres, comme "peon"27 . Il n'y a pas toujours du travail... « On travaille pour que les enfants puissent étudier (école).

26 On dit « déplacé » ("desplazados") des gens qui ont dû partir ailleurs à cause du terrorisme, qui n'ont pas choisi,

27 Ouvrier agricole. Celui qui travaille la terre d'autrui.

Nilda. ieune remine est partie de son district de l'hic». à Linta comme c'inpl,:udÉi- quand

a\ an ies terroristes. à [instar de cinq de ses frères et soeurs Puis. die est revcrine ici. a Pampas. Certains sont repartis au plle'Ne..1 Son epoux, quelle a rencontré dans son vil;aLfe natal le ii.1111- des élections. vit du travail occasionnel.. que ce son dans la diacra. ou comme riii
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.%'untilforci.), i=on!' cil,:" étudie dans un meilleur collège.

Lima c'est bien quand nt sah travailler. sinon, tu meurs (le faim Ndda

Flavia (du nord)

« Non je ne vais plus là-bas, ma maman est morte

« Ici, on n'a pas de "casa propia"

C'est souvent ce qu'il se passe, quand les parents sont décédés, on ne trouve plus de raisons de retourner dans le lieu d'origine...

Enfin, Alejandra

Elle me demande comment on va pouvoir converser. puisque je ne parle pas quechua, el qu'elle ne parlé pas espagnol_ Nous avons mis un certain temps à nous mettre d'accord sur la possibilité de notre dialouue. C'était un jeu assez tin de sa part. elle voulait si:renient me montrer que je n'étais pas apte a parler avec elle, pas disposée a entrer en relation avec elle. si je rie parlais pas sa langue. Elle nia naturellement parlé d'un bon espagnol, mais est restee distante. Je ne doute pas que si avais parlé le quechua. la conversation se serait den.-}tilee autrement Espiègle [lie m'interroge sur ce que je fais. . Le pourquoi.

Elle vient du district de Colcabamba. et habite ici depuis 3 ans. "pour les enfants'. Poui qu s étudient.

Ici. Il fait plus froid Ils s ont acheté un lot Niais ils ostt encore leurs terres là-bas et rendent pour semer.

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A Pampas, beaucoup de familles viennent des autres districts de la province, plus ruraux, D'autres sont arrivés de Churcampa, notamment de Cobriza, où se trouve la mine-9.

Comme disait une dame qui a toujours vécu à Pampas : « son de acientro» (ils viennent de l'intérieur des terres. Ils ne sont pas d'ici même... Non loin de là, à Daniel Hernandez, beaucoup de gens, des déplacés du terrorisme. Ils se sont groupés en 3 associations, selon leur provenance. Un groupe vient du district de Tintay, dans la province, et les deux autres semblent provenir de districts du département d'Ayacucho.

28 Employée de maison

29 J'ai d'ailleurs rencontré une famille qui s'était installée en bordure de Lima (Carapongo) depuis quelques années. Le mari allait travailler quelques semaines à la mine. Et il revenait là une semaine. Elle l'accompagnait souvent aussi là-bas, à San Pedro... Elle expliquait que beaucoup, là-bas, avaient opté pour vivre ainsi...

Dans les petites villes, on juge très durement les gens de « adentro », ceux qui vivent dans les milieux ruraux, les paysans. Selon l'origine de ces paysans, les jugements divergent.

« Ils sont paresseux, oisifs...11 manque de développement humain, d'éducation. Ils sont pauvres... Ils ne travaillent pas, ils dorment ! »

Aller à Lima ? Une dame du district de Alirakia (village à côté de Pampas)

Ses enfants ne parlent pas quechua : "ils ne peuvent pas !" . Ils comprennent mais ne parlent pas. A l'école, ils ne parlent qu'espagnol. Ce sont des professeurs qui viennent de la ville, souvent... Mais, « dans les hauteurs, si, ils parlent quechua! »

Comme beaucoup, elle a deux frères à Lima, un à Huancayo, qui sont partis après le collège pour travailler. Elle ne sait pas trop ce qu'ils font maintenant (pas de nouvelles ?).

« Ils reviennent 2/3 jours toutes les x années, en visite, seulement. Oui, ils ont changé, leur caractère est différent. Ils me disent pour aller à Lima, mais non... Eux se sont habitués là- bas déjà...

Ils ont tous des droits sur les terres [ici]. Ils laissent la moitié, ou ils louent. Parfois, ils viennent semer.»

Je lui demande si elle penserait aussi partir. Elle me rétorque : « non, nous ici on est habitué avec les animaux, les vaches... » Entre temps, elle rappelle une vache qui s'en va, car nous sommes au milieu de la pâture ! «Marta ! ». A Lima, « todo es comprarm ». [Cela rappelle le « todo es platasi » tant entendu à Lima 1] Ici, on a les aliments, les animaux, tout ! Nous sommes sur la pampa32, et de là elle me montre, au fond, dans les hauteurs, son village natal...Ils sont venus ici parce que son mari travaille dans une hacienda d'animaux .

En conversant avec d'autres femmes, je leur demandais si elles avaient des terres. Elles répondent affirmativement, puis ajoutent qu'elles les louent, à ceux qui sont partis à Lima et ont beaucoup de terres !

En général, quand on rencontre quelqu'un dans les Andes, les 3/4 de sa famille au minimum, sont partis. Comme ils sont de nombreux frères et soeurs, il en reste souvent un ou deux, ici (dans la capitale du coin) ou là-bas, au village...

A regarder le phénomène depuis Lima, on se rend compte qu'il reste toujours un frère ou une soeur restés "là-bas", et souvent, les parents, s'ils ne sont pas morts, ou s'ils ne les ont pas fait venir chez eux, à Lima... Ils restent les seuls représentants de la famille sur la Sierra, et de ceux qui sont partis?

En discutant avec les gens dans les Andes, on ne peut imaginer qu'ils pourraient partir demain à. Lima, par exemple. Ils en paraissent tellement éloignés. Et souvent, bien qu'ils se déplacent pour aller vers de plus gros centres, pour l'école, ils ont une mauvaise image de Lima! En revanche, nombreux sont ceux qui ont passé une étape, celle de partir de leur village natal. Pour aller à côté, mais déjà en ville... (Quoique, Pampas n'est pas une ville... Et ils y ont leurs champs et leurs animaux !)

30 Tout est « acheter »...en d'autre ternie tout coûte et on n'a pas ses produits, et il faut toujours acheter pour pouvoir vivre, il faut de l'argent, donc travailler beaucoup...

il. Tout est fric !

32 Le plateau

On pourrait penser que les familles sont là-bas divisées, qu'elles ont perdu leur cohésion et leur fondement (base des rapports, de l'organisation...etc.) Peut-être. L'organisation doit s'en trouver changée ainsi que le fonctionnement des rapports sociaux. Rappelons que les familles sont très nombreuses du dedans, et très élargie ! Mais ils connaissent ça depuis déjà longtemps... !? Et les gens ont l'habitude d'aller vers d'autres flancs pour trouver une meilleure activité (beaucoup partent vers la Selva33 pour les cultures...)

En outre, ces départs sont aussi un élargissement du réseau, une relation à distance mais qui fonctionne et propose de nouveaux éléments, de nouveaux échanges.

Les migrants, de retour (passager) chez eux, apportent certes de nouveaux éléments, sur l'ailleurs, mais aussi une croyance en la possibilité de réussir, là-bas.

On peut quand même se demander si cela n'est pas parfois juste lié à la fête, par le retour des « anciens » du village, qui sont partis, mais sont encore « les gens d'ici » et reviennent pour participer ; ou organiser, forme de prestige avant tout ? Sont-ils seulement soucieux de la communauté elle-même ?

Mais est-ce que la fête est quelque chose de « limitée » puisqu'elle rythme la vie de la
communauté d'une année à l'autre avec ses préparations, ses échanges et ses services rendus ?

La question du départ

Mais comment le départ est-il provoqué ? S'agit-il de quelque chose de réfléchi ou de spontané ?

Cerner la préparation et surtout le déclenchement du départ, la décision de quitter sa terre natale, n'est pas aisé. Etait-ce un désir depuis longtemps ? Y a t-il eu une impulsion provoquée par quelqu'un déjà là-bas, de Lima...dans la Sierra ? (C'est en général parce que l'on a quelqu'un qui nous incite à venir ou nous permet l'arrivée là-bas). J'ai rencontré des gens pour qui Lima était un autre monde, un monde matérialiste. Ils y avaient de la famille, bien éloignée maintenant. Pour eux, la vie était ici, où tout est à portée de main.

Lima représente parfois un monde peu attrayant :

«Le désordre, le danger, trop d'informalité, de délinquance... », entendra-t-on dire. « Une fois j'ai été à Lima...on m'a trimbalée par ci par là, mais je n'aime pas, il n'y a pas de tranquillité. Il ne leur reste pas de temps, parce qu'ils travaillent beaucoup. » (Marna Salo)

Mais ces gens-là semblent un jour se décider à partir, et conquérir ce nouveau monde ? Quand ce modèle plus occidental, dirions-nous, s'impose à l'esprit comme finalité... selon des critères plus économiques, ou d'ascension sociale ?

Eux aussi s'approprient-ils de nouveaux modèles ; ou sont-ce des conditions de plus en plus rudes, auxquelles il faut remédier?! Sont-ce certains --les pionniers, qui sont d'abord allés "tâter le terrain" et reviennent avec la gloire de la conquête : la réussite "là-bas" ?

Ces gens qui reviennent ont véhiculé une image, mais peut-être ce processus s'effectue-t-il
aussi à distance ? En envoyant des lettres, en téléphonant (si le village dispose au moins d'un
téléphone), de l'argent (le fait d'envoyer de l'argent, symboliquement, doit représenter

33 Sur Je piedmont, souvent

beaucoup I), des encomiendas34 (qui maintiennent le lien et véhiculent des objets, des produits de la ville mais par lesquelles aussi les émigrés en reçoivent de leur terre d'origine ! Le rôle des médias, de la télévision est évident, comme véhicule d'une autre idée du bien être, économique, mais surtout du bien être ailleurs. Pas ici.

Le départ peut aussi être le début d'une véritable coupure. D'aucun ne dira qu'il ne sait pas grand chose d'un frère à Lima, qu'il ne revient pas beaucoup ; et vice-versa, beaucoup à Lima diront qu'ils n'ont pas été depuis longtemps au village, qu'ils n'ont que très peu de nouvelles...

Quelqu'un là-bas me donnait sa version de la migration (A. Ascurra, de la municipalité de D. Hernandez (prés de Pampas). « Le cas le plus courant, ils ont une maison "là-haut" et leurs enfants à Pampas. Ils vont, ils viennent (les parents). Les enfants reviennent pour les vacances. Puis un autre frire vient et un autre et ça y est les parents restent avec eux. Puis ils partent étudier à Huancayo. Et parfois, les parents finissent par suivre. C'est tout un processus, pas juste une migration. »

34

Colis. Hist Institution coloniale espagnole. Octroi par la Couromie d'Espagne à un conquistador ou à un émigré espagnol d'un certain nombre d'Indiens qui devront travailler dans ses propriétés. En échange, l'encomendero s'engage à oeuvrer pour l'évangélisation de ce "troupeau humain" (In Carmen Salazar-Soler. Ibid. p. 356). "Puis, en second lieu, on appela encomienda l'envoi recommandé d'un paquet par l'intermédiaire d `un voyageur particulier ou d'un fonctionnaire de postes [...]". La dernière édition consigne, en plus de l'acceptation historique américaine encomienda: "paquet postal" en téférence au Pérou et à d'autres pays d'Amérique du méridionale et centrale. (In dicctionnaire de peruanismes, Markka Hildebrandt 1994, Biblioteca Nacional del Peru, p. 186-188)

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery