1.3.3 Sémantique vs. pragmatique
Un connecteur non-logique relie, nous l'avons vu à la
section 1.1.1,
de ces segments, et en cela ils se rapprochent des connecteurs
logiques. Mais c'est le seul point où ils se rapprochent: l'analyse
vériconditionnelle ne donnant pas de résultats satisfaisants,
l'analyse des connecteurs doit se faire à un autre niveau.
Au lieu d'essayer d'attribuer des valeurs de
vérité aux énoncés qu'ils connectent, ce qui ne
permet pas de distinguer entre eux la plupart des connecteurs, il faut
envisager les choses d'une autre manière, c'est-àdire essayer de
dégager les propriétés qui distinguent un connecteur d'un
autre13.
Une distinction importante semble toutefois importante
à marquer dès à présent: les connecteurs marquent
en langue naturelle des relations de deux types, des relations
sémantiques et des relations pragmatiques. Un « connecteur
sémantique » marque une relation entre deux
événements du monde, deux contenus propositionnels : il donne les
conditions pour qu'une proposition soit vraie. Par contre, un « connecteur
pragmatique » relie deux actes de langage ou marque une
inférence14. Le problème est que très souvent,
une relation sémantique et une relation pragmatique sont marquées
par une même forme:
(1.26) Le professeur était très
énervé, parce qu'il a giflé un
élève. (1.27) Jean est allé se coucher parce
qu'il était saoul.
On pourrait ici parler d'homonymie, mais le nombre d'exemples
est très grand en français, et le même
phénomène se retrouve dans un grand nombre de langues, comme
par exemple en espagnol -- mais on retrouve
13Ces proriétés peuvent par exemple
prendre la forme d'une structure de traits. Nous y reviendrons plus en
profondeur au chapitre 3.
14Pour plus de détails, voir la section
3.2.1.
aussi le cas en anglais, en allemand ou en suédois par
exemple:
(1.28) El profesor estaba disgustado porque
había pegado a un alumno. (1.29) Juan se fue a la cama
porque estaba borracho.
Il n'existerait donc pas de connecteurs homonymes, mais
peut-on pour autant parler de polysémie des connecteurs? D'après
FRASER (1999), dont nous rejoignons l'opinion, un connecteur aurait un sens de
base général, composé d'un ensemble de traits
sémantiques, et différents emplois où ils ont un sens
secondaire inféré du contexte qui vient s'ajouter. En effet, s'il
n'y avait pas ce sens de base, on aurait un sens pour chaque emploi du
connecteur, ce qui semble difficilement envisageable.
Il n'y aurait donc pas de polysémie des connecteurs :
à un connecteur est attaché une sémantique de base, et la
pragmatique permet de différencier entre ses différents
emplois.
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