1.3 Niveaux d'analyse des connecteurs
1.3.1 Analyse syntaxique
La syntaxe ne permet d'analyser que les effets des connecteurs
sur la structure grammaticale de la phrase. Autant en analyse qu'en
génération, la syntaxe permettra de résoudre les
problèmes suivants:
- Les contraintes de placement (la distribution) : la syntaxe
peut nous renseigner sur la place que doivent occuper les différents
connecteurs, en particulier selon leur appartenance à une certaine
catégorie grammaticale. Par exemple, une conjonction de subordination ne
peut se placer qu'entre les propositions qu'elle relie, alors qu'un adverbe
pourra se placer librement.
- Les ambiguïtés syntaxiques (cas des homonymes) :
certains connecteurs ont une forme analogue à celle d'un
élément d'une autre catégorie grammaticale. Par exemple,
comme peut être un connecteur de cause ou bien un
élément de comparaison:
mer ma pipe.
(1.16) Il est grand, comme Pierre.
La syntaxe permet de résoudre en partie ces
ambiguïtés, les énoncés dans lesquels nous
rencontrons ces formes n'ayant pas la même construction (structure
d'arguments, ...) selon qu'on ait affaire à un connecteur ou à
une autre forme: dans notre exemple, comme en tant que connecteur
relie deux propositions alors qu'en tant qu'élément de
comparaison il relie des éléments à l'intérieur
d'une même proposition.
- La concordance des temps : certains connecteurs (les
conjonctions de subordination de la grammaire traditionnelle) exigent en
français l'emploi d'un certain mode, et c'est là encore la
syntaxe qui permettra l'emploi du mode correct avec tel connecteur. Par
exemple, avant que exigera d'être suivi du subjonctif alors que
après que demandera l'indicatif.
(1.17) Après que je suis parti,
ils ont commencé à déjeuner
(1.18) Avant que je sois parti, il
fallait prendre l'apéritif
La syntaxe peut résoudre une partie du problème
des ambiguïtés syntaxiques, ainsi que les contraintes de placement
ou la concordance des temps, mais elle ne nous renseigne absolument pas sur le
sens des connecteurs. C'est pourquoi nous allons voir une première
approche du sens des connecteurs: l'analyse vériconditionnelle.
1.3.2 Analyse sémantique
vériconditionnelle
Connecteur logique vs. connecteur non-logique Les
connecteurs logiques
Définition Un connecteur logique est
un prédicat binaire, une fonction, ayant pour arguments une paire
ordonnée de propositions et pour valeur une nouvelle proposition. Soit
par exemple conn un connecteur quelconque et P, Q et R des
propositions : conn(P,Q) a pour valeur une nouvelle proposition R.
Les connecteurs logiques obéissent à une
sémantique vériconditionnelle consistant à attribuer une
valeur de vérité (Vrai ou Faux) à la
proposition résultant de la connexion à partir des valeurs de
vérité des propositions de départ. Si l'on reprend notre
exemple, la proposition R aura une valeur de vérité qui est
fonction de la valeur de vérité des propositions PetQ.
Il existe dans la logique classique 5 connecteurs logiques'' : -
la conjonction (et) : A
- la disjonction (ou inclusif) : V
- la conditionnelle (si ... alors) : -*
- la biconditionnelle (si et seulement si) : ?
- la négation (non)'2: #172;
La sémantique des connecteurs logiques est définie
par les tables de vérité suivantes (0 pour faux et 1 pour
vrai):
11il existe en informatique un ou exclusif noté
XOR (correspond en fait à la négation de la biconditionnelle
-i-)
12La négation est un connecteur unaire, il ne
porte que sur une seule proposition.
a
|
b
|
aAb
|
00
|
|
0
|
01
|
|
0
|
|
100
|
|
|
11
|
1
|
Table de vérité de la conjonction
a
|
b
|
aVb
|
00
|
|
0
|
01
|
|
1
|
|
10
|
1
|
11
|
|
1
|
Table de vérité de la disjonction
a
|
b
|
a--*b
|
|
00
|
1
|
01
|
|
1
|
|
10
|
0
|
|
11
|
1
|
Table de vérité de la conditionnelle
a
|
#172;a
|
|
|
0
|
1
|
1
|
0
|
a
|
b
|
a-*b
|
|
00
|
1
|
01
|
|
0
|
|
10
|
0
|
|
11
|
1
|
Table de vérité de la
biconditionnelle Table de vérité de la
négation
FIG. 1.1 - Tables de vérité des connecteurs
logiques Les connecteurs logiques en langue
naturelle
Comme nous l'avons vu, les connecteurs logiques
obéissent à une sémantique vériconditionnelle
très simple : à partir des valeurs de vérité des
propositions qu'ils relient, on obtient la valeur de vérité d'une
nouvelle proposition, immédiatement et sans ambiguïté. Il
s'agit alors d'un simple calcul (c'est pour cela que les ordinateurs excellent
dans les tâches impliquant la logique formelle). Mais cela ne se passe
pas exactement aussi facilement en langage naturel: certains problèmes
commencent à se poser lorsqu'on essaie d'observer plus
précisément l'usage des connecteurs logiques en langue naturelle.
Nous allons prendre deux exemples (la conjonction et la disjonction) pour
illustrer ce décalage de sens, les connecteurs n'étant pas aussi
univoques en langue naturelle qu'en logique.
Le connecteur ou Le connecteur
ou n'a pas toujours la même valeur en logique et en langage
naturel: alors que son interprétation est uniquement inclusive en
logique, il se trouve qu'en langage naturel, ou a la plupart du temps une
interprétation exclusive.
(1.19) Tu veux de la confiture ou du miel sur ta
tartine?
En posant a = « confiture » et b =
« miel », l'interprétation logique de aV b laisse ouverte la
possibilité d'avoir à la fois a et b, alors
qu'en langage naturel, l'usage de ou ne va pas dans ce sens (on a
affaire à un choix: soit l'un, soit l'autre, mais pas les deux à
la fois).
Le connecteur et Le connecteur
et peut avoir en langage naturel plusieurs interprétations:
soit il ne fait qu'associer deux propositions comme en logique, soit on lui
donne une valeur séquentielle ou bien causative.
(1.20) Je mange du pain et du fromage
(1.21) Hugues l'a frappé au menton et
Fabrice est tombé à la renverse (1 .22) Je tape le code
et la porte s'ouvre
L'exemple (1.20) s'interprète de la même
façon que la conjonction logique. En revanche, on observe des valeurs
supplémentaires en langue naturelle pour les exemples qui suivent:
l'exemple (1.21) exprime une succession d'événements et l'exemple
(1 .22) exprime une relation de cause à conséquence.
Les limites de l'analyse
vériconditionnelle
L'analyse vériconditionnelle pose cependant un
problème : on ne peut
dehors de ceux qui existent déjà. En effet, les
propositions reliées par un connecteur logique ne pouvant recevoir que
deux valeurs de vérité (vrai ou faux), il n'est pas possible de
créer plus de 16 connecteurs logiques (2 = 16). Or il existe des
centaines de connecteurs en langage naturel (cf. annexe B), il n'est donc pas
possible de traiter tous les cas possibles avec la sémantique
vériconditionnelle. Le sens des connecteurs non-logiques serait alors
réduit à un noyau très réduit: il n'y aurait
à ce moment là aucun moyen de les distinguer les uns des
autres.
Prenons par exemple le cas de mais: avec une analyse
vériconditionnelle, on ne peut absolument pas distinguer mais
de aussi par exemple, qui auront tous deux la même
sémantique que et.
(1.23) Paul est un excellent employé, mais
il répond à son patron (1.24) Paul est un excellent
employé, aussi il répond à son patron
(1.25) Paul est un excellent employé, et il
répond à son patron
En posant P = « Paul est un excellent employé
» et Q = « il répond à son patron », nous voyons
bien que conn(P,Q) a la même sémantique que la
conjonction (voir la table de vérité de la conjonction,
et, en figure 1.1).
La sémantique vériconditionnelle n'est donc pas
une méthode suffisante pour étudier les connecteurs en langue
naturelle, il faut donc envisager un autre type d'analyse.
|