1.2 Les connecteurs dans la grammaire tradi-
tionnelle
1.2.1 Les connecteurs : une classe non uniforme
La classe des connecteurs6 est un ensemble
syntaxiquement varié qui ne constitue pas une classe uniforme. En effet,
on compte parmi les connecteurs principalement des conjonctions (et des
locutions conjonctives) ainsi que des adverbes conjonctifs, mais aussi des
syntagmes prépositionnels et des phrases figées. Les seuls points
communs que la grammaire traditionnelle assigne aux connecteurs est leur
invariabilité (ce sont tous des mots invariables) et le fait qu'il
constituent un lien entre deux entités (ce lien n'est d'ailleurs pas de
même nature selon la catégorie grammaticale).
Les conjonctions de coordination
La conjonction de coordination est selon GREVISSE et GOOSSE
(1993) « un mot invariable chargé d'unir des éléments
de même statut : soit des phrases ou des sous-phrases, -- soit, à
l'intérieur d'une phrase, des éléments de même
fonction ».
5« connecteur » est ici employé dans le sens
de « connecteur pragmatique », et le sera tout au long de notre
travail. Mais nous discuterons plus tard (1.3) des différents niveaux
d'analyse des connecteurs.
6Nous incluons dans la classe des connecteurs les
parties du discours les plus communément et non controversiellement
acceptées comme connecteurs (KNOTT (1996), FRASER (1999), PIOT
(1993)).
Les conjonctions de coordination relient donc entre elles deux
propositions indépendantes, propositions pouvant se trouver dans la
même phrase (exemple (1.4)) ou dans deux phrases distinctes (exemple
(1.5)). Les conjonctions de coordination se placent toujours entre les
éléments qu'elles unissent et ne peuvent jamais se combiner entre
elles (on ne rencontre jamais *et ou, *et mais, *ou
mais, etc.), mais peuvent par contre se combiner avec d'autres
connecteurs (exemple (1.6)).
Exemples :
(1.4) Tu peux venir mais tu ne dois pas rester
longtemps.
(1.5) En général, je reste patient, ou
je m'énerve assez vite.
(1 .6) L'action X a perdu de la valeur, mais en effet
les cours de la
bourse ont augmenté.
On ne compte parmi les conjonctions de coordination qu'un
ensemble fermé: car, et, mais, ni,
or, et ou7, ainsi qu'un petit nombre d'expressions
répétées (ou... ou, soit... soit,
etc.).
Les conjonctions de subordination
GREVISSE et GOOSSE (1993) définissent la conjonction de
subordination comme « un mot invariable qui sert à unir deux
éléments de fonctions différentes, dont l'un est une
proposition (sujet ou complément) ». Pour WAGNER et PINCHON (1991),
les conjonctions de subordination « servent à construire des
propositions non parallèles en en mettant une sous la dépendance
de l'autre ».
7Le connecteur donc a un statut
controversé dans la grammaire traditionnelle : après avoir
longtemps compté parmi les conjonctions de coordination, l'usage est
actuellement de classer donc parmi les adverbes conjonctifs
(même chez GREVISSE et GOOSSE (1993)). En effet, il peut fort bien se
combiner avec les autres conjonctions de coordination, ce qui est interdit par
les propriétés des conjonctions de coordination.
Nous pouvons dire que les conjonctions de subordination
introduisent une proposition subordonnée et permettent de former des
phrases complexes avec les deux propositions qu'elles relient, l'une
dépendant grammaticalement de l'autre. On observe que la conjonction de
subordination se trouve toujours à gauche de la proposition
subordonnée, mais cette proposition subordonnée peut elle
être placée indifféremment par rapport à la
proposition principale.
(1.7) Nous allons quand même aller à la chasse
bien qu'il soit très
tard.
(1.8) Comme la RATP est en grève, j'irai
au travail à pied.
La classe des conjonctions de subordination (comme,
quoique, etc.) est très vaste si l'on y intègre
les locutions conjonctives, dont la grande majorité comporte la
conjonction que n'ayant plus actuellement valeur de conjonction de
subordination (bien que, ainsi que, parce que,
pourvu que, etc.).
Les adverbes conjonctifs
WAGNER et PINCHON (1991) voient les adverbes conjonctifs comme
des éléments qui « servent à établir un lien
entre la proposition ou le terme de la proposition qu'ils déterminent et
une proposition précédente ».
Les adverbes conjonctifs, aussi appelés adverbes de
relation logique (chez GREVISSE et GOOSSE (1993) c'est une
sous-catégorie des adverbes anaphoriques), de liaison ou de phrase
établissent un lien entre deux phrases, «reprenant» pour ainsi
dire le contenu de la phrase précédente (ou des phrases
précédentes). Ils n'ont pas de place fixe comme les conjonc-
tions de coordination ou de subordination: ils peuvent
apparaître n'importe où dans la proposition qu'ils introduisent
(exemples (1.9) à (1.12)), bien qu'il y ait quelques contraintes de
placement.
(1.9) Il a pris la batte; ensuite il a
frappé la vieille dame.
(1.10) Mon vélo a déraillé: il me semblait
avoir tout vérifié, pourtant...
(1.11) Le juge a condamné le jeune homme à une
peine d'intérêt général. La peine sera par
ailleurs assortie d'une amende de 1000 francs.
(1.12) Paul a toujours perdu au poker.
Cependant, il reste toujours convaincu qu'il gagnera un
jour.
Les adverbes conjonctifs sont eux aussi très nombreux
et on y retrouve, outre des adverbes simples, des locutions adverbiales
(exemple (1.11)) ainsi que des syntagmes prépositionnels (exemple
(1.12))
Le problème des limites de la classe des
connecteurs
Comme nous l'avons vu, les connecteurs ne constituent pas une
classe uniforme (du point de vue de la grammaire traditionnelle) car plusieurs
parties du discours en font partie. Le problème est que tout le monde ne
s'entend pas exactement sur ce que l'on doit considérer comme
connecteur. On peut par exemple légitimement se poser la question de
savoir s'il faut inclure dans les connecteurs des prépositions, parce
qu'elles marquent souvent des relations analogues à certaines
conjonctions de subordination:
(1.13) Tu dois prendre ce médicament pour
aller mieux
(1.14) Tu dois prendre ce médicament pour que
tu ailles mieux
Dans ces exemples, l'emploi de la préposition pour
à la place de la conjonction pour que ne change pas le
sens de l'énoncé ni sa structure, mais selon nous, les
prépositions ne font pas partie de la classe des connecteurs car l'un
des segments de discours qu'elles relient est plus petit que la
proposition8 -- au sens grammatical du terme.
On retrouve aussi dans la littérature certains
éléments lexicaux considérés comme des connecteurs,
appelés « marqueurs de structure de la conversation » par
ROULET et al. (1991), comme franchement ou honnêtement,
et des particules de focus (eh bien, oh!, seulement. .
.), mais ces éléments ne participent pas à la
cohérence du discours. On ne doit donc pas les compter parmi les
connecteurs9.
En définitive, nous restreindrons l'ensemble des
éléments que nous regroupons sous l'étiquette de «
connecteur » à ce que la grammaire traditionnelle nomme
conjonctions de coordination, conjonctions de subordination et adverbes
conjonctifs (ainsi que les locutions ayant la même fonction
grammaticale).
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