3.3 Analyse de quelques connecteurs de consé-
quence
Dans ce paragraphe, nous essaierons d'étudier un peu
plus en détail une classe particulière de connecteurs du
français : les connecteurs consécutifs, par les différents
aspects qui les caractérisent dans le discours.
Nous essaierons de voir ce qui les rapproche et ce qui les
différencie au niveau de leurs propriétés
sémantiques et pragmatiques (et aussi, dans une certaine mesure,
syntaxiques), mais nous nous limiterons pour l'instant à leurs emplois
strictement consécutifs. En effet, la plupart des connecteurs de
conséquence ont d'autres emplois dans le discours, sur lesquels nous ne
nous attarderons pas, car étudier tous ces emplois irait bien
au-delà de notre modeste travail de maîtrise.
Devant l'étendue du domaine, nous ferons porter notre
étude sur un sous-ensemble des consécutifs. Tout d'abord, nous
étudierons le connecteur sur le marqueur privilégié de
l'inférence, donc, car il se trouve dans la position la plus
haute de la taxinomie; nous nous attarderons ensuite sur alors qui
comporte une nuance de succession temporelle; puis nous nous pencherons sur le
connecteur par conséquent qui quant à lui ne peut
exprimer que la conséquence, et pour terminer, sur un connecteur ne
pouvant marquant qu'une relation factuelle: de sorte que.
3.3.1 Conséquence et concomitance : donc
Donc, comme nous l'avons déjà
précisé, se situe tout en haut de la taxinomie des connecteurs
consécutifs du français : cela montre qu'il peut être
employé dans un plus grand nombre de contextes que les autres
consécutifs et que ses propriétés seront par
conséquent moins restreintes. De plus, ce connecteur est le connecteur
de conséquence le plus fréquent dans la langue française
(ce que corroborent les résultats de notre analyse statistique -- cf.
annexe A).
Distribution
Pour ce qui est de la syntaxe, donc n'a pas de
contrainte particulière sur son placement. Il peut en effet se placer
librement dans l'énoncé qui le contient. Regardons quelques
exemples tirés du corpus Linux-Howto:
(3.12) Vous avez des fichiers de mot de passe
séparés, donc vous pou-
anonyme6.
(3.13) Il est courant de construire la table des
matières d'un document en «LATEXant» le document
deux fois. Donc, refaites la commande. Les autres
avertissements peuvent être ignorés sans danger.
(3.14) Quand vous voudrez créer un fichier avec le
même nom, vous obtiendrez un message d'erreur vous disant que ce fichier
existe déjà. Plus de confusion que de réels
problèmes, donc.
(3.15) Les trous représentent les morceaux
d'information (en quelque sorte) et sont si petits que des milliards d'entre
eux tiennent sur le disque. Un CD est donc un support de
stockage de masse.
Cependant, il semblerait que la position canonique,
privilégiée de donc soit en milieu de phrase : nos
intuitions on été appuyées par l'analyse statistique.
Sens consécutif
Donc est un marqueur privilégié du
raisonnement, de l'inférence qui a pour fonction première de
marquer la concomitance . En effet, quand on utilise donc on
considère que les éléments qu'il relie sont des
états ou des propriétés qui entretiennent un rapport de
simultanéité -- un phénomène en accompagnant
nécessairement un autre:
(3.16) Il roule à 230 à l'heure, il risque
donc un accident. (3.17) Il est gendarme, donc
intègre.
6Les exemples que nous donnons dans ce chapitre
sont soit extraits du corpus LinuxHowto -- ils sont alors facilement
reconnaissables grâce au sujet qu'ils abordent -- , soit de notre propre
cru.
En imposant une valeur de concomitance à ses arguments,
donc a pour effet de donner une valeur de « vérité
absolue » à la conclusion qu'il introduit: il marque une sorte de
syllogisme qui à partir de prémisses donne une conclusion qui
doit être ressentie comme vraie indépendamment des opinions du
locuteur7. La consécution qu'il introduit est donc
présentée comme existant hors du discours, ne découlant
pas d'un raisonnement du locuteur, et, selon HYBERTIE (1996) « relevant
d'une consensualité élargie »:
(3.18) Jean-Marie a une queue de cheval, c'est donc
un rebelle.
On distingue deux emplois consécutifs principaux de
donc : un emploi factuel et un emploi inférentiel.
Emploi factuel
En premier lieu, donc peut avoir un emploi factuel,
reliant deux états de choses, deux contenus propositionnels, ressentis
comme intimement liés.
Dans son emploi factuel, donc impose un sens à
la relation de consécution, c'est-à-dire que l'ordre de ses
arguments va toujours de la cause factuelle à la conséquence
factuelle.
(3.19) Ce chauffard m'a fait une queue de poisson, donc
j'étais très énervé.
Si on inverse les propositions connectées par donc
dans son emploi fac- tuel, le résultat n'est plus
cohérent (bien qu'on puisse toujours imaginer
7Cette valeur de « vérité
absolue » n'apparaît pas avec par conséquent qui
donne la conclusion d'un raisonnement effectué par le locuteur. Nous y
reviendrons à la section 3.3.3.
un contexte ou il l'est) :
(3.20) ? J'étais très énervé,
donc ce chauffard m'a fait une queue de poisson.
Emploi inférentiel
Outre son emploi factuel, donc est très souvent
utilisé pour marquer la conclusion d'un raisonnement. On parle alors
d'emploi inférentiel.
Contrairement à l'emploi factuel, quand on change
l'ordre des propositions, le sens de la relation n'est pas inversé, on
observe simplement un renversement dans le raisonnement:
(3.21) Michel est corse, donc il est
fainéant. (3.22) Michel est fainéant, donc il
est corse.
Dans notre exemple, l'inversement de l'ordre des propositions
fait passer d'un raisonnement de type déductif (exemple 3.21) à
un raisonnement de type inductif (exemple 3.22). Comme nous l'avons vu à
la section 3.2.3 sur l'inférence, l'ordre des contenus propositionnels
est inversé (on passe d'une relation cause factuelle -*
conséquence factuelle à l'inverse), mais l'ordre de la relation
reste toujours cause -* conséquence (ou plus précisément
prémisse -* conclusion) au niveau du raisonnement.
Relation entre actes de langage
Donc peut avoir comme arguments des actes de langage
autres que l'assertion : il n'est pas obligé de relier des assertions
entre elles, mais peut au contraire compter parmi ses arguments d'autres actes
de langage, comme le conseil, l'ordre ou l'interrogation.
(3.23) La pagination de la mémoire virtuelle peut aussi
provoquer des erreurs, donc mettez le plus de mémoire
physique possible.
(3.24) On parle de Linux, non? On devrait donc
faire abstraction des benchmarks produits sous d'autres
systèmes d'exploitation.
En 3.23, donc relie une assertion et un conseil, et en
3.24, il relie une interrogation et une assertion.
Autres sens
En dehors du fait qu'il puisse introduire la conclusion d'un
raisonnement, donc présente un certain nombre d'autres emplois,
qui, bien que découlant de la notion de conséquence, ne sont pas
purement consécutifs. Ces emplois sont en revanche très courants
et importants dans la structuration du discours8.
Donc peut marquer un recentrage dans un discours, en
effet, après avoir dit un certain nombre de choses sur un sujet, et
éventuellement s'en être éloigné quelque peu, on
peut à l'aide de donc revenir au sujet lui-même:
(3.25) Je ne savais absolument rien au sujet de SGML ou de
LATEX mais, après avoir lu divers commentaires a propos de SGML-Tools,
j'étais tenté d'utiliser un paquetage de génération
de documentation automatique. Cependant l'insertion manuelle de directives de
formattage me rappelait l'époque ou j'assemblais à la main un
moniteur 512 octets pour un processeur 8 bits aujourd'hui disparu. J'ai
donc fini par récupérer les sources de LYX, les
compiler
etje m'en suis servi dans son mode LinuxDoc.
Donc peut aussi avoir comme effet de marquer une
focalisation sur un élément d'un énoncé. Dans ce
cas, il se place toujours entre le sujet et le verbe:
(3.26) [. . .] Pierre donc a trouvé la
solution.
|