B- Le manque de clarté entre cohésion,
compétitivité et solidarité
La Commission a donné le nom de structurels aux fonds, en
affichant la volonté que l'intégration communautaire passe par
une action dont les effets seraient visibles à long, voire à
moyen terme, par le biais du financement de projets d'infrastructures et de
production. La Commission, dans le deuxième considérant du
règlement n°1828/2006, estime que « l'expérience a
montré que les citoyens de l'Union européenne n'étaient
pas suffisamment conscients du rôle joué par la Communauté
dans le financement de programmes visant à accroître la
compétitivité économique, à créer des
emplois et à renforcer la cohésion interne ». Du reste,
la description des objectifs assignés aux fonds structurels laisse
grande aux priorités de Lisbonne, que reflète ce
considérant. Dans un avis sur le 4ème rapport sur la
cohésion économique et sociale, publié par la Commission
fin 2007, le Comité économique et social européen propose
donc, tout en demandant que les fonds structurels soient plus associés
à une stratégie de développement durable qu'aux objectifs
de Lisbonne, que le PIB, critère macroéconomique par excellence,
ne soit plus le seul critère d'éligibilité des
régions aux fonds structurels. Celui-ci a cependant l'avantage de la
commodité. Le Comité propose de prendre en compte le taux
d'emploi, le taux de chômage, un indicateur traduisant
« l'efficacité de la protection sociale », de
même qu'un indicateur sur les inégalités de revenus, ou
encore un indicateur sur les émissions de gaz à effet de serre.
Autrement dit, des critères moins « purement »
économiques que le PIB, et plus adaptés aux critères
d'éligibilité aux fonds. Cet exemple montre que, si les
fondements juridiques d'une intervention communautaire restent les mêmes,
il existe une multitudes de moyens permettant d'y répondre, et de
manière plus ou moins efficaces. L'efficacité elle-même
d'une mesure est un résultat très relatif, puisqu'elle demande un
rendement immédiat des fonds structurels, ce qui peut apparaître
comme contradictoire avec le moyen et le long terme, censés être
les durées attendues de leur efficacité. Un rapport
d'évaluation sur la réalisation de la stratégie de
Lisbonne a été rendu en 2004 sous la présidence de M. Wim
Kok, selon lequel malgré la conjoncture économique tendue,
« il est clair que l'Union européenne et ses Etats membres ont
ralenti, eux aussi, le mouvement (...). Ces résultats décevants
s'expliquent par un agenda surchargé, une coordination médiocre
et des priorités inconciliables. Il n'en reste pas moins que l'absence
d'action politique résolue a posé un problème
majeur ». Laisser le marché au sens (très) large le
soin de réaliser à court terme des investissements qualitatifs
tels que définis par les objectifs assignés aux fonds structurels
est très délicat. Il ne faut pas négliger les
inégalités économiques
« structurelles » entre les Etats, et qui ne peuvent
être compensées simplement par la réalisation des projets
financés par les fonds structurels, ni par un simple consensus sur les
dotations allouées à ces fonds. Mais ceux-là ont le
mérite d'exister, ce que ne contrediront pas les exemples Espagnols,
Portugais, Irlandais, ou même les Länder Allemands. L'exemple du
Mezzogiorno Italien, qui a connu une croissance de l'ordre de 2% au cours de la
programmation 1994-1999 et qui restait inférieure au reste du pays,
montre cependant les limites des fonds structurels, dont les effets sont
corrélés aux cycles de croissance économique et de
ralentissement de la croissance.
La programmation pluriannuelle des fonds structurels qui
découle, comme montré précédemment, de la
programmation du budget, montre que l'effort d'adaptation dont font preuve les
institutions communautaires est constant. Ainsi, sont mis en place des
critères d'éligibilité, d'attribution, qui peuvent
être critiqués, en raison de leur caractère statique. C'est
à chaque programmation que sont redéfinis, d'une certaine
manière, l'emploi des fonds structurels. Lisbonne est une manière
de mettre en avant des investissements qualitatifs, ce qui était moins
le cas auparavant. Dès lors, et très simplement, le manque de
clarté énoncé dans le titre est un manque de clarté
volontaire. Les institutions communautaires elles mêmes ne savent pas
réellement quel est le moyen le plus efficace pour réduire les
inégalités et les disparités régionales. Voire le
plus efficient.
Ces institutions reconnaissent le phénomène de
concentration des activités. Des externalités négatives,
c'est-à-dire des conséquences non prévues et non prises en
compte par le marché des activités marchandes, peuvent
apparaître avec cette concentration, comme une hausse de la pollution, du
prix de l'immobilier, voire des distorsions de concurrence et, in fine, des
disparités régionales plus grandes. Mais, dans le même
temps, cette concentration permet le regroupement des activités,
stimulant la recherche, les investissements locaux, et créant, de facto,
des externalités positives et des économies d'échelles. Il
ne faut pas négliger aussi les effets sur les Etats voisins. La
suppression du zonage pour l'objectif de compétitivité peut
permettre d'expliquer toute la complexité de la politique de
cohésion communautaire. Le zonage est par nature inégalitaire, et
peut conduire à des anomalies pour les zones transfrontalières.
Par exemple, le Hainaut Belge a bénéficié, lors de la
période de programmation 2006-2006, de l'aide communautaire. Le Hainaut
français, lui, n'a pu en bénéficier en étant
intégré au Nord Pas De Calais, dont le calcul du PIB au titre de
l'objectif 1 était supérieur au seuil plafond. Il a en
bénéficié en raison du fait que le Hainaut belge a en
bénéficié. Le zonage peut ainsi conduire à des
situations de négociations au début de périodes de
programmations qui par bien des égards deviennent absurdes. D'où
la grande perplexité, pour les institutions communautaires, de conserver
un critère de zonage pour un objectif, la compétitivité,
qui devient un objectif à visée plus économique que
véritablement solidaire, encore que cela peut être
contesté. Cet exemple du zonage révèle par là
même le caractère au moins autant incitatif qu'interventionniste
que l'Union souhaite faire de l'usage des fonds structurels. Ce sera aux Etats
d'aider « plus ou moins » les zones les « plus ou
moins » défavorisées, ou créer à
l'inverse des zones à plus grande valeur ajoutée que d'autres,
avec par exemple des bassins d'emploi déterminés pour des
activités spécifiques. Or, l'article 3 du Traité de
Lisbonne promeut l'idée de cohésion territoriale, en plus de la
cohésion économique et sociale, et « la
solidarité entre les Etats membres ». Une politique de
cohésion communautaire soutenue par les priorités de Lisbonne
peut y aller à l'encontre.
L'appréciation de l'égalité quant à
la répartition des crédits européens, et dans l'absolu le
respect de l'exigence de cohésion territoriale mise à mal par
Lisbonne, est ainsi dévolue à l'Etat membre. Même si le
choix n'est jamais aussi manichéen, les Etats auront le choix entre une
redistribution « économique », ciblé sur les
activités économiques et le fléchage de Lisbonne, et une
redistribution « solidaire » basée sur la
réduction des inégalités territoriales. Mais, clairement,
la réduction des disparités économiques n'est pas synonyme
de réduction des disparités régionales. Les institutions
communautaires le prouvent, notamment la Commission dans le
4ème rapport sur la cohésion, où celle-ci
rappelle en introduction que « combler ces disparités
demandera inévitablement du temps ; voilà pourquoi la politique
de cohésion accorde la priorité absolue aux régions les
moins développées. Cependant, pratiquement toutes les
régions doivent se restructurer, se moderniser et encourager une
innovation continue et fondée sur la connaissance pour relever le
défi de la mondialisation ». La politique des fonds
structurels demeure une politique de redistribution, qui fonctionne par des
arbitrages constants entre des objectifs différents. Elle vise plus
à réduire les inégalités entre les Etats membres,
au risque d'aggraver les disparités au sein de ces Etats. La
construction européenne a pour fondement le marché unique, la
monnaie unique, la libre circulation des facteurs de production. Dans cette
optique, c'est par le marché, par la concurrence, dans une conception
Smithienne de la croissance, que les inégalités entre Etats
peuvent se résorber. Les fonds structurels sont désormais
considérés comme des déclencheurs à faible valeur
ajoutée immédiate, mais permettant des effets de leviers pour une
efficacité économique future. En fin de compte, l'idée est
qu'il ne peut y avoir de croissance marchande forte sans quelque chose qui
échappe, socialement, au marché, et qui est lié à
l'amélioration de la qualité de la concurrence. La redistribution
par les fonds structurels est donc une manière d'accompagner la
croissance, tout en lui laissant la primauté au sein de l'Union.
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