b) Passion pour l'Antiquité
Le Décaméron occulte trop aujourd'hui
le Boccace érudit, presque scientifique : son apport majeur à la
redécouverte de l'Antiquité est relativement méconnu,
certes du commun des mortels, mais aussi du commun des lettrés.
Fasciné par les contes et légendes mythologiques comme un enfant
l'est aujourd'hui par Harry Potter1, Boccace s'est d'abord
plu à teinter ses oeuvres littéraires de culture antique : le
Filostrato se déroule pendant la guerre de Troie, Fiammetta
est complètement imprégné de Sénèque et
Ovide, voire de paganisme, le Décaméron est lui emprunt
d'épicurisme horatien.
Boccace voit certainement dans l'Antiquité un âge
supérieur de l'histoire : le clerc du Corbaccio est
obsédé par les vertus des femmes antiques, et la
quasi-totalité du De Mulieri bus claris est
dédiée à des femmes de l'Antiquité. Après
avoir pris l'Antiquité comme un simple matériau
littéraire, Boccace se met à le prendre comme objet
d'étude savante, avec la Genealogia deorum. Boccace ne se
contente pas de raconter des légendes dans cet ouvrage : il
élabore un véritable plaidoyer en faveur de la littérature
de l'Antiquité, qu'il étend bien vite à la
littérature toute époque confondue. Voulant interpréter
chaque légende dans un sens moral, Boccace s'efforce de démontrer
l'absence d'incompatibilité entre valeurs chrétiennes et valeurs
antiques.
Boccace a également fait beaucoup pour la
redécouverte des textes antiques : premier occidental à avoir lu
Homère dans le texte grec, il a conduit une traduction d'Homère
en latin avec le savant calabrais Leonzio Pilato2, pour lequel il
fait obtenir une chaire d'enseignement du grec à Florence. Il est
également en permanence à la recherche de manuscrits. Il en
découvre notamment un de Tacite, dans le recoin d'une
bibliothèque, voué aux rats et en bien piètre état
: l'ayant remis en état, Boccace peut vraiment se vanter d'avoir
dépoussiéré la littérature antique en son temps.
1 Cela se sentira même lors de la
rédaction de la Genealogia, où il prend toutes les
fables énormément au sérieux, exprimant ses satisfactions
ou ses déceptions lors de tel ou tel événement.
2 Il paraît que celui-ci avait un
caractère assez insupportable : Pétrarque et Boccace s'en
finalement lassés.
c) Souci de popularisation de la culture
Boccace a presque toujours plaidé pour un art à
la portée de tous. Le Décaméron fourmille
d'histoires populaires mettant en scène des plébéiens.
Ecrit en vulgaire non pour les savants mais pour le loisir des jeunes femmes,
cette oeuvre fut à son époque un best-seller
auprès des classes moyennes. Boccace se montre ainsi progressiste dans
la mesure où il ne rejette pas la culture populaire et sait trouver en
elle des ornements que peut-être la culture savante n'a pas. S'y
connaissant autant en littérature antique qu'en littérature
courtoise, Boccace n'a longtemps méprisé aucun genre
littéraire, ni aucune langue.
Mais la popularisation de la culture doit se faire dans les
deux sens : au savant de s'ouvrir à la culture populaire, au peuple de
tenter de se hisser à la hauteur intellectuelle du savant. Conscient du
caractère ambivalent des arts et de la culture à partir du
Corbaccio, Boccace se fait désormais plus exigeant avec le
peuple, n'écrivant presque plus qu'en latin. Cependant le De claris
Mulieribus reste un ouvrage de vulgarisation : au contraire de la
Genealogia, Boccace n'y précise jamais ses sources. L'ouvrage
se veut édifiant, avec des récits se terminant par une morale
parfois rude, incitant le lecteur à la vertu. Boccace se
préoccupe plus que jamais de la portée de son oeuvre sur le
lecteur, c'est pourquoi il prend soin de se faire comprendre par ce dernier,
à la différence de Pétrarque, qui a affirmé
écrire pour être compris mais pas des ignorants.
La dernière oeuvre de Boccace va d'ailleurs lui fournir
l'occasion rêvée de partager avec l'ensemble des Florentins sa
passion pour la Divine Comédie : ces lectures publiques de
l'oeuvre dantesque assorties de commentaires, interrompues
prématurément par la maladie ne peuvent que nous faire conclure
à l'humanisme fondamental de Boccace, enclin à élever la
gent commune le plus haut possible en matière de savoir et de culture,
des siècles avant Roberto Benigni1.
1 Lors du réveillon 2002-2003, Benigni avait
effectué une lecture publique d'extraits de la Divine
Comédie, avant de les commenter, lors d'une émission de
télévision italienne. Le succès fut énorme.
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