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Boccace et son ombre : du préhumanisme à la désillusion

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par Guillaume SELLI
Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Diplôme de l'IEP d'Aix-en-Provence 2006
  

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b) Passion pour l'Antiquité

Le Décaméron occulte trop aujourd'hui le Boccace érudit, presque scientifique : son apport majeur à la redécouverte de l'Antiquité est relativement méconnu, certes du commun des mortels, mais aussi du commun des lettrés. Fasciné par les contes et légendes mythologiques comme un enfant l'est aujourd'hui par Harry Potter1, Boccace s'est d'abord plu à teinter ses oeuvres littéraires de culture antique : le Filostrato se déroule pendant la guerre de Troie, Fiammetta est complètement imprégné de Sénèque et Ovide, voire de paganisme, le Décaméron est lui emprunt d'épicurisme horatien.

Boccace voit certainement dans l'Antiquité un âge supérieur de l'histoire : le clerc du Corbaccio est obsédé par les vertus des femmes antiques, et la quasi-totalité du De Mulieri bus claris est dédiée à des femmes de l'Antiquité. Après avoir pris l'Antiquité comme un simple matériau littéraire, Boccace se met à le prendre comme objet d'étude savante, avec la Genealogia deorum. Boccace ne se contente pas de raconter des légendes dans cet ouvrage : il élabore un véritable plaidoyer en faveur de la littérature de l'Antiquité, qu'il étend bien vite à la littérature toute époque confondue. Voulant interpréter chaque légende dans un sens moral, Boccace s'efforce de démontrer l'absence d'incompatibilité entre valeurs chrétiennes et valeurs antiques.

Boccace a également fait beaucoup pour la redécouverte des textes antiques : premier occidental à avoir lu Homère dans le texte grec, il a conduit une traduction d'Homère en latin avec le savant calabrais Leonzio Pilato2, pour lequel il fait obtenir une chaire d'enseignement du grec à Florence. Il est également en permanence à la recherche de manuscrits. Il en découvre notamment un de Tacite, dans le recoin d'une bibliothèque, voué aux rats et en bien piètre état : l'ayant remis en état, Boccace peut vraiment se vanter d'avoir dépoussiéré la littérature antique en son temps.

1 Cela se sentira même lors de la rédaction de la Genealogia, où il prend toutes les fables énormément au sérieux, exprimant ses satisfactions ou ses déceptions lors de tel ou tel événement.

2 Il paraît que celui-ci avait un caractère assez insupportable : Pétrarque et Boccace s'en finalement lassés.

c) Souci de popularisation de la culture

Boccace a presque toujours plaidé pour un art à la portée de tous. Le Décaméron fourmille d'histoires populaires mettant en scène des plébéiens. Ecrit en vulgaire non pour les savants mais pour le loisir des jeunes femmes, cette oeuvre fut à son époque un best-seller auprès des classes moyennes. Boccace se montre ainsi progressiste dans la mesure où il ne rejette pas la culture populaire et sait trouver en elle des ornements que peut-être la culture savante n'a pas. S'y connaissant autant en littérature antique qu'en littérature courtoise, Boccace n'a longtemps méprisé aucun genre littéraire, ni aucune langue.

Mais la popularisation de la culture doit se faire dans les deux sens : au savant de s'ouvrir à la culture populaire, au peuple de tenter de se hisser à la hauteur intellectuelle du savant. Conscient du caractère ambivalent des arts et de la culture à partir du Corbaccio, Boccace se fait désormais plus exigeant avec le peuple, n'écrivant presque plus qu'en latin. Cependant le De claris Mulieribus reste un ouvrage de vulgarisation : au contraire de la Genealogia, Boccace n'y précise jamais ses sources. L'ouvrage se veut édifiant, avec des récits se terminant par une morale parfois rude, incitant le lecteur à la vertu. Boccace se préoccupe plus que jamais de la portée de son oeuvre sur le lecteur, c'est pourquoi il prend soin de se faire comprendre par ce dernier, à la différence de Pétrarque, qui a affirmé écrire pour être compris mais pas des ignorants.

La dernière oeuvre de Boccace va d'ailleurs lui fournir l'occasion rêvée de partager avec l'ensemble des Florentins sa passion pour la Divine Comédie : ces lectures publiques de l'oeuvre dantesque assorties de commentaires, interrompues prématurément par la maladie ne peuvent que nous faire conclure à l'humanisme fondamental de Boccace, enclin à élever la gent commune le plus haut possible en matière de savoir et de culture, des siècles avant Roberto Benigni1.

1 Lors du réveillon 2002-2003, Benigni avait effectué une lecture publique d'extraits de la Divine Comédie, avant de les commenter, lors d'une émission de télévision italienne. Le succès fut énorme.

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