b) Crises économiques
A Florence, la prospérité de la ville reste
à la merci de la moindre crise, en raison de la structure même des
compagnies marchandes, dont le capital est constitué moins par les
apports des associés que par ceux des tiers, dont les
dépôts sont remboursables à vue et garantis sans limites
par les biens des associés. Aussi, malgré l'habileté des
techniques inventées ou adoptées par les marchands florentins
(chèque, lettre de change, assurance, succursales habilement
réparties de Famagouste1 à Londres), la vie
économique de Florence
est-elle scandée au XIVe siècle par
d'innombrables faillites, provoquées en partie par des crises politiques
intérieures ou internationales.
Ainsi, l'éclatement du parti guelfe en deux fractions
hostiles, les Noirs et les Blancs, en lutte de 1300 à 1302, aboutit
à l'exil des seconds (Dante) et à la faillite de leurs
compagnies. Affaiblies par ces discordes, les sociétés noires
déposent à leur tour leur bilan : les Mozzi en 1301-1302, les
Franzesi en 1307, les Pucci et Rimbertini en 1309, les Frescobaldi en 1312, les
Scali en 1326.
Une nouvelle génération de marchands
émerge avec la chute du duc d'Athènes, dont les Bardi sont les
principaux représentants. Plus prudente, celle-ci instaure entre ses
membres un régime de solidarité financière qui
n'empêche cependant pas la faillite en 1342 des compagnies dell'Antella,
des Cocchi, des Uzzano, les déposants ayant procédé
à des retraits massifs par crainte que Florence ne renonce à
l'alliance guelfe. L'expulsion du duc d'Athènes elle-même n'avait
pas été sans conséquences économiques puisque
celui-ci a couru se plaindre devant le Pape et le roi de France, qui expulse
les marchands florentins et leur interdit de commercer en France : nouvelle
catastrophe financière pour la république. De même les
échecs militaires de leur débiteur Edouard III provoquent-ils la
chute des Peruzzi et des Acciaiuoli en 1343, celle des Bardi en 1346.
Aggravée par la peste noire qui tue près de 50
000 habitants entre 1348 et 1350, la crise de Florence retarde jusqu'en 1360 le
succès d'une troisième génération marchande. Ses
compagnies, qui veulent accaparer à leur profit la direction de la
ville, s'éliminent tour à tour. Ayant contraint les Guardi
à la faillite en 1370-1371, les Alberti perdent leur chef Benedetto,
frappé d'exil en
1 Port chypriote
1387 par les manoeuvres des Ricci et des Albizzi, qui sont
à la tête du popolo grasso. Mais le chef de ces derniers,
Rinaldo, doit s'effacer à son tour le 29 septembre 1434 devant Cosme de
Médicis, qu'il avait pourtant fait exiler en 1433. Seuls restent alors
en présence les Strozzi et surtout les Médicis : Cosme l'Ancien
rentre, en effet, dès le 5 octobre à Florence, où il
instaure la seigneurie de fait de sa famille.
Boccace a personnellement vécu la faillite des Bardi,
chez lesquels était employé son père. Bien que nourrissant
quelque mépris pour ces gens d'argent, il est bien obligé de
constater qu'ils comptent parmi les catégories de métiers les
plus dynamiques, comme nous l'avons montré dans le
Décaméron. L'histoire économique de Florence
montre qu'en dépit des crises et des faillites incessantes, de nouvelles
générations marchandes ont toujours permis à la
cité de relever la tête, contribuant à faire d'elle l'une
des plus grandes puissances économiques d'Europe, avant même la
prise de pouvoir par les Médicis. Cette alternance crises et de
sursauts, ce contexte politique fort trouble, n'entravent cependant pas
l'expression artistique : depuis le Duecento la révolution artistique
est déjà en marche et rien ne pourra plus l'arrêter.
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