PARAGRAPHE III : OBLIGATION ESSENTIELLE / OBLIGATION
CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE.
Avant 1938, la théorie de l'obligation
caractéristique siégeait déjà dans la doctrine du
droit international privé. On la retrouvait dans les études de
1925-1930 sur les méthodes objectivistes et subjectivistes de
détermination de la loi applicable au contrat. En 1927, après que
la méthode subjectiviste ait révélé ces failles, il
a été proposé d'adopter la méthode suivante :
«Si le contrat comporte plusieurs obligations, ou prévoit
plusieurs lieux d'exécution, il sera considéré comme
soumis à la loi du lieu d'exécution de son obligation principale,
caractéristique de sa nature juridique propre et dont dérivent
les autres obligations ».
C'est en 1938 que le doyen H. BATIFFOL va systématiser
la théorie de l'obligation caractéristique en droit international
privé. C'est sur cette même notion que H.BATIFFOL basera sa
théorie de la localisation. Pour lui, la règle de conflit en
matière de contrats internationaux s'exprime dans la loi d'autonomie.
Ainsi, les parties ne localisent pas la loi applicable à leur contrat ,
elles ne font que localiser exactement l'opération. Cette localisation
est faite en fonction de l'économie du contrat. Elle consiste à
détecter l'élément de localisation qui tient le plus
compte de cette dernière, c'est-à-dire l'élément
qui est essentiel au contrat. En l'absence d'indice clair, c'est l'obligation
essentielle ou principale qui localise le contrat. Donc celui-ci sera
régi par la loi du lieu d'exécution de celle-là. C'est
cette loi qui est réputée avoir le plus de liens avec le
contrat.
H. BATIFFOL ne donne pas de définition à
l'obligation principale. Mais il détermine l'obligation principale en
distinguant entre les types de contrats. Par exemple à propos du
contrat de vente, il déclare que la prestation caractéristique
est « celle pour laquelle la somme versée par l'une des parties
est due ». Aussi, dans le contrat de transport, il pense que c'est
la loi du lieu où s'effectue la délivrance qui est le but
même du transport.
C'est M.Paul LAGARDE qui va donner une véritable
définition à l'obligation essentielle. Il la définit comme
« La prestation qui permet de donner à un contrat son
caractère, qui permet de le distinguer des autres et qui constitue le
centre de gravité et la fonction socio-économique de l'obligation
contractuelle ».
Le principe de la prestation caractéristique recouvre
beaucoup d'intérêts. Pour M. SCHNITZER qui propose de localiser
le contrat d'après sa fonction dans la vie économique, la
règle de la prestation caractéristique « ... est saine,
facile à suivre et donne des résultats des plus pratiques
» . En effet, ce principe comporte une solution organique, au lieu
de partir d'éléments extérieurs, ou fortuits, elle part de
la fonction économique de la catégorie du contrat en question.
L'intérêt pratique de la prestation
caractéristique fait que la notion a reçu diverses applications
dans certains droits internes (France, Suisse) et même en droit
communautaire (la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable
à la vente mobilière internationale ; la convention de La Haye du
14 mars 1978 sur la loi applicable au contrat d'intermédiaire et
à la représentation).
La convention de Romedu 19 juin 1980 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles précise dans son article 4 paragraphe 2
qu à défaut de choix, le contrat présente les liens les
plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la
prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa
résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société,
association ou personne morale, son administration centrale (article4
paragraphe, 1ère phrase). Mais la convention ne définit pas la
prestation caractéristique.
La notion de prestation caractéristique est un
élément permanent dans les systèmes de conflit de loi dont
les règles de rattachement sont souples. Par exemple dans le Common Law
et plus précisément dans le système anglais, la
«Proper Law of Contract » ou la règle de conflit,
implique que la loi applicable est celle qui a le lien le plus étroit
avec le contrat. La doctrine anglaise suppose que cette loi est celle du lieu
de l'obligation principale.
Dans le droit américain aussi, la validité du
contrat est fonction de la loi interne de l'Etat avec lequel, le contrat a le
« plus de parenté ». Cette loi peut être la loi choisie
par les parties, à défaut on a recours à beaucoup d'autres
indices tels que le lieu de l'essence du contrat.
La notion de prestation caractéristique en
matière de conflit de loi connaît des insuffisances. Par exemple,
dans les contrats de prêt et d'échange, la détermination de
la notion paraît très difficile. En effet, toutes les prestations
contenues dans ces contrats sont essentielles. Pour déterminer la loi
applicable à propos des contrats où il est difficile
d'établir la prestation caractéristique, on fait recours à
d'autres éléments de rattachements.
La notion de prestation caractéristique existe aussi
en matière de conflit de juridiction où, classiquement, la
juridiction compétente est celle du tribunal du domicile du
défendeur. Mais, en matière contractuelle, le tribunal du lieu
d'exécution a tendance à prendre le dessus sur celui du
domicile du défendeur. Dans ce cas, l'élément
déterminant sera celui de la prestation caractéristique. C'est
la logique soutenue lors de l'interprétation de l'article 5-1 de la
Convention de Bruxelles I du 27 septembre 1968 sur la compétence
judiciaire et l'exécution des décisions en matières civile
et commerciale. Ce texte disait qu'en dehors du domicile du défendeur
sera compétent le tribunal du lieu où l'obligation a
été ou doit être exécutée. Une partie de la
doctrine a vu dans cette obligation, l'obligation caractéristique
même si la Cour de Justice de la Communauté Européenne ne
l'entendait pas ainsi.
Le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et
commerciale, plus spécifique que la convention de Bruxelles I, dispose
plus clairement qu'en matière contractuelle, le tribunal
compétent est celui « du lieu où l'obligation qui sert
de base à la demande a été ou doit être
exécutée ». Cette affirmation est passible de deux
interprétations. Soit elle fait de «l'obligation qui sert de base
à la demande» l'obligation essentielle, ce qui est moins sûr
sinon cela aurait été
précisé ;soit elle sonne tout simplement le
glas à la notion d'obligation essentielle en matière de conflit
de juridiction car une simple obligation accessoire peut servir de base
à une demande en justice.
Toujours en matière de conflit de juridiction, mais
cette fois-ci en droit interne, l'article 46 alinéa2 du Nouveau Code de
Procédure Civile permet au demandeur de choisir soit la juridiction du
lieu de résidence du défendeur, soit la juridiction du lieu de
livraison de la chose soit le lieu de l'exécution de la prestation
caractéristique. Ainsi en droit interne aussi la notion de prestation
caractéristique est retenue.
La détermination de l'obligation essentielle
était un préalable nécessaire à l'étude de
ses fondements juridiques .
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