PARAGRAPHE II : L'ABANDON DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN
MATIERE D'OBLIGATION ESSENTIELLE DU CONTRAT?
Depuis 1996, la Cour de cassation a tendance à ne plus
évoquer la faute lourde au sujet de l'obligation essentielle.
Désormais, une clause limitative violant la portée de
l'obligation essentielle n'est pas nulle sur la base de la faute lourde mais
sur celle de l'atteinte à la cause du contrat. Ce revirement
spectaculaire résulte de l'arrêt Chronopost ; dans lequel la haute
juridiction s'est fondée explicitement, sans équivoque, sur
l'article 1131 du Code civil pour casser l'arrêt de la cour d'appel au
détriment de l'article 1150 du Code civil qui, en l'espèce
convenait très bien (à cause du manquement grave de Chronopost
à son obligation de livrer à temps). Mais pour quoi un tel
revirement ?
Pourquoi la haute juridiction ne s'en est-elle pas tenue
à son fondement classique à savoir la faute lourde ou tout
simplement requalifier la clause litigieuse en vertu de l'article1152 al2 ?
La première réponse qui nous vient en tête
et qui est des plus banales, c'est que par ce changement, la Cour de cassation
a entendu se débarrasser d'une notion devenue peut être
usée à son goût.
Le recours à la faute lourde n'était
nécessaire que dans le cas où elle permettait au débiteur
défaillant de réparer l'intégralité du dommage
résultant de sa faute. Dans ce cas, seule la conduite du débiteur
était sanctionnée et non la clause afférente à la
responsabilité dans son environnement, qui en l'espèce
était le but visé. Alors qu'avec la notion de cause, les hauts
magistrats faisaient d'une pierre deux coups : non seulement la conduite
fautive du débiteur était réprimée, mais aussi la
clause elle même dès qu'elle privait l'obligation essentielle de
son effet (elle est réputée non écrite). Ce raisonnement
revient à remettre la faute lourde au « seul profit salvateur
» de la cause du contrat. Cela nous paraît fort regrettable.
Un auteur, G. Loiseau nous rassure en répondant que
la faute lourde et la cause du contrat, « en réalité se
complètent et assurent ensemble un service efficace de retranchement
des clauses exclusive ou limitatives de responsabilité ».Ce
point de vue implique que la jurisprudence Chronopost ou Securinfor n'est
totalement acquise et qu'il ne faudrait pas être surpris si dans une
autre affaire similaire à celles-ci la haute juridiction se servait
encore de la faute lourde pour lutter contre les clauses afférentes
à la responsabilité injustes. C'est d'ailleurs ce qu'elle fit
dans le dernier arrêt Chronopost en date. En effet dans la
décision Chronopost 3, la Chambre mixte revient à la solution de
la Chambre commerciale (Chronopost 2). Elle renoue avec la faute en
précisant qu'une « clause limitant le montant de la
réparation est réputée non écrite en cas de
manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat
» et que «seule une faute lourde peut mettre en échec
la limitation d'indemnité prévue au contrat type» Mais
à la différence de la Chambre commerciale, la Chambre mixte
ajoute que la faute lourde ne peut «résulter du seul retard
à la livraison «.
La dernière décision Chronopost laisse
croire que la Cour de cassation n'entend pas se débarrasser totalement
de la notion de faute à propos de l'obligation essentielle. Bien au
contraire! la faute lourde est présente plus que jamais dans ce domaine
car elle fait échec non seulement à l'indemnisation
instituée par le contrat type mais aussi à l'indemnisation
prévue par la loi elle même. Dans cette décision, la Cour
de cassation utilise la conception subjective de la faute mais de façon
plus étroite, car elle précise que «la faute lourde ne
peut résulter du seul retard à la livraison»; ni
«du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir
d'éclaircissements sur la cause du retard». Cela sous-entend
que la violation d'une obligation ne constitue pas en tant que telle une faute
lourde, mais une faute ordinaire. En décidant que «la faute lourde
ne peut résulter du seul retard à la livraison», la
rapidité de la livraison étant considérée comme
l'obligation essentielle de Chronopost, la Cour de cassation laisse entendre
que même la violation d'une obligation essentielle n'implique plus ipso
facto une faute lourde. Dans ce cas, il incombe à la personne qui
invoque cette faute à la prouver. Cette preuve n'est pas n'importe
laquelle car elle doit porter sur un fait précis permettant de
caractériser une telle faute . De plus cette solution est nouvelle car
jadis la jurisprudence a reconnu l'existence de la faute lourde en cas de
retard de livraison d'un colis, notant qu'il est du au manquement de diligence
du transporteur pour le retrouver. De même, la faute lourde d'un
transporteur a été retenue pour trois retards en deux
semaines .Il en fut de même en cas de carence d'un commissionnaire de
transport qui, sachant le transport interrompu, n'en avise pas son client et ne
prend aucune disposition pour limiter le retard. Ou encore dans le cas
où un commissionnaire de transport ne suit pas l'expéditeur et
commence à s'inquiéter de sa bonne arrivée à
destination au bout de plusieurs semaines. Dans toutes ces décisions,
« le simple retard» a suffit à entraîner la
faute lourde.
Nous ne saurons expliquer le pourquoi d'un tel revirement,
mais nous constatons qu'il n'est pas sans conséquences.
L'inexécution ne suffit plus à qualifier la faute lourde et le
fait pour le transporteur de ne pas pouvoir donner d'éclaircissements
sur les causes et les circonstances du manquement contractuel ne
l'établit plus non plus. Avec cette nouvelle solution, on assiste
à l'instauration d'un vrai régime de faveur autour du
transporteur. Cela est tellement évident qu'on se demande si
l'obligation pesant sur lui demeure encore une obligation de
résultat.
La décision Chronopost 3 semble confirmer la
qualification de» bavure juridique» que certains auteurs ont retenu
à la décision Chronopost 2. Pire on pourrait convenir d'autres
qualificatifs comme « Affaire Chronopost un coup pour rien
?», ou encore beaucoup « Affaire Chronopost beaucoup de bruit
pour rien »! Mais, nous, n'allons pas nous hasarder à de
telles critiques ; nous espérons tout simplement que le recours à
la notion de cause à l'aune de l'obligation essentielle ne
s'arrêtera pas aux seuls arrêts Chronopost 2 et Securinfor. Il
faut reconnaître que dans les contrats d'adhésion comme le contrat
de transport rapide l'équilibre contractuel doit être le but
suprême du juge. Pour parvenir à cet équilibre le juge doit
avoir le choix entre la cause ou la faute lourde qui sont toutes deux des
techniques appropriées.
Nous retenons ainsi avec M. Loiseau que :
« moins rivales que complices, la cause et la faute lourde peuvent
utilement se relayer et oeuvrer chacune à sa façon à la
remise en cause des clauses limitatives ou exclusives de réparation
stipulées dans les contrats conclus entre professionnels
» De plus toutes les techniques sont précieuses pour assainir la
charte contractuelle des clauses qui la corrompent.
La question de la faute lourde demeure donc
d'actualité, mais elle n'est pas la seule sanction de la violation de
l'obligation essentielle.
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