INTRODUCTION
La théorie des obligations est l'une des branches les
plus vivantes du droit civil français. Elle est fondée sur les
droits des contrats et de la responsabilité civile. Le contrat est une
source potentielle d'obligations. Le terme obligation recouvre diverses
réalités. En droit civil, l'obligation est un terme
désignant le lien de droit créé par l'effet de la loi ou
par la volonté de celui ou de ceux qui s'engagent en vue de fournir ou
de recevoir une prestation. Il existe plusieurs types d'obligations: les
obligations contractuelles, qui résultent de la conclusion d'un
contrat, et les obligations délictuelles qui émanent du fait
juridique.
Le droit civil contractuel, est au « coeur des
préoccupations humaines ». C'est pourquoi il est en
perpétuelle évolution, il change au gré de
l'économique, et des occupations de l'homme. Toutefois, cette
évolution est rendue moins brutale par la perpétuité des
grands principes du droit civil contemporain résultant du droit romain
et surtout par la méthode de codification à droit constant qui
permet au législateur d'introduire des changements tout en maintenant
les textes immuables.
Au début, la tendance du droit des obligations
était le libéralisme contractuel :« Le laisser faire et
le laisser passer ».
Le libéralisme proclame une liberté
contractuelle totale. Elle s'appuie sur le principe de l'autonomie de la
volonté. Selon ce principe « Le contrat repose sur la
volonté de ceux qui s'engagent. L'homme est libre et ne peut être
lié que par ce qu'il a voulu et dans la mesure de ce qu'il a voulu
». Le libéralisme fut délaissé à cause
des abus de l'autonomie de la volonté. Et depuis, le droit des contrats
s'est très « humanisé » ; l'objectif a
changé, désormais ce sont la protection et la défense du
contractant le plus faible qui ont droit de cité. La nouvelle ère
contractuelle essaie de substituer à l'égalité
théorique du Code civil, l'égalité concrète de
traitement des contractants. Le temps de la protection du plus faible et de
l'interventionnisme judiciaire a sonné. Un courant doctrinal a fait de
ce nouveau slogan son cheval de bataille : c'est le courant solidariste. Pour
les solidaristes, « la libre volonté et l'égalité
sont des mythes quand les parties sont inégales en force. Les hommes
étant concrètement inégaux, ils ne peuvent exercer tous
pleinement les droits dont ils sont titulaires. Tout en critiquant l'autonomie
de la volonté, les solidaristes gardent la volonté comme source
de l'effet obligatoire du contrat, mais en soumettent aux exigences sociales
supérieures du solidarisme. Dans cet esprit, le juge et le
législateur ont créé ou développé diverses
obligations à la charge des contractants forts économiquement,
pour que ceux-ci n'abusent pas de leur puissance. La loi solidariste soustrait,
en tout ou en partie, certains domaines à la liberté
contractuelle. Elle a imposé l'ordre public économique, de
direction ou de protection.
Mais il y a surtout le solidarisme judiciaire qui impose au
juge de sanctionner les abus de puissance économique non
prévenus par la loi : c'est la protection du consentement, c'est surtout
la chasse aux clauses qui corrompent l'univers contractuel. Justement cette
dernière est au centre de la tendance actuelle du droit civil des
contrats. Elle a eu pour créneau la loi du 10 janvier 1978 sur les
clauses abusives. Avec cette législation, "Dans les contrats conclus
entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les
clauses qui ont pour objet ou pour effets de créer au détriment
du non professionnel un déséquilibre significatif entre les
droits et obligations des parties au contrat". Cette nouvelle
définition, est désormais en conformité avec celle
prescrite par la directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 que la France
devait transposer. L'article L.132-1 nouveau du Code de la consommation ne fait
toutefois que confirmer les récentes avancées jurisprudentielles
en matière de lutte contre les clauses abusives : d'une part celles qui
présument l'abus de puissance économique dès lors que le
contrat est un contrat d'adhésion, c'est-à-dire impossible
à négocier pour le consommateur et, d'autre part, celles qui
reconnaissent au juge, en l'absence de tout décret d'interdiction, le
pouvoir de déclarer nulle et non écrite une clause limitative de
responsabilité insérée dans un contrat .
La définition de l'article L.132-1, en ne retenant plus
comme critère de la clause abusive que celui du «
déséquilibre significatif entre les droits et obligations des
parties au contrat » élargit le champ d'application de la
réglementation puisque le consommateur confronté à une
clause abusive n'a plus à prouver l'abus de puissance économique
dont le professionnel profitait pour lui imposer un contrat contenant des
clauses abusives (par ex. : dans les contrats de location de véhicules
automobiles de longue durée, la clause qui fait supporter au preneur la
totalité des risques de perte ou de détérioration de la
chose louée est l'expression d'un abus de puissance économique du
bailleur. De plus, l'article L.132-1 n'écarte pas non plus "les
clauses contractuelles qui reflètent des dispositions
législatives ou réglementaires impératives" et
continue donc de s'appliquer aussi bien aux contrats de consommation de droit
privé qu'aux contrats de service public fixés par voie
réglementaire (par ex. : les contrats de transport de gaz et
d'électricité...).
La législation sur les clauses abusives limite la
protection contre ces clauses aux seuls consommateurs. La notion de
consommateur est alors entendue dans son sens le plus large. Elle a
donné lieu a d'abondantes interrogations et à une jurisprudence
fluctuante. Si la directive du 5 avril 1993 penche pour une définition
restrictive du consommateur et le considère comme une personne physique
n'entrant pas dans le cadre d'une activité professionnelle (art.2, b),
la loi française vise non seulement le consommateur mais aussi le "non
professionnel". La Cour de cassation a adopté une définition
extensive du consommateur en considérant qu'une personne morale pouvait
bénéficier de la protection dès lors qu'elle était
relativement au contenu du contrat "dans le même état
d'ignorance que n'importe quel autre consommateur". Elle a ensuite
adopté une vision plus restrictive en délimitant le domaine de
protection aux contrats n'ayant pas un rapport direct avec son activité
professionnelle.
Mais depuis quelques années, la jurisprudence
étend cette protection aux professionnels aussi. Cela est très
étonnant car le professionnel était supposé avoir une
initiation aux mondes des affaires .Cette présomption faisait que, si le
professionnel était victime d'une clause abusive, il était moins
favorablement traité que le consommateur. Mais exceptionnellement et
surtout grâce à la notion d'obligation essentielle on fait fi de
cette présomption non irréfragable pour protéger le
professionnel au même titre que le consommateur. Ainsi, tandis que le
fondement de la protection est la législation sur les clauses abusives
pour le second, pour le premier, elle est l'obligation essentielle.
Peu connue car n'ayant pas fait jusque là l'objet
d'écrits abondants, la notion d'obligation essentielle est pourtant l'un
des bastions du droit actuel des obligations. Elle existait déjà
en droit international privé avant 1938 sous le nom d'obligation
caractéristique avant d'être systématisée par le
doyen BATIFFOL. De plus, beaucoup d'autres systèmes juridiques
( anglais, belge ,italien) connaissent la notion. Elle est
également présente dans le système européen du
droit des contrats .En droit des contrats, la théorie de l'obligation
essentielle est de plus en plus appelée sur «la sellette «
.Mais à notre connaissance, seul M.Ph .Delebecque a
étudié en profondeur la notion dans sa thèse sur «
Les clauses allégeant les obligations dans les contrats ».
Même là, l'auteur n'étudie la notion que dans le cadre de
son influence sur les clauses allégeant les obligations dans les
contrats. Cette étude est certes très intéressante mais
elle ne peut que nous servir partiellement dans notre étude sur «
L'obligation essentielle dans le contrat » .
Une telle étude a pour intérêt théorique de montrer
toute la place qu'occupe la notion dans la théorie des obligations.
Elle a aussi un intérêt pratique inestimable notamment dans la
pratique contractuelle et surtout au niveau des techniques contractuelles .A ce
niveau, il ne fait aucun doute que la notion d'obligation essentielle est l'un
des moyens les plus efficaces pour lutter contre les clauses abusives.
A la différence de M. Delebecque, nous allons envisager
la théorie de l'obligation essentielle dans sa globalité et dans
son effectivité dans le processus contractuel. Et comme la notion est
omniprésente dans tout ce processus, a priori, il peut paraître
intéressant de démontrer son importance à la formation,
à l'exécution et à l'extinction du contrat. Une telle
vision recouvre un intérêt et une simplicité
évidents, mais elle ignore la logique du plan bipartite et surtout
aboutira à un travail très déséquilibré.
Bref elle conduirait à une restriction de l'envergure de la notion.
La première difficulté que soulève la
notion d'obligation essentielle dans le contrat est le souci de
détermination de cette dernière. Comment faire, pour identifier
l'obligation qui serait essentielle dans le contrat étant donné
que ce dernier contient une panoplie d'obligations ?
Cette première interrogation va nous conduire à
retenir en première partie de notre travail la détermination de
l'obligation essentielle (première partie) ; cette détermination
nécessite des mécanismes particuliers ou des critères
(chapitre I) . Une fois déterminée, il serait intéressant
d'identifier dans un souci d'originalité la notion par rapport à
des notions voisines (chapitre II). De cause à effet, la
détermination de l'obligation essentielle implique l'importance de la
notion. Cette importance s'exprime à travers le rôle que
l'obligation essentielle joue au sein du contrat. Jouant un rôle
unanimement jugé important, il est très logique que la violation
ou le non respect de la notion soit soumis à sanctions. C'est pourquoi
il nous a fallu retenir en deuxième partie de notre travail, le
rôle et les sanctions de l'obligation essentielle(deuxième partie)
.
Le rôle de l'obligation essentielle n'est pas des
moindres. Ce rôle s'impose avec évidence surtout à
l'exécution et à l'extinction du contrat. A l'exécution,
l'obligation essentielle intervient pour limiter les clauses afférentes
à la responsabilité contractuelle. A l'extinction du contrat, la
notion d'obligation s'érige en condition du prononcé de la
résolution judiciaire (chapitre I). Après toute cette
démonstration, nous exposerons les sanctions de la violation de
l'obligation essentielle (chapitre II).
Pour mener à bien notre recherche sur l'obligation
essentielle dans le contrat, nous nous sommes butés à maintes
difficultés. D'abord, un problème de documentation. Il n'existe
pas à notre connaissance un seul ouvrage général portant
spécifiquement sur la notion. De plus, les ouvrages
généraux en droit des obligations ne lui consacrent en
général q'une brève présentation. Ensuite, la
thèse de M..DELEDECQUE qui a été notre document de base
n'est malheureusement pas disponible dans notre bibliothèque
universitaire locale. Enfin, tous les articles que nous avons pu
répertoriés n'abordent la notion que dans ses rapports avec les
clauses afférentes à la responsabilité.
Toutefois, ces difficultés ne nous ont pas
empêché de parvenir à des résultats. Ce sont
justement ceux-ci que nous allons vous restituer dans le présent
document.
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