comme élément constitutif du délit
de contrefaçon au sens de
l'article 23
Quoique l'on puisse admettre qu'il s'agit d'une condition
génératrice d'une complexité évidente, la
subordination de la condamnation des actes de contrefaçon au sens de
l'article 23 à l'existence d'un risque dans l'esprit du public semble
être une juste mesure car une telle confusion aura pour
conséquence directe la mise échec de la fonction de garantie
d'origine que poursuit la marque et que le droit des marques se propose de
sauvegarder.
L'existence d'un quelconque risque de confusion dans l'esprit
du public ainsi que son appréciation est évidemment une question
de fait qui échappe à toute définition légale
préalable, il appartient donc aux juges de fond de l'apprécier
casuistiquement et souverainement pourvu que leurs décisions soient
dûment motivées.
Pour qu'il soit constitutif de contrefaçon au sens de
l'article 23, l'emploi de la marque d'autrui doit nécessairement
générer un risque de confusion ( Paragraphe 1),
toutefois, cette confusion n'existe pas dans l'absolu, elle s'apprécie
forcément à l'égard d'un public bien
déterminé (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La signification du risque de confusion
:
D'emblée, il est permis de voir dans l'estimation du
risque de confusion une entreprise taxée d'une subjectivité plus
qu'évidente, car ce qui prête à confusion pour une personne
ne l'est pas du tout ou l'est à un moindre degré pour une autre
personne. C'est donc une notion variable et à caractère
foncièrement vacant.
Pour ce qui est de l'appréciation du risque de
confusion au sens de l'article 23 de la loi n°36- 2001, il est opportun de
signaler en premier lieu que la loi se limite, à juste titre, à
exiger l'existence d'un risque de confusion, il n'est donc pas
nécessaire de chercher si la confusion est effectivement
réalisée, il suffit juste qu'elle soit possible.
Cette souplesse se justifie d'elle-même, car si l'on
cherche à préserver la fonction distinctive de la marque, il
semble nécessaire que l'on doive prévenir d'office le risque ou
le danger même de confusion. En pratique, « il suffit que le
juge estime qu'une confusion peut se produire ; il suffit que le juge, sans se
borner à retenir un risque hypothétique ou probable, constate la
réalité de ce risque. » 1
Quant à la confusion, elle peut d'abord être
totale c'est-à-dire que l'on arrive à confondre purement et
simplement la marque originale à celle qui lui ressemble et qui se
trouve employée par un tiers afin de désigner des produits ou
services similaires à ceux couverts la première marque. Par
ailleurs, on doit admettre que la confusion peut être simplement comprise
à un niveau faible de similitude ou de proximité car, comme on
l'a déjà vu, le contrefacteur prend généralement le
soin d'introduire quelques éléments de nature dissiper la
confusion totale entre la marque originale et celle qui la contrefait.
Aux fins de l'appréciation de la contrefaçon qui
résulte d'une confusion au sens de l'article 23, le juge doit
impérativement prendre en considération la confusion entre les
marques en question car la contrefaçon n'est retenue que lorsque les
marques se révèlent, intrinsèquement, identiques ou
similaires abstraction faite des objets auxquels elles s'appliquent, en ce
sens, la cour d'appel de Tunis rappelle que « c'est la
ressemblance entre les marques et non pas l'identité des produits qui,
du simple fait de leur usage, trompe et induit le public des consommateurs en
erreur sur le véritable fabricant du produit
».2
Par ailleurs, le caractère identique ou similaire des
produits ou services ne compte que pour l'application du principe de
spécialité en vue de déterminer si l'atteinte
portée à la marque usurpée rentre dans le cadre de sa
spécialité ou non.
L'inobservation de la règle de l'appréciation de
la confusion par rapport aux signes eux-mêmes conduit
généralement à l'exclusion de la contrefaçon car
dans ce cas ce ne sont plus les marques qu'il convient de comparer mais ce sont
forcément des éléments extrinsèques tels que la
forme des produits, leur odeur, leur conditionnement ou leur
couleur.3
Sur la base d'une telle démarche erronée, la Cour
de Cassation n'a pas retenu la contrefaçon dans
1 MATHELY (P): op. cit. p. 301.
2 CA, Tunis, arrêt, n°60537 du 16
février 2000. (JOHNSON ENDSON. Inc c/ JASMINAL). Voir annexe
n°5.
3 TPI, Sfax, Jugement n°14808 du 13
février 1989. . Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997,
n°1. p. 144. La contrefaçon n'a pas été retenue,
à tort, car « les deux termes ne prêtent pas à
confusion dans l'esprit du consommateur ordinaire surtout que le volume des
flacons, leurs couleurs et l'odeur des parfums sont différents
».
dans l'affaire KIRI c/
RIKI,1 il en est de même des affaires Royal
Crown c/ S.C.B.G 2 et OMO
c/ ORO.3
Par ailleurs, on doit admettre que le demandeur en
contrefaçon sur la base de l'article 23 de la loi n°36-2001 n'a pas
à rapporter la preuve formelle de la confusion car celle-ci se
dégage simplement de la simple confrontation des deux marques
envisagées abstraitement et ce même avant toute apposition sur les
produits.
Parfois, la ressemblance entre deux marques se limite à
un élément particulier. Pour qu'il y ait confusion, on doit
exiger dans ce cas que cet élément reproduit ou imité soit
distinctif en soi car ce n'est que sur la base d'un tel caractère
original que la présence de cet élément dans une autre
marque devient susceptible de semer la confusion dans l'esprit du public.
La chose a été jugée par la Cour de
Cassation qui a censuré un arrêt qui n'a pas prêté un
intérêt particulier à la distinctivité de
l'élément reproduit. En effet, en méconnaissant cette
démarche, la cour d'appel ne pouvait parvenir à déterminer
si, de part son caractère distinctif, l'élément reproduit
dans la marque arguée de contrefaçon « saurait
attester la prétendue ressemblance dans l'esprit du consommateur
ordinaire d'attention moyenne de manière à l'induire en erreur
sur la provenance du produit désigné par la marque
».4
Du reste, on doit admettre que la confusion se trouve
caractérisée chaque fois qu'il résulte de la confrontation
des deux marques un simple rapprochement qui laisse à croire que l'on
est devant deux marques identiques ou tout le moins d'une évidente
ressemblance. Cette ressemblance est jugée d'après l'impression
générale des deux marques en présence, si l'impression
générale des deux marques se ressemble alors il y a risque de
confusion.
Le danger que constitue la marque contrefaisante, qui cherche
à se confondre dans l'esprit du consommateur avec la marque originale,
réside dans l'effet de perplexité et d'indécision qu'elle
engendre à propos de la véritable origine des produits ou
services qu'elle couvre. A ce propos, il est nécessaire de
préciser qu'il n'est pas essentiel que le consommateur ait
été effectivement trompé car, tout simplement, il importe
de se contenter du fait qu'il aurait pu l'être.
Par ailleurs, il semble utile de rappeler que certains
facteurs exercent en fait un pouvoir décisif sur l'esprit des juges lors
de l'appréciation de la confusion entre deux marques peu importe
qu'elles soient appliquées à des objets identiques ou similaires,
c'est, notamment, le cas où la marque usurpée se
révèle notoire.
Quoique l'article 23 ne le précise pas, la prise en
compte du degré de notoriété d'une marque paraît
s'imposer d'elle-même car la notoriété influe,
inconsciemment, sur le jugement d'une manière ou d'une autre surtout si
la marque en question a fait l'objet d'une publicité fracassante.
« Le caractère distinctif de la marque
antérieure, et en particulier sa renommée, doit être pris
en compte pour apprécier si la similitude entre les produits ou les
services désignés par les deux marques est suffisante pour donner
lieu à un risque de confusion ». C'est la réponse
donnée par la Cour de Justice des Communautés
Européennes5 à la question préjudicielle
consistant à savoir si
1 Cass-Civ, n°18698 du 4 décembre 1989.
Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 149.
2 CA, Sousse, arrêt n°10167 du 19 avril
1984. Chronique, R.T.D 1986. p. 572.
3 CA, Tunis, Arrêt n°62158 du 12 juin 1985.
BOUDEN (O): op. Cit. Annexe p. 79.
4 Cass-civ n° 65931 du 8 mai 2001. Bull Civ 2001,
p 103.
5 (Affaire : CANON c/ MGM) : CEJE, 29
septembre 1998. , PIOTRAUT (J-L) & DECHRISTE (P-J): « Jugements et
arrêts fondamentaux de la propriété intellectuelle ».
Editions TEC & DOC 2002. p. 552.
la notoriété de la marque contrefaite doit
être prise en compte pour apprécier si la similitude des produits
en cause suffisait pour donner lieu à un risque de confusion.
Tout en interprétant le paragraphe premier de l'article
4 de la directive européenne 89/104/CEE du 21 décembre 1988, la
cour a considéré qu'il faut entendre par risque de confusion
« le risque que le public puisse croire que les produits en cause
proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant,
d'entreprises liées économiquement » par
conséquent « il ne suffit pas, afin d'exclure l'existence
du-dit risque de confusion, de démontrer simplement l'absence du risque
de confusion dans l'esprit du public quant au lieu de production des produits
ou services en cause »
Afin de confirmer la vertu pratique d'une telle position, on
peut l'illustrer par les exemples suivants : Si l'on se trouve devant un
produit fabriqué en Turquie et portant une marque presque identique
à une marque française prestigieuse appliquée à un
produit identique ou similaire, on est tenté de croire que le produit
provenant de la Turquie a été fabriqué sous licence alors
que ce n'est probablement pas le cas.
De même, on peut légitimement attribuer à
la même marque l'origine d'un produit revêtu de cette
dernière alors que l'on n'est pas habitué à voir cette
marque appliquée à ce genre de produits. On croira alors que
l'application de cette marque à ce nouveau produit s'explique peut
être par la diversification, très courante de nos jours, de
l'activité de cette maison de fabrique.
Notons enfin, qu'en pratique, les manoeuvres frauduleuses du
contrefacteur, qui a sciemment cherché à créer la
confusion, devront compter pour beaucoup dans l'esprit du juge lors de
l'appréciation de la confusion entre deux marques car ce sont souvent
des circonstances de fait propres à chaque espèce qui forgent la
conviction du juge sur l'existence du risque de confusion.1
L'appréciation du risque de confusion au sens de
l'article 23 de la loi n°36-200 1 revient naturellement au juge qui
l'appréciera, bien entendu, en tant que consommateur, car c'est à
ce dernier que s'adresse en définitive la marque authentique ainsi que
celle qui la contrefait.
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