L'identification de l'acte de contrefaçon de marque en Tunisie( Télécharger le fichier original )par Kaïs Berrjab Faculté des Sciences Juridiques, Ploitiques et Sociales de Tunis - DEA en Sciences Juridiques Fondamentales 2004 |
Paragraphe 2 : L'étendue de la reproduction de la marque :Selon Roubier, « il serait vraiment excessif d'exiger une copie totale de la marque d'autrui car le délit de contrefaçon ne serait jamais commis, il est rare en effet que le contrefacteur pousse l'audace jusque là ».3 Si l'on doit exiger que la reproduction prenne la forme d'une copie servile, la conséquence sera la mise en échec totale de la protection de la marque car de la sorte le contrefacteur ne risquera absolument aucune sanction du moment qu'il lui suffit de reproduire la marque à quelques différences près pour se dérober de toute poursuite en contrefaçon. Même en pratique, on note qu'il est de moins en moins courant de voir un contrefacteur reproduire la marque d'autrui en entier. En effet, sur quinze affaires recensées en matière de reproduction de marque pour des produits identiques, il n'y a eu que trois 4 seulement dans lesquelles les titulaires des marques usurpées se plaignaient d'une reproduction servile. Ainsi, comme « l'imagination des hommes est féconde lorsqu'il s'agit de mal faire »,5 il a été admis en doctrine comme en jurisprudence que la contrefaçon est consommée toutes les fois où la marque se trouve reproduite même partiellement.6 Bien entendu, si la reproduction est totale, il suffit aux fins de l'appréciation de procéder à une comparaison élémentaire entre la marque contrefaisante et la marque reproduite pour mettre en évidence leur caractère identique comme çà était le cas de la reproduction servile des marques Christian Dior, Haut Mornag et (RAID, PLIZ et FEE du LOGIS) Toutefois, si cette démarche est valable lorsque les deux marques en question sont simples, c'est à dire composées d'un seul élément figuratif, nominal ou sonore, il en va autrement si la marque usurpée se trouve reproduite dans une marque complexe. Dans ce cas, la solution repose sur l'appréciation du pouvoir distinctif de la marque simple par rapport aux autres éléments auxquels elle est ajoutée. 1 Voir en ce sens les quatre décisions rapportées par J. Azéma, RTD com., 2003. n°3. Chronique, p. 499. il s'agit, en effet, de : CA, Paris, 27 novembre 2002, 4e ch. A, RG 2002/ 03748 ; CA, Paris, 27 novembre 2002, 4e ch. A, RG 2001/15809 ; CA, Paris, 4 décembre 2002, 4e ch. A, RG 2001/01099 ; CA, Paris, 27 novembre 2002, 4e ch. A, RG 2000/23 173. 2 Azéma. (J), in Chronique, Propriétés incorporelles, RTD com., 2003. n°3. p. 500. 3 ROUBIER (P) : Droit de la propriété industrielle. Sirey 1952. Tome I. p. 354. 4 Affaire « HAUT MORNAG », CA, Tunis, arrêt n°83724 du 6 février 2002. (non publié) voir annexe n°4 ; Affaire «Christian Dior» : CA, Tunis, Arrêt correctionnel n°2731 du 12 juillet 2001. (non publié) voir annexe n°7 ; CA, Tunis, Arrêt, n°60537 du 16 février 2000. Affaire : « RAID », « FEE DU LOGIS » et « PLIZ », voir annexe n°5. 5 Le TOURNEAU (PH) & CADIET (L) : op. cit. n°6084. p. 1119. 6 Cf., très critiquable, Cass-Civ, n°18698 du 4 décembre 1989. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 149. Dans cette affaire ( KIRI c / RIKI ), en l'espèce, la Cour de Cassation a déraisonnablement exigé une identité totale entre les marques. En effet, si la marque simple est reproduite dans un ensemble au sein duquel elle ne perd pas sa singularité et son individualité, il y a alors contrefaçon car la distinctivité de cette marque n'a été ni altérée ni banalisée suite à son insertion dans la marque complexe. Sur la base de ce raisonnement, il a été jugé que la reproduction de la marque DRYPERS au sein de la marque DRYPERS COMPACT 1 était contrefaisante, il en est ainsi de la reproduction des marques suivantes : ASTRAL 2 dans SUPER PANDA ASTRAL, ainsi que la reproduction de la marque BRILLANCE 3 au sein d'une marque complexe constituée par les signes nominaux BRILLANCE et SCHWARZKOPF auxquels s'ajoute un élément figuratif. L'appréciation de la reproduction devient délicate lorsque la marque n'est reproduite que partiellement, ainsi, on se pose la question de savoir quel critère doit-on adopter afin de se prononcer sur l'existence de la reproduction ? A vrai dire, « tout est question de mesure et de bon sens, avec l'inévitable aspect subjectif des appréciations ».4 Si le résultat de l'appréciation de la reproduction partielle souffre d'une évidente incertitude, on note par contre que la méthode suivie dans cette appréciation fait l'unanimité d'une jurisprudence ancienne et constante en Tunisie comme en France.5 En effet, comme le contrefacteur n'est assez imprudent pour reproduire la marque intégralement, on a convenu à apprécier la contrefaçon non d'après les différences mais d'après les ressemblances car le contrefacteur s'efforce souvent à dissimuler la reproduction en créant quelques différences insignifiantes afin de repousser le grief de contrefaçon. La jurisprudence tunisienne n'a pas manqué de rappeler cette règle depuis 1965, il en est ainsi de l'arrêt de la Cour d'Appel de Tunis qui a considéré qu' « il n'est pas nécessaire à la constitution de la contrefaçon que la même marque soit reproduite dans son ensemble, il suffit juste de reproduire ses éléments essentiels et significatifs peu importe les différences de détail » . 6 Afin de retenir la contrefaçon, la marque doit être reproduite en ce qu'elle a de plus spécifique et caractéristique car si l'élément ou la partie reproduite se révèle ordinaire ou à la limite du banal, on ne saurait alors admettre la reproduction, il faut donc que le signe reproduit soit intrinsèquement distinctif. Dans cette optique, la doctrine 7 propose une méthode analytique d'appréciation qui consiste à disséquer « la marque protégée pour déterminer ses éléments essentiels, ceux qui exercent le pouvoir distinctif et on procède de la même façon à l'égard du signe argué de contrefaçon pour voir s'il reproduit ou non ces éléments caractéristiques. On confronte les deux signes en présence, leurs éléments intrinsèques et non les produits ou services vendus ou leurs qualités, qui ne servent qu'à déterminer si l'on se trouve dans la même spécialité » Comme dans l'appréciation de la reproduction servile, il convient de distinguer selon que la marque reproduite partiellement est une marque simple ou constituée par plusieurs éléments. 1 TPI, Tunis, jugement commercial n° 2703 du 11 avril 2000. ( DRYPERS Corporation / CIPAP), voir annexe n°6. 2 TPI, Bizerte, jugement correctionnel n°6206 du 22 avril 2003. (inédit) (ASTRAL / MAGISTRAL), voir annexe n°8. 3 TPI, Sfax, jugement commercial n°970 du 14 mars 2000. ( SCHWARZKOPF / JASMINAL), voir annexe n°1. 4 CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit. N°1192. p. 705. 5 Ibid. p. 707 et sui ; Voir aussi en ce sens la jurisprudence citée par MATHELY (P): op. cit. p. 293 et sui. 6 Arrêt n°25237 du 9 juin 1965. RJL 1969, n°6-7. p. 89. 7 POLLAUD-DULIAN (F) : op. Cit. N°1364. p. 638. Si la marque contrefaisante reprend quelques éléments significatifs du signe constitutif d'une marque simple tout en faisant d'eux son élément vedet e ou sa pierre angulaire, il y a alors t contrefaçon du moment que l'on ne peut s'empêcher de remarquer l'omniprésence et la subsistance de la marque reproduite au coeur de celle qui l'a contrefait. Il en est ainsi de la marque KRISTAL 1 qui reprend le signe CRISTAL, SONYA 2 qui reprend SONY et MARINI qui reprend MARTINI. 3 Par contre, dans les affaires ( KIRI c/ RIKI) 5 et ( OMO c/ ORO) 6 la reproduction partielle n'a pas été retenue suite à une appréciation erronée car les juges ont basé, à tort, leurs positions sur des différences quant à la forme du produit, sa présentation ou son emballage alors qu'ils auraient dû comparer seulement les deux marques en question à l'exclusion de toute autre considération puisque comme le rappelle la Cour d'Appel de Tunis « c'est l'identité entre les marques et non pas l'identité entre les produits qui induit le consommateur en erreur sur le véritable fabricant».7 Toutefois, il est un cas où l'on doit prendre en considération ces éléments, c'est celui où la marque se trouve composée entièrement ou en partie, au sens de l'article 2 al. 2 de la loi n°36- 2001, par «les reliefs, les formes, notamment celles du produit ou de son conditionnement». A condition qu'ils soient distinctifs en eux-mêmes, ces éléments deviennent protégeables et ce n'est que pour cette raison qu'ils doivent être considérés dans l'appréciation de la reproduction. Par ailleurs, l'appréciation de la reproduction partielle devient souvent plus compliquée toutes les fois où elle a pour objet une marque complexe. En effet, la complexité de cette appréciation n'a pas manqué d'alimenter un débat épineux, en droit français, entre la Cour de Cassation et les juges de fond qui refusaient de séparer analytiquement les éléments de la marque complexe reproduite partiellement tout en la considérant comme un tout indivisible. 8 Ainsi, s'il s'avère que c'est l'ensemble qui est distinctif et non pas ses éléments pris séparément, on dira alors qu'il n'y a pas de contrefaçon sauf si cet ensemble est reproduit en entier. Le même raisonnement est valable aussi lorsqu'on est en présence de deux marques complexes. En effet, si l'élément reproduit se fond ou se noie dans le nouvel ensemble auquel il est ajouté et s'il n'est pas distinctif ou attractif en soi, on considèrera alors que la seconde marque forme un tout indivisible, dès lors, elle ne sera pas considérée comme contrefaisante. Sur la base de cette méthode, les juges français ont considéré que la marque « J.B. ADAM » ne contrefaisait pas la marque «J&B»,9 de même « BIG BOSS » et « HUGO BOSS ».10 Quant à la jurisprudence tunisienne, elle semble généralement subordonner l'appréciation de la reproduction partielle au caractère distinctif de l'élément reproduit dans la marque complexe. 1 TPI, Tunis, jugement N° 64616 du 5 juillet 1983. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 145. Publication de la Faculté de Droit de SFAX. 2 CA, Tunis, Arrêt N°1593 du 13 février 1987. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 150. 3 CA, Tunis, Arrêt du 16 mai 1951. Ann. Prop. Ind 1952. p. 133. 5 Cass-Civ, n°18698 du 4 décembre 1989. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 149. 6 CA, Tunis, Arrêt n°62158 du 12 juin 1985. BOUDEN (O): op. Cit. Annexe p. 79. 7 CA, Tunis, Arrêt, n°60537 du 16 février 2000. Affaire (JOHNSON ENDSON. Inc / JASMINAL), voir annexe n°5. 8 Sur la jurisprudence du tout indivisible, voir : CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit. N°1192. p. 704. 9 Paris, 29 mars 1996, PIBD, 1996, n°611. III. 185.. 10 Cass. Com., 7 février 1995, RTD com., 1996, 269, obs. J. Azéma Tout d'abord, on note que l'appréciation du caractère distinctif des éléments reproduits n'est pas toujours indispensable chaque fois où la reproduction partielle s'apparente plutôt à une copie servile, c'est d'ailleurs le cas dans l'affaire MISTER MINUTE. En effet, sur trois niveaux de comparaison, les juges ont fini par admettre une reproduction totale à deux reprises tout en estimant en troisième lieu qu'« une grande similitude a été relevée à propos de l'homme qui figure sur les deux signes même s'il y a eu des changements qui ne soient pas de nature à modifier le contenu du signe publicitaire ».1 Dans une autre affaire, le Tribunal de Première Instance de Sfax a considéré que la marque NUIT de PARIS n'est pas la contrefaçon de la marque SOIR de PARIS.2 Selon les considérations de ce jugement, il paraît clair que les juges ont confondu imitation et reproduction partielle car ils ne se sont pas basés sur une appréciation analytique mais plutôt sur une appréciation synthétique ou d'ensemble tout en vérifiant s'il y a eu ou pas confusion dans l'esprit du public. S'agissant du caractère distinctif de l'élément reproduit à partir d'une marque complexe, il semble qu'il est de plus en plus considéré en jurisprudence. C'est ce que laisse entendre le jugement 3 qui a retenu la contrefaçon à partir de la reproduction de l'élément figuratif de la marque ROMAGE au sein de la marque IMAGE D'AMOUR. De même, la reproduction du terme NOVA au sein de la marque DELICE NOVA a été jugée contrefaisante de la marque notoire MAMI NOVA. Dans cet arrêt, la Cour de Cassation 4 a censuré, à juste titre, la décision qui « ne s'est pas fondée sur un critère général et clair qui rend compte des ressemblances relatives aux caractéristiques fondamentales et distinctives des deux marques sans s'attarder sur les dissemblances insignifiantes et les différences de détails ». En méconnaissant cette démarche, la cour d'appel ne pouvait parvenir à « déterminer si la dénomination NOVA compte en tant qu'élément distinctif de part sa forme ou en fonction de sa conjonction aux autres éléments et, par voie de conséquence, si son existence dans la marque de la défenderesse (DELICE NOVA) saurait attester la prétendue ressemblance ». Bien que l'on approuve cette démarche, il semble, toutefois, que la cour de cassation a relevé un cas d'imitation et non pas de reproduction partielle alors que la demande tendait à reconnaître la reproduction partielle sur la base de l'article 16 du décret du 3 juin 1889. Dans un arrêt 5 rendu après l'entrée en vigueur de la loi n°36-2001 du 17 avril 2001, il a été jugé que l'élément reproduit à partir d'une marque complexe dans une autre marque complexe doit être intrinsèquement distinctif, dès lors, s'il est prouvé qu'il est descriptif sa reproduction ne saurait être qualifiée de contrefaçon. Il en est ainsi de la reproduction partielle des marques DERBIGUM AFRIQUE P2, SP4 et GC5 dans les marques BITUPLAST P2, HP4 et GC5. Contrairement aux premiers juges qui ont estimé, à tort, que le différend mettait en cause un brevet d'invention et non pas une marque de fabrique, la cour d'appel a adopté une démarche séduisante. 1 TPI, Tunis, Jugement n°64617 du 28 février 1989. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 144. 2 Jugement n°14808 du 13 février 1989. Ibidem. En l'espèce, les deux marques désignaient des produits identiques. 3 Affaire: (BOURGEOIS / BATTIKH). TPI, Tunis, jugement n°12716 du 6 juin 1982. RTD 1995. P. 299. Note N. Mezghani. 4 Cass-civ n° 65931 du 8 mai 2001. Bull Civ 2001, p 103 et spécialement p. 106. 5 C A, Tunis, Arrêt n°546 du 3 décembre 2003, (Affaire: DERBIGUM / COMMET), voir annexe n°3. D'abord, elle s'est référée à l'article 2 de la loi n°36-2001 pour rappeler que la marque doit être foncièrement distinctive, ensuite, elle renvoi à l'article 3 de la même loi pour dépouiller les signes descriptifs de tout caractère distinctifs avant de conclure à cet attendu : « considérant que tant qu'il est établi que les lettres objet de la reproduction ne sont en fait que des indications de l'espèce du produit » et donc « libres d'usage pour tous les producteurs sans que l'un d'entre eux ne puisse en réserver l'usage à titre exclusif, il s'ensuit qu'elles ne peuvent profiter d'une protection spéciale ». En définitive, on conclut sur la base de ces développements que la contrefaçon doit être retenue toutes les fois où l'élément reproduit pris isolément se révèle susceptible d'exercer, entièrement ou en partie, la fonction distinctive ou attractive de la marque indépendamment de la modalité par laquelle la reproduction a été consommée. |
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