Paragraphe 2 : La territorialité de l'acte de
contrefaçon
Une marque n'est protégée, en principe, que dans
les limites territoriales de l'Etat dans lequel elle a été
déposée. Il s'ensuit que la territorialité se
présente comme l'expression géographique de la relativité
du droit sur la marque.
En effet, une marque enregistrée seulement en Tunisie
ne peut bénéficier d'une protection qui dépasse les
frontières de la république tunisienne, il est donc possible
d'enregistrer et d'utiliser, dans un autre pays, la même marque pour des
produits identiques ou similaires sans que le grief de contrefaçon ne
puisse être retenu contre l'auteur d'un tel enregistrement ou usage.
La territorialité du droit sur la marque est un
principe qui s'explique surtout par la nature subjective du droit en question,
car comme tout droit subjectif, le droit sur la marque est «
relatif à un ordre juridique déterminé, il ne
s'étend dans l'espace que dans la mesure où l'ordre juridique
lui-même s'étend dans l'espace ».3 Il n'a
donc géographiquement d'existence et d'effet que sur le territoire de
l'ordre juridique au sein duquel il a été créé.
1 Bien que l'article 24 ne se prononce pas sur les
sanctions d'un tel l'emploi, il semble logique que la sanction consistera en
l'interdiction de cet emploi ainsi que la réparation du préjudice
matériel et moral subi par le titulaire de la marque.
2 Voir en ce sens CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op.
cit. p. 590, n° 1033.
3 BOUCHE (N) : « Le principe de
territorialité de la propriété intellectuelle ».
Collection Logiques Juridiques 2002. N°272, p. 159.
De la territorialité du droit sur la marque, se
dégage une indifférence générale par rapport aux
faits intervenus à l'étranger et ayant pour objet une atteinte au
droit sur la marque car le droit sur la marque ne peut, en principe, être
violé dans un pays où il n'a point d'existence ou de protection.
Il s'ensuit qu'une marque déposée en Tunisie ne pourra faire
l'objet d'un acte de contrefaçon, que si les faits incriminés se
sont réalisés sur le territoire tunisien.
La relativité du droit des marques dans l'espace se
confirme aussi en vertu du principe de la territorialité de
l'application de la loi pénale. En effet, l'on sait que la
contrefaçon de marque est érigée en délit
pénal selon les articles 51 et 44 al. 1 de la loi n°36-2001, la
conséquence en est que l'atteinte à la marque n'est poursuivie et
qualifiée de contrefaçon que dans les limites de l'aire
géographique couverte par la loi pénale tunisienne.
Sur la base de ces développements, la relativité
territoriale du droit des marques semble être incontestable et
justifiée, toutefois, il est communément admis que la protection
de la marque peut être obtenue dans des pays étrangers en vertu
des conventions internationales tel que la Convention d'Union de Paris et
l'Arrangement de Madrid,1 ceci étant, peut-on voir dans les
conventions internationales une exception à la territorialité des
droits sur la marque ?
La réponse par la négative s'impose, car si les
conventions internationales permettent au droit sur la marque d'être
reconnu dans plusieurs ordres juridiques distincts, « elles ne
font qu'instituer un ordre juridique spécial plus large
»,2 ainsi la territorialité du droit sur la marque ne
fait que passer à une aire géographique plus large sans qu'elle
ne soit modifiée dans son principe.
Tel est le cas de l'enregistrement international des marques
dont les effets se répercutent dans les états -membres de
l'arrangement de Madrid- que le déposant aura désigné dans
l'acte de dépôt. « Tout ce passe comme si le
déposant international avait directement effectué un
dépôt dans chacun des pays de l'arrangement
».3 D'un point de vue terminologique, on parle d'un
dépôt international de marque et il n'est jamais question d'une
marque internationale.
Le principe de la territorialité des droits sur la
marque tient aussi face à la marque notoire. En vertu de l'article 6 Bis
de la Convention de Paris, le titulaire d'une marque notoire se trouve
implicitement dispensé de l'obligation de l'enregistrement de la marque,
dans les pays Unionistes, en raison de la notoriété qui se
substitue à l'obligation d'enregistrement.
Toutefois, l'exception dont bénéficie la marque
notoire, n'est en fait due que grâce à une appréciation
objective et territoriale de la notoriété, car pour
exonérer le titulaire d'une marque notoire de l'obligation
d'enregistrement, il faut d'abord, au sens de l'article 6 Bis de la Convention
de Paris, « que l'autorité compétente du pays de
l'enregistrement ou de l'usage estimera y être notoirement connue comme
étant déjà la marque d'une personne admise à
bénéficier de la présente Convention ».
1 L'Arrangement de Madrid a été
conclu le 14 avril 1891, il concerne l'enregistrement international des
marques. Le dépôt international de la marque, effectué par
le ressortissant d'un Etat signataire, permet de protéger la marque dans
tous les pays signataires de l'arrangement désignés dans la
demande d'enregistrement. Actuellement, l'enregistrement international
s'effectue à Genève auprès de l'O.M.P.I. La Tunisie,
partie à cet arrangement depuis le 28 août 1967, a fini par le
dénoncer en date du 8 avril 1987, la dite dénonciation a pris
effet à partir du 9 avril 1988. En effet, depuis cette date, les
étrangers qui entendent protéger leur droits doivent
déposer leurs marques directement en Tunisie. A titre informatif on note
que les Etats Unis d'Amériques n'ont adhéré à cet
arrangement qu'en date du 2 novembre 2003.
2 BOUCHE (N) : op. cit. N°273. p. 160.
3 CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit.
N°1296. p. 781.
Ainsi, toute la construction échafaudée au tour
de la marque notoire se trouve subordonnée à la reconnaissance de
la notoriété par les autorités territorialement
compétentes de chaque Etat, elle n'a donc de sens que dans les limites
de l'ordre juridique étatique qui la reconnaît.
Au même titre que les limites relatives à la
spécialité et à la territorialité, l'atteinte
constitutive de contrefaçon de marque n'est envisageable que lorsqu'elle
intervient à une date où l'enregistrement de la marque produit
encore ses effets, elle doit en effet se situer dans le temps à une
époque où les droits sur la marque sont encore opposables aux
tiers.
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