2.2 L'apprentissage moteur implicite : brève revue
de
littérature
Comme nous venons de le voir en passant en revue la
littérature, il apparaît que les recherches relatives aux
deux domaines de l'apprentissage implicite et de l'apprentissage moteur
sont particulièrement abondantes tandis que celles ayant
trait au domaine de l'apprentissage moteur implicite demeurent beaucoup
plus restreintes (Pew, 1974; Magill & Hall, 1989; Wulf & Schmidt, 1997
; Shea et al., 2001).
Qu'entend-on par « apprentissage moteur implicite »
? Pour Masters (1992), l'apprentissage moteur implicite « renvoie
à l'acquisition passive d'un répertoire de mouvements,
sans accumulation correspondante de connaissances ou de règles
explicites et verbalisables. ». Pew (1974) a été le premier
auteur à avoir utilisé une tâche de poursuite de cible
(i.e tâche de tracking) pour démontrer qu'un
apprentissage sans conscience des régularités dans le
pattern de mouvements pouvait se produire. Dans son
étude, les participants devaient suivre les déplacements
d'un curseur sur un écran d'oscilloscope en manipulant une sorte
de joystick. A chaque essai, le segment du milieu était toujours
répété alors que le premier et le dernier segment
étaient aléatoires. Toutefois, les sujets n'en étaient
nullement informés. Après quatorze jours de pratique, les
résultats indiquaient que les sujets s'amélioraient sur tous les
segments, et que de surcroît, l'amélioration des performances
était plus importante sur le segment répété
comparativement aux segments aléatoires. De plus, un questionnaire
post-expérimental indiquait que les participants n'avaient aucune
conscience de
ces répétitions. De tels résultats
ont été répliqués par Magill & Hall
(1989) et par Wulf & Schmidt (1997), auteurs qui ont utilisé des
tâches similaires. Dans leur étude de 1997, Wulf et Schmidt ont
fait passer un test de reconnaissance aux sujets en plus de
l'interview. Les données recueillies dans ce dernier test
indiquent que les sujets ne sont pas capables d'identifier le segment
répété à un niveau supérieur à ce que
le hasard permettrait d'attendre.
Plus récemment, Shea et al. (2001) ont
rapporté deux expériences sur l'apprentissage moteur
implicite. Notre travail est en prise directe avec leurs deux
expériences, ce qui justifie
le détail de celles-ci. En effet, ces travaux nous ont
servi de base pour élaborer une nouvelle série
d'expériences concernant le domaine de l'apprentissage moteur
implicite. Dans leurs
L'apprentissage moteur implicite : brève revue de
littérature 29
études, les participants devaient se déplacer
sur la plate-forme d'un stabilomètre afin que
Position de la plate forme (°)
celle-ci soit en correspondance avec une cible qui se
déplaçait sur un écran face à eux. Leur
première expérience comprenait quatre sessions successives de
pratique durant lesquelles les sujets réalisaient deux séries de
sept essais de 75 secondes (cf. Figure 2.2).
Temps (s)
Figure 2.2: Exemple de pattern utilisé durant la phase
de pratique de l'expérience de Shea et al.
(2001)
Chaque essai était divisé en trois segments de 25
secondes, mais les sujets n'en étaient
pas informés. La cible se déplaçait
pseudo aléatoirement durant le premier (S1) et le dernier segment (S3),
tandis que le segment du milieu (S2) était le même durant les
quatre sessions. Durant la cinquième session, les sujets effectuaient un
test de rétention dans lequel il apparaît que le segment
répété S2 était pisté plus
précisément comparativement aux segments aléatoires S1
et S3. Dans une interview ultérieure, aucun des participants n'a
mentionné le fait qu'il puisse y avoir un segment
répété, même lorsqu'ils étaient directement
questionnés sur cette possibilité. De plus, lorsque
l'expérimentateur révélait aux sujets l'existence de
la répétition d'un segment et qu'il leur demandait de
désigner lequel du 1er, 2ème ou 3ème segment
était concerné, les réponses des sujets étaient
données au hasard. Finalement, lorsque
ce segment répété était
placé parmi des segments générés
aléatoirement dans un test de reconnaissance à choix
forcé, les sujets étaient incapables de le
sélectionner avec une
probabilité supérieure à ce que le hasard
permettrait d'attendre. Ces résultats répliquent ceux
obtenus par Pew (1974) et par Wulf & Schmidt (1997) dans
une simple tâche de poursuite manuelle. En effet, ces auteurs
avaient également observé que les sujets
amélioraient sélectivement la précision de leur poursuite
sur le segment répété, bien qu'ils ne soient pas
conscients de la répétition de ce segment, ni de sa localisation
à l'intérieur de l'essai dans les tests ultérieurs de
rappel et de reconnaissance.
Dans l'expérience 2, Shea et al. (2001) ont
utilisé la même tâche que dans l'expérience
précédente. Cependant, cette fois, le segment du milieu (S2)
était aléatoire tandis que S1 et S3 étaient les segments
répétés, de plus, ces deux segments étaient
identiques. Les auteurs ont manipulé les informations données
aux participants concernant la structure de la tâche. La
moitié des sujets était informée que le premier des trois
segments de chaque essai (S1) était répété, alors
que l'autre moitié était informée que la
répétition concernait le dernier des trois segments de chaque
essai (S3). Dans une interview ultérieure, seulement un des seize sujets
a mentionné qu'un autre segment était
répété, en plus du segment désigné
durant les instructions. Ce résultat a permis de comparer les
performances dans les conditions explicites versus implicites, sans
qu'aucune confusion ne soit due à la position des segments
répétés à l'intérieur de la séquence.
Ces auteurs indiquent que les instructions explicites produisent de meilleures
performances dans le début de la phase de pratique bien que
ce ne soit pas significatif. Cependant, le pattern s'inverse au fur et
à mesure de la pratique. En effet, à la cinquième session,
dans le test de rétention, les erreurs sur le segment
répété dont les sujets n'ont pas eu connaissance
étaient significativement plus petites que celles obtenues sur
le segment répété connu par les sujets. Les
auteurs concluent à un effet néfaste des
connaissances explicites sur la performance.
Ces études semblent fournir une démonstration
apparemment simple de la possibilité d'apprendre inconsciemment la
structure d'une tâche complexe. Il est maintenant intéressant
de voir si le consensus extrait précédemment des
situations d'apprentissage implicite (à savoir
la formation de chunks et la forte corrélation
qui existe entre performance et connaissance explicite de la situation)
peut s'appliquer aux résultats issus d'expériences
d'apprentissage moteur implicite.
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