Troisième partie : Différence
d'apprentissage entre tâche continue versus
discrète
Chapitre 5
Variations autour d'une tâche de TRS
5.1 Présentation des expériences
La difficulté à mettre en évidence un
apprentissage moteur implicite dans des tâches de poursuite continue,
largement illustrée dans le chapitre précédent,
vient contraster avec l'apparente facilité avec laquelle cet
apprentissage se produit dans les tâches discrètes de temps
de réaction sériel (TRS). Dans ces tâches, les
participants doivent appuyer le plus rapidement possible sur une touche du
clavier correspondant spatialement à l'apparition d'une cible sur
l'écran d'ordinateur. L'apprentissage semble apparaître
rapidement, après l'apparition de quelques séquences seulement.
Bien que certaines études (Nissen & Bullemer,
1987; Perruchet & Amorim, 1992) aient mis en
évidence un apprentissage rapide, leurs conclusions sont à
considérer avec précaution. En effet, dans ces études, une
séquence répétée fixe est utilisée pour tous
les sujets. Nous avons déjà adressé une critique
méthodologique à
ce propos pour les études de Wulf et collaborateurs.
Toutefois, des recherches réalisées plus récemment et
mieux contrôlées confirment le fait que l'apprentissage dans les
tâches discrètes
se produit rapidement. Par exemple, Perruchet et al.
(1997a, Expérience 1) ont utilisé une séquence
répétée différente pour chaque sujet et ils
ont constaté que les temps de réaction pour les
séquences répétées étaient relativement
plus rapides que pour les séquences aléatoires, et ce,
après 10 à 15 répétitions seulement.
L'objectif général des expériences
réalisées dans ce chapitre est de répondre à
la question suivante : qu'est ce qui fait que tirer
bénéfice d'une répétition présente dans
une
78 Chapitre 5 : Variations autour d'une tâche de TRS
tâche continue est bien plus difficile que de tirer
bénéfice d'une répétition présente dans
une
tâche discrète ? Il existe de nombreuses
différences entre les tâches discrètes (i.e les
tâches de TRS) et les tâches de poursuite continue, et certaines de
ces différences pourraient sans doute expliquer qu'il y ait un
apprentissage dans un type de situation et pas l'autre. Trouver la clé
de cette divergence serait très utile pour comprendre les
mécanismes d'apprentissage implicite. C'est pourquoi, l'objectif de
ce chapitre est de cerner les différences qui existent entre
ces deux types de tâches, afin de voir celle qui pourrait
être responsable, selon le cas, de cet apprentissage ou de ce non
apprentissage.
Notre stratégie va consister à reprendre une
tâche de TRS classique. Il s'agit, d'une situation dans laquelle
la mise en évidence d'un apprentissage implicite est toujours obtenue.
Nous allons modifier progressivement différents paramètres de
cette tâche standard afin de la rendre la plus similaire possible
à une tâche continue (situation dans laquelle nous ne sommes pas
parvenus à mettre en évidence cet apprentissage). Dès lors
que nous n'obtiendrons plus d'apprentissage dans notre tâche de TRS,
cela nous permettra d'isoler le facteur qui en est
responsable.
Nous allons tout d'abord nous intéresser à la
construction même des séquences utilisées
(expérience 5), afin de voir si la différence de résultats
obtenue entre tâche continue et tâche discrète peut
être due à une différence de procédure.
Généralement, les séquences employées dans les
tâches de TRS ne comportent pas d'aléatoire. En effet, la
séquence répétée est cyclée
sur elle-même. Les études rapportées par
Curran (1997), par Meulemans et al. (1998) ou par Stadler (1993) font cependant
exception. En effet dans ces études là, des essais
aléatoires sont mêlés à la séquence
répétée à l'intérieur de chaque bloc
d'apprentissage. Toutefois, la quantité d'essais aléatoires
n'excède pas la quantité d'essais répétés. A
contrario, si l'on examine la construction des séquences de la
tâche de tracking utilisée par Pew (1974), par Wulf &
Schmidt (1997) ou par Shea et al. (2001), on s'aperçoit que dans ces
études, le segment répété
est entouré par deux segments aléatoires. Cette
fois, la quantité « d'aléatoire » est donc plus
importante que la quantité de « répété »
(2/3 - 1/3). La première expérience va nous permettre
de voir si la difficulté à observer un
apprentissage dans les tâches de poursuite continue pourrait
être due à la méthode utilisée par Wulf et
collaborateurs, à savoir le fait que le segment
répété soit entouré par deux segments
aléatoires de même longueur. En effet, il se peut que cela rende
la répétition beaucoup plus difficile à détecter
que dans les tâches de TRS.
Présentation des expériences 79
Pour le savoir, nous avons réalisé une tâche
de TRS dans laquelle chaque séquence répétée est
entourée par deux séquences
aléatoires de longueur identique, comme c'est le cas dans les
études de poursuite continue. Autrement dit, nous avons remplacé
les segments continus par des séquences discrètes, tout en
conservant le même plan expérimental que celui utilisé par
Wulf et collaborateurs.
Dans une autre expérience (expérience
6), nous allons examiner l'influence du périphérique
sur l'apprentissage. Habituellement, les tâches de TRS sont
réalisées grâce à un dispositif qui requiert
l'utilisation d'un clavier. Les sujets voient apparaître une
cible sur l'écran et ils doivent appuyer le plus rapidement et le plus
précisément possible sur la touche
du clavier qui correspond spatialement à la
position. Au contraire, les tâches de poursuite continue que nous
avons effectué antérieurement sont quant à elles
réalisées au moyen d'une souris. Afin de voir si le
périphérique utilisé a un quelconque impact sur
l'apprentissage, les sujets de l'expérience 6 vont réaliser une
tâche de TRS standard en utilisant soit un clavier soit une souris.
Un autre aspect que nous devons examiner concerne la
différence de précision requise entre les deux types de
tâches. En effet, la précision semble être une
caractéristique inhérente aux tâches de poursuite continue.
Au contraire, aucune précision n'est exigée dans les
tâches
de TRS. Notre septième expérience consiste donc
à réaliser une tâche de TRS au moyen d'une souris, en
utilisant une cible de petite taille sur laquelle les sujets vont devoir
cliquer. Il s'agit
ici d'ajouter une contrainte de précision dans une
tâche discrète, et de regarder quel est l'impact sur
l'apprentissage.
Dans les tâches de TRS, le déplacement de la
cible est dépendant du temps de latence de réponse des
sujets. Au contraire, dans les tâches continues, la cible
se déplace indépendamment du comportement du sujet.
C'est pourquoi, nous avons modifié une tâche classique de
TRS de manière à ce que la cible se déplace de
manière « autonome ». Dans nos expériences 8 et 9, la
cible apparaît sur l'écran pendant un temps
prédéfini, puis disparaît pour apparaître à
une nouvelle position. Les sujets doivent mettre le pointeur de souris sur la
cible. Dans l'expérience 8, cette cible peut apparaître
dans une des quatre positions possibles représentées
à l'écran par des carrés, tandis que dans
l'expérience 9, elle peut apparaître dans une position possible
parmi huit, mais cette fois sans affichage de carrés à
l'écran.
Enfin, la dernière expérience (expérience
10) présentée dans ce chapitre a pour objectif
principal de comparer simultanément les
performances obtenues dans une tâche de TRS et dans une
tâche de poursuite continue. Les sujets vont être
explicitement informés de la présence d'une
régularité dans la tâche qu'ils doivent réaliser,
ceci dans le but de focaliser encore plus leur attention sur la
détection de la séquence répétée.
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