L'encadrement juridique des risques biotechnologiques( Télécharger le fichier original )par Faiza Tellissi Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de tunis - Mastère en Droit 2002 |
ConclusionMalgré certaines incertitudes et lacunes, fruit des compromis qui ont conditionné sa pénible adoption, le Protocole de Carthagène représente une avancée considérable. Toutefois, dans un contexte difficile, caractérisé par de vives controverses scientifiques et de très forts enjeux, notamment économiques et financiers, l'adoption du Protocole ne constitue qu'une première étape. Le Protocole est entré en vigueur le 11 septembre 2003. La Réunion des Parties doit à présent, non seulement concrétiser son apport, mais aussi renforcer son poids dans l'ordre juridique international, particulièrement vis-à-vis du droit de l'OMC et de son système de règlement des différends226(*). En fait, l'une des conséquences de l'adoption du Protocole, consiste à lever les incertitudes sur l'articulation entre les AEM et le système de l'OMC. En d'autres termes, cette mise en cohérence devrait organiser la coexistence entre les règles du commerce international et celles relatives à la protection de l'environnement et de la santé. Il est important de régler au plus vite cette question puisque les incertitudes sur les relations entre l'OMC et les AEM rendent l'élaboration des AEM difficile. D'ailleurs les négociations du Protocole l'ont démontré. Certains sentiers méritent d'être explorés dans le sens d'une articulation entre le Protocole et les accords de l'OMC, c'est-à-dire d'une applicabilité du Protocole dans le cadre des différends portés à l'OMC et portant sur le commerce des OGM. La première question concerne le principe de précaution. Les Organes de Règlement des Différends sont encore très réticents à donner une valeur juridique contraignante au principe de précaution. Pourtant l'Organe d'Appel a développé une approche qui pourrait profiter à la considération de ce principe. Ainsi, dans l'interprétation faite de la «nécessité» telle que prévue par l'article XX (b) du GATT, l'Organe d'appel, dans le différend Communautés Européennes Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant, a considéré que «l'objectif poursuivi par la mesure est la protection de la vie et de la santé des personnes au moyen de la suppression ou de la réduction des risques pour la santé bien connus et extrêmement graves que présente les fibres d'amiante. La valeur poursuivie est à la fois vitale et importante au plus haut point»227(*). Or, il est incontestable que la préservation de la biodiversité et de la santé des personnes sont des valeurs «vitales et importantes au plus haut point».La précaution se pose donc, de plus en plus, comme nécessaire dans le débat sur les risques liés au commerce international des OGM. Autre facteur favorisant l'acceptation de la précaution dans le cadre de l'OMC, concerne l'interprétation de la portée de l'évaluation des risques faite par les Organes de Règlement des Différends228(*). Ainsi, l'Organe d'Appel a rappelé dans l'affaire amiante, que «pour justifier une mesure au regard de l'article XX(b) du Gatt, un Membre n'est pas tenu, dans l'élaboration d'une politique de santé, de suivre automatiquement ce qui, à un moment donné, peut constituer une opinion scientifique majoritaire. Par conséquent, un Groupe Spécial ne doit pas forcement parvenir à une décision au titre de l'article XX (b) du Gatt sur la base du Poids «prépondérant» (c'est-à-dire de l'opinion scientifique majoritaire) de la preuve». La précaution est contraire à la prépondérance scientifique et reconnaît à l'opinion scientifique minoritaire un poids significatif. Le commerce international des OGM pose la question des Procédures et Méthodes de Production (PMP). Il s'agit de la deuxième voie pour une possible articulation entre les deux systèmes. Un certain nombre d'Etats considèrent que les accords de l'OMC ne permettent pas à un Membre de prendre des mesures restrictives, sur la base de ces derniers. La jurisprudence des Organes de Règlement des Différends du GATT et de l'OMC, va dans ce sens. Après l'affaire Etats-Unis Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, une incertitude s'est installée sur les PMP de caractère environnemental En effet, en habilitant les Etats-Unis à prendre des mesures de sauvegarde au titre de l'article XX(g) du Gatt, l'Organe d'Appel a considéré que les techniques et méthodes utilisées dans la pêche des crevettes étaient préjudiciables aux tortues marines. Cette prise de position a entraîné des critiques de certains Etats. Ainsi pour la Thaïlande, «cette décision permettait aux Membres d'établir une discrimination à l'encontre de produits issus de processus et méthodes de production sans rapport avec les produits. Il s'agissait là d'une atteinte fondamentale et inadmissible à l'équilibre actuel des droits et obligations découlant pour les Membres de l'accord sur l'OMC»229(*). Un différend relatif aux OGM permettrait aux Organes de Règlement des Différends de préciser les règles concernant le rapport PMP, le Protocole de Carthagène, et les accords de l'OMC. Enfin, le troisième sentier pour une articulation entre le commerce international les AEM, concerne les produits similaires. En effet, les OGM à travers l'étiquetage, suscite des interrogations sur la similarité entre produits. Dans le système de l'OMC, l'étiquetage est difficile à admettre dans la mesure ou il est contraire au principe de non discrimination du produit, considéré comme un moyen permettant d'atteindre le libre échange230(*). Certains Etats considèrent qu'il y a similarité entre les OGM et les produits traditionnels. Dans ce cas, l'article III du GATT et l'accord OTC risquent d'être régulièrement invoqués dans les différends relatifs au commerce international des OGM231(*). L'Organe d'Appel dans l'affaire amiante a analysé le sens juridique de la notion de «similarité». Il a tout d'abord mis en avant l'importance du critère «des goûts et habitudes des consommateurs» en expliquant que «les goûts et habitudes des consommateurs (...) sont très probablement déterminés par les risques que présente pour la santé un produit avéré comme étant fortement cancérogène» (§122). L'Organe d'Appel a ensuite jugé que le critère de la «dangerosité» est pertinent pour l'examen de la similarité des produits, rejetant ainsi une interprétation essentiellement économique de la similarité. Le caractère relatif de la similarité pourrait ainsi garantir une applicabilité du Protocole de Carthagène à l'occasion de différends sur le commerce international des OGM. Ceci étant, une question importante se pose pour les instruments internationaux relatifs à la santé et l'environnement: L'OMC doit il être le cadre privilégié de référence pour le règlement des différends relatifs à ces instruments? Le Comité Commerce et Environnement (CCE) reconnaît que les «Membres de l'OMC n'ont pas recouru au règlement des différends de l'OMC en vue d'amoindrir les obligations qu'ils ont acceptées en devenant Parties à un AEM». Il considère que «cela continuera d'être le cas. Les Membres de l'OMC ont le droit de porter les différends devant les mécanismes de règlement des différends de l'OMC, mais, si un différend surgit entre Membres de l'OMC qui sont Parties à un AEM au sujet de l'utilisation des mesures commerciales qu'ils appliquent entre eux au titre de l'AEM, ils devraient essayer de le régler au moyen des mécanismes de règlement des différends prévus par l'AEM. L'amélioration des mécanismes d'exécution des obligations et de règlement des différends prévus dans les AEM encouragerait à régler ces éventuels différends dans le cadre d'un AEM». Le comportement des Etats dépendra de leurs intérêts respectifs, mais aussi de l'efficacité de la procédure de règlement des différends en question. Or, dans le système juridique international, le système de l'OMC demeure l'un des plus efficace. En outre, malgré les enjeux que représente les biotechnologies, il est peu probable que l'opposition des approches américaines et européennes concernant leur commerce, se transforme en une véritable guerre commerciale transatlantique232(*). En effet, jusqu'a présent, les Etats Unis se sont abstenus de porter l'affaire des restrictions, notamment européennes, sur les produits génétiquement modifiés devant l'OMC, même s'ils ont menacés de le faire. Ce choix d'un mode d'action moins agressif a été fait pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les Etats Unis reconnaissent l'importance et le poids de l'opinion des consommateurs européens et préfèrent ne pas imposer leurs aliments génétiquement modifiés à ces consommateurs. Ils favorisent la collaboration avec les chercheurs européens, en espérant, à terme, convaincre le public des avantages des aliments génétiquement modifiés. De plus, les retombées économiques aux Etats-Unis de la politique européenne ont influencé le choix américain de ne pas porter l'affaire devant l'OMC. La médiatisation du contentieux entre Etats Unis et Union Européenne, à propos des restrictions européennes sur les aliments génétiquement modifiés a eu des conséquences financières aux Etats Unis. Une des conséquences a été le retrait des OGM du marché par les grandes compagnies mondiales comme Heinz, pour ce qui est de leurs aliments pour bébé, les géants de l'alimentaire Unilever et Nestlé, et le fabricant de frites surgelées McCainFoods Cette attitude visait à éviter que ce mouvement anti OGM n'inquiète aussi les consommateurs américains, qui jusqu'à présent, n'avaient manifesté pratiquement aucune opposition contre les OGM. Les deux Parties semblent d'accord que le fragile consensus international en faveur de la libéralisation des échanges commerciaux serait mis à rude épreuve si un jugement de l'OMC venait empiéter un sujet aussi universel et aussi chargé d'émotion que la sûreté de notre alimentation et de notre environnement. A cause des enjeux du contentieux sur les OGM, il est probable que les deux protagonistes du commerce international des OGM s'efforceront d'éviter une véritable confrontation et continueront à chercher un compromis dans l'une des plus graves crises des échanges internationaux. Une première plainte portant sur les échanges d'OGM a été déposée à l'OMC. Cette demande, datée de septembre 2000, concerne la prohibition imposée par l'Egypte à l'importation de thon en boite en provenance de la Thaïlande, soupçonné d'être emballé dans de l'huile de soja génétiquement modifié. Ce premier conflit a certainement plaidé pour une entrée en vigueur rapide du Protocole de Carthagène. Un fonctionnement efficace, dynamique et rapide du Protocole est nécessaire, pour faire face à la rapidité de développement des OGM. En effet, l'arrivée sur le marché des OGM de deuxième génération dits SAGE (sans addition de gène extérieur), risque de poser un problème. Alors même que ces produits posent des problèmes sanitaires et environnementaux, le Protocole ne les couvrira pas, malgré un large champ d'application. * 226 Le programme de travail pour les premières années de fonctionnement du Protocole s'annonce particulièrement lourd. Cf. Recommandation CIPC n°2/6 «Examen d'autres questions nécessaires à la mise en oeuvre effective du Protocole»; ( http://www.biodiv.org). * 227Rapport de l'Organe d'Appel de l'OMC sur, les mesures affectant l'amiante et les produits en contenant, 12 mars 2001, WT/DS135/AB/R, (§172). * 228 Bossis (G), «Les OGM, entre liberté des échanges et précaution», RJE n°3, Décembre 2001, p 255-273. * 229 Rapport de l'Organe d'Appel de l'OMC sur, la prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, 12 octobre 1998, WT/DS58/AB/R. p4. * 230 Bossis (G) «Les OGM, entre liberté des échanges et précaution», op. cit. pp269-270. * 231 Aux termes de l'article III du GATT, «les produits du territoire de tout Membre importés sur le territoire de tout autre Membre ne seront pas soumis à un traitement moins favorable que le traitement accordé aux produits similaires d'origine nationale en ce qui concerne toutes lois, tous règlement ou toutes prescription affectant la vente, la mise en vente, l'achat, le transport, la distribution et l'utilisation de ces produits sur le marché intérieur...» * 232 Shaffer (GC), Pollack (MA); «Vers un compromis transatlantique sur les OGM», In Le commerce international des OGM, La documentation française, 2002, p310. |
|