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L'encadrement juridique des risques biotechnologiques

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par Faiza Tellissi
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de tunis - Mastère en Droit 2002
  

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§2 Une mise en oeuvre du Protocole incertaine?

Outre les nombreux points déjà évoqués, pour lesquels une concrétisation par la Réunion des Parties sera nécessaire, la prise en compte des pays en développement ainsi que les procédures de sanction de non respect n'ont pas été suffisamment définies et demeurent en forme de point d'interrogation.

A. La prise en compte des besoins des pays en développement

Comme d'autres AEM, le Protocole recourt à la technique de la dualité des normes, en établissant un statut spécial pour les pays en développement et les pays en transition208(*).

Les pays en développement s'inquiétaient des conséquences économiques et sociales du développement des biotechnologies et voulaient que le principe des «responsabilités communes mais différenciées» soit reconnu par le Protocole. Ce principe n'a pas été repris mais les Etats ont obtenus que le Protocole reconnaisse que les Parties peuvent tenir compte des considérations socio économiques, lorsqu'elles prennent des décisions dans le cadre du Protocole209(*).

En effet, lors des négociations du Protocole, l'incorporation éventuelle de considérations socio économiques dans le texte a été une importante ligne de partage entre les pays développés et en développement.

Les pays en développement soulignaient l'importance de l'incorporation de ces considérations socio économiques issues des OVM, comme l'un des éléments de base des évaluations des risques, de la gestion des risques et de la prise de décisions sur les importations d'OVM en vertu du Protocole.

En revanche, la plupart des pays développés faisaient valoir que les considérations socio économiques entrent dans le domaine de compétence nationale, sont difficiles à quantifier aux fins de la prise de décision, et qu'elles devaient se trouver en dehors du champ d'application du Protocole.

En dernière instance, la notion de considérations socio économiques a été acceptée, pourvu que leur prise en compte se fasse en accord avec les autres obligations internationales existantes, notamment les obligations commerciales des Parties.

Etant donné qu'il n'y a pas eu beaucoup d'échanges entre pays développés et en développement sur les modalités pratiques d'approche de ces considérations, la Réunion des Parties devra donc probablement approfondir l'examen de ce sujet à l'avenir.

La gamme de considérations socio économiques envisagée à l'article 26(1) du Protocole, se limite aux «incidences socio économique de l'impact des OVM sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique, eu égard à la valeur de la diversité logique pour les communautés autochtones et locales, en particulier». Il est clair que cet article ne concerne pas l'ensemble des considérations socio économiques, mais seulement celles découlant de l'impact des OVM sur la diversité biologique210(*).

Le libellé «en accord avec leurs obligations internationales» de l'article 26(1) répond aux préoccupations de certains pays, qui craignaient que la prise en compte de considérations socio économiques, lors de la prise de décision sur l'importation d'OVM, puisse établir des obstacles au commerce.

Lorsqu'une Partie est Membre de l'OMC, elle devrait aussi veiller à ce que l'application de considérations socio économiques à la prise de décision sur les importations d'OVM, ne porte pas atteinte à ses obligations en vertu des Accords de l'OMC.

En outre, il est généralement reconnu qu'afin d'assurer l'effectivité du Protocole, des soutiens sont nécessaires pour renforcer les capacités des pays en développement et en transition dans le domaine de la prévention des risques biotechnologiques.

Nombres de pays appartenant à ces catégories sont à l'heure actuelle dépourvus de ressources humaines, techniques et financières nécessaires à la mise en oeuvre du Protocole, notamment pour ce qui est des évaluations des risques, de la gestion des risques des OVM et de la surveillance continue des OVM introduits dans l'environnement211(*).

Sur ce point, le Protocole parait plutôt décevant puisqu'il prévoit que «toute Partie peut faire connaître ses besoins en matière d'assistance financière et technique et de développement de ses capacités, s'agissant des OVM destinés à être transformés. Les Parties coopèrent pour répondre à ces besoins, conformément aux articles 22 et 28 du présent Protocole»212(*).

La référence aux articles 22 et 18 semblerait indiquer que ces besoins de création de capacités devraient être traités par l'intermédiaire de la Réunion des Parties et du mécanisme financier, ainsi que des circuits bilatéraux, régionaux et multilatéraux.

Ainsi, l'article 22 cherche à apporter une réponse à ces besoins en «capacités». Il fait obligation aux Parties de coopérer en vue de la création de capacités pour l'application du Protocole dans les pays en développement et dans les pays à économie en transition213(*).

Cet article indique les domaines variés de coopération en vue de la création de capacité.

Il s'agit des domaines suivants: formation scientifique et technique à l'utilisation rationnelle et sans danger de la biotechnologie, formation scientifique et technique aux évaluation des risques et à la gestion des risques pour la prévention des risques biotechnologiques, et le renforcement des capacités techniques et institutionnelles en matière de prévention des risques biotechnologiques.

Le Protocole reconnais qu'en ce domaine il ne peut y avoir de modèle unique applicable à tous les pays. La création de capacités devrait être adaptée au contexte spécifique. En conséquence, la coopération pour la création de capacité dépend des situations, des capacités et des besoins de chaque Partie.

De son coté, le Comité Intergouvernemental pour le Protocole de Carthagène (CIPC), lors de sa deuxième session en octobre 2001, a adopté un Plan d'action pour la création de capacité en vue d'une mise en oeuvre effective du Protocole de Cartagena214(*).

L'objectif de ce plan consiste à faciliter et à appuyer la création et le renforcement des capacités pour la ratification et la mise en oeuvre effective du Protocole sur le plan national, régional et mondial.

Il reconnaît que le soutien financier, technique et technologique aux pays en développement revêt un caractère essentiel, notamment aux pays les moins développés et aux petit Etats insulaires en développement, ainsi qu'aux pays qui sont des centres d'origine et de diversité biologique.

Selon S.Maljean Dubois le «contenu de ce plan est sans doute trop timide et général au regard des enjeux»215(*).

Sur le plan financier, l'article 28 prévoit une aide financière pour les Parties qui sont des pays en développement. La logique de cette disposition est que les Parties ayant des capacités limitées ont besoin d'aide afin de s'acquitter de leurs obligations en vertu du Protocole.

Les Fond pour l'Environnement Mondial (FEM) constitue le mécanisme de financement de la Convention de Rio et par extension celui du Protocole. Il s'agit d'une entité internationale crée en 1991, afin de générer et de fournir des fonds pour des activités environnementales. Ce fond est géré conjointement par la Banque Mondial, le PNUE et le PNUD.

L'article 28 vise également l'aide financière hors FEM, et comporte des dispositions relatives aux rapports entre la Réunion des Parties et le FEM.

En vertu de l'article 28(1), les Parties «tiennent compte» des dispositions de l'article 20 de la CDB lorsqu'elles «examinent» la question des ressources financières destinées à l'application du Protocole. Ce libellé est le résultat d'un compromis entre les pays qui souhaitaient une obligation forte de mise à disposition de ressources financières, et ceux qui étaient réticents à incorporer des dispositions de ce genre.

Le texte tel qu'il a été adopté, adoucit l'obligation des bailleurs de fonds potentielles à deux égards216(*): ils ne sont pas obligés de fournir des ressources financiers, mais uniquement d'examiner la question des ressources financières, en outre, les dispositions de l'article 20 de la Convention de Rio ne sont pas réputés directement applicables au Protocole, elles doivent uniquement être prises en compte.

Apres l'entrée en vigueur du Protocole, et sous l'égide de la Conférence des Parties, la coopération devra se développer sur des bases mieux définies217(*). Mais dans l'ensemble, le contenu du Protocole n'augure pas vraiment une révolution des pratiques d'aides internationales dans le domaine des biotechnologies218(*).

B Le contrôle de la mise en oeuvre et la sanction du non respect

Le renforcement de l'effectivité des conventions internationales environnementales, a été obtenu grâce au durcissement du contrôle de leur mise en oeuvre.

Le Protocole, en grande Partie non exécutoire, reposera sur les législations nationales des Parties pour sa mise en oeuvre. Le contrôle de sa mise en oeuvre et la sanction du non respect acquièrent dans ce cas une importance particulière.

Mais les procédures multilatérales assurant un contrôle systématique, prévues par le Protocole, sont assez laconiques. Cependant ses dispositions laissent apparaître une évolution dans ce sens.

La définition des procédures reposera sur la Conférence des Parties.

En règle générale, les traités multilatéraux environnementaux, établissent un organe directeur, la Conférence des Parties ou Réunion des Parties, afin de piloter et de suivre la mise en oeuvre d'un traité ainsi que de son évolution.

Le Protocole confère à la Conférence des Parties des attributions relativement larges, et prévoit qu'elle prend «dans le cadre de son mandat, les décisions nécessaires pour en favoriser l'application effective»219(*).

Une disposition liminaire définit les fonctions générales de la réunion des Parties; elle est suivie par une liste de fonctions spécifiques. Cette disposition liminaire déclare que la Réunion des Parties suit régulièrement l'application du projet et qu'elle prend les décisions nécessaires pour en favoriser l'application effective.

L'alinéa (f) autorise également la Réunion des Parties à exercer toute autre fonction que pourrait exiger l'application du Protocole. Ainsi, cette disposition et la disposition liminaire veillent à ce que toute fonction nécessaire à l'application du Protocole soit assurée par la Réunion des Parties, même si elle n'est pas envisagée par la liste de l'article 29(4).

En outre, le Protocole, à travers l'article 33, introduit le système des rapports. L'obligation d'établir des rapports sur l'application en vue de leur examen par l'organe directeur d'un traité, est une disposition courante des traités environnementaux multilatéraux.

En l'espèce, le suivi du Protocole est particulièrement nécessaire puisque la plupart des dispositions ne sont pas directement applicables et nécessitent de ce fait, des mesures nationales permettant leur mise en oeuvre.

Cependant, la Conférence des Parties sera amenée à préciser la périodicité et le contenu de ces rapports, au moyen de lignes directrices par exemple.

De plus, il ne faut pas négliger le rôle du Centre d'Echange, surtout en ce qui concerne les mouvements illicites d'OVM qu'il est chargé de recenser.

Sur ce point, il pourrait s'inspirer du fonctionnement du mécanisme de la CITES, mais les techniques de «monitoring» ont montrés leurs limites, bien qu'elles soient indispensables.

De ce fait, il est nécessaire que ces derniers soient complétés par une procédure de non-conformité comme celle prévue par l'article 34 du Protocole.

Cet article 34, répond au besoin de mettre en place un mécanisme propre à encourager le respect des dispositions du Protocole. En principe, ce genre de mécanisme peut identifier des cas de non respect des dispositions. En réalité, l'article 34 n'établit pas un tel mécanisme dans les faits, mais définit les éléments de base et le cadre en vue de sa mise en oeuvre par la Réunion des Parties220(*).

Nombre de traités environnementaux multilatéraux récents ont recours à ce genre de procédure, notamment le Protocole de Montréal pour la couche d'ozone, qui a le premier expérimenté une procédure de ce type et qui se révèle particulièrement bien adaptée au domaine de l'environnement.221(*)D'ailleurs, la Conférence des Parties pourra s'en inspirer pour élaborer les mécanismes du Protocole contre les Etats récalcitrants. En fait, l'article 34 du Protocole revêt plutôt la forme d'une «disposition habilitante», l'une des plus avancées des traités environnementaux multilatéraux récents222(*). Cet article indique expressément que ces procédures et mécanismes doivent comporter des dispositions relatives au conseil et à l'assistance pour les Etats en manquement223(*).

Il déclare aussi explicitement que les dispositions futures sur le respect du Protocole devraient être distinctes de la Procédure de Règlement des Différends établie au titre de l'article 27 de la CDB.

La Conférence des Parties devra également réfléchir à la forme que pourraient prendre les sanctions contre les Etats récalcitrants. L'objet du Protocole permet d'envisager des suspensions au commerce des OVM; leur simple menace pourrait constituer une forte incitation à la mise en oeuvre.

Toutefois, tout cela reste à définir et suscitera de vifs débats lors des Réunions des Parties. L'efficacité du Protocole sera périodiquement testée, particulièrement cinq ans après son entrée en vigueur sur le modèle de RIO+5, +10 (Article 35)224(*).Il s'agira en fait d'un examen institutionnel de la mise en oeuvre collective du Protocole, ainsi que du suivi de son efficacité.

La solution du développement du droit international privé pourrai également être envisagée, par la canalisation de la responsabilité des opérateurs, la constitution de fonds de compensation ou encore la mise au point d'une responsabilité «objective»225(*). Une idée du Protocole au Protocole a été envisagée, mais aucun résultat n'est garanti.

Les discussion s'annoncent difficiles: les pays insistant sur la prévalence du droit national s'opposent à ceux préférant l'élaboration de contraintes internationales par le biais de l'élaboration d'un Protocole à la Convention de Rio sur la responsabilité en application de l'article 14(2), de cette dernière.

* 208Maljean Dubois (S), «La régulation du commerce international des OGM: entre le droit international de l'environnement et le droit de l'OMC», op. Cit., p38.

* 209 Article 26 du Protocole

* 210 Guide explicatif du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, UICN, p177.

* 211 Maljean Dubois. (S); «biodiversité, biotechnologies, biosécurité: le droit international désarticulé», op.cit, p992.

* 212 Article 11(9) du Protocole

* 213 L'article 22 du Protocole est étroitement lié aux articles 16 et 18 de la Convention de Rio.

* 214 Cf. Recommandation n°2/9 du CIPC, «Création de capacités et fichier d'experts», [http//: www.bidiv.org]

* 215 Maljean Dubois (S); «Le Protocole de Carthagène sur la biosécurité et le commerce international des OGM»; Op.Cit. p55

* 216 Selon les dispositions de l'article 28, les pays développés Parties au Protocole jouent le rôle de donateurs, et les pays en développement Parties au Protocole en sont les bénéficiaires. La situation des pays à économie en transition est moins claire: ils peuvent recevoir une aide financière, mais ils ne sont pas mentionnés explicitement en tant que bénéficiaires du mécanisme de financement. Ils peuvent également, de façon volontaire, jouer le rôle de donateur.

* 217 Cf. Recommandation n°2/4 du CIPC, «Directives au mécanismes de financement»; [http/: www.biodiv.org]

* 218 Maljean Dubois (S); «Biodiversité, biotechnologies, biosécurité: le droit international désarticulé»; Op.Cit, p993.

* 219 Article 29(4) du Protocole. Cette disposition définit les fonctions de la Conférence des Parties siégeant en tant que Réunion des Parties au Protocole. Elles correspondent à celles définies à l'article 23(4) de la CDB et la disposition est structurée de la même manière.

* 220 L'article 34 dispose que des procédures et des mécanismes encourageant le respect des dispositions du Protocole seront adopté lors de la première session de la Réunion des Parties, après l'entrée en vigueur du Protocole. Le CIPC a déjà entrepris des conclusions sur la nature et le fonctionnement de ces mécanismes.

* 221 Il existe des mécanismes de respect des disposition, existants ou en cours d'élaboration, dans les AEM suivants: Protocole de Montréal, Convention sur les changements climatiques, Protocole de Kyoto, Convention de Bale et Convention de Rotterdam.

* 222 Guide explicatif du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques,UICN,p211.

* 223 Subsides financières, assistance technique etc....

* 224Maljean Dubois (S); «Biodiversité, biotechnologies, Biosécurité: le droit international désarticulé», op. cit. p993

* 225Ibid p993.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry