L'encadrement juridique des risques biotechnologiques( Télécharger le fichier original )par Faiza Tellissi Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de tunis - Mastère en Droit 2002 |
Section 2 : La portée limitée de cette articulationL'articulation entre les deux systèmes juridiques risque d'être limitée dans la mesure où, les mécanismes de règlement des différends en présence n'ont pas la même puissance, ni la même capacité d'attraction. En outre, l'incertitude quant à une mise en oeuvre effective du Protocole, limite également la portée d'une articulation entre les deux systèmes juridiques. §1 Le pouvoir d'attraction de l'OMC.A priori, le cadre de règlements d'éventuels différends, relatifs au commerce d'OGM, risque fort d'être celui de l'OMC. Le pouvoir d'attraction du mécanisme de l'OMC est en effet incontestablement supérieur à celui du Protocole (A). Or en l'état actuel du droit, il n'existe pas de principe de résolution de conflit de juridiction. Une orientation consistant à renvoyer les contentieux à la Cour International de Justice a été avancée par certains auteurs, mais la portée de cette solution semble être limitée (B). A. Une concurrence imparfaite entre les deux mécanismes de règlement des différends. Le règlement d'éventuels différends relatifs au commerce des OGM, risque à priori d'être effectué au sein du système de l'OMC. Ce cadre s'imposera logiquement lorsqu'un tel différend opposera des Membres de l'OMC lesquels ne seront pas Parties au Protocole. Le cadre de l'OMC pourrait bien s'imposer aussi, même lorsque les Etats en conflit seront Parties à la fois au Protocole et aux accords de l'OMC190(*).Il est en effet très probable qu'une Partie jugera avoir intérêt à déclencher plutôt les procédures de l'OMC qui a fait preuve de son efficacité contrairement au cadre du Protocole. En outre, une activation simultanée pour le même différend n'est pas à exclure, avec tous les risques qu'elle comporte pour la cohérence de l'ordre juridique international. Pour ces raisons, le système de l'OMC risque d'attirer la plupart des différends qui pourraient naître de l'application ou de l'interprétation du Protocole. Or, le choix du système de règlement des différends n'est pas sans conséquence sur l'issue d'un différend. Même s'il est efficace, le système de l'OMC présente l'inconvénient d'appliquer prioritairement le droit de l'OMC, alors que la CIJ se fonderait sur tout le droit international191(*). De même, le Tribunal Arbitral, établi conformément à la CDB, rendrait ses décisions «conformément aux dispositions de la présente Convention, à tout Protocole concerné et au droit international», à moins que les Parties en décident autrement. L'appréciation selon laquelle les systèmes sont dans une situation de concurrence inégale est valable d'un point de vue global. Elle mérite toutefois d'être nuancée192(*). En effet, le mécanisme de règlement des différends de l'OMC assure aux Parties la possibilité de toujours obtenir une décision obligatoire et fondée en droit. Certes, dans le cadre du mécanisme du Protocole, il est également possible d'obtenir une décision obligatoire, si les Parties se situent sous l'empire de l'article 27(3), c'est-à-dire en cas d'arbitrage ou de décision de la CIJ. D'un point de vue théorique, les deux mécanismes sont dans cette situation dans une certaine équivalence. Toutefois, il existe une réticence générale des Etats à accepter par avance un règlement de type juridictionnel (article 27(3) de la Convention de Rio). En revanche le mécanisme de l'OMC est nécessairement accepté par tout les Membres de l'OMC. Cet argument est certes conjoncturel, mais il est appuyé par le constat du faible nombre de déclarations émises au titre de l'article 27(3). De ce fait, cet argument nous conduit à la conclusion que la probabilité d'un conflit est très faible193(*). L'autre voie irrésistible du Protocole, c'est-à-dire la conciliation obligatoire, ne conduirait pas, quant à elle, sur une solution imposée mais seulement proposée. Toutefois si un tel conflit n'est pas exclu dans son principe, l'hypothèse la plus redoutée est celle ou il y aurait concurrence entre la cour Internationale de Justice et un Groupe Spécial ou l'Organe d'appel de l'OMC. Dans cette logique, l'articulation entre solutions issues de chaque mécanisme de règlement des différends est assez complexe. D'un coté, il semble que non seulement le mécanisme de l'OMC débouche sur une décision obligatoire, mais l'exécution de celle-ci fait l'objet d'une surveillance multilatérale, et son défaut est susceptible de donner lieu à des sanctions. Tout ceci est accompagné de procédures très précises194(*). Dans ce processus de suivi, il peut certainement y avoir des compromis, mais il ne peut y avoir impunité, puisque ce mécanisme a été spécifiquement conçu pour aboutir à des procédures de règlement des différends Dans le cadre du Protocole, les choses sont moins précises. D'une part, la question de suivi ne se pose, que lorsqu'il existe une solution que les Parties doivent mettre en oeuvre, soit parce qu'elles s'y sont engagées par un accords mutuel à la suite d'une procédure de règlement des différends à issue non contraignante, soit parce qu'elles ont eu recours à une procédure juridictionnelle envisagée par l'article 27(3) de la convention de Rio. D'autres part, il n'existe pas de mécanisme de suivi propre au règlement des différends de l'article 27(3), mais deux voies sont envisageables: La première voie concerne l'hypothèse où la décision à exécuter aurait été prise par la CIJ. Dans ce cas, il existe la possibilité, en cas de défaut d'exécution, de faire appel au Conseil de sécurité, comme le prévoit l'article 94(2) de la Convention des Nations unies. La deuxième voie consiste à établir conformément à l'article 34 du Protocole, des «procédures et mécanismes de coopération propres à encourager le respect des dispositions et à traiter les cas de non respect». Ces mécanismes et procédures de suivi, doivent être définis et approuvés par la Conférence des Parties, siégeant en tant que réunion des Parties, et il est difficile de prévoir ce qu'ils exigeront exactement. Certes, ils devraient aller plus loin que ce que dispose déjà le Protocole, mais il est improbable que le mécanisme du Protocole aille aussi loin que celui de l'OMC. Cependant, l'existence simultanée de deux mécanismes de suivi peuvent, chacun de leur coté, créer une pression à l'exécution195(*). Ceci rend encore plus délicate l'hypothèse d'un conflit de solution. De plus, il peut quand même y avoir des tensions, même si nous ne sommes pas en présence d'un fonctionnement superposé des deux mécanismes de règlement des différends196(*). En effet, le suivi du Protocole concerne l'ensemble de sa mise en oeuvre, et pas seulement le règlement des différends Théoriquement, nous pouvons concevoir que des recommandations qui en sont issues, visent à obtenir d'un Etat, un comportement en contradiction avec ce que lui prescrit un rapport adopté par l'Organe de Règlement des Différends. Aucune règle ou principe permettant de surmonter un tel conflit n'existe, et ces tensions sont d'un point de vue juridique, inextricables. Même si la probabilité est faible, celle-ci est quand même dangereuse. On a donc à faire à une concurrence imparfaite et, par certains aspects inégale. Cette concurrence présente des risques pour les deux systèmes. Elle peut avoir dans tous les cas, des effets dévastateurs. Or toute prospective juridique en la matière est hasardeuse. Les différences potentielles entre ces modes de règlement pourraient bien s'estomper en pratique. Les Groupes spéciaux et surtout l'Organe d'Appel de l'OMC n'ont-ils pas envoyés des signes positifs, laissant entrevoir la possibilité qu'il soit tenu compte d'un accord environnemental?197(*) B. La solution d'un possible renvoi des contentieux environnementaux à la CIJ. Il est toujours permis d'attribuer à l'Organe d'Appel un «pouvoir créateur» de droit qui permettrait au juge de rapprocher les deux modèles, en utilisant les apports du droit international de l'environnement, et plus particulièrement celui de la CDB et du Protocole198(*). Ainsi, dans l'affaire crevettes, la référence au droit international de l'environnement a permis de qualifier les tortues marines de «ressources naturelles épuisables». Toutefois, selon L. Boisson de Chazournes et M.M Mbengue, les possibilités restent limitées puisque l'Organe de Règlement des différends est strictement tenu par les textes auxquels il est censé ne rien ajouter. Il peut combler une lacune mais pas appliquer un texte directement contraire aux règles de l'OMC199(*). Il faut cependant noter que les avancées jurisprudentielles réalisées en tant que «juge entraîneur» selon l'expression de L. Boisson de Chazournes et M.M Mbengue, sont le plus souvent critiquées par les Etats qui ont l'impression qu'elles leurs sont défavorables et que cela va au delà de ce qu'ils avaient consentis. De plus, ces avancées lorsqu'elles concernent l'environnement ou la santé, sont contestées par les pays en développement qui les estiment contraires à leurs intérêts. Cependant, la Déclaration Ministérielle de Doha200(*), illustre une réelle volonté d'évolution. Afin de renforcer le soutien mutuel du commerce et de l'environnement, les Ministres conviennent de négocier sur les relations entre les règles de l'OMC et les obligations commerciales spécifiques énoncées dans les AEM, de réduire voire d'éliminer les obstacles tarifaires et non tarifaires visant les biens et services environnementaux, ou encore de donner pour instruction au Comité du Commerce et de l'Environnement d'accorder une attention particulière à toute une séries de questions jusqu'ici laissées en suspend (effets des mesures environnementales sur l'accès aux marchés, renforcement des capacités dans le domaine du commerce et de l'environnement, étiquetage à des fins environnementales...) La création même du Comité Commerce et environnement est le reflet d'un souci des Etats Membres de travailler à la complémentarité des deux branches. Mais les travaux de ce Comité stagnent et une partie des réflexions a été consacrée à un possible renvoi des contentieux environnementaux à la CIJ, solution qui semble avoir la faveur d'une partie de la doctrine. En effet, H. Ruiz Fabri et S. Maljean Dubois le soulignent: en l'état actuel du droit, il n'existe pas de principe de résolution de conflit de juridiction. Devant quelle juridiction les contentieux relatifs aux OVM devront ils être tranchés? A l'OMC ou à la CIJ?201(*) Aucun des instruments juridiques étudiés (qui évitent toute règle de priorité), aucune norme générale de droit international public n'apporte de solution. De ce fait, le conflit entre droit de l'environnement et droit du commerce international s'en trouve encore plus aggravé. Faut il instituer un mécanisme obligeant l'OMC à renvoyer à la CIJ tout conflit relatif à un OVM et plus généralement toute question faisant l'objet d'un accord multilatéral d'environnement? La pertinence de cette solution suscite des interrogations. En effet, la portée pratique d'une telle solution parait limitée du moins en ce qui concerne les OVM. Nous savons que tous les Etats ne sont pas Parties au Protocole. Autant l'Organe de Règlement des Différends pourrait décider de ne pas trancher un conflit opposant deux Etats Parties et de le renvoyer à la CIJ, à laquelle se réfère le Protocole, autant il ne peut le faire si l'un des deux Etats est non Partie (S. Maljean Dubois)202(*). Nous pouvons aussi nous interroger sur l'utilité d'un renvoi des contentieux à la CIJ. En principe, cette juridiction peut se servir du droit international public, donc de l'ensemble des accords environnementaux et plus précisément du Protocole lui-même. Cette possibilité de puiser dans l'ensemble du droit positif lui donne donc une vocation à «articuler» les normes concurrentes du système internationale. La CIJ semble donc avoir selon certains auteurs, un véritable «pouvoir créateur» de droit 203(*). Pourtant, en pratique, cela n'est pas certain. La CIJ n'a pas l'habitude des questions environnementales et ne semble pas considérer que celles-ci sont à la mesure des enjeux dont elle a le plus souvent connaissance. Les solutions finalement retenues ne sont pas toujours à la hauteur de l'effort intellectuel consenti (voir par exemple l'affaire des Essais Nucléaires). En outre, la cour se sent généralement tenue par les notions qu'elle utilise fréquemment et qui sont peu compatibles avec la protection de l'environnement et de la santé. Il en est ainsi de la notion de péril imminent qui dans l'affaire Gabcikovo-Nagymaros, a amené la CIJ à repousser l'argument fondé sur le principe de précaution. De ce fait, on peut s'étonner du quasi consensus en faveur de la saisine de la CIJ204(*). Enfin nous pouvons remarquer que les Etats ne sont pas pressés de souscrire la déclaration écrite d'acceptation préalable, nécessaire à la saisine de la cour ni même de consentir à un compromis de saisine. Nous pouvons nous demander si les Etats n'ont pas en fin de compte une préférence pour les textes de l'OMC, ce qui conduirait logiquement à ne pas ratifier le Protocole, et surtout ne pas avoir à confronter les deux modèles. Nous pouvons nous demander si les Etats ont en fin de compte une préférence pour les textes de l'OMC, ce qui conduirait logiquement à ne pas ratifier le Protocole, et surtout ne pas avoir à confronter les deux modèles205(*). Face à cette situation faut il instituer une juridiction internationale de l'environnement? Cette solution est en fait un vieux projet politique mais qui n'a jamais été réalisé. Il s'agirait en fait d'une organisation internationale, l'Organisation Mondiale de l'Environnement, qui ferait contrepoids à l'OMC. Son rôle serait d'affirmer et de mettre en oeuvre les principes de développement durables, d'imposer clairement la primauté des règles d'environnement sur celles du commerce et de promouvoir la notion de bien public mondiale dans le domaine de l'environnement, avec son propre mécanisme de règlement des différends comme à l'OMC. Cependant, l'existence d'une telle organisation ne résoudra aucun problème si elle n'est pas assortie de mécanisme de question préjudicielle, et ce en raison de la liaison des problèmes commerciaux, environnementaux et sanitaires. L. Boisson de Chazournes et MM Mbengue font remarquer qu'à l'heure actuelle l'OMC est un cadre efficace de règlement des différends mais que les questions sanitaires et environnementales, y sont traitées de manière insuffisante; que la CIJ est une solution que les Etats évitent; et enfin que la multiplication des mécanismes de règlement des différends n'est pas apte à assurer la convergence entre les objectifs environnementaux et commerciaux. Or, il n'existe pas aujourd'hui de juridiction internationale suprême ayant pour objet d'intégrer les différentes branches du droit et la CIJ semble incapable d'assumer ce rôle. H.Ruiz Fabri fait référence à R.Ben Achour et S.Laghmani206(*), et dresse le même constat: «la multiplication des mécanismes notamment juridictionnalisés de règlement des différends ne débouche pas sur la naissance d'une «justice international» au sans corporatif du terme»207(*). * 190Maljean Dubois (S), «La régulation du commerce international des OGM: entre le droit international de l'environnement et le droit de l'OMC», op. cit, p45. * 191Ibid, p46. * 192Ruiz Fabri (H), «Concurrence ou complémentarité entre les mécanismes de règlement des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l'OMC?» op. cit, p171. * 193Ruiz Fabri (H), «Concurrence ou complémentarité entre les mécanismes de règlement des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l'OMC?» Op. Cit, p171. * 194.Ruiz Fabri (H), «Le contentieux de l'exécution dans le règlement des différends de l'OMC», JDI, 2000/3, pp 605 645 * 195Ruiz Fabri (H), «Concurrence ou complémentarité entre les mécanismes de règlement des différends du Protocole de Carthagène et ceux de l'OMC?» Op. Cit. p 169 * 196Ibid p169. * 197 Alors même qu'un Organe de règlement des différends n'est censé se prononcer qu'au regard des «accords visés», l'Organe d'Appel précise entre autres dans l'affaire de l'essence entre les Etats Unis et le Venezuela, que l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, invite à ne pas lire le droit de l'OMC «en l'isolant cliniquement» du droit international public [Rapport de l'Organe d'Appel Etats Unis Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules WT/DS2/AB/R du 29 avril 1996] Voir également l'affaire Etats-Unis Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes (WT/DS58/AB/R) ou l'Organe d'Appel confirme cette opinion * 198 Boisson de Chazournes (L),.Mbengue (MM), «Le rôle des Organes de Règlements des Différends de l'OMC dans le développement du droit: à propos des OGM», op. cit. p193. En droit international, le juge n'a pas de pouvoir normateur. En vertu de l'article 38 du statut de la CIJ, il «applique» le droit. Autre est la question d'une «opinio juris» jurisprudentielle qui servirait de base à la formation de la règle coutumière. * 199Boisson de Chazournes (L),.Mbengue (MM), «Le rôle des Organes de Règlements des Différends de l'OMC dans le développement du droit: à propos des OGM», op. cit. p193. * 200 Déclaration Ministérielle de la Conférence Ministérielle de l'OMC adoptée à Doha le 14 novembre 2001 (Doc. WT/MIN (01)/DEC/1). Disponible sur. http: //www.wto.org/french/thewto f/minist-f/min01-f/mindech-f.htm. * 201 Les auteurs s'attendent à ce que le pays qui se plaint de la mesure, choisisse plutôt le mode de règlement des différends de l'OMC, réputé plus favorable. * 202.Maljean Dubois (S), «La régulation du commerce international des OGM: entre le droit international de l'environnement et le droit de l'OMC», op. cit. p53. * 203Boisson de Chazournes (L), Mbengue (MM), «Le rôle des Organes de Règlements des Différends de l'OMC dans le développement du droit: à propos des OGM», op. Cit, p193. * 204Hermitte (MA), Noiville (C), «Marrakech et Carthagène comme figures opposées du commerce international», op cit, p346. * 205 Cette interrogation n'a plus lieu d'être aujourd'hui puisque le Protocole est finalement entré en vigueur le 11 septembre 2003, à la suite de la cinquantième ratification. * 206Ben Achour (R), Laghmani (S), «Justice et juridiction internationales», Pedone 2000. * 207Cf. Couston (M), «La multiplication des juridiction internationales- sens et dynamiques», JDI, 2002, p5. |
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