L'encadrement juridique des risques biotechnologiques( Télécharger le fichier original )par Faiza Tellissi Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de tunis - Mastère en Droit 2002 |
§ 2 Des ouvertures dans le système de l'OMC.Les organes de règlement des différends de l'OMC, conscients de l'importance des problèmes environnementaux et de la nécessité d'intégrer une dimension environnementale dans le droit de l'OMC, n'hésitent pas à consacrer des règles et des valeurs nouvelles dans le processus de règlement des différends. Cependant, c'est d'un ensemble de négociations parallèles à la fois au Protocole et à l'OMC que pourront venir les évolutions les plus intéressantes. On pense particulièrement aux négociations en cours dans le cadre de plusieurs Organisations Internationales comme le Codex Alimentarius et la Convention Internationale sur la Protection des Végétaux. Ainsi, des progrès réalisés dans la normalisation internationale pourraient aussi contribuer à articuler les deux systèmes juridiques. A Un processus de règlement des différends intégrant des règles et valeurs nouvelles Trois questions essentielles illustrent une intégration d'une dimension environnementale dans le droit de l'OMC. 1/ La première concerne une évolution vers une réglementation plus transparente des différends173(*). Traditionnellement, le système de règlement des différends de l'OMC est fondé sur une certaine opacité du fait du caractère essentiellement intergouvernemental de la procédure. Les consultations spéciales de même que les travaux des Groupes Spéciaux et de l'Organe d'Appel ont lieu à huit clos. Les médias, les représentants d'ONG en sont exclus. Cependant l'Organe d'Appel a tempéré le caractère intergouvernemental du système de règlement des différends par l'admission de la soumission d'amicus curiae174(*). Dans l'affaire Etats-Unis-Prohibition à l'importation de certaines crevettes et certains produits à base de crevettes, l'Organe d'Appel a estimé «qu'il convient d'insister sur le caractère global du pouvoir qu'à un Groupe Spécial de demander des renseignements et des avis techniques à «toute source ou tout organe» qu'il peut juger approprié ou à «toute source» qu'il jugera appropriée»175(*). Toutefois, cette ouverture vis-à-vis des amicus curiae n'est pas définitive dans la procédure de règlement des différends au sein de l'OMC176(*) Si nous nous référons par exemple à l'affaire amiante, nous remarquons un revirement (onze demandes visant au dépôt d'un mémoire écrit conformes à la procédure instituée pour l'occasion ont toutes été rejetées177(*).) qui peut être interprété comme étant le miroir de l'inquiétude de nombreux Etats membres de l'OMC par rapport à l'ouverture de la procédure de règlement des différends à des entités non étatiques. Cependant l'acceptation de communications d'Organisations Non Gouvernementales, dans le cadre du processus de règlement des différends est importante pour ce qui est de différends relatifs à des questions environnementales y compris les OGM178(*). Les Groupe Spéciaux et l'Organe d'Appel pourraient ainsi bénéficier d'une information plus complète sur les risques liés aux OGM. 2/ La deuxième question illustrant la prise en compte de valeurs nouvelles dans le processus de règlement, consiste en une interprétation «évolutive» du droit de l'OMC179(*). Selon L. Boisson de Chazournes, il s'agit d'une «issue de secours pour la prise en compte de Protocole de Carthagène». L'article XX(g) GATT couvre les mesures étatiques se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables lorsque de telles mesures sont appliquées conjointement à des restrictions à la production ou à la consommation nationale. Dans l'affaire Etats-Unis-Prohibition à l'importation de crevettes et à certains produits à base de crevettes180(*), l'Inde, le Pakistan et la Thaïlande avaient fait valoir qu'il était «raisonnable d'interpréter le terme «épuisable» comme désignant les «ressources finies», telle que les minéraux, et non pas les ressources biologiques ou renouvelables». Le principal argument des Parties plaignantes repose sur l'idée que les ressources naturelles «biologiques» sont «renouvelables» et ne peuvent donc pas être des ressources naturelles «épuisables». L'Organe d'Appel a reconnu que l'expression «ressources naturelles épuisables» de l'article XX(g) a été rédigée il y a plus de 50 ans et se devait d'être analysée à la lumière des préoccupation actuelles de la communauté des Etats en matière de protection de l'environnement (§ 128). Bien que l'article XX n'ait pas été modifié pendant le cycle de l'Uruguay Round, le préambule de l'accord sur l'OMC montre que les signataires de cet accord étaient en 1994, «tout a fait conscients de l'importance et de la légitimité de la protection de l'environnement en tant qu'objectif de la politique Nationale et Internationale» (§ 129). De plus ce préambule fait expressément état de «l'objectif de Développement Durable». Dans la logique de l'Organe d'Appel, «le contenu ou la référence de l'expression «ressources naturelles» dans l'article XX (g) sont par définition évolutifs» (§ 130). Dans l'affaire des crevettes, l'Organe d'Appel avait notamment fait référence à la CDB181(*), pour apprécier la légalité de la mesure américaine au regard de l'article XX (g) du GATT. Cela conduit à considérer que le Protocole additionnel à la CDB, peut être pris en compte dans le cadre de l'interprétation de l'article XX (g) du GATT. En consacrant une conception large de la notion de ressources naturelles épuisables, l'Organe d'Appel a ouvert une nouvelle brèche dans le système de l'OMC. Dès lors, il est légitime de croire à une relative complémentarité entre le Protocole et l'article XX (g) GATT. Cela offre un exemple significatif de développement du droit de l'OMC. 3/ Enfin, une prise en considération plus importante du risque dans la logique des échanges commerciaux, illustre l'intégration de nouvelles valeurs dans le processus de règlement des différends182(*). Il est utile de rappeler que le Protocole s'appui énormément sur les procédures d'évaluation et de gestion des risques. Les Organes de Règlement des Différends de l'OMC dans leur interprétation de l'accord SPS et particulièrement de l'article 5(1) ont contribué à développer certains aspects de l'évaluation des risques. Ainsi, les critères juridiques de l'évaluation des risques dans le cadre de l'OMC sont à peu près identiques aux règles de l'annexe III du Protocole relatif à l'évaluation des risques183(*). Dans l'affaire Saumons, l'Organe d'Appel précise qu'«il ne suffit pas, pour qu'une évaluation des risques corresponde au sens donné à cette expression de l'article 5(1), qu'elle conclue à la possibilité de l'entrée, de l'établissement ou de la dissémination de maladies et des conséquences biologiques et économiques en résultant. Une bonne évaluation des risques de ce type doit évaluer la «probabilité» de l'entrée, de l'établissement ou de dissémination de maladies et des conséquences biologiques et économiques en résultant»184(*). Le Protocole exige aussi ces deux étapes préalables. Ainsi, en vertu du paragraphe 8 (a) et (b) de l'annexe III, il faut procéder à «l'identification de toutes nouvelles caractéristiques génotypes et phénotypes liées à l'OGM qui peuvent avoir des effets défavorables sur la diversité biologique dans le milieu récepteur probable, et comporter aussi des risques pour la santé humaine» et à «l'évaluation de la probabilité pour que les effets défavorables surviennent, compte tenu di degré et du type d`exposition du milieu récepteur potentiel probable de l'OVM». Les dispositions du Protocole et la jurisprudence des Organes de Règlement des Différends relatives à l'accord SPS obéissent donc à une même logique concernant l'évaluation des risques. Globalement, quatre étapes devront être respectées: l'identification des dangers, leurs caractérisation, l'appréciation de l'exposition et la caractérisation des risques185(*). Cependant, le Protocole vise un champ plus large que l'accord SPS, puisqu'il contient des dispositions relatives à la gestion des risques. La jurisprudence des Organes de Règlement des Différends de l'OMC ne consacre pas de manière absolue l'applicabilité de l'accord SPS en matière de gestion des risques. Chaque Etats membre est libre de déterminer le niveau de protection acceptable avant de procéder à l'évaluation des risques. B Des négociations internationales «indirectes» pouvant faire évoluer le modèle du libre échange Les évolutions dans le sens d'une articulation entre les deux systèmes pourraient venir d'un ensemble de négociations internationales parallèles à la fois au Protocole et à l'OMC. Différents auteurs186(*), pensent aux négociations en cours, dans le cadre de plusieurs Organisations Internationales particulièrement le Codex Alimentarius et la Convention Internationale sur la Protection des Végétaux. Le Codex Alimentarius est un code non contraignant élaboré par la commission du Codex Alimentarius. Cette commission est un organe de la FAO et de l'OMC ayant pour mission d'établir des normes, des principes généraux, des lignes directrices et un code de pratiques recommandées en matière d'innocuité alimentaire et d'autres questions annexes. Le Codex a des incidences pour ce qui concerne les OVM parce qu'à l'avenir, des normes pourraient être adoptées sur les aliments issus de la biotechnologie. Le Codex travail sur au moins trois chantiers important pour les OVM. Le groupe de travail sur les aliments dérivés de la biotechnologie élabore des principes d'analyse de risque pour les aliments issus de la biotechnologie moderne. Le comité sur les principes généraux élabore un projet de principes de travail pour l'analyse des risques. Le comité sur l'étiquetage alimentaire élabore des recommandations sur l'étiquetage des aliments obtenus par la biotechnologie. La Convention Internationale pour la Protection des Végétaux est un traité international pour la coopération dans le domaine des végétaux. Elle a pour objectif d'établir «une action efficace et commune contre la diffusion et l'introduction des ennemis des végétaux et des produits végétaux, et de promouvoir l'adoption de mesures à cet effet». La Convention Internationale pour la Protection des Végétaux permet à ses Parties de prendre des mesures phytosanitaires pour prévenir l'introduction et/ou la diffusion de nuisibles, sur la base d'une analyse des risques de ces derniers, englobant tant les aspects économiques qu'environnementaux, y compris des effets défavorables possibles sur la végétation naturelle. Des OVM pouvant être considérés comme des «ennemis végétaux» tomberaient sous le coup de la Convention Internationale pour la Protection des Végétaux et se trouveraient soumis à ses dispositions. Ainsi, dans un objectif d'articulation, il est important que le projet de la commission intérimaire des mesures phytosanitaires développe une norme internationale pour les mesures phytosanitaires visant les OVM. Une telle norme aura valeur de référence dans le cadre de l'accord SPS et sera compatible avec le Protocole. De prime abord, les négociations au sein du Codex et de la Convention Internationale pour la Protection des Végétaux sont extérieures à l'OMC. Une quelconque évolution de la conception des échanges internationaux semble donc difficilement décelable. Pourtant, elles en sont une manifestation importante, puisqu'elles évoluent dans des enceintes dont les travaux servent de référence pour l'OMC187(*), et constitue selon L. Boisson de Chazournes et M. M. Mbengue, «un point fort de rencontre» entre le Protocole et les accords de l'OMC188(*). Pour confirmer ce point de vue deux exemples tirés du Codex seront exposés. Tout d'abord, la normalisation entreprise par cette organisation dans le domaine des OVM, participe indirectement à créer un droit spécial relatif à ces produits, notamment pour les questions relatives aux méthodes d'identification, d'analyse, de traçabilité et d'étiquetage. Par conséquent, ce statut particulier est étendu au droit de l'OMC, puisque celui-ci reconnaît les travaux du Codex. Ensuite, les questions relatives aux «autres facteurs légitimes» fait l'objet de vives controverses. Cependant ce concept d'«autres facteurs légitimes» semble évoluer et vise à faire reconnaître qu'en matière alimentaire, d'autres facteurs que strictement sanitaires (réticences des consommateurs, défense d'un modèle alimentaire national et autres facteurs socio-économiques), puissent justifier une entrave au commerce. Or ceci est contraire à ce que prévoit l'accord SPS. En fait, il s'agit de veiller, à travers ces négociations, a ce que les normes en cours de définition soient conformes aux principes définis par le Protocole. Cela permettra, en effet aux normes prises sur ce fondement d'être justifiées au titre de l'article 2(2) de l'accord OTC, ou un standard reconnu comme tel, et bénéficier d'une présomption de validité (article 3(2) SPS). Il semble en fait que la difficulté d'une articulation entre les deux textes a conduit d'une manière indirecte, à une possible efficacité des négociations destinées à faire évoluer les textes de l'OMC, car c'est un moyen d'éviter un conflit frontal, que les Parties ont préféré éviter jusqu'à présent 189(*). Derrière ces standards, le débat de fond à travers ces négociations est en fait l'appréhension par le droit international du développement des technologies, de ses incertitudes et des différentes perceptions qu'il engendre. Pourtant, l'articulation nécessaire entre les deux systèmes juridiques risque d'être limitée dans sa portée pour plusieurs raisons. * 173 Boisson de Chazournes (L), Mbengue (M M), «Le role des Organes de Règlement des Différends de l'OMC dans le developpement du droit: à propos des OGM», op. cit. p195. * 174 Selon la définition proposée par le lexique des termes juridiques, il s'agit d'«une personnalité faisant autorité dans un domaine d'activité et qu'une juridiction prend l'initiative (exceptionnelle car non prévue par les textes en vigueur), d'étendre comme «ami à la cour» (et non comme témoin ou expert), pour connaître son opinion sur le problème débattu devant elle, en vue de garantir, grâce à ses lumières, un procès équitable». Voir Ascencio (H), «l'amicus curiae devant les juridictions internationales», RGDIP, 2000, n°4, Tome 105, pp 897-929. * 175 Etats-Unis-prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, rapport du 12 octobre 1998, WT/DS58/AB/R, § 104. Dans cette affaire, le Groupe Spécial a été sollicité par trois ONG, en l'occurrence le Center for Marine Conservation, le Center for International Environnemental Law, le World Wide Fund for Nature. Le Groupe Spécial a estimé qu'il ne pouvait accepter ces informations non sollicitées, à moins qu'elles ne soient intégrées dans les mémoires de l'une des Parties. * 176Boisson de Chazournes (L), Mbengue (M M), «Le rôle des Organes de Règlement des Différends de l'OMC dans le developpement du droit: à propos des OGM», op. cit. p196. * 177 Communauté Européenne-Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant, rapport du 12 mars 2001, Doc. WT/DS/AB/R, § 56. * 178Voir principe 10 de la Déclaration de Rio: «la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient... Les Etats doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci». * 179Boisson de Chazournes (L), Mbengue (M M), «Le rôle des Organes de Règlement des Différends de l'OMC dans le developpement du droit: à propos des OGM», op. cit. p197. * 180 Dans l'affaire des Etats-Unis-Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules, rapport du 29 avril 1996, Doc. WT/DS/AB/R, l'Organe d'Appel avait déjà mis l'accent sur la nécessité d'interpréter de manière évolutive le GATT de 1994. * 181 L'Organe d'Appel avait également fait référence à la CITES, à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, ainsi qu'à l'Agenda 21 de la Conférence de Rio sur l'environnement et le développement. * 182Boisson de Chazournes (L), Mbengue (M M), «Le rôle des Organes de Règlement des Différends de l'OMC dans le développement du droit: à propos des OGM», op. cit. p201. * 183Boisson de Chazournes (L). Mbengue (MM), «Le rôle des Organes de Règlement des Différends de l'OMC dans le développement du Droit: à propos des OGM», op. cit. p202. * 184Rapport de l'Organe d'Appel de l'OMC sur les mesures visant les importations de saumons, 20 octobre 1998, WT/DS18/AB/R. § 123. * 185Noiville (C), De Sadeleer (N), «La gestion des risques écologiques et sanitaires à l'épreuve des chiffres. Le droit entre enjeux scientifiques et politiques», Revue du Droit de l'Union Européenne, n°2, 2001, p 398. * 186 Notamment S. Maljean Dubois, M.A. Hermitte, C. Noiville. * 187Hermitte (MA), Noiville (C), «Marrakech et Carthagène comme figures opposées du commerce international».op cit, p347 * 188Boisson de Chazournes (L). Mbengue (MM), «Le rôle des Organes de Règlement des Différends de l'OMC dans le développement du Droit: à propos des OGM», op. cit. p202. * 189 Hermitte (M A) Noiville (C); «Marrakech et Carthagéne comme figure opposées du commerce international»; op. cit, p348 |
|