Lutte contre les discriminations et intégration des immigrés d'Afrique Subsaharienne : Approche d'analyse à Evry( Télécharger le fichier original )par Brice Arsène Mankou Université d'Evry Val d'Essonne - Master Interdisciplinaire de citoyenneté droits de l'homme et action humanitaire 2004 |
Les conséquences de la discrimination- L'une des premières conséquences de la discrimination est l'exclusion, qui, elle porte atteinte à la cohésion sociale. Or, la cohésion sociale crée des fractures sociales et les fractures sociales entraînent souvent des violences. A ce propos Charles Rojzman, psychothérapeute et auteur du livre Savoir vivre ensemble écrivait : « les petites rivières des discriminations finissent par devenir des fleuves de sang » 20(*) - Une autre conséquence des discriminations est le racisme qui selon Ahmed Boubeker, « est la peur de la ressemblance jointe à l'horreur de la différence ». Contre le racisme, la France s'est dotée de textes de lois impressionnants. Parmi ces textes au niveau international, il y a : la convention internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination en 1965 la convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes en 1979 la convention concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession en 1958 ? la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950 notamment en son article 14 la charte sociale européenne du 3 mai 1996 sans oublier les directivs comme celles de 1976, relatives à la mise en oeuvre du principe d'égalité, de traitement hommes femmes. de 1996, sur la charge de la preuve dans la discrimination en raison du sexe. deux autres en 2000 dont une sur la mise en oeuvre de l'égalité de traitement entre personnes sans distinction de race et d'origine ethnique, l'autre créant un programme d'actions communautaires de lutte contre les discriminations. Les discriminations ont aussi pour conséquence à l'égard de ceux qui en sont victimes, le repli sur soi qui provoque le communautarisme et une forme de racisme de la part des victimes vis à vis de ceux qui discriminent. Ce qui porte atteinte au « vivre-ensemble » qui suppose l'acceptation de l'Autre, en tant qu'Etre humain comme soi-même. Celui qui subit la discrimination se sent rejeté de la société qui est censée l'intégrer et se réfugie dans sa propre communauté pour développer une haine vis à vis de ceux qui discriminent et de la société qui tolère ces discriminations. Les violences dans nos quartiers, nos villes ne viendraient-elles pas de ces pratiques qui contribuent à casser l'image de cette France indivisible et respectueuse du droit des minorités ? Analysant les causes de la violence lors des Assises de l'intégration en 2000, l'ancien Ministre délégué à la Ville du Gouvernement de Lionel Jospin, Claude Bartolone, Député Socialiste de Seine St Denis, disait : "La violence a des causes multiples, mais une principale : le sentiment d'injustice". Les racistes et ceux qui discriminent n'ont pas conscience que la France est forte en raison de sa diversité culturelle et ethnique. Les discriminations contribuent à creuser davantage la fracture sociale en divisant la France en deux classes : celle d'en haut et celle d'en bas, celle des privilégiés et celle qui assujettie aux multiples devoirs, sans droit. Alors que la République Française d'après la constitution en vigueur de 1958 qui consacre la Vème République affirme que la France est dans notre pays est : Indivisible Démocratique Sociale et laïque L'image d'une France plurielle est possible. L'exemple le plus saisissant dans le domaine est le football, avec les bleus qui composent l'équipe de France. A travers la composition de l'équipe de France, c'est la diversité culturelle, raciale de cette France multicolore, multiethnique, qui est affirmée. La France est offerte, lorsque se rassemble autour de toutes ces minorités qui la composent. Le sport montre bien cette diversité, reste maintenant que d'autres domaines comme la culture, la politique, les médias suivant et les discriminations pourront disparaître. A ce sujet, Dominique Schanapper, dans son livre : La France de l'intégration, recommande aux autorités de mettre fin aux discriminations en intégrant les populations d'origine étrangère : « Il faut miser sur l'intégration des populations d'origines étrangère, car ce n'est pas l'intégration des étrangers qui pose problème c'est l'intégration tout court ». 21(*) II.3 - POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS MIS EN oeUVRE PAR LA VILLE D'EVRY Pour combattre les discriminations, la Ville d'Evry a mis en place une méthode fondée sur l'observation, l'analyse et l'action. Les discriminations ont fait l'objet d'un colloque organisé en 2003 par la ville sous le thème "l'accès à l'emploi des jeunes diplômés issus de l'immigration, Réussites et obstacles" Tout est donc parti de l'observation de ce phénomène par les Elus, les techniciens municipaux et les membres des Associations. La deuxième étape a été l'analyse des causes de ces discriminations et la dernière étape était celle de l'action. Parmi les actions, on peut noter la signature d'une charte de lutte contre les discriminations dans l'accès à l'emploi des habitants des quartiers prioritaires de Corbeil-Essonnes et de la Communauté d'Agglomération d'Evry Centre Essonnes. Mise en place d'une délégation de lutte contre les discriminations et l'intégration des Immigrés, dirigé par un élu d'origine étrangère. Mise en place d'un service de lutte contre les discriminations et l'intégration des Immigrés. Véritable observatoire, ce service a mis en place des formations à la diversité culturelle à l'endroit des élus, du personnel municipal et des associations. Missions du Service Intégration et lutte contre les discriminations Ce service dirigé par Mme Maryse Fontaine a pour missions essentielles, la mise en oeuvre d'actions liées en direction des populations issues de l'immigration. Parmi ces actions, on note l'apprentissage linguistique à travers les cours d'alphabétisation, la formation des acteurs de la ville à l'interculturel. Le récent colloque organisé par ce service avait pour but d'aider la Ville d'Evry à élaborer des politiques contractuelles liées à la lutte contre les discriminations. Evry, ville multicolore, multiethnique a fait de la lutte contre les discriminations et l'intégration des étrangers un des enjeux majeurs de la politique de la ville. C'est un véritable laboratoire d'analyse de politique en matière de lutte contre les discriminations, mais aussi un observatoire qui veille au respect et à l'écoute des minorités. Comme l'écrivait le Député-Maire d'Evry M. Manuel Valls :"La parole et l'écoute sont aussi propices à la tolérance, à l'acceptation de l'autre..." Rôles des élus dans la lutte contre les discriminations La Ville d'Evry s'est dotée d'une délégation chargée de la lutte contre les discriminations et l'intégration des immigrés. Cette délégation, selon M. Saliou Diallo, élu en charge de ces questions, lui-même originaire d'Afrique Subsaharienne, veut se battre pour l'égalité des «Evryeen»s quelque soit leurs nationalités, leurs races, leurs origines devant le service public. Il s'appuie pour cela, sur l'un des rapports de la Mairie d'Evry (MOUSS2004) du 19 avril 2005, page 17 :"La ville est synonyme de libertés individuelles, de progrès sociaux et de créativité culturelle, elle est en même temps un lieu de fortes ségrégations, de marginalisation et d'exclusion. La ville est ainsi liée aux droits de la personne humaine...". Fort de ce constat, les élus, les services municipaux poursuit le rapport, se sont engagés :"... à défendre les droits de citadins, les développer, et à appuyer ceux qui s'efforcent tous les jours à reconstruire le lien social, et du bien vivre dans la ville. La ville s'est en outre engagée à valoriser toutes les intelligences, les savoirs, les cultures qui font la richesse de la ville pour les mettre au service de la transformation sociale..." A travers une telle politique de la ville, Evry a pris conscience de sa richesse qui est la diversité culturelle, qui fait son charme et sa singularité. Le but des Elus est d'offrir à tous les citadins, une ville d'Evry au service de tous ses habitants. Evry comme le disait un de ses habitants "est une ville hybride, où les élus, les services municipaux ne considèrent plus la couleur de peau, l'origine des citadins comme handicap pour rendre service aux usagers. Pour rien au monde, je ne quitterai cette ville, car je ne trouverai pas cet esprit ailleurs..." Il faut aussi noter l'implication des élus dans la vie des conseils de quartier qui sont des lieux où la démocratie participative et le mieux-vivre-ensemble en paix s'expérimentent au quotidien. M. Salou Diallo, Maire adjoint en charge de la lutte contre les discriminations et l'intégration est aussi délégué du Conseil de quartier des Pyramides à Evry. Pour lui « ... La Démocratie participative est un formidable outil d'éveil de conscience pour les Evryéens et un apprentissage de la citoyenneté à la base... » Action de la Société civile à travers les associations de la ville. Depuis 1981, on n'a pas besoin d'être Français pour créer une association et y exercer des responsabilités. Fort de cette mesure beaucoup d'«Evryeen»s issus d'Afrique Subsaharienne ont crée des associations. Parmi elles, beaucoup sur le terrain luttent contre les discriminations par la promotion de l'intégration des immigrés. C'est le cas de DIASFRICA de M. Papa Abdou, le collectif des parents du 91 de M. Balde Aliou, l'Association pour l'intégration des congolais de l'Essonne en France (AICEF) qui selon son président M. Tongi Bavueza a organisé dernièrement un colloque sur les retraites des travailleurs, issus de l'immigration. Ce colloque a été animé par des spécialistes, des sociologues et Mme Nicole Verchère en charge des retraites au Laboratoire de l'Equipement à Melun. Les associations de la Ville d'Evry et les conseils de quartier travaillent en parfaite harmonie pour asseoir la démocratie participative et l'intégration des Evryens. " Nous travaillons en étroite collaboration avec les associations répertoriées dans la ville, c'est agréable dans le cadre de la politique de la ville", reconnaît Mme Fabienne Colombel, secrétaire au service de la Démocratie participative à la Mairie d'Evry. II.4 - ANALYSE DU MODÈLE «EVRYEEN» DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS Cohérence entre Politique de la Ville et Pratique citoyenne des élus et des agents municipaux, La politique de la ville mise en oeuvre par Evry en tant que ville "multicolore et multiethnique" est une politique à visage humain qui met l'homme et tout homme au coeur de l'action municipale. C'est donc une politique conçue par les hommes (élus, agents municipaux, citoyens) pour les hommes qui y vivent. D'ailleurs dans la convention du contrat de ville intercommunal 2000/2006, l'accent est mis sur "l'organisation des territoires de la ville sur les caractéristiques sociales, économiques et urbaines". C'est ainsi que les quartiers des Pyramides, du Bois sauvage, des Aunettes et du Parc aux Lièvres d'une part ; des Epinettes et du Champtier du Coq, d'autre part, relèvent des différents dispositifs de la politique de la ville souligne la Convention. Le but étant d'organiser les services à la population au plus près des usagers. A cet effet, une équipe de médiateurs, dépositaires d'une culture commune facilite dans les quartiers d'Evry l'articulation "Habitants-Elus-Techniciens". Cette articulation indique la convention "focalise ses actions sur les habitants qui restent les interlocuteurs privilégiés et les bénéficiaires de la politique de la ville". Cette équipe veille également à la constitution du lien social, à la lutte contre les exclusions, à la consolidation de la citoyenneté, à la participation et à la concertation avec : les Elus qui après avoir écouté les désirs des Evryéens, remontés par les médiateurs, se doivent de proposer des solutions. les techniciens (agents municipaux), sont chargés de traduire et d'exécuter les orientations politiques Une politique respectueuse des droits des citoyens sans aucune discrimination. Lorsqu'on interroge les Evryéens, tous ou presque reconnaissent que la ville Evry se caractérise par le respect des minorités qui y vivent. Ce qui lui confère le statut de ville respectueuse des droits des citoyens sans discrimination. On le voit à travers la composition de son équipe municipale qui tient compte de toutes les origines et aussi par la diversité culturelle de ses agents et techniciens dévoués au service de la ville. Evry, ville multicolore, multiethnique fait des efforts dans la lutte contre les discriminations, mais beaucoup reste encore à faire. Une politique de la ville est une oeuvre humaine, or aucune oeuvre humaine n'est parfaite. Il y a des actes de discriminations sur la Ville d'Evry malgré la volonté des Elus. C'est pourquoi beaucoup reste à faire dans ce domaine pour mettre fin à ces pratiques qui déshumanisent l'homme. La chance d'Evry est la prise de conscience de ce phénomène et la volonté politique pour les Elus et les différents services d'y mettre fin. Parmi les efforts qu'Evry devra consentir, il y a : le respect de la charte de lutte contre les discriminations signée par le Préfet, le Président du Conseil Général, le Maire et tous les autres acteurs politiques. Cette charte n'est malheureusement pas assortie de sanctions. Ce qui lui donne un caractère plutôt déclaratoire, solennel qui relève de bonnes intentions politiques. l'élargissement de la signature de cette charte par les principaux responsables des entreprises présentes à Evry. Ce qui marquera leur engagement et leur implication dans les recrutements des jeunes gens, victimes de la discrimination Pour y parvenir, les simples intentions ne suffisent plus. Il faut une politique volontariste de tous les signataires et acteurs de la ville à traduire dans les faits le contenu de cette belle charte. Ce que Evry devra faire : Elaborer une charte de la diversité destinée aux entreprises oeuvrant à Evry Organiser un colloque qui réunira les recruteurs et les jeunes diplômés issus de l'immigration Créer un service d'accompagnement de ces jeunes aux techniques de recherche d'emploi, au coaching Mettre sur pied un dispositif de lutte contre l'impunité en matière de discrimination Créer un espace d'écoute des personnes discriminées à Evry Organiser des journées sur la diversité culturelle à l'égard des chefs d'entreprises, des principaux collèges et enseignants. II.5 - LA DISCRIMINATION MÊME POSITIVE EST TOUJOURS UNE DISCRIMINATION ET DOIT PAR CONSÉQUENT ÊTRE COMBATTUE COMME TEL. Développée aux USA, la discrimination positive consiste à accorder des crédits dans les zones défavorisées en matière d'éducation par exemple (cas des ZEP) et à instaurer les politiques des quotas. Cette forme de discrimination n'est ni plus, ni moins fondée sur d'autres types de discriminations qui elles, sont tout aussi sources de souffrances, que de malheurs. Instaurer des quotas dans le cadre de la discrimination positive, revient à creuser davantage de discriminations, qui cette fois touchent la majorité des immigrés. Pour combattre les discriminations, il faut promouvoir l'égalité des chances et pour y arriver il faut s'appuyer sur la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, notamment son article 2 qui interdit les discriminations. Le danger de la politique des quotas, c'est le choix sur des bases subjectives. Ce qui n'est pas sans entraîner d'autres formes de discriminations, sources de frustrations de la part de ceux qui subissent de nouveau des discriminations. Discriminer même positivement, c'est toujours discriminer. C'est presque un euphémisme pour apporter une réponse à la discrimination. L'égalité des chances demeure la seule réponse pour combattre les discriminations. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme s'oppose à toute forme de discrimination même positive en mettant l'homme au centre des droits inhérents à sa personne. Il faut donc donner à tout être humain, les mêmes chances de réussite, les mêmes chances d'accession à un emploi, à un logement. S'y opposer, c'est briser le pacte social Français et mettre des milliers d'étrangers qui auraient pu saisir les chances que leur donne la République au bord de la société. Il convient de noter qu'à l'orée des élections en France la question de la discrimination positive occupe une place de choix dans les débats au sein des partis politiques français. Voici ce que les socialistes écrivent dans une contribution intitulée : Lutte contre les discriminations : Pour un PS à la tête du combat ! Cahier A sur les textes du prochain congrès du Mans des 18, 19 et 20 novembre 2005. Les socialistes se livrent à une véritable analyse des causes profondes de discrimination en France : « Alors que la droite tente de s'approprier la question de la lutte contre les discriminations et celle de l'égalité des chances, en tant que pôle majeur de sa réflexion pour les années à venir, la gauche et notamment le Parti socialiste peine à se faire entendre sur ces problématiques. Pourtant, au-delà de ses effets d'annonce, de son discours démagogique sur la « discrimination positive » ou encore des nominations très ponctuelles de ministres issus de l'immigration, la droite n'offre aucune perspective : el Parti Socialiste demeure le mieux qualifié pour répondre aux attentes des Français dans ce domaine. La société que nous voulons pour demain, est une société qui permet l'égalité de tous les citoyens indépendamment de leur origine sociale, géographique, et de leurs convictions religieuses, etc. Le Parti Socialiste puise son essence dans des valeurs profondément humanistes empreintes d'universalité. Une autre voie est donc possible à condition que tous, élus et militants, oeuvrent dans le même sens. C'est pourquoi, il convient d'apporter au préalable trois précisions : Le terme «intégration » ne suffit plus à rendre compte de la réalité de la problématique en cause et ce, pour deux raisons : d'une part, les jeunes issus de l'immigration n'ont plus à s'intégrer puisqu'ils sont français et jouissent d'une citoyenneté pleine et entière. D'autre part, ce terme occulte la dimension bilatérale de l'acceptation de l'autre. Tous les acteurs ont en effet un rôle actif à jouer en reconnaissant que notre société est d'abord diverse. Cette dimension plurielle s'est construite au cours des siècles, et notamment lors de sa phase coloniale, époque qui doit être acceptée en tant que telle pour construire une histoire commune. Le Parti Socialiste doit dénoncer clairement toute initiative qui aboutirait à un grand bond en arrière, comme c'est le cas avec la loi du 25 février 2005 qui impose l'enseignement du rôle positif de la colonisation. La bataille contre les discriminations, la victoire de l'égalité réelle ne pourrojt se gagner qu'avec une approche globale, c'est-à-dire un faisceau de réponses (sociale, sociétale, juridique, politique mais aussi culturelle et éducative) dans le cadre d'un dispositif volontariste. * 20 Charles Rojzman - Savoir Vivre ensemble - Ed Syros - 1998 - 248 pages * 21 Dominique Schanapper - La France de l'intégration, Sociologie de la nation - Paris Ed Gallimard 1991 |
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