A/ ORGANISATION SOCIALE
a) Le borom Kër comme levier de l'organisation
sociale
Le chef de carré (borom Kër) tirait sa
légitimité du droit de primogéniture qui stipulait que le
plus âgée dirige au nom de toute la lignée. Il pouvait
être soit le plus âgé d'abord ou ensuite le neveu du borom
Kër défunt. C'est souvent un cas fréquent à Ndayane
du fait du système de filiation utérine. Il symbolisait ainsi la
vitalité du système lignages en consolidant grâce à
son pouvoir la continuité des rapports matrimoniaux à base
utérine.
1 DIOP (A. B.), La Famille Wolof : tradition et
changement, Paris Karthala, 1981, p.144
Le pouvoir du borom Kër concernait tous les domaines de
la vie du lignage. L'influence qu'il exerçait sur les membres de son
carré était manifeste surtout pendant l'hivernage. Le
carré était l'unité de production et de consommation
c'est-à-dire que tous les membres partageaient en commun le toolu
kër gi.
Chaque ménage avait son propre champ appelé
«Konong» c'est-à-dire un champ privé qui servait la
plupart du temps à la culture de l'arachide pour satisfaire les besoins
individuels.
Etant le personnage principal c'est sous la bannière
du borom Kër que les champs étaient cultivés. Aucun champ
n'était cultivé avant le sien. Son rôle se justifiait
surtout par le fait que la famille rurale n'est pas seulement un
cadre de vie mais aussi et surtout constituent une cellule de production et de
consommation. Ce rôle à la fois sociale et
économique de la famille faisait du borom kër un maillon important
devant faire épanouir son lignage. En effet le prestige de chaque
famille devait découler de la capacité de son chef à
mobiliser ses protégés pour assurer la production
nécessaire à l'autosuffisance du carré. Il était
ainsi dépositaire d'un pouvoir central.
Ces valeurs étaient le legs de la tradition. Le to'ol
bu mag symbolisait dans ce sens l'unité du lignage.
C'est pourquoi on peut dire que c'est le principe
communautaire qui était le substrat de la vie des Lebu de Ndayane. Au
centre de ce «communautarisme» on trouvait son corollaire
c'est-à-dire une morale sociale supérieure ou pour parler comme
Durkheim une conscience collective. 1(*) Le respect des anciens plus qu'un leitmotiv
constituait un principe directeur que tout jeune homme se devait de respecter.
L'adage célèbre du Lebu l'a dit : «rak to'op mak, doom
to'op baay» `les petits frères suivent leurs grands frères
(aînés) ; et les fils eux leurs pères).
Pendant l'hivernage le borom kër était le premier
à se réveiller. Il faisait même une ronde à la plage
pour surveiller d'éventuelles pirogues en partance pour la mer. Les
contrevenants à la tradition se verraient frapper à coup de
bâton et même prenaient la fuite au vu de ce représentant de
l'ordre.
La sanction la plus lourde c'est que les récidivistes
se voient refuser la possibilité de prendre femme car
considérés comme des «hors la loi».
L'on ne saurait comprendre l'organisation sociale
traditionnelle des Lebu de Ndayane sans prendre en compte ce personnage en
rapport avec le lien social de la vie communautaire. Il est donc
intéressant de saisir les fondements de son pouvoir à travers la
structure familiale terreau fécond des rapports domestiques.
b) L'importance de la ligne utérine dans le
fonctionnement de la famille.
Comme dans toutes les sociétés de
pêcheurs, le groupe Lebu a la particularité d'être
marqué dans le fonctionnement de la famille par la ligne maternelle.
La matri linéarité originelle est encore vivace
même si dans sa logique de fonctionnement traditionnelle elle s'est
altérée quelque peu.
Ces rapports domestiques ont été tissés
autour de la voie utérine d'où le rôle important du neveu
et même de l'oncle. Durant une époque encore lointaine
c'est-à-dire où l'Islam n'était qu'embryonnaire c'est le
neveu qui héritait à la place des fils de l'oncle. Cette
prédominance de la ligue utérine depuis que l'islamisation s'est
accélérée n'est plus que symbolique même si
aujourd'hui le neegu ndey s'affirme comme le dépositaire du pouvoir
familial des Lebu de Ndayane. En cela il possède la primauté des
décisions en matière d'alliance.
Ce symbolisme du système matrilinéaire prend
racine dans la forme de socialisation en cours chez la nouvelle
génération.
En effet, dès son âge, le jeune garçon est
mis en contact direct avec son oncle soit par des visites constantes chez lui,
soit en étant près de lui durant un moment (dès
l'âge de six ans).
L'oncle au même titre que ses fils est obligé
d'assimiler son neveu à ses propres fils. Dans un contexte pareil, il
n'est pas rare de voir certaines soeurs déléguer
l'éducation et la formation dans le cadre de la pêche de leurs
enfants à leurs frères. La pirogue du nijaay est souvent la base
de la formation du jeune pêcheur.
Aujourd'hui c'est la soeur du frère qui prend en charge
l'habit du circoncis.
Le corollaire du système matrilinéaire ici est
le mariage par cousin croisé même si aujourd'hui, il a perdu son
lustre d'antan.
L'organisation familiale ainsi bâtie va être le
socle de la culture de cette population.
* 1 DURKHEIM (E), Les
Règles de la Méthodologie sociologique, Paris, PUF, 1992
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