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La femme dans la diplomatie de la CEMACpar Simon Pierre Boris EBANGA Université de Yaoundé 1 - Master en Histoire des Relations Internationales 2020 |
B. LA CREATION DE L'UDEAC ET LA PLACE RESERVEE AUX FEMMESAprès leur accession à l'indépendance, les pays africains à travers leurs dirigeants, ont manifesté le désir de combattre le sous-développement par la création de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), selon l'adage "l'union fait la force". Mais, le chemin pour arriver aux résultats était déjà mal tracé car, la création de l'OUA en 1963 était précédée par la division des leaders africains en deux blocs : le groupe de Monrovia qui prônait une union progressive à travers la constitution des regroupements sous régionaux et celui de Casablanca qui était pour la création des Etats-Unis d'Afrique. C'est ainsi que la première tendance l'emporte d'où la création des homogénéités spatiales comme la CEDEAO, la SADC et bien d'autres. Ensuite, le plan d'action de Lagos de 1980 viendra jeter le pavé dans la marre en préconisant l'intégration régionale de l'Afrique à partir de la création des pôles fédérateurs selon les régions. D'où la formation des Communautés Economiques Régionales qui prolifèrent de nos jours en suscitant les adhésions multiples des Etats. C'est dans cette logique que l'UDEAC voit le jour en 196445. 1. Présentation de l'UDEAC Le Président Barthélemy Boganda avait émis, dès 1956, le projet de construction d'une "République Centrafricaine", première étape d'une Union d'Afrique Centrale qui soit visible sur le plan économique. Ce projet a connu un échec. Néanmoins avant l'adoption de la loi cadre, la France organise ses colonies d'Afrique noire en deux fédérations : Afrique Occidentale 44 Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et rapport de pouvoir au sein des couples salariés...", p.43. 45R. Kayembe Mungedi, "L'intégration régionale en Afrique : regard critique sur la prolifération des regroupements régionaux", in A. L. Aboa et Als, Démocratie et développement en Afrique : perspectives des jeunes chercheurs africains, Tome I, Paris, L'Harmattan, 2013, pp.115-132. 39 Française (AOF) et Afrique Equatoriale Française (AEF)46. A la suite d'une volte-face, elle opte pour la préservation des marchés tropicaux des sociétés commerciales françaises implantées en Afrique noire. Toutefois, la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon et le Tchad constituèrent dès lors une entité géoéconomique intégrée, sous l'appellation de l' AEF47. Suite à la signature de deux protocoles à Paris en 1959, ces pays créent le 29 juin 1959, l'Union Douanière Equatoriale (UDE)48, qui connait l'adhésion du Cameroun en1962. Le 8 décembre 1964, les Chefs d'Etat de ces cinq pays signent à Brazzaville le traité instituant l'UDEAC qui entre en vigueur le 1er janvier 1966. Confirmant ainsi un processus de regroupement entamé sous la période coloniale. Le 24 août 1983, l'union connaît l'adhésion de la Guinée Equatoriale. Les pays de l'Afrique centrale on très tôt pris conscience de l'intérêt que représentent la coopération économique et l'intégration régionale en tant que facteurs susceptibles de contribuer à l'accélération de leur croissance et de leur développement. Ce qui justifie qu'ils vont assigner à l'UDEAC des objectifs précis pour la bonne marche de la communauté. Ces objectifs seront suivis et appliqués par des organes et des Institutions spécialisées de l'UDEAC. a. Les objectifs de l'UDEAC Pour veiller au bon fonctionnement de l'Union, l'UDEAC s'assigne de nombreux objectifs : - établir une union de plus en plus étroite entre les peuples des Etats membres en vue de raffermir leur solidarité géographique et humaine ; - promouvoir les marchés nationaux actuels grâce à l'élimination des entraves du commerce intercommunautaire, à la coordination des programmes de développement des différents secteurs de production et à la répartition à la l'harmonisation des projets industriels ; - renforcer l'union de leurs économies et d'en assurer le développement harmonieux par l'adoption des dispositions tenant compte des intérêts de tous et de chacun, compensant de manière adéquate par des mesures appropriées la situation spéciale des pays de moindre développement économique ; 46 Kayembe Mungedi, "L'intégration régionale en Afrique...", pp.115-132 47 S. Loungou, "La libre circulation des personnes au sein de l'espace de la CEMAC : entre mythes et réalités", in Revue belge de géographie, n° 3, Open Edition Journals, 2010, p.1. 48 A. Z. Tamekamta, Le Cameroun à l'UDEAC : Bilan et perspectives d'une gestion administrative contestée à l'ère du Renouveau, Paris, L'Harmattan, 2011, pp.13-14. 40 - participer à la création d'un véritable marché commun africain et consolider l'unité africaine49. Ces objectifs exprimaient clairement la volonté des Chefs d'Etat concernés d'unir leurs efforts, afin de bâtir un espace économique optimal, susceptible d'impulser un développement économique solidaire et de créer des pôles de développement tout en facilitant l'intégration de leurs économies nationales. A côté de ces objectifs fixés, des organes et des institutions spécialisées sont identifiés à l'UDEAC. b. Organes et institutions spécialisées de l'UDEAC L'Union est structurée de la manière suivante : - des services administratifs - des divisions, départements et services techniques - des organismes rattachés - des organismes communautaires50
Elles comprennent : - la Première division - la Deuxième division La première division comprend : - le Département des douanes - le Département de la fiscalité - le Département des statistiques - le Département de formation et de la Recherche scientifique. Alors que la deuxième division comprend : - le Département de 1'hamonisation industrielle 49 Tamekamta, Le Cameroun à l'UDEAC..., p.13. 50 J. Touscoz, J. Lormand, Coopération scientifique et technique entre les Etats membres de l'UDEAC, Paris, Unesco, 1977, pp.96-99. 51 Ibid. 41 - le Département des transports, postes, télécommunications et tourisme - le Département de l'économie rurale - le Département de la main d'oeuvre, du travail et de la sécurité52
Les Organismes communautaires sont. - la Banque des Etats de l'Afrique Centrale - la Banque de développement des Etats de l'Afrique Centrale - la Commission d ' Arbitrage54. A côté de ces institutions susmentionnées, on retrouve également les institutions ci-dessous : - l'Institut Sous Régional d'Analyse Multisectorielle et de Technologie Appliquée (ISTA) ; - l'Institut Supérieur des Statistiques et d'Economie Appliquée (ISSEA) ; - l'Ecole Inter-Etats des Douanes à Bangui - la Communauté Economique du Bétail, de la Viande et des Ressources Halieutiques (CEBEVIRHA) ; - la Banque de Développement des Etats de l'Afrique Centrale (BDEAC)55. Tous ces organes et institutions jouaient un rôle important pour le bon fonctionnement de l'UDEAC, une homogénéité constituée des hommes et des femmes qui voudraient voir leurs 52 B. Vinay, Coopération intra-africaine et intégration l'expérience de l'UDEAC, Penant,1971, pp.25-28. 53 Touscoz, Lormand, Coopération scientifique et technique..., pp.98-99. 54 Cf. Organigramme de l'UDEAC en annexe N° IV. 55 R. Pourtier, Atlas de l'UDEAC, Paris, Ministère de la Coopération, 1993, pp.28-27. 42 pays réussir dans leur union. Ce qui nous amène à nous interroger sur la place que cette union a accordée à la femme. 2. La place réservée aux femmes à l'UDEAC Les pays d'Afrique centrale, après les indépendances, ont fait le plus de progrès pour donner une meilleure éducation à leurs populations, notamment aux femmes. Cette initiative s'est accompagnée par la dotation des Etats des textes permettant de régir cela et d'éliminer les considérations d'ordre discriminatoire sur le sexe. C'est ce qui se décline dans les différentes constitutions de ces Etats africains et singulièrement de la CEMAC. Les Etats renoncent à toute forme de discrimination sur le sexe, l'origine, la religion ou la classe sociale. Et donnent à tous les citoyens les mêmes chances d'accès à l'éducation, au travail56. Par ailleurs, avant les indépendances, les pays de l'Afrique centrale avaient l'idée d'une coopération intra-africaine par l'intégration régionale liée aux solidarités socioculturelles et des réseaux marchands transfrontaliers. C'est dans cette trajectoire qu'après les indépendances, naît le 08 décembre 1964 à Brazzaville, l'Union douanière et économique de l'Afrique centrale, dont l'objectif était de parvenir à une intégration de la sous-région57. C'est ainsi que l'homme comme la femme étaient appelés à contribuer à l'évolution de cette communauté douanière. Cependant, aucun texte pour promouvoir la femme n'avait été adopté par l'UDEAC. Alors que le rôle de la femme dans le processus de décolonisation n'avait pas été moindre. Elles se sont montrées capables de défendre leurs territoires contre le colonialisme européen58. Or cette étape passée, il était observé un vide juridique en matière de promotion de la femme dans l'UDEAC. L'Union Douanière des Etats de l'Afrique Centrale s'est dotée de nombreux organes et institutions qui permettaient son bon fonctionnement. Toutefois, la femme a occupé une place moins considérable que celle de l'homme. Car la plupart des postes étaient occupés par les hommes, (cf. tableau 1). 56 Groupe de la BAD, Autonomiser les femmes : plan d'action, Indice de l'égalité du genre en Afrique 2015, Abidjan, 2015, p.20. 57 Tamekamta, Le Cameroun à l'UDEAC..., p.13. 58 M-I. Ngapeth Biyong, Cameroun : Combats pour l'Indépendance, Paris, L'Harmattan, 2010, pp.250-260. 43 Tableau 1 : Les responsables de l'UDEAC en 1977.
Source : J. Touscoz, J. Lormand, Coopération scientifique et technique entre les Etats membres de l'UDEAC, Paris, Unesco, 1977, p.82. Ce tableau est la liste non exhaustive des responsables de l'UDEAC en 1977. Dans ce tableau, aucune femme ne figure. Est-ce le manque de femmes compétentes ou c'est le fait que la structure n'a pas très tôt pris en compte la femme ? Par contre, de nombreuses femmes ont joué un rôle important pour la décolonisation des territoires en Afrique centrale. De plus, leur rôle s'est avéré après l'accession de ces territoires à l'indépendance. C'est le cas de : Rose-Francine Rogombé de nationalité gabonaise, elle avait âprement milité pour l'indépendance de son territoire, plus tard a été promue magistrate dans son pays59. Elisabeth Damtien quant à elle fut dans les années 1960 Premier ministre du gouvernement en RCA, première femme à occuper cette fonction dans ce pays.60 Il va de soi avec Anastasie Nze Ada qui a fait montre de son dynamisme dans la lutte pour la promotion des femmes en Guinée Equatoriale, de surcroît la promotion de l'égalité genre dans ce pays61. Au Cameroun, Marie-Irène Ngapeth Biyong a lutté contre le colonialisme, elle était également 59 O. P. Itoumba, "Les femmes et la politique au Gabon (1956-2009)", n °2, 2017, pp.35-40. 60 Rondo Lemercier, 24 ans, Etudiant centrafricain à l'ISSEA en 4eme année IAS, entretien réalisé à l'ISSEA, le 14/02/2018. 61M. D. Malu-Malu, "Guinée Equatoriale : le projet de "femme idéale", pour l'égalité des droits entre les deux sexes", 31 mai 2017, in www.jeuneafrique.com/mag/440431/societe/guinee-equatoriale-projet-femme-ideale-legalite-droits-entre-deux-sexes/, consulté le 24/04/2019 à 15h30min. 62E. Le-Yotho Ngartebaye, " La participation de la femme à la vie politique au Tchad : 1933-2003", Mémoire de maîtrise en sciences sociales, option sciences juridiques et politiques, UCAC, 2003, p.15. 44 choisie par ses camarades de parti pour défendre le dossier de la Réunification du Cameroun devant la quatrième Commission de Tutelle en 1961. Au Tchad, Yeyou Lisette fut nommée par François Tombalbaye présidente de l'Organisation des femmes de Union Nationale pour l'Indépendance et la Révolution (l'UNIR)62. Si après l'accession à l'indépendance des Etats de l'Afrique centrale, il existait des femmes capables de participer aux affaires administratives, il pourrait donc être clair que la femme n'avait pas vite été prise en compte par l'administration de l'UDEAC. Malgré cette preuve du dynamisme féminin dans les différents territoires, les différents postes stratégiques de l'UDEAC n'ont point connu la présence des femmes, (cf. photo1). Source : www.izf.net/upload/institutions/integration/african/cemac, consulté le 12/05/2019 à 12h30min. Photo 1 : Les premiers dirigeants, du Secretariat de l'UDEAC jusqu'à la Commission de la CEMAC 45 Comme le démontre ce répertoire des anciens dirigeants du Secrétariat de l'UDEAC à la Commission de la CEMAC, la femme n'a pas été aux commandes de l'UDEAC. Cependant, il n'en demeure pas moins que certaines femmes ont joué un rôle important en occupant d'autres postes dans cette union douanière. 3. Quelques femmes et les postes occupés au sein de l'UDEAC Signé le 8 décembre 1964, le traité instituant l'UDEAC entre en vigueur le 1er janvier 1966. Ce n'est qu'en 1994 que l'UDEAC prend fin avec l'établissement de la CEMAC63. De 1966 à 1994, de femmes et des hommes ont travaillé en synergie au sein de l'UDEAC afin de promouvoir l'idéal de la limitation des barrières douanières recherché par les différents Etats membres. Même s'il faut noter que les postes occupés par les femmes n'étaient pas des postes clés, néanmoins, ils étaient déterminants pour faire parler de l'expertise féminine dans l'UDEAC, (cf. tableau 2). Tableau 2 : Le personnel féminin de la comptabilité agréé par le Secrétariat de l'UDEAC entre 1977 et 1988.
Source : Tableau des professionnels libéraux agréés de la comptabilité par le Comité de Direction de l'UDEAC, 31 juillet 1998, pp.5-17. 63 Loungou, "La libre circulation des personnes...", p.1. 46 Dans la catégorisation des fonctionnaires depuis l'UDEAC jusqu'à la CEMAC, les fonctionnaires sont classés sous deux catégories à savoir : les fonctionnaires du régime international et les fonctionnaires du régime local64. Dans chaque catégorie, il existe des profils spécifiques. C'est ainsi que les profils de comptable et d'expert-comptable font partie de la catégorie des fonctionnaires du régime international, classe exceptionnelle65. Comme le montre ainsi le tableau ci-dessus, les femmes ont occupé de nombreux postes importants dans la catégorie des fonctionnaires du régime international au sein de l'UDEAC. En effet, avec des difficultés rencontrées au sein de la Représentation de la CEMAC au Cameroun, le manque de sources sur l'UDEAC, il a été difficile pour nous de ressortir toutes les femmes ayant travaillé à l'UDEAC de 1964 à 1994. Même si les femmes étaient très minoritaires par rapport aux hommes66. Toutefois, cette présence féminine sera accrue avec la création de la CEMAC. Etant donné que l'UDEAC manifestait des limites, car elle était limitée à l'union douanière67, la nécessité de dynamiser l'organisation va s'imposer. L'avènement de la CEMAC constitue donc le moment idoine pour prendre en compte toutes les autres pans de coopération dans la sous-région. |
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