A. RAPPEL HISTORIQUE
La situation de la femme a évolué durant des
années. De la période précoloniale à la
période coloniale, le statut de la femme a connu des mutations. Ce qui
explique la présentation de la femme en zone CEMAC avant et pendant la
colonisation.
1. Situation de la femme à l'ère
précoloniale
La littérature occidentale a présenté la
femme africaine comme une esclave résolue aux plus durs travaux,
passive, résignée et objet de mépris pour les
hommes.5 Alors que d'un autre côté, certains auteurs
relèvent que la femme africaine n'était pas
opprimée6. Raison pour laquelle il est important de situer la
femme à l'ère précoloniale dans les domaines politique,
économique et socioculturel en Afrique centrale.
a. Le statut politico-juridique
En Afrique en général et en Afrique centrale en
particulier, on ne peut véritablement pas parler d'un statut politique
de la femme dans les sociétés traditionnelles. Certaines sources
révèlent que "la participation de la femme africaine à la
vie politique en Afrique précoloniale a toujours été
interprétée comme insignifiante, voire nulle. Les femmes
étaient étrangères à la partie la plus
organisée et la plus active de la société". Si cela semble
vrai de manière globale, l'on ne peut nier le fait que certaines femmes
ont souvent été impliquées dans la prise des
décisions du village7. Les réunions des "vieux" des
villages ne comprenaient uniquement que des hommes. Les femmes qui ont atteint
un certain âge y participaient également et non pas en tant que
spectatrices ou suppléantes, mais au même titre et avec les
mêmes prérogatives que les hommes. Les conseils, les
décisions des femmes "mûres" sont d'égale valeur que ceux
de leurs partenaires masculins. Aucune discrimination, aucune
ségrégation ne sont tolérées par les femmes.
S'ajoute à cela les confréries féminines autrement
appelées "sociétés secrètes féminines"
prolifiques dans les sociétés traditionnelles d'Afrique centrale,
qui ont joué un rôle non négligeable. Ces organisations
composées entièrement de femmes constituaient "des
5 G. Trepanier, "La paysanne camerounaise entre
l'émancipation et l'aliénation", in Revue camerounaise des
études africaines, 1970, pp.321-332.
6 H. Ngoa, Non, La femme africaine n'était
pas opprimée, Yaoundé, Clé, 1975.
7 E. V. Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et
rapport de pouvoir au sein des couples salariés à hypogamie
féminine : contribution à une sociologie de la vie conjugale en
contexte urbain camerounais", Thèse de doctorat/ Ph.D en sociologie,
Université de Yaoundé I, 2017, pp.37-40.
30
groupes de pression capables d'influer sur les affaires
publiques de la collectivité villageoise". À ce propos, Ignace
Koumba Pambolt écrit dans le cas du Gabon :
Au mois de février 1971 elles (les femmes du
N'djembè) sont intervenues aux côtés des hommes du Bwiti
(Société secrète masculine) pour s'opposer
énergiquement à la destruction de leurs cases dans la capitale
gabonaise, Libreville. Le régime de m. Albert Bernard Bongo avait
dû déchanter face à une telle opposition.8
Cela relève non seulement l'influence des
sociétés secrètes féminines, mais aussi le pouvoir
que les femmes pouvaient incarner dans la vie sociale traditionnelle. Aussi en
Afrique centrale, il y a eu des femmes de renom qui ont aussi pris part
à la vie politique. Pour la plupart, elles ont été surtout
des "cheffesses"9 ayant exercé l'autorité politique
à la tête d'un clan ou d'un lignage : Makove du clan
Mouva, Kumba-Pungueka du clan Mussanda, la vieille Kengue du
clan Bassamba, M'Buru-Akosso du clan Mandi." Mais aussi
reines à l'instar de "Ilassa de la pointe Owendo et de
l'île Koniquet, Evindo et Mbumba chez les Enenga".
Cependant, si l'homme reste le chef incontesté dans la vie politique
traditionnelle, il n'en demeure pas moins que la femme avait un rôle tout
aussi important et qu'elle n'a pas été au cours de l'histoire que
cette femme décrite comme soumise, simple victime. Par ailleurs, cette
attribution change radicalement, notamment avec l'arrivée de "l'homme
blanc"10.
Les femmes jouissaient aussi d'un certain nombre de
privilèges dans les domaines politiques et juridiques. Sur le plan
politique, elles jouaient le rôle de conseillères et de
confidentes11. Celles-ci disposaient de pouvoirs substantiels,
c'est-à-dire discrètes mais efficaces dans les questions d'ordre
social12. Elles participaient à la vie politique et pouvaient
assister à certaines assemblées. Nonobstant tout ceci, les femmes
étaient exclues des fonctions de commandement général. Les
sources traditionnelles sur l'époque précoloniale
révèlent que le rôle actif a généralement
été inhérent à l'homme. C'est lui qui prend les
décisions, il est l'auteur économique et politique. Par ailleurs,
les femmes sont reçues comme médiatrices dans le mécanisme
de la filiation mais d'une façon passive13.
8 P. I. Koumba, "L'intégration de la femme
gabonaise dans le processus de développement", Mémoire de
maîtrise de sociologie, 1979, p.114.
9 Ibid., pp.130-131.
10 O. P. Itoumba, "Les femmes et la politique au
Gabon (1956-2009) : une affaire d'État ou d'activisme féminin ?",
in Revue gabonaise d'histoire et archéologie, Editions
Lumières, N°2, 2017, pp.32-33.
11 J. Ntahohari, B. Ndayiziga, "Le rôle de la
femme burundaise dans la résolution pacifique des conflits", in UNESCO,
Les femmes et la paix en Afrique : Etudes de cas sur les pratiques
traditionnelles de résolution des conflits, Paris, Pointed in
France, 2003, p.21.
12 J. J. Chendjou, "Les bamilékés de
l'ouest-Cameroun : pouvoir économique et société
(1880-1916)", Thèse de doctorat 3e cycle en Histoire,
Université de Paris, 1986, p.83.
13 Ntahohari, Ndayiziga, "Le rôle de la femme
burundaise...", p.21.
31
Dans le cadre juridique, la femme en Afrique Centrale avait
des droits en tant que procréatrices, moyen d'échange et
productrice. Cependant, la colonisation est venue mettre un emprunt sur ces
droits. L'ordre colonial imposa des réformes coutumières ne
correspondant pas à la réalité du pouvoir en Afrique.
Il en ressort de tout ce qui précède que, dans
l'Afrique précoloniale, les construits sociaux hommes-femmes
répondaient à une hiérarchisation bien définie. Les
femmes avaient un pouvoir décisionnel moins considérable que
celui de l'homme. Elles étaient certes au centre de toutes les
compétitions de survie et de croissance, mais demeuraient en fin de
compte l'élément le plus dominé de la
société car elles étaient celles à qui il
était le plus demandé14.
b. La situation socio-économique
Avant la colonisation, la place de la femme se ressent
également dans la vie sociale et économique.
Sur le plan social, la femme en Afrique centrale assurait la
totalité des tâches domestiques en plus de ses travaux
champêtres, généralement répartis entre les femmes
et les filles de la maisonnée qui s'occupaient entre autres du
ménage, du ravitaillement en eau, du ramassage de bois, de la confection
des repas. Les femmes ou les mères étaient exclusivement
chargées des soins et de l'éducation des enfants. Ces
attributions qui renvoyaient aux rôles de mère, d'épouse et
de ménagère comme essentiels à la femme dans la
société traditionnelle, lui conféraient le statut de
gardienne des valeurs et des traditions, car responsable de la bonne marche de
son foyer15. C'est ainsi qu'une division sociale du travail
apparaît. Pendant que la femme exerçait son pouvoir de
procréation à travers son corps qui enfante et ses mains qui
travaillent la terre, l'homme affirmait son pouvoir d'organisation de la
société. En tant que source de vie, la première perception
qu'on avait de la femme était de la mère nourricière
dévouée aux siens. Malgré le respect qui lui était
ainsi accordé dans ces sociétés précoloniales, cela
n'empêchait sa subordination vis-à-vis de l'homme. La femme
était parfois moins considérée que l'homme, du fait
qu'elle dépendait, devait respect et était destinée
à son service. Considérée comme cadette sociale, elle
n'avait parfois pas droit à la parole dans une société
14 G. Balandier, Sociologie actuelle de
l'Afrique noire, dynamique sociale en Afrique centrale, Paris, PUF, 1963,
p.64.
15 Les britanniques ont qualifié le travail
du foyer de "Working mother" : travail effectué par des femmes en
attendant de trouver "l'amour" et de se retrancher dans la vie domestique
après le mariage. Ce mode de travail a connu une valorisation par la
culture américaine. Parallèlement, l'idée d'une
véritable carrière féminine se trouve dévaloriser :
le pourcentage dans les Universités diminue. La femme idéale
devient ainsi la jeune et jolie secrétaire qui travail en attendant de
se marier. Cf. A. M. F. Elanga Mbamgono, "Les politiques sociales au
bénéfice des femmes en zone CEMAC", Mémoire de master en
Relations Internationales, IRIC, 2012, p.109.
32
masculine16. Raison pour laquelle, bien qu'il
existe des sociétés matrilinéaires17 en Afrique
centrale ancienne, les femmes n'exerçaient pas véritablement
l'autorité car s'était de manière très
limitée. Par ailleurs, elles bénéficiaient d'un pouvoir
religieux qui supposait celui du chef, présidaient toutes les
sociétés secrètes des femmes et assistaient à
celles des hommes lorsque celles-ci n'avaient pas un caractère
militaire18.
Les femmes dans certaines circonstances étaient les
plus nombreuses, assimilées aux esclaves et aux objets d'usage
courant"19. Présentant ses entretiens avec les femmes
béti du sud Cameroun, Jeanne Françoise Vincent relève que
lorsqu'il s'agissait d'apprécier le statut réservé aux
femmes, un mot commun revenait chez son informatrice, celui d'"esclave". Ce qui
traduit un statut d'infériorité sur le plan social qui
interdisait aux femmes de s'exprimer20. Le fort patriarcat des
sociétés traditionnelles a fait en sorte que la femme ne soit pas
suffisamment considérée. Son rôle se résume à
celui d'accompagner l'homme dans sa mission21. Raison pour laquelle,
même après vingt ans de promotion de la femme, les cultures se
battent pour promouvoir l'inégalité homme-femme qui selon elles,
est à la base de la fondation du monde. L'homme est ainsi le chef de la
famille et celui de la femme, la femme est mère et épouse. Son
destin est lié à celui de l'homme. Ainsi, une femme non
mariée est victime de marginalisation, elle n'est pas assez
respectée et n'a pas droit à la parole même dans sa propre
famille.
Par ailleurs, une femme qui n'enfantait pas était
considérée comme maudite et elle subissait le rejet social. C'est
pourquoi chez le peuple bamiléké de l'Ouest-Cameroun, de telles
femmes étaient parfois enterrées avec une pierre à la
main22, et dans d'autres cas, son corps était enterré
loin de son village23.
Dès la naissance, la fille et le garçon
n'avaient pas le même nombre d'années pour rester auprès de
leur maman. Car après avoir atteint un certain âge, il y avait une
séparation entre le garçon qui lui se voyait faire route avec son
père alors que la jeune fille restait attachée à sa
16 J-P. Tsala Tsala, La femme béti entre
tradition et modernité. Une demande en souffrance, Paris,
Université de Louis Pasteur, 1988, p.583.
17 Société matrilinéaire :
c'est un système de filiation dans lequel chacun relève du
lignage de sa mère. Cela signifie que la transmission de
l'héritage de la propriété des noms de famille passe par
le lignage féminin.
18 A. P. Temgoua, "Statut et rôle de la femme
dans la société précoloniale", in J. Fame-Ndongo, La
femme camerounaise et la promotion du patrimoine culturelle,
Yaoundé, CLE, 2002, pp.66-68.
19 B. Bilongo, La femme noire africaine en
situation, ou si la femme africaine était opprimée ?
Yaoundé, CNE, 1993, p.19.
20 J.F. Vincent, Tradition et transition.
Entretiens avec les femmes du Sud Cameroun, Paris, Berger Levrault, 1976,
p.6.
21 S. D. Yana, " Statuts et rôles
féminins au Cameroun : Réalités d'hier, images
d'aujourd'hui", in Politique Africaine N° 65, 1997, p.35.
22 Inès Fotsing, 70 ans,
ménagère, entretien réalisé à Yaoundé
le 22/09/2018.
23 Nadège Makemba, 60 ans environ, Chef de
service retraité au Ministère de la promotion de la femme et de
la famille, entretien réalisé à Yaoundé, le
25/01/2018.
33
mère. Laquelle lui enseignait les rouages des
ménages, tâche principale assimilée à la jeune
fille. C'est ainsi que sa mère était chargée de :
- développer ses aptitudes physiques à travers
notamment la recherche de l'eau, la recherche du bois de chauffage, le balayage
de la maison et de la cour, la préparation des mets.
- la formation du caractère dont les principales
qualités étaient notamment l'obéissance, la modestie, le
respect, la réserve, la honte24.
- la formation culturelle plutôt qu'intellectuelle,
puisque la méthode, les instruments et même la finalité de
l'éducation de la jeune fille relevaient du domaine de la culture dont
elle devait aider à perpétuer le contenu.
A l'analyse, l'éducation de la jeune fille ne vise pas
seulement à éveiller et à développer les
potentialités latentes dans le sens de son épanouissement ou la
meilleure intégration dans la vie. Il s'agit plutôt de la
canaliser et l'orienter dans le sens de la formation d'une âme
naturellement obéissante et soumise25. La femme ou
l'"épouse" est donc celle qui accomplit, à titre principal, les
tâches éducatives des enfants, indépendamment de leur sexe.
Son droit de regard sur ces enfants diminue par rapport au garçon au fur
et à mesure que ce dernier prend de l'âge26. La vie
conjugale est l'incontournable point de chute du destin de toute femme à
l'époque précoloniale. Une femme n'est pleinement accomplie que
si elle se marie et si elle procrée. C'est pourquoi, le rôle
conjugal de la femme est l'un de ceux qui déterminent le mieux sa
condition.
Hors de son ménage, la femme en générale
n'avait pas droit à la parole. En visite chez ses parents, comme
d'ailleurs au temps où elle était encore jeune fille, la femme
pouvait à tout moment se voir réduite au silence ou, parfois
s'entendre traitée de "fille"27 par un frère
même plus jeune qu'elle. Le système de descendance dans beaucoup
de sociétés africaines étant patrilinéaire, seuls
les hommes sont considérés comme héritiers. Cependant, ce
n'est que par la "dot", voir le "veuvage", un rituel qu'elle devait
exécuter après la mort de son mari, qu'elle pouvait
perpétuer l'héritage ou la descendance de son mari, en se mariant
avec un frère du lignage de son mari.
24 Ines Fotsing, entretien.
25 D. Attadjoude, "Le rôle des associations
féminines dans la promotion de la femme de la région de
l'Adamaoua : le cas du Réseau des Associations des Femmes de la Vina
(RAFVI)", Mémoire de master en Sociologie, Université de
Yaoundé I, Juin, 2013, pp.21-22.
26 Grégoire Djoulaye, 25 ans,
étudiant Tchadien à l'Université de Yaoundé II,
entretien réalisé à l'Université de Yaoundé
II, le 23/10/2018.
27 Attadjoude, "Le rôle des associations
féminines...", p.22.
34
Le volet économique de la femme clarifie que la
répartition sexuée des tâches faisait d'elle l'unique
responsable des travaux ménagers. A ce titre, il lui incombait de
s'occuper du petit bétail (pour des zones d'élevage), de prendre
soins des enfants, de chercher du bois, de puiser de l'eau. Ce qui ressort que
le rôle économique de la femme en Afrique précoloniale
était très limité. Le rôle économique ici
étant les activités génératrices de revenus. Les
coutumes et les normes régissant l'organisation sociale avaient
réduit les femmes à l'exercice des tâches pour lesquelles
aucun déplacement n'était requis28. En cette
période en Afrique, la plupart des femmes ne devaient pas se retrouver
loin de leurs ménages afin de s'assurer de la bonne conduite des enfants
et assurer la préparation des repas et prendre soins des enfants dont
leur éducation lui était assignée aussi comme tâche.
Une éducation qui était pour un certain temps en ce qui concerne
le jeune garçon car, il allait se retrouver du jour au-lendemain en
compagnie de son père qui de son côté allait lui inculquer
les rouages du vécu quotidien d'un homme29.
Le statut politique, économique et socioculturel de la
femme pendant la période précoloniale relève un
déséquilibre statutaire de la femme vis-à-vis de l'homme.
Elle était plus attachée aux activités domestiques
qu'économiques, son rôle était secondé à
celui de l'homme. Même si l'on ne peut dénier le rôle
important qu'elle jouait au sein de la société. Cependant,
l'avènement de la colonisation en Afrique viendra modifier certains
rapports de la femme dans la société.
2. La femme à l'époque
coloniale
La colonisation, avec tous ces chambardements qu'elle a
introduits en Afrique, a modifié d'une certaine manière le statut
de la femme dans la société, tel qu'il était à
l'époque précoloniale. C'est dans cette logique que l'on examine
la situation politique, économique et sociale de la femme à la
période coloniale.
a. Dans le domaine politico-juridique
L'implantation des puissances coloniales en Afrique centrale
au cours du XIXème siècle, a engendré un
bouleversement des structures traditionnelles mais aussi des
valeurs30. La femme en Afrique centrale qui jouissait d'un certain
rôle à l'époque précoloniale, voit celui-ci
décliné. Les principes philosophiques et politiques nouveaux
importés par les Européens mettent la femme dans une situation de
dépendance accrue vis-à-vis de l'homme. Dans cette
société
28 Attadjoude, "Le rôle des associations
féminines... ", pp.23-25.
29 Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et rapport de
pouvoir au sein des couples salariés...", pp.34-40.
30 N. N'nah Métégue, Histoire du
Gabon. Des origines à l'aube du XXIe siècle, Paris,
L'Harmattan, 2006, p.121.
35
coloniale "le mari était seul autorisé à
participer de plein droit à la vie politique et c'est lui qui
décidait du sort de sa femme".
Pendant la colonisation, les femmes étaient quasiment
écartées de la sphère politique. Alors que pendant la
période traditionnelle, la femme africaine détenait une certaine
place dans la gestion de la politique, dans la gestion matérielle. Des
femmes agissaient à un haut niveau d'organisation sociale et politique :
c'est le cas des reines mères et des épouses des grands
chefs31. Mais au moment où le missionnaire et le colon
arrivent, on constate une évacuation de la femme de cette sphère.
C'est l'homme qui s'occupe des grands emplois d'offices publics. Les
auxiliaires coloniaux sont essentiellement masculins. La femme est rarement
consultée. Le colon a retiré la femme dans plusieurs domaines
notamment économique et politique car même les hommes qui s'y
trouvaient déjà étaient moins considérables par
leur nombre. Aussi, la femme était mise à l'écart de la
société et sa place se retrouvait beaucoup plus dans les
ménages.
L'administration coloniale avec l'introduction du droit
écrit a juridiquement codifié la dépendance de la femme.
Pour travailler ou accomplir tout acte juridique, elle avait besoin de l'aval
de son mari. Aussi, l'accès aux centres urbains lui était plus
difficile. Le pouvoir de la femme fut donc amoindri. Elle se retrouvait ainsi
avec un double combat à savoir la patriarchie africaine et la
patriarchie européenne32. De même, elle se trouvait en
minorité. Les droits des femmes étaient très
limités pendant cette période. Sa condition devient de plus en
plus liée à celle de son mari. Ce qui pourrait laisser voir
qu'elle existe parce que son mari existe. Autrement dit, tout ce qu'elle devait
faire, elle devait avoir l'aval de son mari dont sa condition à lui
dépendait aussi du colonisateur. Le système devient donc une
chaine de dépendance de l'un à l'autre. Raison pour laquelle, la
femme ne pouvait se retrouver dans toutes les sphères de la
société car, son mari ne pouvait pas lui autoriser de faire ce
qui allait le compromettre notamment aller à l'encontre des lois
édictées par l'administration coloniale. Face à cela, le
rôle de la femme dans le cadre social et économique était
puéril.
b. Dans le domaine socio-économique
La politique coloniale portait également les traces de
discrimination envers les femmes. Cette pratique sera perpétuée
et perdurera au fil du temps, empiétant le processus d'instruction
féminine et son intégration professionnelle. Aussi,
l'enseignement dispensé aux femmes en
31 Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et rapport de
pouvoir au sein des couples salariés...", p.38.
32 E. Sutherland-Addy, A. Diaw, Des femmes
écrivent l'Afrique : L'Afrique de l'Ouest et du Sahel, Paris,
Karthala, 2007, pp.8-104.
36
cette période avait pour ambition d'une part d'en faire
des femmes capables de tenir un foyer, c'est ce qui ressort des femmes
éduquées dans les sexas33, d'autre part, de participer
à la vie publique pour celles-qui avaient été instruites
bien qu'en très petit nombre. Par ailleurs, certaines femmes pouvaient
être aides-soignantes, religieuses ou monitrices. Cependant, la
colonisation n'a fait que transformer la forme traditionnelle de
l'infériorité de la femme qui existait en Afrique
précoloniale en altérant le principe. Il est à noter qu'en
Afrique précoloniale, la division sexuée du travail
n'était pas d'envergure car, chaque "construit social" effectuait une
tâche en fonction de sa capacité à y assumer cette
responsabilité. Mais avec l'avènement du colonialisme, cette
division a été accentuée. Cette division du travail n'a
pas laissé l'Afrique centrale indifférente. La production
réservait aux hommes l'accomplissement de gros travaux, et aux femmes
des travaux relativement légers mais multiples et se faisait dans le
ménage ou à proximité34. L'homme est dans la
conception coloniale l'agent principal du travail indigène. Mais le gros
du travail était en réalité effectué par les
femmes. Ce qui explique le fait que dans les années 1930, très
peu de femmes se retrouvaient dans des villes. Cependant, un certain nombre y
étaient installées plus ou moins clandestinement.35
Sur le plan social, le système d'imposition a eu pour conséquence
l'introduction du salariat dont la femme était presque
exclue36.
Sur le plan économique, les privilèges que la
femme pouvait avoir tombèrent en désuète avec la
création des comptoirs et la pénétration à
l'intérieur du continent des commerçants européens.
Même s'il faut relever que le troc était le principal moyen de
commerce en "Afrique noire". L'introduction imposée de la monnaie, puis
du système d'imposition sur la place du marché, furent ensuite de
nouveaux éléments perturbateurs37. Dans l'agriculture
avant cette époque elle assurait la production dans les champs car, elle
occupait également une place très importante aussi bien que son
mari dans les travaux champêtres. Le système colonial, en refusant
le travail salarié aux femmes, les a marginalisées alors que
l'accès aux ressources monétaires constituait un moyen
d'épanouissement essentiel.
Allant des zones côtières à
l'intérieur, l'entreprise coloniale d'exploitation systématique
des richesses38 du sol et du sous-sol de l'Afrique en
générale et de l'Afrique centrale en
33 Zerabi, "Femmes au Maroc entre hier et
aujourd'hui : quels changements T", in Recherches, vol 3, n° 77,
pp.65-80.
34 Ibid., p.46.
35 Rafael Nguema, 65 ans, Enseignant gabonais
retraité, entretien réalisé à Kyo-Ossi, le
25/06/2017.
36 Idem.
37 Idem.
38 A. Boddy-Evans, What caused scramble for
Africa? Retrieved, 2012, p.25.
37
particulier nécessitait une main d'oeuvre
abondante39. C'est dans cette optique que les peuples locaux
étaient mis à contribution dans l'extraction minière, la
collecte de caoutchouc, la construction des chemins de fer et les
corvées de tout genre. Les hommes étaient donc le plus
sollicités pour l'accomplissement des corvées. Quant aux femmes,
elles s'occupaient du ramassage et du portage de pierres, ainsi que de la
collecte de l'huile de palme qu'elles acheminaient vers les centres
administratifs. Elles se chargeaient également de la cuisine dans les
chantiers40. L'homme et la femme sont voués à des
tâches différentes. Les hommes travaillaient dans les plantations
agricoles coloniales. Ce qui laisse voir dans les plantations d'exploitation
une main d'oeuvre essentiellement masculine41. Les hommes
étaient ainsi les seuls à être
rémunérés bien que certains travaillaient avec leurs
femmes42.
Les femmes étaient presque ignorées dans tout ce
qui avait trait à l'économie et à l'administration, ce qui
les mettait en marge de la société. Cela était
considéré comme "l'exclusion bénigne des
femmes"43. Cette vision de l'organisation de la
société relève de l'idéologie dominante des milieux
de l'élite européenne des XVIIIe et XIXe
siècles selon laquelle, l'homme était le pourvoyeur de fonds
utilisés dans tous les aspects alors que la femme avait la charge du
ménage. Ceci vient dont mettre en revers le rôle de la femme qui
était essentiel et primordial dans la société
traditionnelle. La femme joue ainsi un rôle de subalterne
vis-à-vis de l'homme et cela établit une relation sociale
déséquilibrée puisqu'il n'existe qu'un seul maillon dans
la chaine de production. Ceci perpétue la relation de dominant à
dominer et explique les difficultés à longue portée de la
femme à s'intégrer dans la vie professionnelle. C'est ce
dénie de représentation sociale que vient balayer la
théorie féministe qui réclame la représentation
équitable de l'homme et de la femme dans les postes de
responsabilité.
Cette théorie organisationnelle de la
société a été promue par l'administration,
l'industrie et l'église qui formaient les trois piliers de l'entreprise
coloniale. Chacune de ces instances à son niveau dans le cadre de ses
fonctions, a propagé l'idée d'un mari allant au travail pour
chercher de quoi subvenir aux besoins de sa famille, et d'une épouse
restant au foyer pour l'y entretenir.
Ces femmes peu nombreuses par rapports aux hommes constituent
l'embryon d'une "classe de petites commerçantes, qu'on pourrait
aujourd'hui intégrer au secteur "informel". Elles s'adonnaient à
la fabrication de boissons alcoolisées locales et à la revente de
la nourriture
39 R. Roberts, "Peculiarities of Africa labor and
working class history", in Labor/travail, 1982, pp.317-333.
40 Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et rapport de
pouvoir au sein des couples salariés...", p.43.
41 Roberts, "Peculiarities of Africa labor...",
p.320.
42 G. Mianda, Femmes africaines et pouvoir. Les
maraîchères de Kinshasa, Paris, L'Harmattan, 1996,
pp.30-25.
43 G. Mikelle, African feminism in subsaharan
Africa, Philadelphia University of Pennsylvania, 1997, p.16.
38
qu'elles ont elles-mêmes préparée. Les
investigations multiples relèvent qu'il y'avait pas de femmes
salariées jusqu'à dans les années 1950. Ce n'est qu'au
moment où les familles européennes s'étaient
installées qu'on avait eu besoin des femmes comme
ménagères pour garder les enfants. Encore que cette façon
d'employer les femmes était limitée.
Il est clair que la colonisation a perpétué les
inégalités entre l'homme et la femme. L'homme devient le seul
pourvoyeur de la société alors que la femme est résolue
à la gestion du foyer.44 C'est ainsi que cette situation va
révolutionner la femme et va l'amener à chercher comment faire
pour être représentée dans la société au
même titre que l'homme. Ce qui plus tard justifiera sa présence
dans les organisations interétatiques comme l'Union Douanière
Equatoriale de l'Afrique Centrale (UDEAC), devenue la CEMAC plus tard.
|