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La femme dans la diplomatie de la CEMAC


par Simon Pierre Boris EBANGA
Université de Yaoundé 1 - Master en Histoire des Relations Internationales 2020
  

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A. RAPPEL HISTORIQUE

La situation de la femme a évolué durant des années. De la période précoloniale à la période coloniale, le statut de la femme a connu des mutations. Ce qui explique la présentation de la femme en zone CEMAC avant et pendant la colonisation.

1. Situation de la femme à l'ère précoloniale

La littérature occidentale a présenté la femme africaine comme une esclave résolue aux plus durs travaux, passive, résignée et objet de mépris pour les hommes.5 Alors que d'un autre côté, certains auteurs relèvent que la femme africaine n'était pas opprimée6. Raison pour laquelle il est important de situer la femme à l'ère précoloniale dans les domaines politique, économique et socioculturel en Afrique centrale.

a. Le statut politico-juridique

En Afrique en général et en Afrique centrale en particulier, on ne peut véritablement pas parler d'un statut politique de la femme dans les sociétés traditionnelles. Certaines sources révèlent que "la participation de la femme africaine à la vie politique en Afrique précoloniale a toujours été interprétée comme insignifiante, voire nulle. Les femmes étaient étrangères à la partie la plus organisée et la plus active de la société". Si cela semble vrai de manière globale, l'on ne peut nier le fait que certaines femmes ont souvent été impliquées dans la prise des décisions du village7. Les réunions des "vieux" des villages ne comprenaient uniquement que des hommes. Les femmes qui ont atteint un certain âge y participaient également et non pas en tant que spectatrices ou suppléantes, mais au même titre et avec les mêmes prérogatives que les hommes. Les conseils, les décisions des femmes "mûres" sont d'égale valeur que ceux de leurs partenaires masculins. Aucune discrimination, aucune ségrégation ne sont tolérées par les femmes. S'ajoute à cela les confréries féminines autrement appelées "sociétés secrètes féminines" prolifiques dans les sociétés traditionnelles d'Afrique centrale, qui ont joué un rôle non négligeable. Ces organisations composées entièrement de femmes constituaient "des

5 G. Trepanier, "La paysanne camerounaise entre l'émancipation et l'aliénation", in Revue camerounaise des études africaines, 1970, pp.321-332.

6 H. Ngoa, Non, La femme africaine n'était pas opprimée, Yaoundé, Clé, 1975.

7 E. V. Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et rapport de pouvoir au sein des couples salariés à hypogamie féminine : contribution à une sociologie de la vie conjugale en contexte urbain camerounais", Thèse de doctorat/ Ph.D en sociologie, Université de Yaoundé I, 2017, pp.37-40.

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groupes de pression capables d'influer sur les affaires publiques de la collectivité villageoise". À ce propos, Ignace Koumba Pambolt écrit dans le cas du Gabon :

Au mois de février 1971 elles (les femmes du N'djembè) sont intervenues aux côtés des hommes du Bwiti (Société secrète masculine) pour s'opposer énergiquement à la destruction de leurs cases dans la capitale gabonaise, Libreville. Le régime de m. Albert Bernard Bongo avait dû déchanter face à une telle opposition.8

Cela relève non seulement l'influence des sociétés secrètes féminines, mais aussi le pouvoir que les femmes pouvaient incarner dans la vie sociale traditionnelle. Aussi en Afrique centrale, il y a eu des femmes de renom qui ont aussi pris part à la vie politique. Pour la plupart, elles ont été surtout des "cheffesses"9 ayant exercé l'autorité politique à la tête d'un clan ou d'un lignage : Makove du clan Mouva, Kumba-Pungueka du clan Mussanda, la vieille Kengue du clan Bassamba, M'Buru-Akosso du clan Mandi." Mais aussi reines à l'instar de "Ilassa de la pointe Owendo et de l'île Koniquet, Evindo et Mbumba chez les Enenga". Cependant, si l'homme reste le chef incontesté dans la vie politique traditionnelle, il n'en demeure pas moins que la femme avait un rôle tout aussi important et qu'elle n'a pas été au cours de l'histoire que cette femme décrite comme soumise, simple victime. Par ailleurs, cette attribution change radicalement, notamment avec l'arrivée de "l'homme blanc"10.

Les femmes jouissaient aussi d'un certain nombre de privilèges dans les domaines politiques et juridiques. Sur le plan politique, elles jouaient le rôle de conseillères et de confidentes11. Celles-ci disposaient de pouvoirs substantiels, c'est-à-dire discrètes mais efficaces dans les questions d'ordre social12. Elles participaient à la vie politique et pouvaient assister à certaines assemblées. Nonobstant tout ceci, les femmes étaient exclues des fonctions de commandement général. Les sources traditionnelles sur l'époque précoloniale révèlent que le rôle actif a généralement été inhérent à l'homme. C'est lui qui prend les décisions, il est l'auteur économique et politique. Par ailleurs, les femmes sont reçues comme médiatrices dans le mécanisme de la filiation mais d'une façon passive13.

8 P. I. Koumba, "L'intégration de la femme gabonaise dans le processus de développement", Mémoire de maîtrise de sociologie, 1979, p.114.

9 Ibid., pp.130-131.

10 O. P. Itoumba, "Les femmes et la politique au Gabon (1956-2009) : une affaire d'État ou d'activisme féminin ?", in Revue gabonaise d'histoire et archéologie, Editions Lumières, N°2, 2017, pp.32-33.

11 J. Ntahohari, B. Ndayiziga, "Le rôle de la femme burundaise dans la résolution pacifique des conflits", in UNESCO, Les femmes et la paix en Afrique : Etudes de cas sur les pratiques traditionnelles de résolution des conflits, Paris, Pointed in France, 2003, p.21.

12 J. J. Chendjou, "Les bamilékés de l'ouest-Cameroun : pouvoir économique et société (1880-1916)", Thèse de doctorat 3e cycle en Histoire, Université de Paris, 1986, p.83.

13 Ntahohari, Ndayiziga, "Le rôle de la femme burundaise...", p.21.

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Dans le cadre juridique, la femme en Afrique Centrale avait des droits en tant que procréatrices, moyen d'échange et productrice. Cependant, la colonisation est venue mettre un emprunt sur ces droits. L'ordre colonial imposa des réformes coutumières ne correspondant pas à la réalité du pouvoir en Afrique.

Il en ressort de tout ce qui précède que, dans l'Afrique précoloniale, les construits sociaux hommes-femmes répondaient à une hiérarchisation bien définie. Les femmes avaient un pouvoir décisionnel moins considérable que celui de l'homme. Elles étaient certes au centre de toutes les compétitions de survie et de croissance, mais demeuraient en fin de compte l'élément le plus dominé de la société car elles étaient celles à qui il était le plus demandé14.

b. La situation socio-économique

Avant la colonisation, la place de la femme se ressent également dans la vie sociale et économique.

Sur le plan social, la femme en Afrique centrale assurait la totalité des tâches domestiques en plus de ses travaux champêtres, généralement répartis entre les femmes et les filles de la maisonnée qui s'occupaient entre autres du ménage, du ravitaillement en eau, du ramassage de bois, de la confection des repas. Les femmes ou les mères étaient exclusivement chargées des soins et de l'éducation des enfants. Ces attributions qui renvoyaient aux rôles de mère, d'épouse et de ménagère comme essentiels à la femme dans la société traditionnelle, lui conféraient le statut de gardienne des valeurs et des traditions, car responsable de la bonne marche de son foyer15. C'est ainsi qu'une division sociale du travail apparaît. Pendant que la femme exerçait son pouvoir de procréation à travers son corps qui enfante et ses mains qui travaillent la terre, l'homme affirmait son pouvoir d'organisation de la société. En tant que source de vie, la première perception qu'on avait de la femme était de la mère nourricière dévouée aux siens. Malgré le respect qui lui était ainsi accordé dans ces sociétés précoloniales, cela n'empêchait sa subordination vis-à-vis de l'homme. La femme était parfois moins considérée que l'homme, du fait qu'elle dépendait, devait respect et était destinée à son service. Considérée comme cadette sociale, elle n'avait parfois pas droit à la parole dans une société

14 G. Balandier, Sociologie actuelle de l'Afrique noire, dynamique sociale en Afrique centrale, Paris, PUF, 1963, p.64.

15 Les britanniques ont qualifié le travail du foyer de "Working mother" : travail effectué par des femmes en attendant de trouver "l'amour" et de se retrancher dans la vie domestique après le mariage. Ce mode de travail a connu une valorisation par la culture américaine. Parallèlement, l'idée d'une véritable carrière féminine se trouve dévaloriser : le pourcentage dans les Universités diminue. La femme idéale devient ainsi la jeune et jolie secrétaire qui travail en attendant de se marier. Cf. A. M. F. Elanga Mbamgono, "Les politiques sociales au bénéfice des femmes en zone CEMAC", Mémoire de master en Relations Internationales, IRIC, 2012, p.109.

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masculine16. Raison pour laquelle, bien qu'il existe des sociétés matrilinéaires17 en Afrique centrale ancienne, les femmes n'exerçaient pas véritablement l'autorité car s'était de manière très limitée. Par ailleurs, elles bénéficiaient d'un pouvoir religieux qui supposait celui du chef, présidaient toutes les sociétés secrètes des femmes et assistaient à celles des hommes lorsque celles-ci n'avaient pas un caractère militaire18.

Les femmes dans certaines circonstances étaient les plus nombreuses, assimilées aux esclaves et aux objets d'usage courant"19. Présentant ses entretiens avec les femmes béti du sud Cameroun, Jeanne Françoise Vincent relève que lorsqu'il s'agissait d'apprécier le statut réservé aux femmes, un mot commun revenait chez son informatrice, celui d'"esclave". Ce qui traduit un statut d'infériorité sur le plan social qui interdisait aux femmes de s'exprimer20. Le fort patriarcat des sociétés traditionnelles a fait en sorte que la femme ne soit pas suffisamment considérée. Son rôle se résume à celui d'accompagner l'homme dans sa mission21. Raison pour laquelle, même après vingt ans de promotion de la femme, les cultures se battent pour promouvoir l'inégalité homme-femme qui selon elles, est à la base de la fondation du monde. L'homme est ainsi le chef de la famille et celui de la femme, la femme est mère et épouse. Son destin est lié à celui de l'homme. Ainsi, une femme non mariée est victime de marginalisation, elle n'est pas assez respectée et n'a pas droit à la parole même dans sa propre famille.

Par ailleurs, une femme qui n'enfantait pas était considérée comme maudite et elle subissait le rejet social. C'est pourquoi chez le peuple bamiléké de l'Ouest-Cameroun, de telles femmes étaient parfois enterrées avec une pierre à la main22, et dans d'autres cas, son corps était enterré loin de son village23.

Dès la naissance, la fille et le garçon n'avaient pas le même nombre d'années pour rester auprès de leur maman. Car après avoir atteint un certain âge, il y avait une séparation entre le garçon qui lui se voyait faire route avec son père alors que la jeune fille restait attachée à sa

16 J-P. Tsala Tsala, La femme béti entre tradition et modernité. Une demande en souffrance, Paris, Université de Louis Pasteur, 1988, p.583.

17 Société matrilinéaire : c'est un système de filiation dans lequel chacun relève du lignage de sa mère. Cela signifie que la transmission de l'héritage de la propriété des noms de famille passe par le lignage féminin.

18 A. P. Temgoua, "Statut et rôle de la femme dans la société précoloniale", in J. Fame-Ndongo, La femme camerounaise et la promotion du patrimoine culturelle, Yaoundé, CLE, 2002, pp.66-68.

19 B. Bilongo, La femme noire africaine en situation, ou si la femme africaine était opprimée ? Yaoundé, CNE, 1993, p.19.

20 J.F. Vincent, Tradition et transition. Entretiens avec les femmes du Sud Cameroun, Paris, Berger Levrault, 1976, p.6.

21 S. D. Yana, " Statuts et rôles féminins au Cameroun : Réalités d'hier, images d'aujourd'hui", in Politique Africaine N° 65, 1997, p.35.

22 Inès Fotsing, 70 ans, ménagère, entretien réalisé à Yaoundé le 22/09/2018.

23 Nadège Makemba, 60 ans environ, Chef de service retraité au Ministère de la promotion de la femme et de la famille, entretien réalisé à Yaoundé, le 25/01/2018.

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mère. Laquelle lui enseignait les rouages des ménages, tâche principale assimilée à la jeune fille. C'est ainsi que sa mère était chargée de :

- développer ses aptitudes physiques à travers notamment la recherche de l'eau, la recherche du bois de chauffage, le balayage de la maison et de la cour, la préparation des mets.

- la formation du caractère dont les principales qualités étaient notamment l'obéissance, la modestie, le respect, la réserve, la honte24.

- la formation culturelle plutôt qu'intellectuelle, puisque la méthode, les instruments et même la finalité de l'éducation de la jeune fille relevaient du domaine de la culture dont elle devait aider à perpétuer le contenu.

A l'analyse, l'éducation de la jeune fille ne vise pas seulement à éveiller et à développer les potentialités latentes dans le sens de son épanouissement ou la meilleure intégration dans la vie. Il s'agit plutôt de la canaliser et l'orienter dans le sens de la formation d'une âme naturellement obéissante et soumise25. La femme ou l'"épouse" est donc celle qui accomplit, à titre principal, les tâches éducatives des enfants, indépendamment de leur sexe. Son droit de regard sur ces enfants diminue par rapport au garçon au fur et à mesure que ce dernier prend de l'âge26. La vie conjugale est l'incontournable point de chute du destin de toute femme à l'époque précoloniale. Une femme n'est pleinement accomplie que si elle se marie et si elle procrée. C'est pourquoi, le rôle conjugal de la femme est l'un de ceux qui déterminent le mieux sa condition.

Hors de son ménage, la femme en générale n'avait pas droit à la parole. En visite chez ses parents, comme d'ailleurs au temps où elle était encore jeune fille, la femme pouvait à tout moment se voir réduite au silence ou, parfois s'entendre traitée de "fille"27 par un frère même plus jeune qu'elle. Le système de descendance dans beaucoup de sociétés africaines étant patrilinéaire, seuls les hommes sont considérés comme héritiers. Cependant, ce n'est que par la "dot", voir le "veuvage", un rituel qu'elle devait exécuter après la mort de son mari, qu'elle pouvait perpétuer l'héritage ou la descendance de son mari, en se mariant avec un frère du lignage de son mari.

24 Ines Fotsing, entretien.

25 D. Attadjoude, "Le rôle des associations féminines dans la promotion de la femme de la région de l'Adamaoua : le cas du Réseau des Associations des Femmes de la Vina (RAFVI)", Mémoire de master en Sociologie, Université de Yaoundé I, Juin, 2013, pp.21-22.

26 Grégoire Djoulaye, 25 ans, étudiant Tchadien à l'Université de Yaoundé II, entretien réalisé à l'Université de Yaoundé II, le 23/10/2018.

27 Attadjoude, "Le rôle des associations féminines...", p.22.

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Le volet économique de la femme clarifie que la répartition sexuée des tâches faisait d'elle l'unique responsable des travaux ménagers. A ce titre, il lui incombait de s'occuper du petit bétail (pour des zones d'élevage), de prendre soins des enfants, de chercher du bois, de puiser de l'eau. Ce qui ressort que le rôle économique de la femme en Afrique précoloniale était très limité. Le rôle économique ici étant les activités génératrices de revenus. Les coutumes et les normes régissant l'organisation sociale avaient réduit les femmes à l'exercice des tâches pour lesquelles aucun déplacement n'était requis28. En cette période en Afrique, la plupart des femmes ne devaient pas se retrouver loin de leurs ménages afin de s'assurer de la bonne conduite des enfants et assurer la préparation des repas et prendre soins des enfants dont leur éducation lui était assignée aussi comme tâche. Une éducation qui était pour un certain temps en ce qui concerne le jeune garçon car, il allait se retrouver du jour au-lendemain en compagnie de son père qui de son côté allait lui inculquer les rouages du vécu quotidien d'un homme29.

Le statut politique, économique et socioculturel de la femme pendant la période précoloniale relève un déséquilibre statutaire de la femme vis-à-vis de l'homme. Elle était plus attachée aux activités domestiques qu'économiques, son rôle était secondé à celui de l'homme. Même si l'on ne peut dénier le rôle important qu'elle jouait au sein de la société. Cependant, l'avènement de la colonisation en Afrique viendra modifier certains rapports de la femme dans la société.

2. La femme à l'époque coloniale

La colonisation, avec tous ces chambardements qu'elle a introduits en Afrique, a modifié d'une certaine manière le statut de la femme dans la société, tel qu'il était à l'époque précoloniale. C'est dans cette logique que l'on examine la situation politique, économique et sociale de la femme à la période coloniale.

a. Dans le domaine politico-juridique

L'implantation des puissances coloniales en Afrique centrale au cours du XIXème siècle, a engendré un bouleversement des structures traditionnelles mais aussi des valeurs30. La femme en Afrique centrale qui jouissait d'un certain rôle à l'époque précoloniale, voit celui-ci décliné. Les principes philosophiques et politiques nouveaux importés par les Européens mettent la femme dans une situation de dépendance accrue vis-à-vis de l'homme. Dans cette société

28 Attadjoude, "Le rôle des associations féminines... ", pp.23-25.

29 Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et rapport de pouvoir au sein des couples salariés...", pp.34-40.

30 N. N'nah Métégue, Histoire du Gabon. Des origines à l'aube du XXIe siècle, Paris, L'Harmattan, 2006, p.121.

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coloniale "le mari était seul autorisé à participer de plein droit à la vie politique et c'est lui qui décidait du sort de sa femme".

Pendant la colonisation, les femmes étaient quasiment écartées de la sphère politique. Alors que pendant la période traditionnelle, la femme africaine détenait une certaine place dans la gestion de la politique, dans la gestion matérielle. Des femmes agissaient à un haut niveau d'organisation sociale et politique : c'est le cas des reines mères et des épouses des grands chefs31. Mais au moment où le missionnaire et le colon arrivent, on constate une évacuation de la femme de cette sphère. C'est l'homme qui s'occupe des grands emplois d'offices publics. Les auxiliaires coloniaux sont essentiellement masculins. La femme est rarement consultée. Le colon a retiré la femme dans plusieurs domaines notamment économique et politique car même les hommes qui s'y trouvaient déjà étaient moins considérables par leur nombre. Aussi, la femme était mise à l'écart de la société et sa place se retrouvait beaucoup plus dans les ménages.

L'administration coloniale avec l'introduction du droit écrit a juridiquement codifié la dépendance de la femme. Pour travailler ou accomplir tout acte juridique, elle avait besoin de l'aval de son mari. Aussi, l'accès aux centres urbains lui était plus difficile. Le pouvoir de la femme fut donc amoindri. Elle se retrouvait ainsi avec un double combat à savoir la patriarchie africaine et la patriarchie européenne32. De même, elle se trouvait en minorité. Les droits des femmes étaient très limités pendant cette période. Sa condition devient de plus en plus liée à celle de son mari. Ce qui pourrait laisser voir qu'elle existe parce que son mari existe. Autrement dit, tout ce qu'elle devait faire, elle devait avoir l'aval de son mari dont sa condition à lui dépendait aussi du colonisateur. Le système devient donc une chaine de dépendance de l'un à l'autre. Raison pour laquelle, la femme ne pouvait se retrouver dans toutes les sphères de la société car, son mari ne pouvait pas lui autoriser de faire ce qui allait le compromettre notamment aller à l'encontre des lois édictées par l'administration coloniale. Face à cela, le rôle de la femme dans le cadre social et économique était puéril.

b. Dans le domaine socio-économique

La politique coloniale portait également les traces de discrimination envers les femmes. Cette pratique sera perpétuée et perdurera au fil du temps, empiétant le processus d'instruction féminine et son intégration professionnelle. Aussi, l'enseignement dispensé aux femmes en

31 Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et rapport de pouvoir au sein des couples salariés...", p.38.

32 E. Sutherland-Addy, A. Diaw, Des femmes écrivent l'Afrique : L'Afrique de l'Ouest et du Sahel, Paris, Karthala, 2007, pp.8-104.

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cette période avait pour ambition d'une part d'en faire des femmes capables de tenir un foyer, c'est ce qui ressort des femmes éduquées dans les sexas33, d'autre part, de participer à la vie publique pour celles-qui avaient été instruites bien qu'en très petit nombre. Par ailleurs, certaines femmes pouvaient être aides-soignantes, religieuses ou monitrices. Cependant, la colonisation n'a fait que transformer la forme traditionnelle de l'infériorité de la femme qui existait en Afrique précoloniale en altérant le principe. Il est à noter qu'en Afrique précoloniale, la division sexuée du travail n'était pas d'envergure car, chaque "construit social" effectuait une tâche en fonction de sa capacité à y assumer cette responsabilité. Mais avec l'avènement du colonialisme, cette division a été accentuée. Cette division du travail n'a pas laissé l'Afrique centrale indifférente. La production réservait aux hommes l'accomplissement de gros travaux, et aux femmes des travaux relativement légers mais multiples et se faisait dans le ménage ou à proximité34. L'homme est dans la conception coloniale l'agent principal du travail indigène. Mais le gros du travail était en réalité effectué par les femmes. Ce qui explique le fait que dans les années 1930, très peu de femmes se retrouvaient dans des villes. Cependant, un certain nombre y étaient installées plus ou moins clandestinement.35 Sur le plan social, le système d'imposition a eu pour conséquence l'introduction du salariat dont la femme était presque exclue36.

Sur le plan économique, les privilèges que la femme pouvait avoir tombèrent en désuète avec la création des comptoirs et la pénétration à l'intérieur du continent des commerçants européens. Même s'il faut relever que le troc était le principal moyen de commerce en "Afrique noire". L'introduction imposée de la monnaie, puis du système d'imposition sur la place du marché, furent ensuite de nouveaux éléments perturbateurs37. Dans l'agriculture avant cette époque elle assurait la production dans les champs car, elle occupait également une place très importante aussi bien que son mari dans les travaux champêtres. Le système colonial, en refusant le travail salarié aux femmes, les a marginalisées alors que l'accès aux ressources monétaires constituait un moyen d'épanouissement essentiel.

Allant des zones côtières à l'intérieur, l'entreprise coloniale d'exploitation systématique des richesses38 du sol et du sous-sol de l'Afrique en générale et de l'Afrique centrale en

33 Zerabi, "Femmes au Maroc entre hier et aujourd'hui : quels changements T", in Recherches, vol 3, n° 77, pp.65-80.

34 Ibid., p.46.

35 Rafael Nguema, 65 ans, Enseignant gabonais retraité, entretien réalisé à Kyo-Ossi, le 25/06/2017.

36 Idem.

37 Idem.

38 A. Boddy-Evans, What caused scramble for Africa? Retrieved, 2012, p.25.

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particulier nécessitait une main d'oeuvre abondante39. C'est dans cette optique que les peuples locaux étaient mis à contribution dans l'extraction minière, la collecte de caoutchouc, la construction des chemins de fer et les corvées de tout genre. Les hommes étaient donc le plus sollicités pour l'accomplissement des corvées. Quant aux femmes, elles s'occupaient du ramassage et du portage de pierres, ainsi que de la collecte de l'huile de palme qu'elles acheminaient vers les centres administratifs. Elles se chargeaient également de la cuisine dans les chantiers40. L'homme et la femme sont voués à des tâches différentes. Les hommes travaillaient dans les plantations agricoles coloniales. Ce qui laisse voir dans les plantations d'exploitation une main d'oeuvre essentiellement masculine41. Les hommes étaient ainsi les seuls à être rémunérés bien que certains travaillaient avec leurs femmes42.

Les femmes étaient presque ignorées dans tout ce qui avait trait à l'économie et à l'administration, ce qui les mettait en marge de la société. Cela était considéré comme "l'exclusion bénigne des femmes"43. Cette vision de l'organisation de la société relève de l'idéologie dominante des milieux de l'élite européenne des XVIIIe et XIXe siècles selon laquelle, l'homme était le pourvoyeur de fonds utilisés dans tous les aspects alors que la femme avait la charge du ménage. Ceci vient dont mettre en revers le rôle de la femme qui était essentiel et primordial dans la société traditionnelle. La femme joue ainsi un rôle de subalterne vis-à-vis de l'homme et cela établit une relation sociale déséquilibrée puisqu'il n'existe qu'un seul maillon dans la chaine de production. Ceci perpétue la relation de dominant à dominer et explique les difficultés à longue portée de la femme à s'intégrer dans la vie professionnelle. C'est ce dénie de représentation sociale que vient balayer la théorie féministe qui réclame la représentation équitable de l'homme et de la femme dans les postes de responsabilité.

Cette théorie organisationnelle de la société a été promue par l'administration, l'industrie et l'église qui formaient les trois piliers de l'entreprise coloniale. Chacune de ces instances à son niveau dans le cadre de ses fonctions, a propagé l'idée d'un mari allant au travail pour chercher de quoi subvenir aux besoins de sa famille, et d'une épouse restant au foyer pour l'y entretenir.

Ces femmes peu nombreuses par rapports aux hommes constituent l'embryon d'une "classe de petites commerçantes, qu'on pourrait aujourd'hui intégrer au secteur "informel". Elles s'adonnaient à la fabrication de boissons alcoolisées locales et à la revente de la nourriture

39 R. Roberts, "Peculiarities of Africa labor and working class history", in Labor/travail, 1982, pp.317-333.

40 Ndjah Etolo, "Dynamiques de genre et rapport de pouvoir au sein des couples salariés...", p.43.

41 Roberts, "Peculiarities of Africa labor...", p.320.

42 G. Mianda, Femmes africaines et pouvoir. Les maraîchères de Kinshasa, Paris, L'Harmattan, 1996, pp.30-25.

43 G. Mikelle, African feminism in subsaharan Africa, Philadelphia University of Pennsylvania, 1997, p.16.

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qu'elles ont elles-mêmes préparée. Les investigations multiples relèvent qu'il y'avait pas de femmes salariées jusqu'à dans les années 1950. Ce n'est qu'au moment où les familles européennes s'étaient installées qu'on avait eu besoin des femmes comme ménagères pour garder les enfants. Encore que cette façon d'employer les femmes était limitée.

Il est clair que la colonisation a perpétué les inégalités entre l'homme et la femme. L'homme devient le seul pourvoyeur de la société alors que la femme est résolue à la gestion du foyer.44 C'est ainsi que cette situation va révolutionner la femme et va l'amener à chercher comment faire pour être représentée dans la société au même titre que l'homme. Ce qui plus tard justifiera sa présence dans les organisations interétatiques comme l'Union Douanière Equatoriale de l'Afrique Centrale (UDEAC), devenue la CEMAC plus tard.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams