Les pouvoirs du maire au Bénin: réflexion à l'aune de la récente réforme sur la décentralisationpar Ulrich Yeme Kevin ADANVOESSI Université d'Abomey-Calavi / Ecole doctorale des sciences juridiques politiques et administratives - Master recherche en droit 2023 |
Partie 1 : Les fondements juridiques de la décentralisation au BéninA l'instar du grand nombre des autres systèmes juridiques africains d'inspiration française, le système juridique béninois a consacré la décentralisation directement dans sa Constitution. Dans la Loi Fondamentale du 11 décembre 1990 modifiée par la loi 2019-40 du 7 novembre 2019, tout un titre est consacré aux collectivités territoriales. Il s'agit du titre X qui comprend les articles 150 à 153. En plus de ce léger chapitre consacré aux collectivités, les bases constitutionnelles de la décentralisation au Bénin sont complétées par l'article 98 qui fixe les domaines réservés du législateur. Viennent enfin affermir ces bases, certains instruments internationaux comme le protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de la CEDEAO. La Charte africaine des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local est un autre instrument qui entre dans le bloc de constitutionnalité de la décentralisation40(*). Même si la révision constitutionnelle du 7 novembre 2019 a modifié le titre X de la Constitution, elle n'a pas remis en cause l'existence et la portée du principe de libre administration. Le constituant, en mettant l'accent sur le concept de libre administration plutôt que sur le terme de la décentralisation, a voulu manifester l'autonomie des organes locaux. Le principe de la libre administration postule donc l'autonomie d'un pouvoir exécutif local (Chapitre 1). Mais dans sa mise en oeuvre au Bénin, cette consécration de l'autonomie a fait face à de nombreuses difficultés (Chapitre 2) poussant à la réforme institutionnelle que nous connaissons aujourd'hui. Chapitre 1 :La consécration de l'autonomie d'un pouvoir exécutif localBien souvent assimilé au concept de la décentralisation territoriale, le principe de la libre administration est pourtant une notion distincte. Elle prête à confusion, d'abord parce qu'elle s'apparente à des concepts tels que l'autonomie locale ou la décentralisation territoriale, ensuite parce qu'elle n'a jamais été véritablement définie, ni par le constituant ni par le législateur. Or, ce principe constitue même le corps des bases constitutionnelles de la décentralisation béninoise en ce qu'il garantit l'autonomie des organes locaux. Pour mieux appréhender les fondements juridiques de la décentralisation au Bénin, il faut absolument étudier le principequi consacre l'autonomie locale,car contrairement à la décentralisation telle que prônée par la plupart des systèmes juridiques d'inspiration anglo-saxonne, la décentralisation à la sauce française est marquée par une large autonomie. Cette autonomie tire sa source du principe constitutionnel de la libre administration (Section 1). Pour autant, la libre administration n'équivaut pas à une liberté de gouverner et la Constitution béninoise s'est attelée à rappeler que la libre administration s'opère dans les conditions prévues par la loi. Ce faisant, elle rappelle le pouvoir de modulation de l'autonomie locale que dispose le législateur béninois (Section 2). Section 1 :Le principe constitutionnel de la libre administrationLe principe de la libre administration a été évoqué la première fois en France pendant la révolution de 178941(*). Sa consécration dans la Constitution française de 1946 n'est que l'aboutissement d'une longue lutte pour les libertés. Les systèmes juridiques africains d'inspiration française ont, pour la plupart, fait de même en consacrant le principe dans leurs lois fondamentales. Mais, à aucun moment, ils ne se sont attardés à définir ce principe. Cela est tout à fait normal, car il ne revient pas à la loi fondamentale d'un pays de définir les concepts qui viendront régir l'exercice de l'activité politique dans l'Etat. Les constitutions se contentent d'énoncer des concepts juridiques et d'attribuer les compétences. Cependant, comme évoquée précédemment, la libre administration n'équivaut pas à une administration sans tenir compte des lois. Même en l'absence d'une définition du constituant, on se doute bien que la liberté d'administration n'est pas une liberté de gouvernement. Administrer librement implique nécessairement d'opérer dans le cadre des textes en vigueur. Il ne s'agit pas de s'affranchir de toutes contraintes, mais d'avoir pour seule contrainte la loi. Ainsi, il est important de souligner la portée du principe de la libre administration, notamment ses limites qui découlent du principe d'indivisibilité de la République (paragraphe 1), tout en mettant en lumière toutes les garanties juridictionnelles dont elle dispose (paragraphe 2). * 40 AKEREKORO Hilaire, « La Cour Constitutionnelle et le bloc de constitutionnalité au Bénin », in Afrilex, septembre 2016, pp.10, 17. « Au Bénin, le juge constitutionnel a fait référence au Protocole additionnel A/SP1/12/O1 du 21 décembre 2001 de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) pour considérer que le vote de la loi d'abrogation de la loi sur la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI) et le Recensement Electoral National Approfondi (RENA) viole les exigences dudit protocole en matière de transparence et de fiabilité de la liste électorale » * 41NANAKO Cossoba, La libre administration des collectivités territoriales au Bénin et au Niger, Doctorat, Droit public, Université d'Abomey-Calavi (Bénin), 2016, p.5 |
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