Conclusion
Attention, l'arrivée en gare est imminente. Railcoop
semble lancée sur de bons rails, devenant un exemple d'entreprise
coopérative à avoir réussi à s'insérer sur
un marché concurrentiel, et se projette déjà vers un
horizon fait de progression, d'expansion, à un niveau national. Mais
pour en arriver là, ses créateurs du Lot et l'ensemble
hétérogène des sociétaires qui les ont rejoints au
cours du voyage ont dû passer plusieurs étapes, jouant des atouts
que le modèle de la Société Coopérative
d'Intérêt Collectif apporte, dans le but de contourner les
faiblesses que cela peut engendrer. Un processus que l'on peut
généraliser puisqu'on le retrouve chez d'autres
coopératives, Enercoop en premier lieu, mais aussi les autres
composantes du réseau des Licoornes sur lequel Railcoop a pu
s'appuyer.
Dans un contexte historique fortement marqué par le
modèle monopolistique apparu dans les années 1930 et
structuré autour de la SNCF, la coopérative de Cambes a dû
se frayer un chemin dans les remous que la libéralisation du
marché et de l'arrivée de multiples concurrents au cours des
dernières années. En deux ans, Railcoop a su profiter des
mutations des cadres institutionnels engendrés par
l'européanisation (libéralisation du marché ferroviaire)
et les changements de stratégies de la SNCF (désertification
ferroviaire), tout en développant un modèle devenu de plus en
plus légitime et crédible en étant rigoureux techniquement
et financièrement, tout en bénéficiant des encouragements
de nombreux acteurs politiques et économiques du marché. Mais il
ne faut pas négliger la partie que Railcoop ne maîtrisait pas: le
contexte très favorable à l'émergence de ce type
d'initiatives. En effet, même si on peut leur reconnaître la
réussite de l'exploitation de la fenêtre d'opportunité qui
s'est présentée à eux, les créateurs de la SCIC ont
bénéficié d'un moment carrefour fait de crise Covid et de
poussée des questions écologiques au sein de l'opinion,
favorisant ainsi les initiatives citoyennes, locales, basées sur le
développement durable, ce qui a provoqué un engouement
médiatique qui leur fut très favorable.
La réussite d'un tel mode de fonctionnement face
à des entreprises beaucoup plus classiques tient donc à un jeu de
jongles constant entre innovation et imitation, entre critique du marché
et participation à celui-ci. Tout cela n'est permis que par une
implantation dans des espaces peu convoités, une faible incertitude des
coûts avec des dépenses plus faibles que les concurrents, et un
flux de revenu garanti et suffisant par l'afflux continu de
sociétaires.
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Pour reprendre les mots de Pierre Wokuri, les projets
coopératifs agissent en subversif (tend à renverser l'ordre
établi) mais également en symbiotes (vit en symbiose avec des
acteurs différents).
Mais des nuages se présentent aussi à l'horizon
à l'heure où la première ligne en projet, Bordeaux-Lyon, a
déjà connu deux retards de lancement de six mois et attend
toujours le premier coup de sifflet du chef de gare. L'action de Railcoop peut
en effet être freinée par le fait qu'elle est une SCIC, avec un
collectif qui engendre une prise de décision beaucoup plus longue, et un
flux de revenus qui n'est toujours pas garanti tant que les premières
lignes ne sont pas lancées. Par ailleurs, la SNCF, qui ne voit pas
toujours cette idée d'un très bon oeil, est encore très
présente dans l'ensemble des rouages du secteur ferroviaire et Railcoop
reste assez vulnérable face à cela malgré l'engouement
citoyen qu'elle peut susciter. Mais sans la SNCF et ses choix de
délaisser certaines lignes, Railcoop pourrait-elle exister?
Pour la suite, Frédéric Laporte affirme que tous
les éléments sont réunis en résumant la situation :
«Je suis très confiant pour la suite. [...] Si il y a autant de
monde autour de la table, c'est bien parce que c'est concret. On a affaire
à des gens sérieux, spécialistes du transport,
intelligents, déterminés, mobilisateurs, qui ont su
fédérer, desfois même des intérêts divergents.
Le seul qui résiste c'est la SNCF.». L'optimisme est
également de mise chez les dirigeants de Railcoop qui voient ce
Bordeaux-Lyon comme un vecteur de réussite, Dominique Guerrée
confiant qu'il voit cela «d'un très bon oeil. Il faut vraiment
qu'on réussisse la performance du Lyon-Bordeaux, si ça
démarre bien, c'est tout gagné pour le reste. Mais je ne vois pas
pourquoi ça ne fonctionnerait pas». Reste donc maintenant à
savoir comment Railcoop peut subsister et continuer de progresser sans devenir
pour autant une entreprise basée sur la recherche de la plus grande
rentabilité et la compétitivité, comment le modèle
coopératif peut-il devenir un acteur fixe d'un marché
concurrentiel après s'y être inséré, pour ne jamais
connaître de terminus.
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