B. L'influence du modèle monopolistique de la SNCF,
nationalement et localement
La SNCF n'est pas seulement un veto-player mais s'avère
également être le marqueur d'un modèle monopolistique
encore très présent et qui influence le secteur à de
nombreux échelons, localement, nationalement, au niveau des syndicats,
des consommateurs, de certaines collectivités, de l'Etat. On n'efface
pas plus de quatre-vingt ans de monopole en moins de deux ans, et les autres
opérateurs du réseau ferroviaire, dont Railcoop fait partie,
doivent évoluer dans un environnement qui ne leur est pas toujours des
plus favorables. Les politiques européennes ont permis d'altérer
quelque peu le statu quo national, sans le renverser pour autant105,
parce que celui-ci garde tout de même une influence historique.
François Carême a bien constaté que l'on «pensait que
la mise en concurrence allait mettre la pression sur les anciens monopoles mais
ce n'est pas du tout comme ça que cela s'est
passé»106 . Pour Frédéric
Laporte, «Il n'y a pas que le monopole d'exploitation mais aussi le
monopole politique, et celui-ci est lourd de conséquences [...] Le
monopole politique a évolué et les équilibres politiques
aussi mais pour autant il y a des bastions qui restent». Le domaine des
transports en général est en effet un domaine
particulièrement marqué par une certaine idée de l'action
publique, très colbertiste et jacobiniste, ce qui peut expliquer que
l'État, ancien actionnaire majoritaire de la SNCF, occupe encore
aujourd'hui une place très importante dans la définition de la
politique de construction et d'exploitation des réseaux
ferrés107. Railcoop est donc parfois vue d'un mauvais oeil
par certaines personnes et instances attachées à la SNCF. Marius
Chevallier, sociétaire, l'a bien constaté: « il y a eu pas
mal de méfiance, notamment de la part d'anciens de la SNCF qui doutaient
de notre crédibilité et de nos compétences, qui nous
prenaient pour des «rigolos». Sur les réseaux sociaux il y a
une équipe de modérateurs très impliqués car il
peut y avoir beaucoup d'attaques parfois [...] on sait que le projet ne
plaît pas à tout le monde»108.
Localement, la SNCF peut aussi avoir une influence forte, comme
à Périgueux, ville qui accueille des ateliers de la SNCF,
où la maire, Parti Socialiste, a refusé d'accorder la
participation de la ville à Railcoop, alors qu'elle y était
favorable à la l'origine, et que la Communauté Commune du Grand
Périgueux avait voté une participation de 15 000 euros.
L'argument affiché est le refus d'entrer dans un schéma de
subvention à des concurrents de la SNCF. Cela se constate aussi dans
certains courants
105 JUVEN, P. & LEMOINE, B., op. cit.
106 Entretien avec F.Carême
107 CAFARELLI F., Les collectivités territoriales et
l'activité ferroviaire, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op.
cit.
108 Entretien avec M.Chevallier
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politiques où l'influence de la SNCF est encore
très forte. Le Parti Communiste, très marqué par la CGT
Cheminots, est ainsi le seul mouvement politique à s'opposer clairement
à la réalisation des projets de la SCIC. Ils sont par exemple les
seuls à avoir voté contre la subvention à Railcoop
à Montluçon, mais aussi à Périgueux. En effet, les
syndicats de cheminots sont les plus réticents à cette
initiative, eux qui sont déjà très marqués par les
conséquences de l'ouverture à la concurrence sur le fret (perte
de 45% de part de marché pour la SNCF depuis 2006). Les réactions
nombreuses témoignent de cette frustration de voir l'argent public des
collectivités aider Railcoop et non la SNCF. Pour Jérôme
Jean, de la CGT cheminot Périgueux, «C'est une fumisterie et un
moyen de détourner l'attention des réels enjeux. Si on
arrêtait de supprimer des emplois chez les cheminots, si l'Etat jouait
son rôle d'aménagement du territoire, il n'y aurait pas besoin de
Railcoop»109. Gilles Tillet, secrétaire de la CGT
cheminot à Capdenac affirme que «C'est un projet privé, qui
sert les intérêts de quelques-uns avec l'argent public, puisque
les collectivités territoriales sont
sociétaires»110. Sentiment confirmé par cet
extrait d'un communiqué de la CGT cheminots «Railcoop participe
à l'atomisation du système, à la remise en cause de
l'égalité de traitement des territoires et à l'abandon pur
et simple du service public ferroviaire [...] Le développement du
ferroviaire ne pourra se faire que par la SNCF»111. Le
déclin de la SNCF, certes limité mais existant, est assez mal
vécu par une partie de la population et les nouveaux opérateurs
plus vertueux, conséquences de la libéralisation, sont alors
montrés du doigt. Cette influence encore très présente
peut donc, on le voit, être parfois un frein au développement de
Railcoop, une initiative qui intrigue par son modèle coopératif
mais aussi par la réussite de ce modèle qui se veut national. La
SCIC doit alors convaincre ses détracteurs qu'elle n'est pas une cause
des problèmes (dette, besoin de rentabilité, obligation de fermer
des lignes) rencontrés par la SNCF mais bien une conséquence.
109 France 3 Nouvelle-Aquitaine (2021, 18 mars). Railcoop et la
relance de la ligne Bordeaux-Lyon
110 CASTRO M. (2021, 17 novembre). Railcoop fait rouler son
premier train. Ouest France
111 La Dépêche du Midi (2022, 5 janvier). La CGT
cheminots contre la relance du fret par Railcoop.
ladepeche.fr.
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