A. Les veto-players
Dans un marché où existait un monopole fort,
celui-ci ne disparaît pas du jour au lendemain, et l'acteur qui
possédait ce monopole peut alors devenir un veto-player par sa
puissance. Les veto-players, terme développé par George
Tsebelis102, sont des acteurs dont l'accord est essentiel pour
réaliser un changement, un projet, des acteurs sans lesquels
l'avancée n'est pas possible, avec lesquels il faut s'accommoder et
être en bon terme103. C'est toujours une des menaces
importantes pour les modèles coopératifs, naissant, comme cela a
pu être constaté sur le marché de l'énergie lors de
son ouverture à la concurrence avec plusieurs mécanismes typiques
des veto-players mis en place par Electricité de France vis-à-vis
d'Enercoop. Comme dans l'énergie, le secteur ferroviaire reste un
secteur assez fermé, peu concurrentiel, avec une hégémonie
de la SNCF, ce qui peut parfois être défavorable à
Railcoop. Le Goliath SNCF est parfois réticent à l'apparition du
David Railcoop, pas tant pour le fait que la coopérative va lui prendre
certains voyageurs, mais pour
102 TSEBELIS G. (1995). Decision Making in Political Systems:
Veto Players in Presidentialism,
Parliamentarism, Multicameralism and Multipartyism. British
Journal ofPolitical Science, Vol. 25 (3), pp. 289-325
103 WOKURI, P. (2020)., op. cit.
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l'image que cela pourrait potentiellement renvoyer, exposant
indirectement les faiblesses et les lacunes du géant du rail, notamment
en montrant qu'il est faisable de faire passer un train là où la
SNCF ne le faisait plus passer. Ainsi, Railcoop a par exemple besoin d'accords
de la part de SNCF Réseau pour ouvrir certaines portions de lignes, de
SNCF Gares de Connexions pour avoir une place dans les gares, de SNCF Voyageurs
pour acheter des wagons, qui appartiennent financièrement aux
Régions, mais matériellement à SNCF Voyageurs. Comme vu
auparavant, si le Bordeaux-Lyon a été retardé deux fois,
c'est parce que SNCF Réseau n'avait accordé que 50% des sillons
demandés par Railcoop. Par ailleurs, SNCF Voyageurs a laissé
duré l'achat des rames, en mettant quatre mois à octroyer les
wagons à Railcoop parce que celles-ci possédaient un
système de signalisation qui était leur propriété
intellectuelle. Malgré la bienveillance affichée continuellement
par Railcoop, Dominique Guerrée explique que « Les autres ne sont
pas indifférents, il y a toujours une contre-attaque, même si
Monsieur Farandou, le PDG du groupe SNCF, dit qu'il nous aime bien mais qu'on
n'y connaît rien en ferroviaire, comme si on était des doux
rêveurs. On l'a rencontré, il y a quand même une
légère condescendance. Mais les freins ne viennent pas
forcément de la direction mais parfois de directions régionales,
qui par exemple ne veulent pas nous vendre de matériel par peur de se
tirer une balle dans le pied. «. Une attitude de la SNCF qui ne laisse pas
indifférent d'autres élus qui ont moins besoin de bien s'entendre
avec le géant du chemin de fer. Ainsi Frédéric Laporte,
maire de Montluçon, pour qui «la SNCF est en permanence un
frein», ne les ménage pas : «Pour vous donner un exemple, le
Lyon-Bordeaux s'arrête à Libourne. Vous voyez, c'est
intéressant, ils ne respectent en rien la réglementation
européenne qui les enjoint d'ouvrir à la concurrence sur des
lignes normales, avec une exploitation totale.», ajoutant qu'il «n'y
a qu'à voir l'affichage qu'ils vont concéder à Railcoop
dans la gare SNCF. Vous comprendrez tout de suite qu'ils ne cherchent pas
spécialement à leur faire de la publicité.
Évidemment qu'ils [Railcoop] ne peuvent pas avoir le même discours
que moi, ils sont en relation permanente avec eux, ils sont suspendus à
leur bon désir»104. La SNCF représente donc
parfois un point de blocage malgré l'air assez peu menaçant de la
SCIC du Lot. Mais ce frein semble amené à grandir au fil des
années et du développement de Railcoop, du moins si celle-ci
arrive tout de même à continuer à progresser malgré
les défis, financiers, décisionnels, concurrentiels, qui se
présentent à elle.
104 Entretien avec F.Laporte
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