WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'introduction du modèle coopératif sur un marché concurrentiel: l'exemple de Railcoop sur le marché ferroviaire


par Boris Chiron
Université de Nantes - Master Science Politique de l'Europe 2022
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

A. Une action plus lente

Tout d'abord, par son essence même, la SCIC peut avoir des désavantages. En effet, la prise de décision collective, avec le principe «d'une personne = une voix» ralentit forcément le processus de décision par rapport à une entreprise plus classique où les actionnaires décident des orientations à prendre. Le multisociétariat est à la fois une force, comme il a été vu auparavant, mais peut aussi s'avérer par moment être une faiblesse. Il faut concilier différentes catégories d'associés (collectivités, personnes physiques, personnes morales, entreprises, salariés...etc), avec des rapports au projet, des attentes, des objectifs et des façon de voir les choses très différents en fonction des sociétaires. Pour Jean-François Draperi et Alix Margado, l'animation d'une SCIC est, plus souvent qu'on ne le dit, une question

44

d'éducation populaire plutôt que de management d'entreprise94. Marius Chevallier résume la situation : «prendre une décision à deux ou trois dans un cabinet ça va assez vite, mais quand il faut prendre le temps de s'informer, de collecter des informations et de consulter des dizaines et centaines de personnes, c'est beaucoup plus long»95. Mais cela renforce la solidité des décisions selon Dominique Guerrée qui ajoute que «Les salariés vont aller dans un sens, les collectivités dans un autre, le collège des citoyens dans un autre, puis on réfléchit et on cherche une solution de compromis, par conséquent solide et qualifiée.» 96. Il faut aussi faire face aux critiques qui peuvent être faites quand, pour être plus efficace, l'entreprise participe un peu plus aux systèmes du marché. La culture de la SCIC est structurée par le compromis constant, entre motivations idéologiques et contraintes économiques, mettant ainsi en tension innovation et imitation, critique et participation au marché97. C'est notamment une question centrale dans le cas des salariés. Pour limiter les coûts, peu de salariés sont embauchés, mais ceux-ci sont très enthousiastes au départ, car sont à la fois salariés et militants (ce que l'on retrouve souvent dans ces modèles), au point de parfois s'épuiser, ce qui fait perdre en efficacité à la société à court terme. Le collectif donne donc plus de poids à chaque décision, mais, comme dans toute organisation collective, la décision est donc plus longue à prendre pour permettre la culture du compromis, ce qui peut faire prendre une longueur de retard sur certains concurrents. La question est de savoir quelle est la meilleure solution à long terme entre des décisions prises lentement mais collectivement et des décisions prises rapidement par un petit groupe ou une personne.

B. La question budgétaire, assurer les coûts plus lourds de participation au marché dans l'attente de la garantie d'un flux de revenu

L'un des piliers du fonctionnement d'une société est ensuite sa solidité et stabilité économique et financière, et cela est plus ou moins facile pour le modèle coopératif qui, encore une fois, a dans ce domaine ses forces et ses faiblesses. Les défis sont multiples pour Railcoop qui doit, avec un capital limité, trouver l'équilibre économique en relançant des lignes qui avaient été abandonnées parce qu'elles n'étaient justement pas rentables. La tâche

94 DRAPERI J.-F. et MARGADO A., op. cit.

95 Entretien avec M.Chevallier

96 Entretien avec D.Guerrée

97 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

45

n'est pas des plus faciles lorsqu'il faut s'insérer sur un marché où d'autres opérateurs sont déjà présents, tels la SNCF, la Deutsche Bahn, ou Trenitalia, qui, comme le souligne le Président de Railcoop, «sont déjà costauds dans leur pays», «ont des ressources et compétences fortes, sont historiques, ont les reins solides». Par ailleurs, comme le démontre Pierre Wokuri dans sa thèse sur les projets coopératifs dans le domaine des énergies renouvelables98, les coûts de participation au marché pour une coopérative peuvent être plus lourds que pour les autres. Il veut évoquer par là les coûts liés aux formes de participation (les actions de 100 euros maximum par exemple), les coûts liés aux ressources matérielles et économiques nécessaires pour participer et exercer un pouvoir de contrôle, ceux liés à la forme de l'organisation du processus de participation (action plus lente comme évoqué ci-dessus), enfin les coûts pour franchir les différentes étapes (autorités très pointilleuses pour passer les tests techniques par exemple). Tout cela laisse certains, comme François Carême, assez sceptiques : «c'est quand même simplement de mettre quelques trains sur une ligne. A mon avis, ils vont avoir du mal à boucler leur business model»99. D'autres, comme Frédéric Laporte, attendent de voir : «Il va déjà falloir commencer par le [le Bordeaux-Lyon] faire rouler et trouver un bon équilibre»100. D'un autre côté, le fonctionnement de la coopérative, peut s'avérer être un atout, notamment pour l'indépendance de la société, puisque l'affectation d'une très grande partie du résultat aux réserves indéfiniment impartageables et inaliénables consolide l'autonomie financière et l'indépendance de Railcoop, et l'interdiction d'intégrer ces réserves dans le capital social préserve la SCIC de la pression des spéculateurs101. Pour le moment, comme l'indique Dominique Guerrée, l'entreprise est déficitaire, car «comme toutes les start-up, il n'y a pas de recettes, il n'y a que des dépenses. C'est pour ça qu'il faut avoir un capital fort aussi, et les bénéfices viendront compenser ce déficit». Le défi des prochaines années sera donc de ne pas creuser indéfiniment ce déficit et de commencer réellement les activités afin de revenir à l'équilibre, d'autant plus que le nombre de collectivités et de sociétaires n'est pas infini. Tout repose donc sur la réussite ou non du lancement de la ligne Bordeaux-Lyon. Un objectif qui n'est pas forcément facilité par la structure d'une SCIC qui engendre des coûts plus importants, notamment par plusieurs de ses modes de fonctionnement. Mais il est à rappeler que l'objectif principal d'une telle

98 Ibid.

99 Entretien avec F.Carême

100 Entretien avec F.Laporte

101 DRAPERI J.-F. et MARGADO A., op. cit.

46

société, qui, par essence, vise l'intérêt général, n'est pas nécessairement une forte rentabilité, d'autant que les sociétaires ne sont pas comparables à des actionnaires et ne vont pas pousser pour avoir de plus en plus de réussite et de dividendes. Mais, par sa jeunesse, et, comme il va être vu prochainement, par sa taille, la solidité et la pérennité financière sont plus difficiles à atteindre pour Railcoop que pour les autres.

2- Une société encore vulnérable par sa taille et par la structure du marché

Autre obstacle à passer, même lorsqu'on est une SCIC et que l'on est protégé par un certain nombre d'acteurs publics et privés du secteur : la subsistance de l'influence du géant qui monopolisait l'exploitation du réseau qu'est la SNCF. Celle-ci peut en effet s'avérer être un veto-player à tout moment et par plusieurs moyens (A), et reste très présente et influente dans l'opinion, les pouvoirs publics, certaines collectivités locales, suscitant parfois des méfiances vis-à-vis de Railcoop (B).

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand