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Lieux de mémoires et citoyen.ne.s numérique : un dialogue impossible ?


par Paul GOURMAUD
L'École de design Nantes Atlantique - Master 2 Digital Design 2024
  

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6.2 Rendre le monument vivant

Par nature, s'il est entretenu, un monument est vivant. Un simple regard, une visite, des cérémonies sont autant de moyens pour lui permettre de rester en vie. Il existe pourtant des initiatives bien plus littérales qui viennent questionner la place du monument, pour le faire passer d'un lieu pour les morts à un lieu pour les vivants.

Ainsi, le 13 juillet 1996 marquera la fin de la restauration du monument délabré de la commune française de Biron, érigé en 1921. À la demande de la commission du ministère de la Culture de l'époque, l'artiste allemand Jochen Gerz sera garant de cette restauration afin de créer un monument vivant. Ainsi, chaque nouvel habitant de la commune, lorsqu'il atteint la majorité, est invité à répondre à une question gardée secrète. Chacune des réponses est ensuite gravée sur une plaque et accrochée au monument 84. Dans un autre registre, des mémoriaux vivant en ligne

84 Gerz, J. (s. d.). Le monument vivant de Biron. Jochen Gerz. Consulté le 19 février 2024, à l'adresse https://jochengerz.eu/works/le-monument-vivant-de-biron

85 Vimy : Mémorial vivant. (2022, 9 avril). Consulté le 19 novembre 2023, à l'adresse https://livingmemorialvivant.ca/

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font également leur apparition. Par exemple, le mémorial de Vimy au Canada, commémorant les Canadiens morts en France pendant la Première Guerre mondiale, possède également une déclinaison numérique permettant de réaliser un « pèlerinage numérique » 85. Cette expérience se présente sous la forme d'un site web, sur lequel il est possible de découvrir des témoignages de vétérans de plusieurs conflits différents (Seconde guerre mondiale, Guerre de Corée, Afghanistan...). Ainsi, le mémorial est susceptible d'évoluer dans le temps si d'autres conflits sont à venir, car le site Web offre également la possibilité d'ajouter son propre témoignage afin d'enrichir la collection déjà existante. De plus, l'expérience se veut immersive et sensible, au moyen de visuels et d'effets sonores travaillés.

La création de ces mémoriaux vivants va de pair avec les formes de réappropriation mémorielles que nous avons vues précédemment. Ils permettent de consigner les nouveaux événements du présent avec des outils que nous connaissons (témoignages vidéo, par exemple) en s'ajoutant à un corpus d'archives appartenant au passé. C'est ainsi un moyen de créer un lien entre le passé et le futur, en entretenant notre mémoire au présent. Les enjeux qui se jouent ici sont importants, car si l'on parle ici de réappropriation mémorielle à l'échelle internationale, on

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constate un accroissement des mouvements sociaux. Ces derniers sont perçus comme une réponse à l'inégalité, à l'injustice et à l'incapacité perçue des gouvernements à agir dans des domaines tels que la fiscalité, l'économie, la santé et l'environnement. Ces mouvements ne sont pas simplement réactifs, mais expriment également un désir chez les acteurs sociaux de reprendre le contrôle de leur destin collectif. Ces mouvements remettent en question le modèle traditionnel de représentation politique et aspirent à une forme de « démocratie réelle » basée sur des interactions horizontales, l'autonomie, la collaboration et le partage des compétences 86 (Forero Mendoza et al., 2023).

Ainsi, ces dernières années ont vu apparaître de nouveaux mouvements de contestations internationales, à l'image des révolutions du printemps arabe à partir de 2010. En effet, après plusieurs décennies à subir les conséquences de régimes autoritaires et gouvernés par une seule partie, les revendications des protestataires pouvaient se résumer en une seule affirmation : une recherche de dignité. D'une part par la reconnaissance d'une forme de citoyenneté fondée sur les libertés politiques, d'autre part par une amélioration de la situation sociale alors

86 Forero Mendoza, S., Hohlfeldt, M., & Peyraga, P. (2023). L'art en partage citoyen : introduction [Hal open science]. Dans L'art en partage citoyen (p. 9-24). Orbis Tertius. https://hal.science/hal-04293401

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profondément inégale 87. Un peu plus récemment, et dans un autre registre, c'est le mouvement américain March for our lives qui s'est créé en 2018 en réaction aux multiples fusillades dans le pays et demandant un contrôle accru des armes à feu. Depuis, le mouvement s'est propagé à l'international et a encouragé certaines actions politiques en faveur d'une meilleure législation des armes à feu 88.

Enfin, si l'on se rattache au cas du monument vivant, il existe aussi des initiatives qui ont pris une dimension citoyenne, en faisant de la mémoire un enjeu qui dépasse les frontières nationales. C'est par exemple le cas pour le projet Stolpersteine que l'on pourrait traduire par « pierre trébuchante » 89, officialisé en 2015. À l'origine de ce projet, l'artiste allemand Gunter Demnig, créa des pavés en béton couverts d'une plaque de laiton en mémoire des victimes de la Shoah. Les pavés sont indicatifs et placés aux derniers endroits de vies des personnes disparues. À ce jour, 90 000 Stolpersteine ont été installés, d'après les derniers chiffres de 2022, dans une vingtaine de pays dont la France (seule la ville de Paris refuse encore leurs

87 Chagnollaud, J. (2020, 24 février). Aux origines des printemps arabes. Vie Publique. Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pBNo

88 March for our Lives. (2018). Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https:// marchforourlives.org/

89 Stolpersteine. (s. d.). Consulté le 10 février 2024, à l'adresse https://www. stolpersteine.eu/en

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L'artiste Gunter Demnig à l'oeuvre (c)

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installations), la Russie ou encore l'Irlande. De plus, le site web du projet permet de rendre autonomes les personnes souhaitant faire les démarches afin d'installer ces pavés commémoratifs, sachant qu'il s'agit encore d'un projet indépendant. Malgré le fait que le projet et ses contraintes morales restent contrôlées par l'artiste qui l'a initié, la démarche fait sens pour les acteurs qui souhaitent faire installer des pavés dans leur village ou dans leurs villes. Ainsi, ce type de démarche permet d'ouvrir le débat sur les solutions possibles aux nouveaux enjeux de réappropriation des lieux de mémoire et de la mémoire en général.

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Le point de vue du designer

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7.1 - Le designer, un acteur social

Selon Alain Findeli, théoricien du design : « La fin ou le but du design est d'améliorer ou au moins de maintenir l'habitabilité du monde dans toutes ses dimensions. » Cette citation démontre que le design n'est pas simplement une performance technique ou esthétique, c'est une discipline résolument centrée sur des problématiques d'usage qui définissent ensuite les deux premières dimensions. On parle même aujourd'hui de « design social » afin de qualifier des méthodes et des actions concrètes pour résoudre des problèmes du quotidien à l'échelle des citoyen.ne.s d'aujourd'hui. Au regard du phénomène d'augmentation des mouvements sociaux que nous avons vu précédemment, on peut même se demander s'il y a encore besoin de designer aujourd'hui ? Si nous ne sommes pas de trop et que les gens peuvent en fait se débrouiller sans nous ?

Si l'on devait répondre de suite à cette menace d'extinction, on pourrait essayer de comprendre en quoi les outils et les méthodes utilisés par les designers peuvent accompagner les démarches sociales et faciliter l'émancipation des citoyens.ne.s. Il faut de fait s'intéresser à la « pensée design » ou au « design thinking », qualifiant un ensemble de règles de créations qui partent de problématiques d'usages pour finir par la création d'un produit ou d'un service qui essaye d'y répondre au mieux. Parmi les caractéristiques de cette méthodologie, plusieurs

90 Findeli, A. (2015). Le design social. The Complete Works Of Alain Findeli. Consulté le 20 février 2024, à l'adresse https://urlz.fr/pCrr

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décrivent le rôle que le designer peut jouer en collaboration avec d'autres acteurs sociaux (associations, municipalités etc.) ou d'autres professions (ingénieur, architecte, analyste etc.) afin d'améliorer « l'habitabilité du monde ». Dans un premier temps, les designers « pensent le monde de façon finalisée ». 90 (Findeli, 2015), c'est-à-dire qu'ils réfléchissent dans une logique de projet, avec une phase de conception et une phase de réception. Cela signifie qu'ils mettent leur image de designer, leur image de « marque » en jeu d'une certaine manière, car ils s'engagent à respecter un certain nombre de valeurs qui déterminent leur crédibilité. Il peut s'agir de préserver l'environnement en utilisant des matériaux recyclés ou encore de collaborer avec des partenaires qui assurent une provenance locale de leurs matières premières. Ces valeurs n'ont aucun intérêt à devenir des promesses, car les designers imaginent des solutions pour le présent et donc prennent aussi en compte les problématiques du présent. Mais surtout, ils ne créent pas des besoins, ils y répondent. Ainsi, ils possèdent aussi une « expertise d'usage » qu'ils intègrent directement dans leurs outils de conception. Avant qu'un objet ou un service soit enfin livré, il est modifié à multiples reprises en fonction des critiques des usagers à son égard. Cette dimension permet de garder à l'esprit ce qui est purement « nécessaire » dans la solution produite et donc de s'arrêter

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quand elle devient assez satisfaisante pour répondre au problème posé à l'origine. Ceci permettant un gain de temps et une projection facile du produit fini, faisant du designer un partenaire idéal pour les acteurs sociaux soucieux de provoquer une amélioration de leurs conditions. À ce titre, l'agence de design parisienne « Vraiment vraiment » 91, crée des projets afin de « défendre l'intérêt général », cela passe par des ateliers afin d'imaginer un futur plus soutenable avec la participation de citoyen.ne.s et d'élu.e.s. Ou encore la création de « fournitures publiques libres », des objets publics qui se veulent inclusifs et faciles à entretenir dans le temps.

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La Quadrature du Net

Ligue des droits de l'homme