B/ Les actions de la multinationale de 1975 à 1985
en Haute-Volta
Plusieurs accords ont été signés entre la
République de la Haute-Volta et la SOMDIAA de 1965 à 1985. Ces
accords ont servi de cadre aux actions de la multinationale française
dans le cadre du projet sucrier voltaïque. Les actions de la SOMDIAA se
sont étalées sur deux décennies : 1965-1975 et
1975-1985.
71 Société d'Organisation, de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA),
Dossier de presse, op. cit., p. 6.
72 Société d'Organisation, de Management et de
Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA),
Rapport Développement Durable, op. cit., p. 17.
73 Ibid., p. 18.
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1. La première décennie :
1965-1975
Les premières actions de la SOMDIAA débutent
officiellement en République de la Haute-Volta le 17 août 1965,
date de la signature du protocole d'accord entre la SIAN (devenue SOMDIAA en
1970) et la République de la Haute-Volta, aujourd'hui Burkina Faso. De
ce protocole d'accord est née la Société d'Etudes
Sucrières de Haute-Volta, dirigée par la SIAN. De 1965
à 1969, la SIAN a mené les actions suivantes :
- Des études préliminaires (rapports,
compte-rendus, notes, etc.) sur le milieu physique, économique et humain
des zones ciblées à accueillir le futur complexe sucrier de la
Haute-Volta ont été réalisées au préalable.
Ces études, commandées par la SIAN, ont permis de déclarer
la région de Banfora comme la plus propice à l'implantation du
complexe sucrier.
- Des projets d'aménagement hydraulique ont
également été réalisés afin d'étudier
les ressources en eau de la région. Ces études ont abouti
à la mise en place d'un système d'irrigation des tiges de canne
à sucre pendant la saison sèche.
- Des essais agronomiques sur plusieurs variétés
de canne à sucre ont été réalisés.
L'objectif est de fournir aux pépinières les
variétés les mieux adaptées à ce milieu
physique.
- La recherche de financement pour le projet sucrier de la
Haute-Volta. La SOMDIAA a eu la lourde tâche de rassembler les
investisseurs privés et publics autour de ce projet et de solliciter des
financements auprès des institutions financières
sous-régionales et internationales.
Compte tenu de la technicité de certaines actions, la
SIAN a collaboré avec des structures spécialisées pour
mener à bien certaines activités. Il s'agit notamment de
l'Institut de Recherches Agronomiques Tropicales (IRAT), de la
Société Grenobloise d'Etudes et d'Applications Hydrauliques
(SOGREAH), ou du Secrétariat français des Missions d'Urbanisme et
d'Habitat (SMUH). L'État voltaïque, par l'intermédiaire de
ces directions régionales, a également assisté la SIAN
dans l'accomplissement de toutes ces missions.
En juillet 1968, la Haute-Volta a créée sa
première usine d'agglomération du sucre avec l'assistance
technique de la SIAN. Au vu des premières productions encourageantes,
cette agglomération sucrière a été
transformée en 1972 en complexe sucrier sous le nom de
Société Sucrière de Haute-Volta, en
abrégé SOSUHV. Un contrat d'assistance technique est signé
entre le Gouvernement voltaïque et la SOMDIAA.
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De 1972 à 1974, la SOMDIAA multiplie les
réalisations en Haute-Volta. Elle assure la construction des
bâtiments de l'usine, l'installation des machines de la raffinerie et la
fourniture du matériel agricole dans le cadre du Contrat
d'engineering du 20 octobre 1972. Au même moment, les
dernières expérimentations sur les variétés de
canne à sucre dans les pépinières sont achevées. En
1975, le complexe sucrier est opérationnel.
2. La deuxième décennie :
1975-1985
Après l'inauguration de la Société
Sucrière de Haute-Volta en janvier 1975, le gouvernement de la
République de la Haute-Volta décide de confier la gestion et
l'exploitation du nouveau complexe sucrier à la SOMDIAA en signant un
nouveau contrat. Ce Contrat de Gestion et d'assistance technique est
signé le 1er juillet 1975 pour une durée de 10 ans.
À partir de cette date, tous les actes de l'entreprise française
sont régis par ce contrat. Les actions de la SOMDIAA dans la gestion de
la SOSUHV se répartissent en plusieurs secteurs.
L'équipement technique
La réussite de ce projet sucrier commençait dans
les champs de canne à sucre. Pour ce faire, la SOMDIAA a acquis un
important matériel agricole afin de rentabiliser la culture de la canne
et le système agricole qui l'accompagne. Ce matériel comprend des
véhicules légers, des véhicules lourds (tracteurs,
camions-bennes, remorques) et des machines spéciales. Ce matériel
était utilisé pour la culture, l'irrigation, la coupe et au
transport de la canne des plantations à l'usine. Ils servaient
également à la mobilité des travailleurs dans les
plantations. La SOMDIAA a commencé avec 30 ha de
pépinières en 1972 74 et n'a pu développer que
4 210 ha sur les 10 000 ha prévus.
La transformation de la canne à sucre devait se faire
dans une unité industrielle sophistiquée et moderne. Pour ce
faire, la SOMDIAA signe en 1972 un Contrat d'ingénierie avec la
société française Fives Lille-Cail pour la construction de
l'usine. Cette entreprise s'associe avec une société belge
(UCMAS) pour la fourniture des équipements75 et à une
société française (UDEC Volta) pour le montage des
équipements à Bérégadougou. Au final, le complexe
sucrier dispose d'une cour à cannes, d'un bâtiment industriel,
d'un magasin à sucre, d'un atelier de production, d'une raffinerie, d'un
laboratoire et de bureaux administratifs. Ces prestations d'ingénierie
ont permis la mise en service en 1975 d'une sucrerie dont la capacité de
production est estimée à 30 000 tonnes par an.
74Archives nationales de France, Direction du
développement économique du Ministère chargé de la
coopération, Fond 201 MC, 19860346/19, Contrat d'ingénierie Fives
Lille-Cail, 1972, p. 3.
75 Ibid., p. 2.
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La production et la commercialisation du sucre
Les données statistiques relatives à la
production et à la vente de sucre SOSUVH n'ont pas suivi la même
évolution. Le Tableau 1 et le Graphique 1 ci-dessous
illustrent cette disparité.
Tableau 1 : L'évolution de la production et des ventes
de la SOSUHV de 1974-1985
|
1974-
|
1975-
|
1976-
|
1977-
|
1978-
|
1979-
|
1980-
|
1981-
|
1982-
|
1983-
|
1984-
|
Années
|
1975
|
1976
|
1977
|
1978
|
1979
|
1980
|
1981
|
1982
|
1983
|
1984
|
1985
|
Production (tonnes)
|
5805
|
16129
|
20793
|
30214
|
31018
|
27838
|
25506
|
28406
|
27702
|
26939
|
27369
|
Vente (tonnes)
|
-
|
-
|
-
|
-
|
29178
|
30380
|
30252
|
32322
|
31013
|
32140
|
29863
|
Source : Centre d'archives de la SOSUHV, Statistiques des
ventes 1974 à 2007, tableau cité par Cissé O., «
Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit.,
p. 64.
Graphique 1 : L'évolution de la production et des ventes
de la SOSUHV de 1974-1985
Production Vente
Source : Bancé Thomas Frank, graphique
généré à partir des données du tableau
ci-dessus, avril 2023.
Tout d'abord, en observant la chaîne de production de la
SOSUHV, on distingue deux grandes périodes. La première
période s'étend de la campagne 1974-1975 à celle de
1978-1979. Durant cette période, la quantité de sucre produite
par l'usine augmente à chaque campagne, passant de 5 805 tonnes en 1974
à 31 018 tonnes en 1978, soit une augmentation de 531%. Puis, à
partir de la campagne 1979-1980, la production chute de 31 018 à 27 828
tonnes de sucre avant de se stabiliser entre 1980 et 1985. Cette baisse de
production sous la direction de la SOMDIAA pourrait être justifiée
par le faible rendement des champs de canne à sucre (70 à 100
tonnes par ha)76. Nous reviendrons sur les raisons des faibles
rendements des champs de canne à sucre qui ont marqué le
début de l'instabilité économique du complexe sucrier.
76 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p.
181.
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En ce qui concerne les ventes de sucre, nous n'avons pas eu
accès aux statistiques des quatre premières années de
vente de la SOSUHV (1975-1978), ce qui nous a contraint à ne
présenter le graphique qu'à partir de la saison 1978-1979. Dans
le Graphique 1, on constate que la production de la SOSUHV ne correspond
pas à ses ventes pour la même période, alors que la
société était censée vendre ce qu'elle produisait.
En effet, la quantité de sucre vendue était supérieure
à la production (sauf pour la campagne 1979-1980). Ceci est dû
à la vente du sucre importé par la SOMDIAA conformément
à la Convention d'établissement de 1972 afin de
satisfaire les besoins nationaux en sucre.
Sur le plan financier77, la SOMDIAA a obtenu des
résultats relativement satisfaisants. L'exercice comptable 1984-1985
fait apparaître un chiffre d'affaires de 8 596 879 267 francs CFA, une
valeur ajoutée de 4 644 410 074 francs CFA et un bénéfice
net de 638 929 649 francs CFA78. Il est évident que l'on
aurait pu s'attendre à un bilan beaucoup plus élevé
après 10 ans de gestion de la SOMDIAA, mais à défaut, il
faudra se contenter d'un solde excédentaire en fin d'année. En
1982, Thiombiano Taladidia estimait que les investissements de la SOSUHV
gérés par la SOMDIAA s'élevaient à 11,5 milliards
de francs CFA 79 . Il s'agit du plus important investissement
réalisé dans une unité industrielle en Haute-Volta.
Les travaux connexes
Outre la gestion administrative et technique de la
Société Sucrière de Haute-Volta, la SOMDIAA a mené
d'autres actions pour faciliter la productivité du complexe sucrier.
Parmi ces actions, on note la construction d'une cité pour les cadres
à proximité de l'usine. Selon les dirigeants de la SOSUHV, ces
villas permettraient de rapprocher les directeurs de service (des travailleurs
étrangers)80 de l'usine. La SOMDIAA a contribué
à faciliter la mobilité des travailleurs de l'usine en mettant
à leur disposition des camions. Cette mesure a permis d'optimiser les
horaires de travail des ouvriers qui habitaient parfois à des dizaines
de kilomètre du complexe. Toujours dans le
77 Nos recherches ne nous ont pas permis d'obtenir un
état financier complet de la SOSUHV pour la période allant de
1975 à 1985. Seule l'année 1985 est présentée
ici.
78 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé : études
diverses - Dossier soumis à la Commission Nationale des
Investissements pour bénéficier du régime A du Code des
investissements, 1988, annexe 2, p. 7.
79 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p.
190.
80 Dans la documentation des employés de la SOSUHV, les
cadres non voltaïques sont appelés "expatriés". Aujourd'hui,
le mot expatrié désigne une personne qui a été
contrainte de quitter son pays d'origine. Les cadres recrutés par la
SOMDIAA ayant quitté volontairement leurs pays, nous
préférons les appeler "travailleurs étrangers".
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domaine du transport, la société a construit des
pistes et des routes rurales pour faciliter la mobilité de la population
environnante, au bénéfice de la toute la
région81.
Dans le cadre de sa responsabilité sociétale, la
SOSUHV a construit un dispensaire (ouvert aux travailleurs et à leurs
familles, ainsi qu'à la population environnante) et une école
primaire de trois classes pour promouvoir l'alphabétisation dans la
région82. Des subventions seraient accordées pour le
fonctionnement de certains services publics dans la région et pour des
activités sportives, culturelles et sociales83.
Les dix années passées par la transnationale
française à la tête de la SOSUHV ne peuvent se
résumer à un bilan positif. Dans la suite de notre analyse, nous
présenterons les manquements de la SOMDIAA au contrat d'assistance
technique et de gestion du complexe sucrier.
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