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La société sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO : de l'aménagement du territoire à  la construction de la mémoire (1965-2020)


par Thomas Frank Bancé
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master de recherche 2023
  

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C/ Les transgressions de la SOMDIAA dans la gestion du complexe sucrier

Deux accords principaux ont régi les activités de la SOMDIAA en Haute-volta. Il s'agit de la Convention d'établissement du 20 octobre 1972 et du Contrat de conseil et d'assistance technique pour la gestion du Complexe sucrier de Banfora du 1er juillet 1975.

1. Les écarts dans l'application des textes juridiques

La SOMDIAA a eu peu de résultats positifs en termes d'investissements financiers, au point qu'elle n'a pas pu faire face à certains engagements vis-à-vis de l'État voltaïque. Le premier manquement dans l'application de la Convention d'établissement concerne sur le TITRE IV, article 12, paragraphe 2, qui stipule que la SOSUHV s'engage à réinvestir au moins 20% de ses bénéfices réalisés en Haute-Volta pour d'autres entreprises conventionnées84. Malgré les bénéfices enregistrés à la fin de l'exercice, la SOSUHV n'a aucunement pu investir ces 20%. Ce non-respect des engagements s'explique par la santé financière fragile de la société sucrière : fond de roulement insuffisant, perte d'une partie du capital des actionnaires, frais financiers élevés et amortissement accélérés85. De sérieuses difficultés financières semblent affecter la société à partir de 1982.

81 Site web officiel de la SN SOSUCO, consulté le 13 juillet 2023, URL : https://snsosuco.com/engagement/rse.

82 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p. 178.

83 Site web officiel de la SN SOSUCO, consulté le 13 juillet 2023, URL : https://snsosuco.com/engagement/rse.

84 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, des Mines et de l'Industrie, sous-série 41V, 41V234, Société Sucrière de Haute-Volta : études diverses - Convention d'établissement entre le Gouvernement de la Haute-Volta et la Société Sucrière Voltaïque, 1972, p. 4.

85 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p. 206.

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Dans le Titre V- Obligations de la Société, il est écrit à l'article 13 que la SOSUHV est tenue de faire appel à des entreprises locales dans le cadre des réalisations bénéficiant des avantages du Gouvernement voltaïque (exonération fiscale et douanière). Sans connaitre les raisons du retrait de la SOMDIAA, nous constatons que la majorité des entreprises auxquelles elle a fait appel étaient étrangères, avec une prédominance des entreprises françaises. C'est le cas de Fives Lille-Cail (construction du complexe sucrier), UDEC Volta (montage de l'usine), SOGETHA (études hydro-agricoles), SOGREAH (aménagement hydraulique), IRAT (études agronomiques), SMUH (aménagement du territoire et urbanisme), etc. Il est tentant de penser qu'il existerait un système de favoritisme, d'octroi délibéré d'avantages aux entreprises françaises au détriment des entreprises voltaïques, et donc une violation de la Convention d'établissement.

Au titre des prestations sociales, la SOSUHV de l'époque n'a pas respecté ses engagements au titre de l'article 25. L'État voltaïque avait engagé la SOSUHV à loger ses cadres dans la ville de Banfora afin de les intégrer dans la société locale86. Malheureusement, cette intégration sociale n'a pas eu lieu sous la SOMDIAA car celle-ci a décidé de construire une cité pour ses cadres à Bérégadougou, à 50 mètres de l'usine. Cette cité, composée de 28 villas F3, était destinée aux cadres étrangers de l'usine. Le choix de la SOMDIAA a certainement créé des sentiments d'inégalité et de ségrégation par rapport aux autres travailleurs de l'usine. Aujourd'hui, la plupart de ces villas sont en ruine, par manque d'occupation humaine et d'entretien.

En ce qui concerne les droits d'exonération fiscale et les diverses taxes perçues par l'État sous le régime de la SOMDIAA, il y a une irrégularité voire une absence d'acquittement de ces droits fiscaux au regard des articles 39-40. En effet, l'article 39 exonérait la SOSUHV du paiement des taxes locales sur le chiffre d'affaires pendant une période de cinq ans à compter de sa création, c'est-à-dire en 197587. Ainsi, le paiement de ces taxes devrait se refléter dans les bilans à partir de l'exercice 1979-1980. Or, si l'on examine les statistiques collectées par Thiombiano pour les exercices de 1974-75 à 1980-8188, on constate qu'aucune taxe sur le chiffre d'affaires n'a été payée. Quant à l'article 40 de la Convention d'établissement, il stipule que :

86 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, des Mines et de l'Industrie, sous-série 41V, 41V234, Société Sucrière de Haute-Volta : études diverses - Convention d'établissement, op. cit., p. 7.

87Ibid., p. 11.

88 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p. 192.

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« La société devra acquitter sur le sucre brut ou raffiné importé, lors de sa mise à la consommation,

une taxe unique dont le montant est égal à la fiscalité globale fixée pour les produits similaires d'importations. Cette taxe sera liquidée sur la valeur mercuriale prévue pour les produits »89.

Là encore, la réalité est toute autre. Le gouvernement voltaïque a autorisé la SOSUHV à importer du sucre pour répondre aux besoins de la consommation nationale de sucre. Cela explique pourquoi la quantité de sucre vendue par la SOSUHV soit supérieure à la quantité de sucre produite. Par conséquent, il devrait y avoir une ligne consacrée à la taxe sur les importations de sucre dans chaque période comptable. Or, l'analyse des données collectées par Thiombiano montre que la SOSUHV a payé 132 312 583 francs CFA de taxe pour l'exercice 1974-1975. Ensuite, aucun paiement de cette taxe n'apparaît pour les six exercices suivants, comme si la SOSUHV avait cessé d'importer du sucre. Cependant, les quantités de sucre produites et vendues ont continué à différer jusqu'en 1985, comme le montre la Figure 5.

Au vu de toutes ces irrégularités, on pourrait penser que la transnationale française a fait preuve de laxisme fiscal dans sa gestion de la SOSUHV. Ces irrégularités constituent un manque à gagner important pour le secteur industriel et l'économie voltaïque en général.

2. La gestion des effectifs à l'époque de la SOMDIAA

La SOSUHV est la seule entreprise de l'époque à compter environ 5 500 employés. Ces 5 500 employés sont repartis en : 2 000 permanents (1 500 aux champs, 300 à l'usine et 200 aux services généraux), 500 contractuels et 3 000 saisonniers (coupeurs de canne)90. La gestion de cette main-d'oeuvre a nécessité une grande habilité pour atteindre les objectifs de la société tout en favorisant un environnement de travail sain et respectueux des travailleurs. Il semble que la Direction de la SOMDIAA ait privilégié la rentabilité du complexe au détriment d'un climat de travail sain. Selon Oumar Cissé, les travailleurs étaient régulièrement sous pression avec des conditions de travail et de mobilité précaires91. Les ouvriers auraient été transportés dans des camions ouverts, exposés au vent et à la poussière. Cette précarité a entraîné de nombreux accidents et maladies de travail. De plus, les employés subissaient des licenciements arbitraires, des sanctions abusives et des mutations injustifiées. Face à cette gestion, les employés se sont organisés en syndicats pour mieux défendre

89 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, des Mines et de l'Industrie, sous-série 41V, 41V234, Société Sucrière de Haute-Volta : études diverses - Convention d'établissement, op. cit., p. 11.

90 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V, 17V93, Société Sucrière de la Comoé : Annexe, 1985, p. 5.

91 Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 72.

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leurs droits du travail et mettre fin aux injustices. Les syndicats les plus importants sont le Syndicat des Travailleurs de la Canne à Sucre (SYNTCAS) et le Syndicat Voltaïque des Travailleurs de Canne à Sucre (SVTCS)92.

Malgré la pénibilité de leur travail, les salaires des employés nationaux de la SOSUHV ne sont pas à la hauteur de leurs attentes93. Pire, il existe un écart important entre les salaires des cadres nationaux et ceux des cadres étrangers. Outre les avantages considérables dont bénéficient les employés étrangers (logement, eau, électricité, billets d'avion pour leur famille), leurs salaires dépassent largement ceux de leurs collèges nationaux. En 1980, la SOSUHV comptait 47 cadres, dont 29 nationaux et 18 étrangers. Alors que le salaire moyen des nationaux (62% du personnel de l'usine) était de 231 430 francs CFA, celui des étrangers (38% du personnel de l'usine) était de 649 315 francs CFA 94. L'environnement de travail à la SOSUHV sous la direction de SOMDIAA était tendu.

3. Le climat politique en Haute-Volta dans les années 1980

La décennie 1980-1991 a été marquée politiquement par la succession de trois régimes d'exception au Burkina Faso. Il s'agit du Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National (CMRPN) de 1980 à 1982, du Conseil du Salut du Peuple (CSP) de 1982 à 1983 et du Conseil National de la Révolution (CNR) de 1983 à 1987. Les nouveaux dirigeants ont annoncé de grandes réformes dans tous les secteurs pour stimuler le développement du pays et réaffirmer son indépendance. Sous le CNR de Thomas Sankara, des mesures fortes sont prises. Le 4 août 1984, le pays change de nom, passant de la Haute-Volta au Burkina Faso, qui signifie "le pays des hommes intègres". En conséquence, de nombreuses dénominations ont changés. Les nouvelles autorités décident de rebaptiser la SOSUHV en 1984 en Société Sucrière de la Comoé, abrégée en SOSUCO. Le gouvernement augmente alors le capital et détient la majorité absolue des actions. Les nouvelles autorités voulaient mettre fin à toute ingérence extérieure dans les affaires intérieures du pays et rompre tout lien colonial. La gestion de la plus grande unité industrielle du pays par la SOMDIAA, une entreprise française, était très mal perçue. En conséquence, le Gouvernement burkinabè a refusé de renouveler le Contrat d'assistance technique qui avait expiré en 1985. La

92 Ibid., p. 73.

93 En l'absence des données statistiques sur les salaires des employés, toutes catégories confondues, nous nous sommes contentés des témoignages des travailleurs lors des enquêtes de terrain réalisées par nos prédécesseurs. Nous nous référons notamment aux travaux de Thiombiano Taladidia et de Cissé Oumar.

94 Thiombiano T., L'enclave industrielle, op. cit., p. 216.

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Société Sucrière de la Comoé est nationalisée après le départ de la transnationale française SOMDIAA. Cette nationalisation s'inscrit dans le cadre d'une série de réformes économiques nationales. Le CNR voulait contrôler la production et augmenter la rentabilité de ces industries.

C'est dans ce contexte social et économique que les longues années de collaboration entre le gouvernement du Burkina Faso et la Société d'Organisation, de Management et de Développement des Industries Alimentaires et Agricoles ont pris fin. La SOMDIAA reste cependant actionnaire de la société sucrière du Burkina Faso.

III. La nationalisation du complexe sucrier de la Comoé

Alors que jusqu'en 1985, l'État burkinabè se contentait d'être actionnaire de son unique société sucrière, il a décidé de prendre plus de responsabilités en la nationalisant. Par ce choix, le Gouvernement burkinabè a voulu opérer un véritablement changement de paradigme dans la gestion de ses unités industrielles. Ainsi, de 1985 à 1998, une série d'actions ont été menées pour donner un nouvel élan à la SOSUCO.

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