A/ Les grandes mutations opérées à la
SOSUCO
Les changements effectués au sein du complexe sucrier
par l'État burkinabè sont de deux ordres : les changements
formels et les changements structurels.
1. L'évolution des textes juridiques
Suite à la nouvelle dénomination du pays
décrétée le 4 août 1984, le Conseil National de
la Révolution change le nom du complexe sucrier comme
mentionné précédemment. La Société
Sucrière de Haute-Volta (SOSUHV) devient la
Société Sucrière de la Comoé
(SOSUCO)95. Ce nouveau nom tient compte de la localisation
de la société, à savoir la province de la Comoé
située dans la région des Cascades96. La SOSUCO reste
une société d'économie mixte et son siège social
demeure à Banfora, chef-lieu de la province de la
Comoé.
Par ailleurs, l'État a pris l'initiative de doubler le
capital social de l'entreprise. De 3 115 500 000 francs CFA en 1975, le nouveau
capital est porté à 6 031 050 000 francs CFA.
Cette mesure a permis à l'État de devenir l'actionnaire
majoritaire, détenant près de 83% des actions. La
95 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale, 1988, p. 1.
96 La province de Comoé tire également son nom
du fleuve Comoé, principale source d'eau du complexe sucrier et de toute
la région des Cascades.
SOMDIAA se retrouve avec 6,05% des actions.97. Pour
rappel, en 1975, le gouvernement ne détenait que 73,09%, la
République de Côte d'Ivoire 16,02% et la SOMDIAA 8,09%. Ci-dessous
la répartition du capital social de la SOSUCO en 1985.
Tableau 2 : La répartition du capital social de la
SOSUCO en 1985
Désignation
|
État burkinabè
|
Organismes Para-étatiques
|
Privés burkinabè
|
République de Côte d'Ivoire
|
SOMDIAA
|
Privés étrangers
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
FCFA
|
%
|
Capital de la SOSUCO en 1985
|
3983060000
|
66,05
|
996440000
|
16,52
|
6590000
|
0,11
|
646230000
|
10,72
|
365570000
|
6,05
|
33160000
|
0,55
|
Source : Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale, op. cit., p. 1.
Graphique 2 : La répartition du capital social de la
SOSUCO en 1985
État burkinabè et ses démembrements
Rép. de Côte d'Ivoire SOMDIAA Privés étrangers
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Source : Bancé Thomas Frank, graphique
généré à partir des données du tableau
ci-dessus, avril 2023.
97 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale, op. cit., p. 1.
Page 46
2. Le processus de redressement économique de la
SOSUCO
Tous les régimes politiques du Burkina Faso, y compris
les régimes d'exception, se sont intéressés au complexe
sucrier du pays en raison de son importance socio-économique. La baisse
des rendements de la SOSUCO au début des années 1980 était
le signe de difficultés d'exploitation. Ainsi, en mars 1983, la
Commission de contrôle du Conseil du Salut du Peuple (CSP) a
établi un rapport de mission sur le complexe sucrier. Les
résultats de ce rapport sont accablants et constituent l'un des premiers
documents officiels dénonçant la gestion malsaine de la SOMDIAA
à la tête du complexe. En effet, les faits dénoncés
sont entre autres : le commerce illégal et la concurrence
déloyale exercés par le Directeur d'exploitation de la SOSUCO, M.
Jean Bernard Joseph André Cabot ; la rétention fiscale ; la
mauvaise gestion du personnel ; le laxisme de la SOMDIAA dans l'embauche des
cadres étrangers et dans la gestion financière de la SOSUCO ; la
centralisation des pouvoirs entre les mains du Directeur d'exploitation ;
etc98. Malheureusement, les autorités politiques n'ont pas eu
le temps de réagir à ces infractions car, le 4 août 1983,
un coup d'État a mis fin au régime du président Saye
Zerbo.
Le Conseil National de la Révolution (CNR) du
capitaine Thomas Sankara prend le pouvoir en 1983. Face aux nombreux
dysfonctionnements de la SOSUCO, les autorités ne renouvellent pas le
contrat de gestion et d'assistance de la SOMDIAA signé en 1975 et qui
expire en 1985. La SOSUCO passe sous la direction du CNR après avoir
été déclarée entreprise publique au Burkina Faso.
Cette mesure s'inscrit dans le cadre de la nouvelle Politique industrielle
du Burkina Faso dans le cadre du Plan quinquennal 1986-1990. La politique
industrielle du CNR vise trois objectifs : l'autosuffisance alimentaire, la
satisfaction des besoins essentiels de la population et la valorisation des
ressources nationales99. La volonté de renforcer la
production de la SOSUCO répond au premier objectif de cette politique.
En juillet 1986, la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA) a
financé le Programme d'investissement de la SOSUCO à
hauteur de 658 000 000 de francs CFA100. Les autorités du CNR
justifient l'adoption de ce programme d'investissement en ces termes :
98 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V109, Aménagement du périmètre de Banfora - Rapport
sur une mission effectuée à la Société
Sucrière de Haute-Volta du 21 au 26 mars 1983, 1983, 37 p.
99 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Présidence du Faso, sous-série 7V, 7V405, Situation des
industries burkinabè - Politique industrielle du Burkina Faso dans
le cadre du Plan quinquennal 1986-1990, 1985, p. 1.
100 Pour une liste complète des équipements
acquis dans le cadre de cet investissement, voir l'annexe 1.
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« Après une dizaine d'années
d'exploitation, la société commence à sentir de
véritables besoins d'investissements et de renouvellement
d'investissement. Cela vient aussi du fait qu'elle doit s'adapter aux
problèmes quotidiens, se moderniser et rationaliser sa production pour
en tirer le meilleur profit »101.
Toutes ces nouvelles mesures ont contribué à la
stabilisation immédiate de la production et des ventes de la SOSUCO.
Elles ont ensuite amélioré la rentabilité de la SOSUCO
pendant toute la période de sa nationalisation, de 1985 à 1998.
Le tableau suivant présente l'évolution de la production et des
ventes de sucre.
Tableau 3 : L'évolution des ventes, de la production et
du chiffre d'affaires de la SOSUCO
Années
|
Production (tonne)
|
Vente (tonne)
|
Chiffres d'affaire (milliard FCFA)
|
1985-1986
|
26 939
|
27 990
|
8473
|
1986-1987
|
26 440
|
29 440
|
8 901
|
1987-1988
|
26 093
|
29 041
|
9 187
|
1988-1989
|
21 919
|
28 704
|
9 217
|
1989-1990
|
27 781
|
30 166
|
9 822
|
1990-1991
|
24 795
|
31 005
|
10 055
|
1991-1992
|
28 662
|
30 770
|
10 038
|
1992-1993
|
28 144
|
28 829
|
9 485
|
1993-1994
|
31 141
|
34 541
|
11 391
|
1994-1995
|
28 995
|
35 071
|
13 205
|
1995-1996
|
28 303
|
38 323
|
14 635
|
1996-1997
|
31 900
|
38 535
|
14 700
|
1997-1998
|
28 500
|
40 000
|
13 900
|
Source : Centre d'archives de la SOSUHV, Statistiques des
ventes 1974 à 2007, tableau cité par Cissé O., «
Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit.,
p. 64.
101 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale - Programme d'investissement
soumis à la caisse nationale de crédit agricole, 1986, p.
2.
Graphique 3 : L'évolution de la production et des ventes
de la SOSUCO
Production Vente
Source : Bancé Thomas Frank, graphique
généré à partir des données du tableau
ci-dessus, avril 2023.
L'observation faite sur ce graphique montre une relative
stabilité de la production de sucre (entre 1985 et 1987) et des ventes
(entre 1985 et 1992). Cette stabilité reflète la gestion
rationnelle de la SOSUCO. Malheureusement, à partir de 1988,
l'instabilité a repris comme sous l'ère SOMDIAA. La
réapparition de nouvelles crises pourrait justifier cet état de
fait.
3. L'organisation de la force productrice
La force productrice de la Société
Sucrière de la Comoé comprend d'une part les installations
industrielles et d'autre part la ressource humaine qui l'accompagne. Depuis le
début des régimes d'exception au Burkina Faso, chaque
régime a commandé des études économiques sur la
SOSUCO afin d'identifier les problèmes qui la minent. Ces études
ont conduit à l'adoption de nouvelles politiques de gestion et à
la réalisation d'importants investissements. Parmi ces études, on
peut citer:
- Le sucre SOSUCO sur le marché
burkinabè102 : cette étude de marché
réalisée en juin 1986 par les autorités du CNR a permis
d'identifier les préférences de consommation des deux produits de
la SOSUCO : le sucre en morceaux et le sucre granulé103.
102 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale - Le sucre SOSUCO sur le
marché burkinabè, 1986, p. 1.
103 A l'époque, la SOSUCO proposait deux produits finis
: le sucre en morceaux (blond et blanc) et le sucre granulé ou
cristallisé. Les choix des consommateurs étaient : le sucre en
morceaux (57,7%), le sucre granulé (21,1%) et 21,2% n'avaient pas de
préférence. Quant à la couleur, le sucre en morceaux blond
l'emporte (45,5%) sur le blanc (28%).
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- Alimentation directe des chaînes CHAMBON et de
l'ensacheuse : ce dossier, monté en août 1988, concernait un
investissement de 100 000 000 francs CFA que la SOSUCO souhaitait
réaliser pour améliorer et moderniser la production du sucre en
morceaux104. Pour ce faire, elle avait
bénéficié du "Régime A" du Code des
Investissements afin d'obtenir des avantages sur les droits de douane, la
TVA et l'impôt sur les bénéfices.
La gestion de la main d'oeuvre, de la force productive
humaine, était sévère avec les régimes d'exception.
L'objectif étant de réaliser un maximum d'économies sur
les coûts de fonctionnement de l'industrie sucrière, on assiste
à une détérioration des conditions de travail des
employés de l'usine. Si les régimes d'exception qui se sont
impliqués dans la gestion de la SOSUCO dans les années 1980 ont
assaini le complexe sucrier et l'ont "remis sur les rails", force est de
constater qu'ils ont également créé de nouvelles crises au
sein du complexe. En effet, l'une des caractéristiques des pouvoirs
révolutionnaires a été la restriction des libertés
syndicales. Ainsi, à partir de 1985, la plupart des centrales
syndicales105 ont été opprimées par la
Direction de la SOSUCO. Elles étaient impuissantes face aux nombreuses
violations du droit du travail qu'elles avaient déjà subies sous
l'ère SOMDIAA. Ces violations se caractérisent par des
interdictions de grève, des licenciements injustifiés, de la
suppression des primes de campagne, de la suppression des fêtes de
début et de fin de campagne, des frais médicaux et
d'électricité pour les cadres, etc.106 Toutes ces
mesures d'austérité, visant à réduire les
dépenses de SOSUCO, ont détérioré les relations
entre les centrales syndicales et la nouvelle direction. Il faudra attendre la
fin du Conseil National de la Révolution en 1987 pour que le climat
social à la SOSUCO s'apaise.
Une autre mesure concernait la réduction du nombre
d'employés permanents. Pour ce faire, les autorités ont
utilisé la politique du vide en refusant de renouveler les
départs à la retraite, les décès, les inaptes et
les démissions. La conséquence à long terme a
été une forte réduction du nombre d'employés
permanents : de 2 650 en 1975 à 1 515 en 1998107.
104 Centre National des Archives du Burkina Faso,
Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V,
17V93, Société Sucrière de la Comoé :
Présentation générale - Alimentation directe des
chaînes CHAMBON et de l'ensacheuse, 1988, p. 2.
105 Les syndicats présents à la SOSUCO sont :
CGTB-SYNACAME, CSB, ONSL-SYNTCAS, USTB, UGTCS, FESBACI, CSB Banfora. Source :
Archives de la SN SOSUCO citées par Cissé O., « Une approche
historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., Annexes
3.
106 Cissé O., « Une approche historique de
l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 76.
107 Ibid., p. 34.
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