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La société sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO : de l'aménagement du territoire à  la construction de la mémoire (1965-2020)


par Thomas Frank Bancé
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master de recherche 2023
  

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A/ Les grandes mutations opérées à la SOSUCO

Les changements effectués au sein du complexe sucrier par l'État burkinabè sont de deux ordres : les changements formels et les changements structurels.

1. L'évolution des textes juridiques

Suite à la nouvelle dénomination du pays décrétée le 4 août 1984, le Conseil National de la Révolution change le nom du complexe sucrier comme mentionné précédemment. La Société Sucrière de Haute-Volta (SOSUHV) devient la Société Sucrière de la Comoé (SOSUCO)95. Ce nouveau nom tient compte de la localisation de la société, à savoir la province de la Comoé située dans la région des Cascades96. La SOSUCO reste une société d'économie mixte et son siège social demeure à Banfora, chef-lieu de la province de la Comoé.

Par ailleurs, l'État a pris l'initiative de doubler le capital social de l'entreprise. De 3 115 500 000 francs CFA en 1975, le nouveau capital est porté à 6 031 050 000 francs CFA. Cette mesure a permis à l'État de devenir l'actionnaire majoritaire, détenant près de 83% des actions. La

95 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V, 17V93, Société Sucrière de la Comoé : Présentation générale, 1988, p. 1.

96 La province de Comoé tire également son nom du fleuve Comoé, principale source d'eau du complexe sucrier et de toute la région des Cascades.

SOMDIAA se retrouve avec 6,05% des actions.97. Pour rappel, en 1975, le gouvernement ne détenait que 73,09%, la République de Côte d'Ivoire 16,02% et la SOMDIAA 8,09%. Ci-dessous la répartition du capital social de la SOSUCO en 1985.

Tableau 2 : La répartition du capital social de la SOSUCO en 1985

Désignation

État burkinabè

Organismes
Para-étatiques

Privés
burkinabè

République de
Côte d'Ivoire

SOMDIAA

Privés
étrangers

FCFA

%

FCFA

%

FCFA

%

FCFA

%

FCFA

%

FCFA

%

Capital de la
SOSUCO en 1985

3983060000

66,05

996440000

16,52

6590000

0,11

646230000

10,72

365570000

6,05

33160000

0,55

Source : Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V, 17V93, Société Sucrière de la Comoé : Présentation générale, op. cit., p. 1.

Graphique 2 : La répartition du capital social de la SOSUCO en 1985

État burkinabè et ses démembrements Rép. de Côte d'Ivoire SOMDIAA Privés étrangers

Page 45

Source : Bancé Thomas Frank, graphique généré à partir des données du tableau ci-dessus, avril 2023.

97 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V, 17V93, Société Sucrière de la Comoé : Présentation générale, op. cit., p. 1.

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2. Le processus de redressement économique de la SOSUCO

Tous les régimes politiques du Burkina Faso, y compris les régimes d'exception, se sont intéressés au complexe sucrier du pays en raison de son importance socio-économique. La baisse des rendements de la SOSUCO au début des années 1980 était le signe de difficultés d'exploitation. Ainsi, en mars 1983, la Commission de contrôle du Conseil du Salut du Peuple (CSP) a établi un rapport de mission sur le complexe sucrier. Les résultats de ce rapport sont accablants et constituent l'un des premiers documents officiels dénonçant la gestion malsaine de la SOMDIAA à la tête du complexe. En effet, les faits dénoncés sont entre autres : le commerce illégal et la concurrence déloyale exercés par le Directeur d'exploitation de la SOSUCO, M. Jean Bernard Joseph André Cabot ; la rétention fiscale ; la mauvaise gestion du personnel ; le laxisme de la SOMDIAA dans l'embauche des cadres étrangers et dans la gestion financière de la SOSUCO ; la centralisation des pouvoirs entre les mains du Directeur d'exploitation ; etc98. Malheureusement, les autorités politiques n'ont pas eu le temps de réagir à ces infractions car, le 4 août 1983, un coup d'État a mis fin au régime du président Saye Zerbo.

Le Conseil National de la Révolution (CNR) du capitaine Thomas Sankara prend le pouvoir en 1983. Face aux nombreux dysfonctionnements de la SOSUCO, les autorités ne renouvellent pas le contrat de gestion et d'assistance de la SOMDIAA signé en 1975 et qui expire en 1985. La SOSUCO passe sous la direction du CNR après avoir été déclarée entreprise publique au Burkina Faso. Cette mesure s'inscrit dans le cadre de la nouvelle Politique industrielle du Burkina Faso dans le cadre du Plan quinquennal 1986-1990. La politique industrielle du CNR vise trois objectifs : l'autosuffisance alimentaire, la satisfaction des besoins essentiels de la population et la valorisation des ressources nationales99. La volonté de renforcer la production de la SOSUCO répond au premier objectif de cette politique. En juillet 1986, la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA) a financé le Programme d'investissement de la SOSUCO à hauteur de 658 000 000 de francs CFA100. Les autorités du CNR justifient l'adoption de ce programme d'investissement en ces termes :

98 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V, 17V109, Aménagement du périmètre de Banfora - Rapport sur une mission effectuée à la Société Sucrière de Haute-Volta du 21 au 26 mars 1983, 1983, 37 p.

99 Centre National des Archives du Burkina Faso, Présidence du Faso, sous-série 7V, 7V405, Situation des industries burkinabè - Politique industrielle du Burkina Faso dans le cadre du Plan quinquennal 1986-1990, 1985, p. 1.

100 Pour une liste complète des équipements acquis dans le cadre de cet investissement, voir l'annexe 1.

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« Après une dizaine d'années d'exploitation, la société commence à sentir de véritables besoins d'investissements et de renouvellement d'investissement. Cela vient aussi du fait qu'elle doit s'adapter aux problèmes quotidiens, se moderniser et rationaliser sa production pour en tirer le meilleur profit »101.

Toutes ces nouvelles mesures ont contribué à la stabilisation immédiate de la production et des ventes de la SOSUCO. Elles ont ensuite amélioré la rentabilité de la SOSUCO pendant toute la période de sa nationalisation, de 1985 à 1998. Le tableau suivant présente l'évolution de la production et des ventes de sucre.

Tableau 3 : L'évolution des ventes, de la production et du chiffre d'affaires de la SOSUCO

Années

Production (tonne)

Vente (tonne)

Chiffres d'affaire (milliard FCFA)

1985-1986

26 939

27 990

8473

1986-1987

26 440

29 440

8 901

1987-1988

26 093

29 041

9 187

1988-1989

21 919

28 704

9 217

1989-1990

27 781

30 166

9 822

1990-1991

24 795

31 005

10 055

1991-1992

28 662

30 770

10 038

1992-1993

28 144

28 829

9 485

1993-1994

31 141

34 541

11 391

1994-1995

28 995

35 071

13 205

1995-1996

28 303

38 323

14 635

1996-1997

31 900

38 535

14 700

1997-1998

28 500

40 000

13 900

Source : Centre d'archives de la SOSUHV, Statistiques des ventes 1974 à 2007, tableau cité par Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 64.

101 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V, 17V93, Société Sucrière de la Comoé : Présentation générale - Programme d'investissement soumis à la caisse nationale de crédit agricole, 1986, p. 2.

Graphique 3 : L'évolution de la production et des ventes de la SOSUCO

Production Vente

Source : Bancé Thomas Frank, graphique généré à partir des données du tableau ci-dessus, avril 2023.

L'observation faite sur ce graphique montre une relative stabilité de la production de sucre (entre 1985 et 1987) et des ventes (entre 1985 et 1992). Cette stabilité reflète la gestion rationnelle de la SOSUCO. Malheureusement, à partir de 1988, l'instabilité a repris comme sous l'ère SOMDIAA. La réapparition de nouvelles crises pourrait justifier cet état de fait.

3. L'organisation de la force productrice

La force productrice de la Société Sucrière de la Comoé comprend d'une part les installations industrielles et d'autre part la ressource humaine qui l'accompagne. Depuis le début des régimes d'exception au Burkina Faso, chaque régime a commandé des études économiques sur la SOSUCO afin d'identifier les problèmes qui la minent. Ces études ont conduit à l'adoption de nouvelles politiques de gestion et à la réalisation d'importants investissements. Parmi ces études, on peut citer:

- Le sucre SOSUCO sur le marché burkinabè102 : cette étude de marché réalisée en juin 1986 par les autorités du CNR a permis d'identifier les préférences de consommation des deux produits de la SOSUCO : le sucre en morceaux et le sucre granulé103.

102 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V, 17V93, Société Sucrière de la Comoé : Présentation générale - Le sucre SOSUCO sur le marché burkinabè, 1986, p. 1.

103 A l'époque, la SOSUCO proposait deux produits finis : le sucre en morceaux (blond et blanc) et le sucre granulé ou cristallisé. Les choix des consommateurs étaient : le sucre en morceaux (57,7%), le sucre granulé (21,1%) et 21,2% n'avaient pas de préférence. Quant à la couleur, le sucre en morceaux blond l'emporte (45,5%) sur le blanc (28%).

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- Alimentation directe des chaînes CHAMBON et de l'ensacheuse : ce dossier, monté en août 1988, concernait un investissement de 100 000 000 francs CFA que la SOSUCO souhaitait réaliser pour améliorer et moderniser la production du sucre en morceaux104. Pour ce faire, elle avait bénéficié du "Régime A" du Code des Investissements afin d'obtenir des avantages sur les droits de douane, la TVA et l'impôt sur les bénéfices.

La gestion de la main d'oeuvre, de la force productive humaine, était sévère avec les régimes d'exception. L'objectif étant de réaliser un maximum d'économies sur les coûts de fonctionnement de l'industrie sucrière, on assiste à une détérioration des conditions de travail des employés de l'usine. Si les régimes d'exception qui se sont impliqués dans la gestion de la SOSUCO dans les années 1980 ont assaini le complexe sucrier et l'ont "remis sur les rails", force est de constater qu'ils ont également créé de nouvelles crises au sein du complexe. En effet, l'une des caractéristiques des pouvoirs révolutionnaires a été la restriction des libertés syndicales. Ainsi, à partir de 1985, la plupart des centrales syndicales105 ont été opprimées par la Direction de la SOSUCO. Elles étaient impuissantes face aux nombreuses violations du droit du travail qu'elles avaient déjà subies sous l'ère SOMDIAA. Ces violations se caractérisent par des interdictions de grève, des licenciements injustifiés, de la suppression des primes de campagne, de la suppression des fêtes de début et de fin de campagne, des frais médicaux et d'électricité pour les cadres, etc.106 Toutes ces mesures d'austérité, visant à réduire les dépenses de SOSUCO, ont détérioré les relations entre les centrales syndicales et la nouvelle direction. Il faudra attendre la fin du Conseil National de la Révolution en 1987 pour que le climat social à la SOSUCO s'apaise.

Une autre mesure concernait la réduction du nombre d'employés permanents. Pour ce faire, les autorités ont utilisé la politique du vide en refusant de renouveler les départs à la retraite, les décès, les inaptes et les démissions. La conséquence à long terme a été une forte réduction du nombre d'employés permanents : de 2 650 en 1975 à 1 515 en 1998107.

104 Centre National des Archives du Burkina Faso, Ministère du Plan, Commerce, Industrie et Mines, sous-série 17V, 17V93, Société Sucrière de la Comoé : Présentation générale - Alimentation directe des chaînes CHAMBON et de l'ensacheuse, 1988, p. 2.

105 Les syndicats présents à la SOSUCO sont : CGTB-SYNACAME, CSB, ONSL-SYNTCAS, USTB, UGTCS, FESBACI, CSB Banfora. Source : Archives de la SN SOSUCO citées par Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., Annexes 3.

106 Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 76.

107 Ibid., p. 34.

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