La société sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO : de l'aménagement du territoire à la construction de la mémoire (1965-2020)par Thomas Frank Bancé Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master de recherche 2023 |
B/ La justification de la valeur patrimoniale de l'industrie sucrière burkinabèAprès avoir proposé un bref inventaire des biens et sites de l'industrie sucrière au Burkina Faso, il nous appartient dans cette section de montrer en quoi ces biens et sites ont une valeur patrimoniale pour le Burkina Faso ? 1. La classification d'un bien au patrimoine culturel national Le Burkina Faso dispose d'un certain nombre de textes juridiques régissant le patrimoine culturel. Toutefois, la loi fondamentale régissant la préservation et la mise en valeur des sites et biens d'intérêt national est la loi N° 024-2007/AN du 13 novembre 2007 portant protection du 212 Nous tenons à préciser qu'au cours de nos recherches, nous n'avons pas eu accès à un seul type de cette documentation. Nous n'avons pu confirmer leur existence et leur état de conservation qu'au cours de nos entretiens. 213 Cette difficulté est due à la définition actuelle du patrimoine culturel immatériel (PCI). En substance, l'UNESCO définit le PCI comme « les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituelles et évènements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l'univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l'artisanat traditionnel », UNESCO, Qu'est-ce que le patrimoine culturel immatériel ?, URL : https://ich.unesco.org/fr/ qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003, consulté le 17 juin 2023. Page 106 patrimoine culturel au Burkina Faso. Cette loi définit le patrimoine culturel comme « l'ensemble des biens culturels, naturels, meubles, immeubles, immatériels, publics ou privés, religieux ou profanes dont la préservation ou la conservation présente un intérêt historique, artistique, scientifique, légendaire ou pittoresque »214. Sur la base de cette définition, l'industrie sucrière peut être considérée comme un bien culturel à préserver pour son intérêt historique et scientifique. L'État burkinabè est responsable de l'inventaire et du classement des sites du patrimoine culturel215. Et pour qu'un site soit inscrit sur la liste nationale du patrimoine culturel, il faut qu'il soit inscrit dans l'inventaire. L'article 8 de la loi sur la protection du patrimoine culturel définit l'inscription comme suit : « L'inscription à l'inventaire consiste en l'enregistrement des biens meubles, immeubles et immatériels appartenant à l'Etat, aux collectivités territoriales, aux communautés, aux associations ou à des personnes physiques ou morales qui, sans justifier une nécessité de classement immédiat, présentent du point de vue de l'histoire, de l'art, de la pensée, de la science, de la technique ou tout autre aspect culturel, un intérêt suffisant pour rendre indispensable la préservation ».216 Compte tenu des conditions préalables qu'un bien doit remplir pour être inscrit sur la liste du patrimoine culturel national, il est de notre devoir de présenter les valeurs que l'industrie de la canne à sucre pourrait refléter afin de justifier son inscription sur la liste du patrimoine culturel national. 2. Les valeurs reflétées par l'industrie de la canne à sucre au Burkina Faso Avant tout propos, il convient de préciser qu'aucun bien ou site industriel n'est inscrit sur la liste du patrimoine culturel national du Burkina Faso. Les biens et sites figurant sur cette liste font partie du patrimoine naturel et culturel (matériel et immatériel). L'émergence récente des industries, après l'indépendance du pays en 1960, pourrait justifier l'absence de biens industriels sur la liste du patrimoine national. Cependant, l'industrie sucrière est porteuse de plusieurs valeurs qui peuvent être mises en lumière pour une inscription sur la liste du patrimoine culturel du Burkina Faso. Le site de production sucrière de la SN SOSUCO a une valeur historique pour le Burkina Faso. Tout d'abord, si l'on prend l'industrie sucrière en général, elle existe au Burkina Faso depuis 1965, soit depuis plus d'un demi-siècle. Cette longévité en fait l'une des plus anciennes industries du 214 Assemblée Nationale du Burkina Faso, Loi N° 024-2007/AN, op. cit., p. 3. 215 Ibid., p. 5.
Page 107 pays, créée juste après l'indépendance et toujours en activité. Elle est parfois citée comme une entreprise modèle en termes de résilience, malgré les crises majeures qu'elle a traversées au fil des ans. Il est donc important que la valeur historique de la SN SOSUCO soit préservée et valorisée à juste titre. Deuxièmement, la culture et la transformation de la canne à sucre suscitent un interêt du point de vue de la technique. En effet, les ateliers de production de sucre, les machines, et les outils industriels témoignent de l'évolution de l'histoire technique du sucre au Burkina Faso. La technologie sucrière évoluant au fil du temps, la conservation de ces témoignages tangibles permet d'obtenir des données sur l'origine de la technique, ses acteurs, ses performances, etc. Le sucre est l'un des "produits de grande consommation" au Burkina Faso en termes d'utilisation quotidienne. Malgré cela, nous pensons que très peu de personnes ont une connaissance approfondie du fonctionnement de cette industrie unique en son genre217. La culture de la canne à sucre et sa transformation en sucre et en produits dérivés sont des activités qui doivent être promues auprès de la population locale. La découverte des champs de canne à sucre, des cités d'habitation, des installations industrielles et du processus de fabrication du sucre sont autant d'activités qui pourraient générer un nouveau type de tourisme au Burkina Faso : le tourisme industriel. Cette activité permettrait d'augmenter et de diversifier l'offre culturelle de la région218. Elle inciterait également d'autres industries à ouvrir leurs portes aux visiteurs, valorisant ainsi le patrimoine industriel du Burkina Faso. Une autre valeur développée par l'industrie sucrière est sa valeur économique. L'une des premières entreprises créatrices d'emplois au Burkina Faso, elle est une entreprise à fort impact socio-économique et dont sa préservation est essentielle pour éviter toute crise économique dans la région qui pourrait avoir des répercussions sur l'ensemble du territoire. Sur le plan économique, la SN SOSUCO est une source importante de revenus financiers pour des milliers de familles burkinabè, ainsi que pour l'État en termes de contribution fiscale au budget national. Au regard de l'intérêt que suscite l'industrie sucrière au Burkina Faso, nous pensons qu'elle pourrait faire l'objet d'une inscription sur la liste du patrimoine culturel national. D'autres industries (textiles, huileries, savonneries, etc.) pourraient également y figurer. 217 Nous ne disposons pas de chiffres pour étayer cette affirmation, mais nous émettons l'hypothèse compte tenu de la quasi-absence d'activités de promotion et d'éducation à l'industrie sucrière dans les lycées et collèges du pays. 218 En effet, la région des Cascades abrite l'un des sites touristiques les plus visités du Burkina Faso. Il s'agit notamment des Cascades de Banfora, une série de chutes d'eau situées le long du fleuve Comoé, à une dizaine de kilomètres du périmètre sucrier de la SN SOSUCO. Les autres sites visités par les touristes sont les dômes de Fabédougou et les pics de Sindou. Source : Site web de l'Office National du Tourisme Burkinabè (ONTB), consulté le 18 juin 2023, URL : https:// www.ontb.bf/visites/sites-touristiques/les-cascades-de-karfiguela-banfora. II. Des propositions de valorisation du patrimoine sucrier du Burkina Faso Le potentiel patrimonial dont regorge l'industrie sucrière dans la région des Cascades doit être valorisé. L'objectif est de permettre à la population locale de découvrir et de renouer avec son patrimoine industriel, puis de le préserver et le transmettre aux générations futures. Pour ce faire, nous envisageons de mettre en place un centre d'interprétation et de créer une "storytelling" de l'industrie sucrière au Burkina Faso. |
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