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La société sucrière du Burkina Faso (SN SOSUCO : de l'aménagement du territoire à  la construction de la mémoire (1965-2020)


par Thomas Frank Bancé
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master de recherche 2023
  

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C/ Les conséquences de la privatisation de la SN SOSUCO

La privatisation de la société sucrière burkinabè est apparue comme un impératif pour le gouvernement burkinabè en 1998. Mais pour les structures syndicales, l'État ne devait pas se désengager de son unique société sucrière. Comme on pouvait s'y attendre, l'avis des partenaires sociaux n'a pas été pris en compte. Si les premières années de la privatisation ont été caractérisées par une croissance de la production et du chiffre d'affaires, une décennie aurait suffi pour constater

122 Comité de Privatisation, « Rapport annuel 2017 », rapport réalisé pour la Primature de la République de Côte d'Ivoire, 2017, p. 14, consulté le 2 mai 2023, URL : http://privatisation.gouv.ci/fichier/1526053515Rapport-annuel-2017.pdf.

123 Ibid., p. 15.

les échecs de la libéralisation du marché sucrier et de la privatisation de l'industrie sucrière : instabilité économique accompagnée de crises sociales.

1. La production et la commercialisation du sucre de la SN SOSUCO

L'analyse des données statistiques sur la production et la commercialisation du sucre de 1998 à

2008 révèle trois grandes phases d'activités. Le Tableau 4 et le Graphique 5 montrent l'évolution de la production et de la commercialisation du sucre de la SN SOSUCO.

Tableau 4 : Les productions, les ventes et le chiffre d'affaires de la SN SOSUCO124

Années

Production (tonne)

Vente (tonne)

Chiffres d'affaire (milliard FCFA)

1998-1999

24 767

30 695

13 600

1999-2000

31 522

43 375

15 265

2000-2001

35 387

52 518

19 266

2001-2002

36 847

55 938

19 774

2002-2003

36 805

44 730

14 676

2003-2004

32 250

39 953

10 093

2004-2005

28 733

38 957

13 660

2005-2006

25 006

30 238

11 779

2006-2007

35 305

21 800

10 948

2007-2008

37 600

39 752

13 780

Source : Centre d'archives de la SOSUHV, Statistiques des ventes 1974 à 2007, tableau cité par Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 64.

Graphique 5 : Les ventes, la production et le chiffre d'affaires de la SN SOSUCO

Production Vente C.A

Source : Bancé Thomas Frank, graphique généré à partir des données du tableau ci-dessus, mai 2023.

124 Nous tenons à préciser que les données de ce tableau devraient s'étendre à la campagne 2019-2020. Toutefois, en l'absence de réponse favorable à notre demande d'accès à l'information auprès de la SN SOSUCO, nous n'avons pas pu obtenir de statistiques pour la période 2009 à 2020.

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La privatisation de la SOSUCO a permis à l'industrie sucrière burkinabè d'atteindre son âge d'or. Les premiers investissements réalisés dans les plantations et l'usine par le nouveau propriétaire semblent donner des résultats positifs. De 1999 à 2002, les ventes de sucre battent tous les records, atteignant un record de 55 938 tonnes vendues lors de la campagne 2001-2002. Le chiffre d'affaires de la SN SOSUCO atteint également son apogée au cours de la même campagne avec un total de 19,774 milliards de francs CFA. Tout laissait présager une opération de privatisation avec une industrie en pleine croissance. Malheureusement, ces quatre campagnes glorieuses laissent place à une baisse de performance à partir de 2003.

La deuxième phase a débuté lors de la campagne 2002-2003 et s'est poursuivie jusqu'à la campagne 2005-2006. Cette phase a été caractérisée par une chute libre de la production et des ventes. Les principales raisons de cette baisse de performance de la SN SOSUCO sont les faibles rendements dans les champs de canne à sucre et l'usure de certaines machines de production125. L'évolution des ventes durant cette période était donc étroitement liée à celle de la production.

2. Le climat social généré par la privatisation de l'industrie sucrière

Le groupe IPS-WA a repris la SN SOSUCO dans un climat social caractérisé par l'inquiétude et la méfiance des travailleurs suite à la privatisation de la société sucrière. La première crise sociale, qui a débuté en 1999, concernait le non-respect du plan de développement économique et social du complexe sucrier proposé par le consortium Sucre participation au moment du rachat. En effet, quelques mois ont suffi aux travailleurs de la SN SOSUCO pour comprendre que le dossier de développement économique et social était une ruse et que sa mise en oeuvre nécessiterait des luttes acharnées. Dès lors, les travailleurs s'adonnèrent à une série de manifestations parfois violentes pour exiger la prise en compte des cinq points de leur plate-forme de revendications. Il s'agit de la fourniture d'équipements de protection des garagistes ; de l'avancement de grade ; de l'application d'augmentations salariales de 5 à 10%, de l'augmentation des indemnités et de la prise en charge des prêts scolaires126. Si le premier point a été satisfait par la direction générale de la SN SOSUCO, les quatre autres feront l'objet de négociations avec les leaders syndicaux. Insatisfaits des propositions de la direction, ces derniers décrètent une grève générale de 13 jours marquée par des sit-in, des arrêts de travail, des marches, des actes de vandalisme et même une tentative

125 Sombié Ferdinand, entretien du 03 novembre 2021, SN SOSUCO à Bérégadougou, réalisé par Bancé Thomas Frank.

126 Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 89.

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d'enlèvement du directeur général127. La réponse à ces manifestations, parfois violentes, a été le licenciement de sept responsables syndicaux par la direction générale. Ces licenciements abusifs ont contribué à accentuer la crise sociale à la fin de l'année 1999128.

La crise sociale de 1999 à la SN SOSUCO a fait place à une autre crise, beaucoup plus pacifique mais avec des impacts négatifs sur les performances de la société sucrière. Les travailleurs de la SN SOSUCO semblent ne pas avoir digéré la précédente crise. Mais à l'absence de leurs responsables syndicaux et par peur de perdre leur emploi, ils ont créé un climat de travail "froid". Les employés pour exprimer leurs mécontentements se sont contentés de faire le strict minimum. Cette démotivation des travailleurs aura un impact sur les rendements de l'entreprise à partir de 2003.

3. Les crises économiques à la SN SOSUCO

Les premières baisses de performance

Les premières difficultés de commercialisation du sucre de la SN SOSUCO sont apparues en 1998, deux ans après la libéralisation du marché du sucre. Avec l'ouverture du marché aux importations, le marché burkinabè est rapidement inondé de sucre importé. Une grande partie de ce sucre était frauduleuse, car entrée illégalement dans le pays. Dans une correspondance adressée au Ministère du Commerce en 1999129, les organisations syndicales s'inquiètent de l'inondation du marché par ce sucre frauduleux, qui pouvait être dangereux pour la santé des consommateurs en raison de sa provenance douteuse. En conséquence, la SN SOSUCO a rencontré des difficultés à écouler sa production et à honorer ses engagements mensuels vis-à-vis du monde salarial. Pour surmonter cette crise, la direction commerciale de la SN SOSUCO de concert avec le ministère en charge du commerce ont dû prendre une série de mesures. Le Ministère cesse de délivrer des attestations d'importation de sucre afin de stabiliser le marché pendant un certain temps. La SN SOSUCO a développé une stratégie de vente assistée, qui consistait à vendre du sucre aux consommateurs par l'intermédiaire de clients non agréés répartis sur tout le territoire. Les employés étaient chargés de promouvoir le sucre auprès de ces clients non agréés. La direction a dû également vendre une partie de ses stocks à perte à des grossistes afin de minimiser les pertes financières130. Bien que ces mesures aient porté leurs fruits, elles n'ont pas permis d'éviter d'autres crises.

127 Ibid., p. 90.

128 Bien que l'affaire ait été portée devant les tribunaux du travail, les sept travailleurs n'ont pas été autorisés à retourner à la SN SOSUCO. L'entreprise a préféré les indemniser cinq ans après les faits.

129 La correspondance des organisations syndicales complète se trouve à l'Annexe 3.

130 Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 91.

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La mévente en 2008

La campagne de 2006-2007 se solde par une crise de mévente d'une ampleur sans précédent pour la SN SOSUCO. Sur les 35 305 tonnes de sucre produites, l'entreprise n'a pu vendre que 21 800 tonnes, une première depuis son existence. En avril 2008, Cissé Oumar comptabilisait 25 201 tonnes de sucre immobilisées dans les magasins sans acheteurs131. La cause principale de ce manque de vente est la dérégulation du marché mondial du sucre. Il s'avère qu'à cette époque, le sucre importé était moins cher que celui produit par la SN SOSUCO132. Par conséquent, les commerçants préfèrent importer frauduleusement du sucre au Burkina Faso. Cette fraude a instauré une concurrence déloyale pour le sucre burkinabè et une faible demande des consommateurs pour le sucre local. Pour tenter de limiter la fraude, le gouvernement décide d'imposer une clause de parité sur le marché du sucre : la quantité de sucre importée doit être égale à la quantité de sucre achetée à la SN SOSUCO. Malheureusement, cette mesure ne fera qu'augmenter le chiffre d'affaires de la société car les importateurs se permettront d'acheter le sucre local sans passer le récupérer à l'entrepôt. L'objectif est simplement de pouvoir obtenir l'agrément d'importer beaucoup plus de sucre. Le 21 avril 2008, le directeur général estimait que plus de 4 000 tonnes de sucre avaient été payées mais étaient encore stockées dans ses entrepôts133. Parallèlement, d'autres commerçants importaient illégalement du sucre au Burkina Faso. Plusieurs solutions internes ont été mises en place pour freiner la fraude, mais sans grand succès. Pour une sortie définitive de crise, deux nouvelles structures ont été mises en place. D'une part, une Société de Distribution de Sucre (SODISUCRE) a été créée pour acheter et distribuer le sucre local en collaboration avec tous les acteurs de l'industrie sucrière134. D'autre part, l'Observatoire de lutte contre la fraude du sucre a été mis en place en collaboration avec le Ministère en charge du Commerce pour réguler les importations de sucre en délivrant une Autorisation Spéciale d'Importation (ASI)135. Un déstockage progressif du sucre de la SN SOSUCO a eu lieu au cours des campagnes suivantes.

131 Ibid., p. 93.

132 Alors que le sucre SN SOSUCO coûte 370 000 francs CFA (granulé) et 540 000 francs CFA (cristallisé), le sucre importé du Brésil coûte 120 000 francs CFA à l'achat et est livré à moins de 200 000 francs CFA, soit un prix de revient d'environ 320 000 francs CFA.

133 Propos recueillis par Cissé Oumar lors de ces enquêtes orales, 26 juin 2008 à Bérégadougou.

134 Cissé O., « Une approche historique de l'agro-industrie au Burkina Faso », op. cit., p. 97.

135 African Business French, « Burkina Faso : des mesures d'urgence pour le sucre », Magazine de l'Afrique, mis en ligne le 11 juillet 2018, consulté le 30 avril 2023, URL : https://magazinedelafrique.com/uncategorized/burkina-faso-des-mesures-durgence-pour-le-sucre/.

La mévente de 2015

Au 2 novembre 2015, Mouctar Koné, directeur général de la SN SOSUCO, annonçait au moins 17 000 tonnes de sucre invendu, soit la moitié de la production de 2013-2014136. En mars 2015, il avait annoncé 32 000 tonnes de sucre stockées dans son entreprise. Les importations frauduleuses semblent être de retour, car l'inondation du marché par du sucre importé frauduleusement est à l'origine de cette nouvelle mévente. Cette crise remonte à la campagne 2014-2015 au cours de laquelle la SN SOSUCO avait stocké 8 000 tonnes de sucre achetées mais non livrées aux commerçants137. Cela nous rappelle les pratiques malsaines des importateurs en 2007. Une fois à l'intérieur du pays, le sucre importé était vendu à un prix inférieur au sucre local. Compte tenu du faible pouvoir d'achat des classes sociales, la qualité du sucre acheté importait peu. Pour sortir de la crise, le directeur général a proposé de supprimer la subvention sur le sucre importé et de reconstituer une SODISUCRE, puisque celle de 2008 avait fonctionné avant de disparaître. Mais c'est l'application rigoureuse des termes de l'accord tripartite de 2012 qui permettra de faire respecter les engagements des importateurs de sucre et la régulation du prix du sucre sur le territoire national138. La vente promotionnelle du sucre durant le mois de Ramadan 2016 a permis à la SN SOSUCO d'écouler le stock restant139. Au regard de l'aggravation de la mévente en 2015, Mouctar Koné alerte sur des risques sérieux de fermeture de son entreprise si les importations frauduleuses se poursuivent.

La mévente en 2019

En 2019, une autre crise de mévente a lieu à la SN SOSUCO, alors que la résolution de la précédente crise sucrière avait entrainé une brève rupture de stocks en novembre 2016140. C'est dire que le mal était profond et qu'il était temps de trouver des solutions radicales à ces méventes

136 Sy Amir Lookman, « Crise à la SN SOSUCO : les travailleurs n'ont jamais manqué de salaire », L'économiste du Faso, mis en ligne le 2 novembre 2015, consulté le 8 mai 2023, URL : https://www.leconomistedufaso.com/2015/11/02/ crise-a-la-sn-sosuco-les-travailleurs-nont-jamais-manque-de-salaire/.

137 Sy Amir Lookman, « SN SOSUCO : La campagne sucrière 2014-2015 lancée », L'économiste du Faso, mis en ligne le 15 décembre 2014, consulté le 5 mai 2023, URL : https://www.leconomistedufaso.com/2014/12/15/sn-sosuco-la-campagne-sucriere-2014-2015-lancee/.

138 En 2012, un accord a été signé entre le Ministère du Commerce, la SN SOSUCO et un groupe de 10 importateurs de sucre. Cet accord fixe le quota de chaque importateur sur la campagne en cours avant l'acquisition d'une Autorisation Spéciale d'Importation.

139 Gadiaga Karim, « SN SOSUCO : Après la mévente, la rupture de stocks », L'économiste du Faso, mis en ligne le 28 novembre 2016, consulté le 8 mai 2023, URL : https://www.leconomistedufaso.com/2016/11/28/sn-sosuco-apres-mevente-rupture-de-stocks/.

140 La rupture de stock de fin 2016 n'a duré que peu de temps avant que le sucre SN SOSUCO ne soit rendu disponible pour la campagne 2016-2017. Pour plus de détails sur la pénurie, vous pouvez lire l'article du magazine l'Economiste du Faso à l'adresse https://www.leconomistedufaso.com/2016/11/28/sn-sosuco-apres-mevente-rupture-de-stocks/.

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d'autant plus que la cause est restée la même : l'inondation du marché par du sucre importé frauduleusement. Le directeur général de la société sucrière estime que 24 000 tonnes resteront invendues en septembre 2019141. Cette fois-ci, la réponse à la crise a été simple et forte : la suspension de l'importation de sucre et d'huile sur tout le territoire national. Cette mesure a été rendu publique par le communiqué du 9 septembre 2019 du Ministère du Commerce, de l'Industrie et de l'Artisanat. Cette décision gouvernementale sera qualifiée de « courageuse, historique et patriotique » par les entreprises bénéficiaires. Elle marque la fin d'une longue série de méventes à la SN SOSUCO et le retour à la stabilité économique et sociale de l'industrie sucrière. Voici une représentation des crises commerciales de la SN SOSUCO sous la gestion du groupe IPS-WA.

Graphique 6 : Les méventes de la SN SOSUCO

25 201 tonnes

32 000 tonnes

17 000 tonnes

24 000 tonnes

Source : Bancé Thomas Frank, mai 2023.

141 Sy Amir Lookman, « Suspension de l'importation du sucre et des huiles : une mesure saluée par les industriels », L'économiste du Faso, mis en ligne le 23 septembre 2019, consulté le 9 mai 2023, URL : https:// www.leconomistedufaso.com/2019/09/23/suspension-de-limportation-du-sucre-et-des-huiles-une-mesure-saluee-par-les-industriels/.

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