IV- Les troubles psychiques induits par l'alcool
1. Troubles et
intoxication : définitions et critères
diagnostiques
Le trouble de l'usage de l'alcool est défini par un
ensemble de symptômes physiques et comportementaux qui peuvent inclure le
syndrome de sevrage, la tolérance et l'envie impérieuse (craving)
d'alcool. Les conduites addictives sont souvent associées à des
troubles psychiatriques. Les comorbidités psychiatriques les plus
fréquentes sont la dépression, l'anxiété et les
troubles de la personnalité (Lejoyeux et Embouazza, 2013). Le DSM-5
(2013/2015) propose quelques critères diagnostiques des troubles
de l'usage de l'alcool.
TROUBLE DE L'USAGE DE L'ALCOOL
A. Mode d'usage problématique de l'alcool conduisant
à une altération du fonctionnement ou une souffrance cliniquement
significative, caractérisé par la présence d'au moins deux
des manifestations suivantes, au cours d'une période de
12 mois :
1. L'alcool est souvent consommé en quantité
plus importante ou pendant une période plus prolongée que
prévu.
2. Il y a un désir persistant, ou des efforts
infructueux, pour diminuer ou contrôler la consommation d'alcool.
3. Beaucoup de temps est passé à des
activités nécessaires pour obtenir de l'alcool, à utiliser
de l'alcool ou à récupérer de ses effets.
4. Envie impérieuse (craving), fort désir ou
besoin pressant de consommer de l'alcool.
5. Consommation répétée d'alcool
conduisant à l'incapacité de remplir des obligations majeures, au
travail, à l'école ou à la maison.
6. Consommation continue d'alcool malgré des
problèmes interpersonnels ou sociaux, persistants ou récurrents,
causés ou exacerbés par les effets de l'alcool.
7. Des activités sociales, professionnelles ou de
loisirs importantes sont abandonnées ou réduites à cause
de l'usage de l'alcool.
8. Consommation répétée d'alcool dans des
situations où cela peut être physiquement dangereux.
9. L'usage de l'alcool est poursuivi bien que la personne
sache avoir un problème psychologique ou physique persistant ou
récurrent susceptible d'avoir été causé ou
exacerbé par l'alcool.
10. Tolérance, définie par l'un des
symptômes suivants :
a. Besoin de quantités notablement plus fortes d'alcool
pour obtenir une intoxication ou l'effet désiré.
b. Effet notablement diminué en cas de l'usage continu
de la même quantité d'alcool.
11. Sevrage caractérisé par l'une ou l'autre des
manifestations suivantes :
a. Syndrome de sevrage caractéristique de l'alcool (cf.
Les critères A et B du sevrage de l'alcool, p. 653).
b. L'alcool (ou une substance très proche, telle qu'une
benzodiazépine) est pris pour soulager ou éviter les
symptômes de sevrage.
L'échelle suivante permet de spécifier
la sévérité :
Léger : Présence de 2-3
symptômes.
Moyen : Présence de 4-5
symptômes.
Grave : Présence de 6
symptômes ou plus.
INTOXICATION PAR L'ALCOOL (DSM-5)
A. Ingestion récente d'alcool.
B. Changements comportementaux ou psychologiques
problématiques, cliniquement significatifs (p. ex. comportement
sexuel ou agressif inapproprié, labilité de l'humeur,
altération du jugement) qui se sont développés pendant ou
peu après l'ingestion d'alcool.
C. Au moins un des signes ou symptômes suivants, se
développant pendant ou peu après la consommation
d'alcool :
1. Discours bredouillant.
2. Incoordination motrice.
3. Démarche ébrieuse.
4. Nystagmus.
5. Altération de l'attention ou de la
mémoire.
6. Stupeur ou coma.
D. Les symptômes ne sont pas dus à une autre
affection médicale, et ne sont pas mieux expliqués par un autre
trouble mental, dont une intoxication par une autre substance.
2. Delirium
Lié à l'alcool, le delirium peut être
classé en deux types : delirium par intoxication alcoolique
et delirium du sevrage alcoolique (DSM-IV). Perturbation rie la
conscience (c.-à-d. baisse d'une prise de conscience claire de
l'environnement) avec diminution de la capacité à mobiliser,
focaliser, soutenir ou déplacer l'attention. Étymologiquement,
"delirium" signifie confusion mentale et "tremens" désigne le
tremblement caractéristique de cette affection (Clinicum, 2007, tome 8).
Le delirium par intoxication (souvent désigné par
délire onirique) est aigu, intermittent,
vespéral et très souvent nocturne, dominé par des
cauchemars. Le malade se lève, se croit menacé et cherche
à se défendre. Tandis que le délire du sevrage survient
après un manque prolongé devenu insupportable par l'organisme.
3. Troubles amnésiques induits par
l'alcool
Les troubles amnésiques sont caractérisés
par une perturbation de la mémoire qui est due soit aux effets
physiologiques directs d'une affection médicale générale
soit aux effets persistants d'une substance (c.à.d. une substance
donnant lieu à abus, un médicament, une substance toxique) (APA,
2013). Le fait de consommer de l'alcool de façon excessive a surtout un
impact négatif sur la mémoire à court terme, mais aussi
parfois sur la mémoire à long terme. Lors d'une soirée
très arrosée, il peut arriver que les informations de la
mémoire à court terme ne passent pas dans la mémoire
à long terme. C'est ce qu'on appelle un black-out (Aide alcool, 2021).
Dans ce genre de situation, on ne sait plus (ou presque plus) ce qu'on a fait
ou dit, comment on est rentré à la maison, etc.
L'alimentation suffit normalement à couvrir les besoins
en vitamines. Mais la consommation d'alcool réduit à elle seule
cette absorption de vitamine B1. Si on ajoute à cela un
dérèglement de l'alimentation (comme constaté chez de
nombreux gros buveurs), cette carence en vitamine B1 s'accroît encore
plus et s'accompagne alors d'oublis fréquents. Une carence en vitamine
B1 peut aussi engendrer des névrites (/alcool-polyneuropathie). Et
il existe, malheureusement, des cas où la lésion
cérébrale est trop grave et il n'est plus alors possible de
guérir les troubles de la mémoire (Aide alcool, 2021, 18
août).
4. Troubles psychotiques particuliers
a) Le délire
paranoïaque
Ces délires,
organisés et très bien systématisés, sont
vécus en pleine lucidité. Ils sont essentiellement fondés
sur des interprétations, le paranoïaque donnant une signification
précise à chaque événement. Ces
interprétations semblent souvent vraisemblables et convaincantes,
permettant à un processus délirant (délire à deux).
Le délire paranoïaque le plus fréquent chez les alcooliques
est le délire de jalousie (Clinicum, 2007). Le sujet est convaincu qu'il
est trompé par son conjoint :
Ø Il cherche des Indices,
des preuves dans les moindres faits de la vie courante ;
Ø Il surveille son conjoint
et interprète tous ses gestes dans le sens de son délire ;
Ø Il devient ainsi
persécuteur du conjoint et parfois également du rival.
b) La schizophrénie
alcoolique aiguë
La schizophrénie est
caractérisée par la psychose (perte du contact avec la
réalité), des hallucinations (fausses perceptions), des
idées délirantes (fausses convictions), un comportement et une
parole désorganisés, une affectivité lisse (gamme des
émotions réduite), des déficiences cognitives
(détérioration du raisonnement et de la capacité à
résoudre des problèmes) et un dysfonctionnement social et
professionnel (Tamminga, 2018, octobre). Par banalisation du sens propre, est
parfois utilisé pour caricaturer toute situation où un individu
se ressent ou est perçu comme inhabituellement incohérent, comme
une sorte de double personnalité temporaire ; dans la
schizophrénie alcoolique, les actes paraissant étrangement
discordants ou en déphasage avec les paroles ou l'environnement.
D'où le terme banalisation du sens propre de la schizophrénie.
c) Syndromes dépressifs
La dépression témoigne d'une perturbation de
l'humeur, ou thymie, qui devient triste et douloureuse. Elle se traduit
notamment par une douleur morale, une inhibition psychomotrice et une
anxiété (Clinicum, 2007). Environ 90 % des adultes aux
États-Unis ont fait, à un moment quelconque de leur vie,
l'expérience de l'alcool et un nombre substantiel (60 % des hommes et 30
% des femmes) ont eu au moins un événement négatif dans
leur vie du fait de l'alcool (p. ex., conduite après avoir
consommé trop d'alcool, absence à l'école ou au travail du
fait d'une « gueule de bois ») (DSM-IV). Les principaux
symptômes de la dépression sont le découragement, la
tristesse et la perte de l'élan vital ou désintérêt.
Les symptômes de dépression sont fré-quents chez les
alcooliques, notamment avant le sevrage. Un alcoologue américain, M. A.
Schuckit a montré que 80 % des alcooliques présentent ces
symptômes de la dépression. Un tiers des patients
présentent l'ensemble des critères de la dépression
majeure (tristesse, désintérêt, ralentissement, troubles du
sommeil, de l'appétit) (Lejoyeux et Embouazza, 2013).
5. Conduite
suicidaire
Les états dépressifs associés aux
conduites alcooliques comportent un risque de suicide particulièrement
élevé. Une étude menée à San Diego à
partir de 283 cas de suicide avait retrouvé 58 % d'alcooliques et de
toxicomanes. L'alcoolisme était dans plus d'un tiers des cas le
diagnostic principal établi de manière rétrospective. Les
patients alcooliques et déprimés sont donc exposés
à un risque majeur de tentative de suicide et aussi de mort par suicide.
Leurs gestes suicidaires, quand ils surviennent, sont souvent impulsifs. Ils
surprennent le patient comme son entourage.
6. Dépendance alcoolique
La dépendance à l'alcool, appelée
"alcoolo-dépendance" ou "alcoolisme", s'installe souvent de
manière insidieuse. À plus ou moins long terme, l'alcool prend le
dessus et la personne devient dépendante
(https://sante.journaldesfemmes.fr/quotidien/2564630-alcoolisme-dependance-alcool-definition-symptomes-sevrage/).
Tout d'abord, elle s'habitue à l'alcool et développe une
tolérance en buvant des quantités de plus en plus importantes
pour ressentir les effets qu'elle recherche. Il vient ensuite un moment
où elle ne boit plus pour ce que lui procure l'alcool mais parce que
cela devient une nécessité. Elle cherche à éviter
le manque, qui se manifeste notamment par des sueurs, des tremblements, et des
vertiges.
Une fois la dépendance installée, elle se
traduit par une envie irrépressible de boire (le craving) et le manque,
qui, faute d'une nouvelle prise d'alcool, peut induire un syndrome de sevrage :
anxiété, tremblements, sueurs, agitation, tachycardie,
fièvre et, dans les cas les plus graves une crise d'épilepsie et
un delirium tremens qui peuvent être mortels. Certains signes permettent
de reconnaître une dépendance :
Ø La consommation d'alcool est de plus en plus
fréquente.
Ø Les quantités d'alcool bues sont de plus en
plus importantes.
Ø Il apparaît des conséquences
négatives (conflits, difficultés à assurer vos
journées...) qui deviennent de plus en plus nombreuses.
Ø L'arrêt de la consommation devient de plus en
plus difficile.
Ø L'envie de boire est plus forte et apparaît
plus souvent.
Ø Il existe des signes de manque à l'arrêt
: tremblements, sueurs...
Ø Une consommation d'alcool peut également
devenir problématique si elle modifie le comportement et les relations
avec les proches.
Les sujets qui ont une Dépendance alcoolique peuvent
continuer à consommer de l'alcool malgré ses effets
néfastes, souvent pour éviter ou pour atténuer les
conséquences du sevrage parce que le Sevrage alcoolique peut être
déplaisant et entraîner des manifestations intenses. Certains
symptômes de sevrage (p. ex., des troubles du sommeil) peuvent persister
à une intensité moindre pendant plusieurs mois. Une
minorité substantielle de sujets qui ont une Dépendance
alcoolique n'éprouvent jamais un Sevrage alcoolique qui ait une
signification clinique, et seulement 5 % (environ) des sujets ayant une
Dépendance alcoolique présentent des complications graves du
sevrage (p. ex., delirium, convulsions de type grand mal) (DSM-IV). Une fois
qu'un mode d'utilisation compulsive se développe, les sujets ayant une
Dépendance peuvent passer des périodes de temps substantielles
à obtenir et à consommer des boissons alcoolisées. Ces
sujets continuent souvent leur prise d'alcool malgré ses effets
néfastes, sur le plan psychologique ou physique (p. ex.,
dépression, trous de mémoire, maladie hépatique, ou autres
complications).
|