CHAPITRE I. APPROCHE ANALYTIQUE ET EXPLICATIVE
DES INFRACTIONS EN DROIT DE L'OHADA
Pour l'atteinte de ses objectifs, ceux relatifs à la
sécurité juridique et judiciaire à l'investissement,
l'Ohada, un vaste mouvement d'intégration juridique12, a
utilisé parmi les moyens pour y parvenir, la répression et la
prévention des actes qui compromettent les affaires. La décision
d'harmoniser le droit des affaires en Afrique rendait inévitable cette
délicate rencontre entre le droit pénal et le droit
communautaire13.
Loin de la simple consécration, il s'avère
parfois impérieux d'effectuer un état de lieu du droit
pénal dans les États parties pour se rendre compte de son impact
dans la mise en oeuvre des objectifs et objet de l'Ohada.
Et il faut rappeler qu'en se reconnaissant une
compétence de législation en matière pénale, le
législateur communautaire ne s'est rendu compétent que dans la
description des éléments matériels et moraux, en laissant
aux États parties, le soin d'annoncer les doses de sanctions
conséquentes14, les États membres ont donc le pouvoir
de déterminer l'élément légal.
Ainsi, il convient de procéder à une approche
analytique des infractions contenues dans les Actes Uniformes, de
manière à se rendre compte du régime de sanction
pénale pris par les États parties. Pour ce faire, l'analyse des
infractions contenues dans l'acte uniforme portant droit commercial,
sureté et droit des sociétés commerciales (Section 1)
précède l'approche explicative des incriminations contenues dans
l'acte uniforme relatif aux procédures collectives, aux
procédures simplifiées et au droit comptable dans l'espace Ohada
(Section 2).
12 ISSA SAYEGH J. et LOHOUES-OBLE J., Op.
cit, p.38
13 NDIAW D. « Actes uniformes et Droit
pénal des États signataires du Traité de l'Ohada : la
difficile émergence d'un droit pénal communautaire des affaires
dans l'espace Ohada», in revue burkinabé de Droit,
n°7, Ouagadougou, 2001, p. 19
14 TCHANTCHOU H. et AKUETE AKUE M., « l'Etat
d'application du droit pénal dans l'espace ohada », in revue
de l'ERSUMA, n°spécial, Cotonou, novembre-décembre
2011, p.22
12
SECTION 1. ANALYSE DES INFRACTIONS CONTENUES
DANS L'ACTE UNIFORME PORTANT DROIT COMMERCIAL, SURETE ET DROIT DES
SOCIETES COMMERCIALES DANS LES ETATS- PATRIES
En effet, la présente section aborde la notion et les
éléments constitutifs des infractions contenues dans l'acte
uniforme portant droit des sociétés commerciales et groupement
d'intérêt économique d'aune part (§1), et analyse
d'autre part le régime répressif des incriminations
portées par l'acte uniforme portant droit commercial
général et l'acte uniforme relatif aux suretés
(§2),
§1. NOTIONS ET ELEMENTS CONSTITUTIFS DES INFRACTIONS
CONTENUES DANS L'ACTE UNIFORME RELATIF AU DROIT DES SOCIETES COMMERCIALES
En général, les règles juridiques
applicables dans la plupart de pays d'Afrique en matière de
sociétés, portent la marque de l'héritage de la puissance
mandataire ou coloniale. En tout état de cause, au Cameroun comme en
République démocratique du Congo, ou plus
généralement dans les pays africains francophones. Aujourd'hui
membres de l'OHADA, ils ont pour principal cadre juridique, l'Acte Uniforme
relatif au Droit des sociétés commerciales et du Groupement
d'intérêt économique.15 Il est constitué
de 920 articles comprenant un chapitre préliminaire et quatre
parties.
Il convient de signaler qu'avant l'ohada, le
législateur congolais en ce qui concerne le droit pénal des
sociétés a longtemps, au détriment des
intérêts des associes, des actionnaires, des tiers et du fisc,
maintenu un vide juridique. Le décret du 27 février 1889 sur les
sociétés commerciales n'a pas prévu d'infractions propres
aux sociétés commerciales, l'on retrouve en matière de
responsabilité pénale des dirigeants sociaux en droit congolais,
quelques infractions éparses pratiquement inappropriées.
15 Adopté à Cotonou le 17 avril 1997,
et publié dans le journal officiel de l'OHADA à Yaoundé le
11 octobre 1997, entré en vigueur le 1 er janvier 1 998
conformément à son article 920-2, il sera révisé le
30 janvier 2014 à Ouagadougou (Burkina Faso), entre en vigueur le 05 mai
2014
13
Il est déplorable de se contenter à appliquer
des sanctions civiles en lieu et place des sanctions pénales en cas de
violation de la législation sur les sociétés commerciales.
16 L'inexistence d'un droit pénal congolais des sociétés a
favorisé un accroissement des comportements abusifs dans le chef des
dirigeants sociaux en RDC. Les dirigeants insoucieux des masses
monétaires qui ne leur appartiennent pas, en abusent et vont
jusqu'à confondre le patrimoine social en patrimoine
personnel,17 d'où l'adhésion de la RDC à
l'ohada a constitué une avancée significative à travers
des incriminations portées notamment par l'AUSCGIE.
Il convient de noter par ailleurs que les incriminations
visées par l'AUSCGIE sont en principe intentionnelles puisqu'elles
supposent la mauvaise foi de l'auteur de l'infraction. Elles reposent sur la
volonté délibérée du dirigeant de
société de poser un acte passible d'une sanction pénale.
Le recours constant à l'adverbe « sciemment » marque
l'attachement du législateur communautaire au principe criminel de la
nécessité d'une intention coupable18 et plusieurs
conditions sont donc requises pour qu'une personne, dirigeant social, soit
sanctionnée pénalement.
Il faut en effet qu'une infraction soit imputable au dirigeant
social ; que ce dirigeant social ait commis une faute de gestion, de direction
ou d'administration ; et que cette faute résulte d'un acte
injustifié.
Il y a lieu de rappeler tout de même que ces
incriminations sont consacrées à la troisième partie dudit
acte uniforme, abordant ainsi des infractions relatives à la
constitution d'une société (A), celles relatives au
fonctionnement de la société (B), les infractions liées
à la dissolution, à la liquidation ainsi qu'à l'appel
public à l'épargne (C) ; ce qui amène à les
analyser tout en exposant certaines sanctions répressives prises par
quelques États parties.
A. DES INFRACTIONS RELATIVES A LA CONSTITUTION D'UNE
SOCIETE
Les fondateurs de société sont parmi les
personnes qui concourent activement à la réalisation de toutes
les opérations conduisant à sa constitution. Leur travail
débute dès l'accomplissement des premiers actes
réalisés dans le but de la constitution de la
société, et il prend fin dès la signature des statuts par
tous les associés ou l'associé unique.
16MUANDA N., le Droit pénal des affaires,
Op. cit. p.59 17 Idem
18EBELE DIKOR A., « La responsabilité
pénale des dirigeants sociaux du fait d'infractions non intentionnelles
», in Revue de l'ERSUMA, n° 6, Cotonou,
Janvier 2016, p.2
14
En effet, le législateur de l'ohada a prévu un
certain nombre de conditions de fond à respecter et de formalités
à accomplir pour la validité de la constitution de la
société. Ces conditions de fond et de forme sont encadrées
par un contrôle préventif de l'autorité administrative et
leur violation est parfois réprimée, le cas
échéant, par l'autorité judiciaire.19
La première infraction relative à la
constitution d'une société est le fait pour les fondateurs,
le président-directeur général, le directeur
général, l'administrateur général ou adjoint d'une
société anonyme d'émettre des actions avant
l'immatriculation ou à n'importe quelle époque lorsque
l'immatriculation est obtenue par fraude ou que la société est
irrégulièrement constituée.20 Il y a lieu
de comprendre donc qu'en aucun cas, des actions ne peuvent être
émise dans une société anonyme sans que la
société soit préalablement immatriculée ; aussi,
les actions sont émises mais que l'immatriculation s'avère
être obtenue de manière frauduleuse ; et enfin, au delà de
l'émission d'action, il semble que la société n'est pas
régulièrement constituée.21
Et cela sur la responsabilité pénale du
dirigeant social et/ou des fondateurs22. Il convient alors de se
demander si cette possibilité, étant proscrite à la
société anonyme, est autorisée dans la
société par action simplifiée.
En terme d'élément moral, c'est que la lecture
de l'article 886 de l'acte uniforme n'indique pas clairement la nature de
l'infraction d'émission, il apparait soutenir cette infraction
fondée sur la faute des administrateurs, car ils ont l'obligation de
vérifier toutes les formalités de constitution de la
société, une simple négligence ou omission, l'infraction
est consommée, mais certains auteurs arguent que c'est purement
matérielle, ce que d'autres ne partagent pas.23
La seconde incrimination concerne, ceux qui, sciemment,
par l'établissement d'une déclaration notariée de
souscription et de versement ou du certificat du dépositaire, auront
affirmé sincères et véritables des souscriptions qu'ils
savaient fictives ou auront déclaré que
19POUGOUE P.G et alii, OHADA
sociétés commerciales et GIE, Bruxelles, bruylant, 2002,
p.249
20 Art. 886 de l'AUSCGIE, in code vert :
traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014,
p.432
21 La RDC prévoit dans son projet de loi la
peine d'un à trois ans et de cent mille à trois cent mille francs
d'amende, le Cameroun punit de trois mois à trois ans et d'une amende de
cinq cent mille à cinq millions de franc ou l'une de ces deux peines
seulement/ le Benin punit de trois ans à dix ans et d'une amende de deux
millions de franc à dix millions/ la République Centrafrique
quant elle la punit d'un emprisonnement d'un à cinq ans et ou d'une
amende de un millions à cinq millions de franc
22 Président du conseil d'administration,
Président-directeur général, le Directeur
général, le Directeur général adjoint,
l'Administrateur général ou l'Administrateur
général adjoint
23 MUANDA N., le Droit pénal des affaires,
Op. cit. p.80
15
les fonds qui n'ont pas été mis
définitivement à la disposition de la société ont
été effectivement versés.24
Il s'agit là de la simulation de souscriptions ou de
versements, elle consiste à présenter pour vrais, des
souscriptions ou des versements qui, en réalité, n'existent
guère.25
Elle s'entend par l'établissement du caractère
fictif des souscriptions ou des versements26 et la preuve qu'ils
étaient affirmés sincères et véritables, le
caractère fictif doit absolument être de mise. Et les versements
sont fictifs quand il est affirmé qu'ils ont été
effectués, alors qu'il n'en a été rien, l'objectif
affiché de la simulation est d'obtenir des souscriptions ou des
versements27.
Le caractère fictif des souscriptions demeure
l'élément qui, en pratique, se rencontre le plus
souvent28, et il est difficile dans la plupart de cas
d'échapper au versement des fonds parce que les fondateurs ont le devoir
de les déposer soit chez le notaire ou auprès d'une banque. Il
faut distinguer la simulation de souscriptions de celle de versement, en ce
sens que l'une peut exister sans l'autre et vice versa ; la simulation de
souscription fait référence à une déclaration qui
n'existe pas, c'est dire que nul associé ne s'est engagé pour une
action quelconque tandis que, la simulation de versements consiste dans
l'affirmation de libération effective de souscription faite alors que
ça n'a pas été le cas.
L'alinéa 2 de l'article 887 poursuit en incriminant
ceux qui, auront remis au notaire ou au dépositaire, une liste des
actionnaires ou des bulletins de souscriptions et de versements mentionnant des
souscriptions fictives ou de versements de fonds qui n'ont pas
été mis définitivement à la disposition de la
société. Il est ici question de publication de faits faux,
une publication de souscriptions ou de versements qui n'existe pas ou de tous
autres faits
24 Art. 887 al.1 de l'AUSCGIE, in code vert :
traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014,
p.433
25 MOUKOKO C., « le fondement juridique de la
responsabilité pénale du dirigeant social : incidences entre
Droit pénal interne et Droit pénal des affaires Ohada »,
in revue de l'ERSUMA, n°34, Douala, 2015, p.8
26 La RDC prévoit dans son projet de loi la
peine de cinq à dix ans et une amende de cinq cent mille à cinq
million de francs, le Sénégal en sanctionne d'un an à cinq
ans d'emprisonnement et une amende allant de cent mille à un millions de
francs cfa ou l'une des ces peines ; le Cameroun punit de trois mois à
trois ans et d'une amende de cinq cent mille à cinq millions cfa ou
l'une des ces peines seulement ; la loi Centrafricaine d'un an à cinq
ans et d'une amende un millions à cinq millions cfa ; le Benin
réprime de trois ans à dix ans d'emprisonnement et d'une amende
de deux millions à dix millions de cfa/ le Congo c'est de six mois
à deux ans et l'amende de cent mille à dix millions ou l'une de
ces deux peines.
27 La RDC prévoit dans son projet de loi la
peine de cinq à dix ans et une amende de cinq cent mille à cinq
million de francs, le Sénégal en sanctionne d'un an à cinq
ans d'emprisonnement et une amende allant de cent mille à un millions de
francs cfa ou l'une des ces peines.
28POUGOUE P.G et alii, op. Cit. p.250 et 256
16
faux, et de la publication des noms de personnes
désignées contrairement à la vérité comme
étant ou devant être attachées à la
société, à un titre quelconque.
Matériellement, le délit de publication des
faits faux29 suppose un fait de publication, des faits faux, avec
l'intention de d'obtenir de souscriptions ou de versements. Et cette
publication est réalisée par l'emploi de tout moyen d'information
destiné à toucher le public.
Toujours dans le même article, l'alinéa trois
incrimine ceux qui, sciemment, par simulation de souscription ou de
versement ou par publication de souscription ou de versement qui n'existe pas
ou de tous autres faits faux, auront obtenu ou tenté d'obtenir des
souscriptions ou de versements30.
Cette infraction constitue l'établissement du
certificat de dépôt des souscriptions ou de versements ;
l'élément matériel dans ce cas, est l'établissement
d'un certificat de dépôt de souscription ou de versement, dans
l'intention d'obtenir ou de tenter d'obtenir des souscriptions ou des
versements.31
Enfin, la dernière infraction de cette disposition se
trouve à l'alinéa 4, incrimine ceux qui, sciemment, pour
provoquer des souscriptions ou des versements auront publié les noms des
personnes désignées contrairement à la
vérité comme étant ou devant être attachées
à la société à un titre quelconque ; ceux qui,
frauduleusement, auront fait attribuer à un apport en nature, une
évaluation supérieure à sa valeur réelle.
Il est ici question de la publication des noms de personnes
faussement désignées comme attachées à la
société et seul la publication de ces noms de personne faussement
désignées peut retenu comme constitutif du
délit.32 Et la simulation des biens en nature en nature
apportés à la société ; cette infraction consiste
dans le simple fait de participer à
29 La république du Sénégal
sanctionne l'infraction de publication de faits faux d'un an à cinq ans
de prison et d'une amende de cent mille à un millions cfa ou l'une de
ces deux peines seulement/ le Cameroun punit de trois mois à trois ans
d'emprisonnement et cinq cent mille à cinq millions d'amende ou l'un de
ces peines seulement/ en RCA, elle est sanctionnée d'un an à cinq
ans et/ou d'une amende qui va d'un million à cinq millions cfa/ le Benin
a fixé la peine de trois ans à dix ans et une amende entre deux
millions et dix millions cfa et le Congo a prévu six mois à deux
ans et une amende de cent mille à dix millions Cfa ou l'une de ces deux
peines seulement.
30 Art. 887 al. 3 de l'AUSCGIE, in code vert :
traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014,
p.432
31 Le Sénégal sanctionne d'un an
à cinq ans et l'amende de cent mille à un million ou l'une de ces
deux peines seulement/ La loi camerounaise en punit de trois mois à
trois ans et d'une amende de cinq cent mille à cinq millions de francs
Cfa ou l'une de ces deux peines seulement/ la RCA punit d'un an à cinq
ans et ou d'une amende d'un million à cinq millions de cfa/ le Benin
quant à lui réprime de trois ans à dix ans et d'une amende
de deux millions à dix millions de franc cfa/ la loi congolaise de 2013
la sanctionne d'un emprisonnement allant de six mois à deux ans et une
amende de cent mille à dix millions cfa ou l'une de ces deux peines
seulement.
32 POUGUE P.G et alii, op. Cit. p257
17
l'attribution de la valeur d'un apport et de l'existence d'une
évaluation excessive. 33 Le mensonge dans la
surévaluation constitue l'élément matériel et la
mauvaise foi en constitue l'élément intentionnel.34
L'analyse des incriminations relatives à la
constitution de la société ayant ainsi été
exposée, il importe à présent de procéder à
celle relative au fonctionnement de la société.
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