La guerre en Syrie et le jeu de pouvoir de la Russie.par Pape Ousmane THIAW Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en sciences politiques 2018 |
Paragraphe 2 : la particularité du conflit syrien : une guerre par procurationÀ travers sa dimension stratégique et les acteurs qui y participent de près ou de loin, on peut affirmer que le conflit en Syrie est une guerre par procuration. En effet, pour la première fois depuis la chute de l'Union soviétique, les États-Unis et la Russie se retrouvent impliqués par un conflit armé par territoire interposé26(*). Au temps de la guerre froide, les États-Unis et l'URSS s'affrontaient de manière indirecte par groupes interposés. On dirait alors que ce temps est de retour en Syrie où Russes et Américains sont entrés dans une nouvelle guerre froide par procuration. Au début, la plupart des spécialistes avaient du mal à confirmer l'existence de cette situation jusqu'au moment où Dimitri Medvedev, Premier ministre russe, lâcha l'expression. Toutefois, cette situation était prévisible, car depuis quelques années, les relations entre les États-Unis et la Russie n'avaient cessé de se détériorer. Sur le terrain, les Russes soutiennent Bachar Al Assad alors que les Américains soutiennent l'opposition. L'objectif de la Russie, c'est de restaurer, ne serait-ce que partiellement, l'équilibre avec les États-Unisauxquels Vladimir Poutine n'a -sans doute - jamais pardonné la défaite de la guerre froide. L'Arabie Saudite et l'Iran, deux puissances Sunnites et Chiites, se livrent, elles aussi, à une guerre par procuration en Syrie. En effet, au moment où l'Iran soutient financièrement le régime syrien de même que le Hezbollah, son bras armé dans la zone, l'Arabie Saoudite arme, pour sa part, les groupes rebelles sunnites opposés à Bachar Al Assad et réclame sa tête au sein des instances internationales. Autant dire que la deuxième dimension de la guerre en Syrie oppose les Chiites et les Sunnites. La troisième dimension, si on peut la nommer ainsi, renvoie à l'opposition entre les forces Kurdes et le pouvoir central d'Ankara. En effet, la Turquie utilise la guerre en Syrie et la présence des djihadistes de l'État islamique pour s'attaquer aux Kurdes et à leurs velléités d'indépendance. Avec la diversité des objectifs stratégiques, n'importe quel analyste géopolitique se serait convaincu que la Syrie est morcelée et incontrôlable. Ce qui est difficilement contestable, car, depuis quelques années, le régime syrien ne contrôle plus le territoire ni même l'opposition. Le pays se trouve désormais entre les mains des États-Unis, de la Russie, de l'Iran, de l'Arabie Saoudite, de la Turquie et de l'Etat-Islamique. À traversl'acceptation de cette guerre par procuration, l'avantage est nettement du côté russe. Si l'on sait que les troupes de Daech ne pourront être vaincues qu'à travers l'engagement de troupes au sol27(*), Vladimir Poutine peut compter sur ses alliés iraniens et sur leurs alliés du Hezbollah libanais. Au même moment, de l'autre côté, les Américains ne peuvent compter que sur des forces Kurdes réprimées par la Turquie et sur des combattants irakiens qui ont du mal à s'organiser de manière efficace. De plus, les dernières évolutions du conflit montrent que le rapport de force est assez favorable, même si ce n'est que relatif et réversible à tout moment, aux Russes à leurs alliés28(*). Aujourd'hui, ce qui se passe en Syrie nous rappelle les épisodes de la guerre froide avec cet état de « Guerre impossible, paix improbable », comme le soulignait Raymond Aaron dans le premier chapitre de son ouvrage « Le Grand Schisme » publié en 1948. Cependant, les forces russes et américaines ont tenu à s'entendre sur plusieurs termes, notamment en ce qui concerne le survol de l'espace aérien syrien. L'objectif, c'est d'éviter toute bavure qui pourrait rendre le conflit incontrôlable. Aucune des deux puissances n'aimerait, en effet, que cette région soit le théâtre d'un affrontement direct entre Russes et Américains, au regard de la sensibilité de la zone et surtout de la présence d'Israël. Cette analyse nous permet de comprendre que le conflit syrien concerne directement ou indirectement toute la région. Dès lors, chaque pays essaie d'y participer à sa manière et selon les idéaux qu'il défend. À travers la rencontre des deux grandes puissances, en l'occurrence les États-Unis et la Russie, c'est aussi des agendas différents qui se rencontrent et s'affrontent sur le terrain. CHAPITRE 2 : L'INTERNATIONALISATION DU CONFLIT : GREFFAGE DES AGENDAS DES PUISSANCES INTERNATIONALES Depuis le début de la guerre en Syrie, le territoire est le théâtrede rivalités entre les différentes puissances impériales. Le conflit est non seulement révélateur des nouveaux rapports régionaux, mais aussi internationaux. En effet, la Russie, non contente du rôle d'effacement et non-interventionniste qu'elle a joué en Libye, est bien décidée cette fois-ci à participer au conflit. Pour les États-Unis, leur rôle décadent au niveau de la région est exacerbé par le retrait de leurs troupes en Irak et en Afghanistan. En effet, depuis l'élection de Barack Obama, les États-Unis mènent une politique de « leadingfrombehind29(*) », comme ce fut le cas lors de l'intervention en Libye. Ce qui explique d'ailleurs le fait que, sur le terrain, c'est la Russie et ses alliés qui semblent avoir l'avantage. Outre les États-Unis et la Russie, les puissances européennes sont aussi présentes dans le conflit syrien, même si c'est dans une moindre mesure. Leur principal objectif, c'est de lutter contre Daech qui s'est internationalisé, en témoigne les attentats en Europe. À travers ce chapitre, il sera question d'évoquer l'intervention, du moins la participation américaine en Syrie, à travers le concept de la ligne rouge (Section I) pour ensuite analyser la relative impuissance des puissances européennes dans la guerre en Syrie (Section II). * 26 VERNET Daniel, « La guerre en Syrie : une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie », Slate.fr, 2015, p.4. * 27 Ibid., 2015 * 28LASSERE Isabelle, « Etats-Unis-Russie : le retour de la guerre par procuration » Le Monde, 2016, p.8. * 29 GROS Philipe,«LeadingFromBehind : contour et importance de l'engagement américain en Libye », Politique Américaine, N°19, 2012. p.152 |
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