La guerre en Syrie et le jeu de pouvoir de la Russie.par Pape Ousmane THIAW Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en sciences politiques 2018 |
PREMIÈRE PARTIE : LA GUERRE EN SYRIE : DE LA RÉVOLUTION A L'INTERNATIONALISATION DU CONFLITLe conflit en Syrie, dont nous reviendrons sur les causes profondes, est une résultante d'un élan de contestation, plus connu sous le nom de « printemps arabe » et auquel se sont greffés plusieurs autres paramètres. Cependant, comme les autres peuples arables (Libye, Égypte, Tunisie, Yémen, etc.) en 2011, les Syriens ont seulement voulu manifester pour montrer leur aspiration à plus de liberté, de justice et de dignité dans un pays dirigé par un dictateur. Aujourd'hui, nous sommes face à un conflit difficile à comprendre et quasiimpossible à maitriser, tant les protagonistes présentent des profils et intérêts différents. Du coup, le besoin de comprendre le conflit syrien s'impose plus que jamais au regard des différentes évolutions notées dans cette guerre et les répercussions que cela a pu avoir ailleurs dans le monde, principalement en Europe. Les premières lignes de cette étude vont faire référence à l'évolution de la guerre civile en Syrie en une confrontation régionale (Chapitre 1) et surtout sur l'internationalisation du conflit à travers le greffage des agendas internationaux (Chapitre 2). CHAPITRE 1 : L'ÉVOLUTION DE LA GUERRE CIVILE EN SYRIE EN CONFRONTATION RÉGIONALEL'analyse du conflit syrien nous amène inéluctablement à nous poser la question suivante : qu'est-ce qui a amené le peuple syrien à se révolter ? Ilsavaient de bonnes raisons de s'insurger face à ce qui était considéré comme un régime tyrannique et corrompu. Dès lors, il arrive un moment où l'exaspération dépasse la peur. Cette situationexplique sans doute la rapidité avec laquelle les différents soulèvements populaires se sont succédé dans des pays comme la Tunisie, la Libye ou l'Égypte6(*). Toutefois, on peut dire que la guerre en Syrie, du moins à ses débuts, avait tout l'air d'une guerre civile. Bien que ce soit toujours le cas, le conflit a pris une réelle tournure sur le plan régional avec l'intervention de plusieurs puissances locales, notamment l'Iran et la Turquie, sans oublier les pays souteneurs comme l'Arabie Saoudite ou le Qatar. Dans cette partie, l'enjeu sera d'analyser l'origine de la révolte qu'on peut décrire comme provenant des périphéries (Section 1). Ensuite, il conviendra d'analyser ce conflit comme étant révélateur des nouveaux rapports au niveau régional(Section 2). SECTION 1 : UNE RÉVOLTE PROVENANT DES PÉRIPHÉRIESAvant 2011 et le début des printemps arabes, l'exaspération en Syrie était assez palpable au sein de la population. En effet, au moment où le régime en place vantait l'embellie économique que connaissait le pays, mais avec des chiffres largement exagérés, la grande majorité de la population vivait dans la pauvreté. De plus, les richesses économiques ne profitaient qu'à une seule classe, notamment la communautéalaouite à laquelle appartient le Président Bachar Al Assad. Bien que « la base du régime dépasse la seule communauté alaouite7(*) », c'est bien celle-ci qui bénéficiait principalement des retombées. En plus d'une corruption généralisée, il faut aussi noter que la libéralisation des années 80 n'a pas permis d'apporter les changements espérés. Dans les prochaines lignes, il conviendra d'évoquer la guerre civile en Syrie comme étant le retour d'un refoulé (Paragraphe 1). On évoquera aussi le fait que le régime syrien a proposé des réponses économiques inadaptées à la crise (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : La guerre civile en Syrie : le retour d'un refouléEn 2011, le soulèvement populaire en Syrie a été interprété par plusieurs spécialistes, sans doute à tort, comme un « effet domino » des printemps arabes en Libye, en Égypte, en Tunisie et au Yémen. Il est clair que les soulèvements en Libye, en Tunisie, au Yémen et en Égypte ont eu un impact non négligeable sur la détermination des Syriens8(*). Cependant, malgré plusieurs similitudes, notamment la corruption, le chômage endémique et une dictature plus ou moins sévère, l'analyse de l'exemple syrien ne saurait être limitéeà un simple effet de contagion. En effet, par son ampleur et ses modalités d'action, la révolte en Syrie a été inédite9(*). Sur le terrain, entre mars 2011 et juillet 2012, plus de 15.000 Syriens ont été tués par les forces du régime10(*). La question qu'il faudrait se poser reste alors celle de savoir : comment en est-on arrivé là ? La société syrienne est, en effet, composée de 70% de sunnites et se caractérise par un enchevêtrement des différentes appartenances religieuses. Elle se caractérise aussi par une très large hétérogénéité confessionnelle et ethnique, un régionalisme poussé et plusieurs clivages professionnels11(*). En ce qui concerne l'hétérogénéité confessionnelle et ethnique, elle a donné lieu par le passé à des affrontements violents entre membres de confessions différentes12(*). En 2011, contrairement aux attentes, c'est la nature pacifique et dénudée de caractère communautaire des manifestations qui a pris de court le régime. Le fait est que la plupart des manifestants étaient des héritiers de paysans et de petites bourgeoisies de provinces qui ont longtemps été laissés en rade dans l'exercicedu pouvoir par les grandes familles bourgeoises sunnites. L'histoire nous rappelle qu'ils avaient été attirés par l'idéologie baasiste qui repose essentiellement sur les principes du socialisme arabe13(*) et avaient pu perpétrer un coup d'État en 1963. Les fondateurs de cette idéologie appartiennent à différents groupes culturels et religieux. De plus, ils considèrent que le principe de la laïcité devrait être le ciment de la société arabe. Ce qui suppose le rejet de toute appartenance culturelle ou religieuse au profit de l'identité arabe. En Syrie, on se rend compte que c'est cette classe bourgeoise sunnite, contre laquelle s'était réalisée la révolution de 1963, qui continuait à afficher plus ou moins ouvertement son soutien au régime. Dès lors, un mouvement de mécontentement populaire était bien perceptible dans la plupart des villes du pays. Pour casser cette dynamique, le pouvoir avait décidé dedéployer une double stratégie consistant à réprimer et à réactiver les représentations de peur, notamment au sein des communautés « minoritaires »14(*). La communautarisation de la sphère syrienne et militaire est aussi un élément qui a contribué au mécontentement au sein des différentes communautés qui se sont senties, en un moment, dominées et abandonnées. En effet, depuis 1970, date à laquelle débuta le règne de la famille Assad à la suite d'un coup d'État, le clientélisme communautaire a été érigé en pratique incontournable au sein du pouvoir. Le président de l'époque, Hafez el-Assad, avait instauré un régime basé sur la dualité des systèmes15(*). En effet, les institutions, d'apparence démocratique, telles que le gouvernement, le conseil du peuple, la magistrature et les syndicats, étaient doublées par un système parallèle que l'on peut appeler « esprit de corps » et qui réunissait autour de la figure du président, des officiers de la communauté alaouite. Du coup, à tous les échelons du pouvoir, la répartition des postes, qui devait répondre à des exigences de représentativité, posait problème et créait des frustrations16(*). De plus, au niveau de l'appareil militaire, le mécanisme de prise de décision, à tous les niveaux, repose sur l'instrumentalisation et la mise en concurrence des différentes communautés. Dès lors, chaque décision d'un officier pouvait être empêchée ou sabotée par un autre officier de confession différente17(*). Par ailleurs, le fort exode rural qui a gagné la Syrie au début des années 70 a largement touché les minorités issues de l'intérieur du pays. Elles se sont retrouvées dans des quartiers sunnites plutôt homogènes et ceci avait créé de sérieuses tensions sociales à tel point que certaines familles avaient fini par déménager vers les quartiers périphériques plus homogènes. Au-delà de ses tensions, nous avons une nette augmentation de la criminalité dans la zone, notamment l'enlèvement de jeunes femmes ou enfants puis leur restitution contre le versement d'une rançon. L'ensemble de ces divisions et frustrations sociales a sans doute contribué à mettre la poudre au feu, car, à l'origine, les manifestations étaient pacifiques. On a aussi le fait que l'État n'a pas su, sur la durée, comme lors du soulèvement, apporter des solutions durables à la crise, un peu comme ce fut le cas au Maroc et en Algérie. * 6SEURAT Michel, Syrie, l'état de barbarie, Puf, 2012, p.47. * 7 BALANCHE Fabrice « itinéraire de la transformation d'une révolte en guerre civile », Diplomatie, n°58, Septembre 2012, p. 23. * 8 BOZARSLAN Hamid, Révolution et État de violence : Moyen-Orient 2011-2015, CNRS éditions, 2015, p.36. * 9 Voir l'article « Le Printemps arabe : la chronologie par pays », publié en 2011 sur www.scienceshumaines.com * 10 Chiffres de l'OSDH (Organisation Syrienne des Droits de l'Homme). * 11Isabelle Feuerstoss, « Guerre civile en Syrie : le retour du refoulé », Politique étrangère 2012, p. 601-613 * 12 On a, par exemple, le massacre des Chrétiens et des Druzes dans le mont Liban et à Damas en 1860 et les massacres interconfessionnels des années 70 et 80. * 13 Il s'agit d'une dimension qui est souvent oubliée par les analystes et les médias lorsqu'il s'agit d'interpréter les évènements qui se produisent dans le monde arabe. Ils préfèrent se concentrer sur la dimension sécuritaire de l'idéologie baasiste qui a permis d'attirer de nombreux adhérents. * 14BACZKO Adam, DORRONSORO Gilles, QUESNAY Arthur, Syrie : anatomie d'une guerre civile, CNRS éditions, Paris, 2016, p.48-55. * 15BELHADJI Souhail, Anatomie d'un régime autoritaire, Belin, 2013, p.108 * 16 BOZARSLAN Hamid, Op. Cit., p.36. * 17 L'actuel ministre de la Défense de la Syrie est un Chrétien, mais ses adjoints et le vice-chef d'état-major sont de confession Alaouite. |
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