La guerre en Syrie et le jeu de pouvoir de la Russie.par Pape Ousmane THIAW Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en sciences politiques 2018 |
Sigles et Abréviations :· URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques · OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord · SEA : Armée Electronique Syrienne (inversion requise en Anglais) · ONU : Organisation des Nations Unies · EI : État islamique · CSNU : Conseil de Sécurité des Nations Unies · UE : Union Européenne · AGNU : Assemblée Générale des Nations Unies · ASL : Armée Syrienne Libre · OSDH : Organisation Syrienne des Droits de l'Homme INTRODUCTIONLe 31 janvier 2011, une centaine d'opposants syriens ont pris d'assaut la place Arnousà Damas pour une manifestation pacifique contre le régime. Ils étaient pour la plupart silencieux, tenaient des bougies et des écriteaux sur lesquels on pouvait lire « naa'am al houryé » (Oui à la liberté). Un mot qui, semble-t-il, terrifie le pouvoir en place dont les dérives autoritaires n'ont que trop duré. Le mot « naa'am », de même que le lieu de la manifestation, ontété minutieusement choisis, car ils symbolisaient une dictature instaurée depuis Hafez el-Hassad. Bien qu'ayant voulu tenir des propos rassurants au Washington Post, le président Bachar Al Assad savait pertinemment que son pays était menacé par la contagion révolutionnaire, un peu comme en Égypte et en Libye. En effet, durant l'hiver 2010-2011, beaucoup de Syriens ont pu suivre avec intérêt les évènements en Égypte, en Tunisie et en Libye. Autrement dit, la frustration sociale était bien présente depuis des années. Les vagues de contestations dans les autres pays arabes ont permis de légitimer la révolte d'une partie des Syriens. Celle-ci est survenue avec l'arrestation de jeunes adolescents qui ont été emprisonnés puis torturés pendant plusieurs jours. Leurtort : avoir écrit sur le mur de leur école un slogan anti régime. La vague de répression qui s'en est suivie a fini par transformer des manifestants pacifiques au début en de véritables rebelles et dont le but était de renverser le régime en place. Dans ce contexte, il faut surtout noter que la politique répressive du gouvernement contre tout mouvement démocratique a fini par favoriser l'émergence de factions islamistes révolutionnaires et, sans doute, celle de l'État islamique. La Syrie s'est alors progressivement transformée en un vaste champ de bataille avec des acteurs très hétérogènes et aux objectifs différents tant sur le plan politique que militaire. Aujourd'hui, la guerre en Syrie continue ses ravages et ses conséquences sur le plan économique et humain sont incalculables. Depuis le début du conflit, les organisations des droits humains estiment qu'il y a eu plus de 400.000 morts, dont plus de 100.000 civils et 18.000 enfants. Un bilan macabre que ne saurait ignorer le principal allié du régime baasiste : la Russie. Celle-ci est intervenue dans le conflit le 30 septembre 2015 en bombardant les positions « rebelles » puis « islamistes ». Les deux mots se prêtent d'ailleurs beaucoup à confusion, chacun l'interprétant selon sa vision des choses. Quoi qu'il en soit, cette intervention fut sans doute le début d'une nouvelle ère dans l'évolution de ce conflit, car, désormais, la Russie est un acteur majeur, voire incontournable, dans le conflit syrien. Cependant, la position de la Russie sur le dossier syrien, bien qu'étant beaucoup plus tranchée que le camp occidental, notamment les États-Unis et la France, présente plusieurs ambiguïtés. Elle vient confirmer cette affirmation de Clausewitz : « la guerre n'est que la simple continuation de la politique par d'autres moyens1(*) ». Avant d'aller plus loin, une définition de la notion de « guerre » semble pertinente. Il s'agit d'un conflit armé ouvert entre deux ou plusieurs groupes politiques constitués, le plus souvent des États. Par extension, la notion de guerre désigne un conflit interne à un État2(*). C'est à cette seconde définition que s'identifie la guerre en Syrie. L'autre notion centrale dans l'étude de ce sujet, c'est celle de « pouvoir » qui correspond à la capacité d'une entité à agir. Dans le champ des relations internationales, les termes « pouvoir » et « puissance » se confondent souvent. D'ailleurs, « power » en anglais et « Macht » en allemand désignent les mêmes mots. Il s'agit alors d'un concept globalement accepté comme étant le point central dans l'étude de l'environnement international. En s'inspirant de Raymond Aaron, dans Paix et Guerre entre les nations, Serge Sur définit la puissance comme étant « la capacité de faire, la capacité de faire faire, la capacité d'empêcher de faire, et la capacité de refuser de faire3(*)». Ce sujet présente un certain sur le plan théorique. Selon Stéphane François et Olivier Schmidt4(*), la Russie cherche, depuis plusieurs années, à restaurer sa dignité après « l'humiliation » dont elle aurait souffert dans les années 90. En effet, la chute de l'URSS, suivi de la mondialisation au début des années 2000, ont engendré une certaine angoisse sociale dans le pays. Un sentiment largement partagé au sein de l'élite intellectuelle russe, dont Alexandre Douguine. Celui-ci est le principal théoricien du conspirationnisme russe et du néo-eurasisme, des courants de pensée dominants actuellement en Russie. Sa pensée est complexe, parfois déroutante et s'appuie essentiellement sur l'explication complotiste, l'ésotérisme ou encore la philosophie politique. Il défend la théorie de l'humiliation russe par les Américains en attribuant un rôle subversif à ces derniers et aux Occidentaux en général. Une position qui passe, apparemment, au sein de l'élite russe et qui se ressent depuis quelques années dans la politique étrangère de la Russie. Par exemple, l'annexion de la Crimée par la Russie a été justifiée par le fait que les Américains mènent une politique d'intervention à outrance, notamment en Libye, en Irak et au Kossovo. Avec le conflit syrien, c'est une nouvelle opposition sur fond de conspirationnisme des Occidentaux vis-à-vis des Russes qui se dessine. Pire, dans la théorie de Douguine, on y voit souvent la notion « d'Empire ». Ce qui rappelle les sueurs froides qui ont précédé la Seconde Guerre Mondiale, avec l'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne. Cependant, avec l'entrée de la Russie dans le conflit syrien, Bertrand Badie estime que le fait de « parler d'un conflit mondial serait un non-sens 5(*)». Toutefois, il reconnait que cette intervention est un fait inédit, car c'est la première fois, depuis 1979, que la Russie intervient hors de ses frontières. Bien qu'il existe un risque de confrontation, Badie mise sur la rationalité des différentes puissances engagées dans le conflit pour ne pas déclencher une guerre dont les conséquences seraient désastreuses pour le monde. Selon lui, le principal objectif de la Russie est de reconquérir sa puissance sur le plan international après plus de 25 ans de monopole occidental. Pour cela, Poutine dispose sur le terrain d'un avantage certain par rapport aux Occidentaux, car il se bat avec des alliés : l'Iran, le Hezbollah et le régime syrien. C'est cette position que nous allons appuyer dans les lignes qui vont suivre. En effet, ce travail est une occasion pour apprendre, car nous allons revenir sur la nature, les causes et les différents acteurs d'un conflit qui dure depuis plusieurs années. Nous tenterons aussi d'apporter des réponses aussi simples que possible sans pour autant paraitre simplistes. Nous allons surtout tenter de rappeler, décrypter, et expliquer des évènements et enjeux qui se déroulent depuis plusieurs années. Pour cela, nous allons nous appuyer sur des dates, des chiffres et des informations que nous avons pris le soin de vérifier auprès de sources crédibles. Alors, quelles sont les origines et la particularité de la guerre en Syrie ? Comment le conflit a évolué au fil des enjeux régionaux et internationaux ? Quelle est la position des puissances étrangères par rapport à la Guerre en Syrie ? Comme problématique centrale de ce sujet, il est légitime de se poser la question de savoir : quel est le rôle de la Russie dans l'évolution du conflit en Syrie ? Concernant sa puissance, n'est-elle pas amoindrie par rapport à l'ancienne puissance soviétique ? Quels sont les intérêts russes dans le conflit syrien ? Enfin, quelles sont les perspectives d'évolution de l'intervention russe en Syrie ? Les développements qui vont suivre vont alors apporter des réponses à la série de questions posées dans la problématique. Dès lors, nous avons regroupé ces questions par thème afin de faciliter le récit des évènements, notamment avec l'intervention de la Russie, et les éclairer. Dans une première partie, nous allons parler de l'origine et de l'évolution de la guerre en Syrie. Dans une seconde partie, nous allons aborder les enjeux de l'intervention de la Russie en Syrie. Ce qui nous permettra d'aborder les perspectives d'évolution d'un conflit qui est encore loin de connaitre son épilogue. * 1 CLAUSEWITZ Carl Von, De La Guerre, ed. Librairie Académique Perrin, 1996.p. 46. * 2 Voir le lexique de Science Politique, 2eed, Dalloz, 2011. p.246. * 3SUR. Serge, Relations Internationales, Ed.Montchestien, Paris, 2000, p.229. * 4 FRANCOISStéphane et SCMIDT Olivier, « Le conspirationnisme dans la Russie contemporaine », Dioguène, n°249-250, janvier-juin 2015. * 5 Voir l'interview de Bertrand Badie sur France Inter du 13 octobre 2015 sur https://www.franceinter.fr/ |
|