La guerre en Syrie et le jeu de pouvoir de la Russie.par Pape Ousmane THIAW Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en sciences politiques 2018 |
Paragraphe 2 : le web syrien comme arme de dissension massiveÀ côté de la guerre réelle, la cyberguerre en Syrie constitue un autre front entre la Russie et l'OTAN et les autres forces intervenant dans la Guerre en Syrie. Ce « second conflit » tourne autour du web et de ses différentes armes : piratages, programmes malveillants, vidéos, témoignages, campagnes d'hameçonnage, etc. Pour les opposants au régime de Bachar Al Assad, la résistance s'organise particulièrement autour du web et ils rendent compte de la guerre de manière quotidienne. Ils en font un moyen de dénonciation des exactions du régime. Aujourd'hui, internet est devenu une véritable lucarne pour la Syrie qui est un pays isolé. Cet élan de dénonciation, qui renvoie à la stratégie du « show and shame 57(*)» a été initié depuis le début du conflit. Son rôle, c'est de témoigner et de rendre compte de la situation sur place à travers les « Comités locaux de coordination de la Syrie » sur internet et les réseaux sociaux. Récemment, un web documentaire a été réalisé par RFI sur que l'on peut désormais appeler les cyber-soldats et a mis en relief la grande bataille des télécommunications en Syrie. Depuis le début du conflit, les outils de communication sont acheminés clandestinement par les rebelles depuis la Turquie58(*). Ce matériel provient en particulier des pays d'Europe et du golf et les accès se font par satellite afin d'échapper aux contrôles sur les réseaux syriens. Le web documentaire met surtout un exergue l'importance des réseaux sociaux, en particulier YouTube, dans le conflit syrien. L'un des exemples les plus pertinents reste l'attaque chimique du 21 aout 2012 à Damas et les activistes ont réussi à filmer et poster les attaques. Cependant, il faut souligner le fait que le web est un terrain extrêmement miné et une utilisation hasardeuse pourrait avoir des conséquences inattendues. Outre les intérêts des opposants, le web sert aussi les intérêts du régime de Bachar Al Assad. En effet, celui-ci l'utilise pour traquer les opposants. Par exemple, en 2012 un « faux » YouTube était utilisé dans le but de piéger les rebelles syriens en se présentant comme page dédiée aux opposants du régime. Il s'agit, en effet, d'une technique d'hameçonnage dont le but consistait à installer un logiciel malveillant sur les ordinateurs des personnes qui l'utilisent. Ensuite, le logiciel prenait le contrôle de l'ordinateur et avait accès à toutes les informations de même que les mots de passe de personnes souhaitant commenter les vidéos. Cette technique, qui s'est révélée particulièrement efficace, était l'oeuvre de l'Armée Electronique Syrienne (SEA). Composée de pirates informatiques pro-Bachar Al Assad, cette armée avait comme principale stratégie de combat le piratage de sites web afin de récupérer certaines données et de faire fuiter de fausses informations59(*). Pour les experts en renseignements, comme EricDénécé et David Elkaim, c'est une méthode qui est souvent utilisée par les services secrets israéliens. L'objectif, c'est d'induire l'adversaire en erreur. Par exemple, en 2013, c'est la SEA qui avait fait fuiter l'information selon laquelle il y aurait eu une attaque à la Maison-Blanche et que le président Barack Obama aurait été blessé. Conséquence : la bourse de NewYork plonge de plus d'un pour cent. Récemment, le compte Twitter du journal Le Monde a aussi été piraté. Aujourd'hui, le web syrien est une arme de dissension massive. Avec la diffusion sur internet et sur les réseaux sociaux de fausses informations, c'est tout le web qui devient suspect et ceci renforce le contexte de méfiance, de tromperie et de doute. Dans cette guerre, il faut dire que les services secrets du régime, appuyé par les Russes, ont fini de prendre l'avantage sur une opposition divisée, peu expérimentée par rapport aux techniques de guerre virtuelle et qui a surtoutbeaucoup de mal à entrer en contact avec sa base, celle-ci étant déconnectée et peu encline à répondre à des interlocuteurs le plus souvent anonymes. Notons, toutefois, qu'une cyberguerre prend souvent la dimension d'une propagande et d'une désinformation. Une chose que l'opposition syrienne, de même que le régime,a plutôt bien réussie. Cependant, la plupart des gourous du web, dont Mozorov, estiment que la cyberguerre en Syrie a plus d'avenir dans l'identification et la surveillance des utilisateurs plutôt que dans la propagande et la désinformation. Avec la complexité du conflit syrien, ce mode opératoire n'a plus beaucoup d'impact sur l'opinion internationale qui commence à se désintéresser du conflit, surtout si l'on sait que de nombreuses vidéos ou photographies publiées sur le web donnent l'impression d'avoir assisté en direct au conflit. Il est alors difficile de situer les responsabilités, car les rebelles et le régime s'accusent mutuellement de ces actes effroyables. Jusque-là, la Russie affiche un soutien sans faille au pouvoir affirmant que ces « preuves » sont fabriquées de toutes pièces pour incriminer le régime. À travers l'analyse de la cyberguerre en Syrie, on peut dire le conflit a pris une toute autre tournure, chaque partie cherchant à conquérir un terrain qu'elle maitrise plus ou moins. Il convient alors de se l'interroger sur la fiabilité et la liberté du web. Un peu comme avec le conflit proprement dit, l'intervention des Russes dans cette cyberguerre a eu un impact non négligeable. Leur expertise en matière de piratage informatique est très redoutée dans le monde, en témoigne le récent scandale sur les élections américaines avec l'élection de Trump. Une issue au conflit passera inéluctablement par une prise en compte de l'influence russe. * 57 Politique de stigmatisation visant à montrer (show) et rendre publique toute action criminelle ou condamnable en vue de le discréditer (shame) les personnes ou les institutions qui en sont à l'origine. * 58ATAMANIUK Marie Lorraine, « Syrie, la cyberguerre », Observatoire du journalisme, mai 2015.p.4. * 59 BAZAN Stéphane, VARIN Christophe, « Le Web à l'épreuve de la « cyberguerre » en Syrie », Études2012/12 (Tome 417), p. 595-606 |
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